PSAUME 45
l. Le Roi-prophète s'inspire ici de sa philosophie habituelle, qui est de détacher les hommes des choses de la vie présente, pour les élever jusqu'à l'espérance des biens du ciel. Ne m'alléguez leur dit-il, ni vos armes, ni vos remparts, ni vos retranchements, ni l'abondance de vos richesses, ni votre habileté dans l'art de la guerre, ni la multitude de vos chevaux, ni vos arcs, ni vos flèches et vos cuirasses, ni le nombre de vos alliés, ni les phalanges de vos soldats, ni leur force corporelle, ni l'expérience que vous avez de vos ennemis. Tous ces moyens de défense ne sont qu'une toile d'araignée, qu'une ombre vaine. Voulez-vous avoir contre vos ennemis une force invincible, un refuge inaccessible, une forteresse inexpugnable, une tour que rien ne puisse ébranler ? Choisissez Dieu pour votre refuge, et revêtez-vous de sa Force divine. David dit avec raison : «Dieu est notre refuge et notre force, parce que tantôt c'est par la fuite que nous triomphons de nos ennemis, tantôt en soutenant contre eux tout l'effort du combat.» Ces deux choses, en effet, sont nécessaires, suivant l'occasion : marcher contre 1'ennemi et savoir éviter le combat. C'est ce que faisait saint Paul : tantôt il attaquait ouvertement ceux qui s'opposaient à la parole de vérité, tantôt il se dérobait à leurs poursuites. Notre Seigneur nous donne le même exemple à suivre dans sa conduite; nous devons donc l'imiter, connaître et distinguer avec soin les circonstances favorables, prier Dieu de ne point nous laisser entrer en tentation, selon la recommandation de l'évangile; mais lorsque l'heure de l'épreuve est arrivée, ne point faiblir, et lutter courageusement avec elle. «Notre puissant Défenseur dans les grandes tribulations qui nous environnent de toute part.» Je répète ce que j'ai dit bien souvent, Dieu ne nous préserve pas toujours des assauts de la tribulation; mais lorsqu'elle nous assaille, Il nous inspire un courage à la hauteur de l'épreuve. L'adverbe puissamment sfodra, se rapporte au mot défenseur. En effet, ce n'est pas un appui ordinaire que Dieu nous donne, Il nous prête main forte et nous prodigue le secours et la consolation dans une mesure bien supérieure à celle de nos douleurs. Il ne se contente pas de proportionner ce secours à la grandeur de nos maux, mais il va bien au delà. «C'est pourquoi nous serons sans crainte, quand même la terre serait bouleversée.» Vous voyez ici jusqu'où s'étendent les effets du Secours divin. Non seulement, dit le prophète, les calamités ne nous atteindront pas et ne nous feront point succomber, mais nous n'éprouverons même pas ces impressions de crainte et de frayeur naturelles à tous les hommes. Et à qui devrons-nous cette assurance ? Au puissant Secours que Dieu nous donne. La terre, les montagnes, le coeur de la mer, ne signifient pas ici les éléments matériels; sous ces expressions figurées, le Roi-prophète veut exprimer des dangers vraiment insurmontables Quand même, nous dit-il, nous serions témoins d'un bouleversement général, d'une perturbation universelle, quand nous verrions des événements inouïs jusqu'alors, les créatures se détruisant les unes les autres, la nature franchissant ses bornes, la terre remuée jusque dans ses fondements, les éléments confondus; dans cet épouvantable bouleversement de toutes choses, non seulement nous ne serions point abattus, mais nous resterions inaccessibles à la crainte.» Et la raison, c'est que le Seigneur et le Maître de toutes ces créatures est notre appui; qu'Il nous prête main forte et se constitue notre défenseur. Or, si de semblables événements ne peuvent ni nous abattre, ni même ébranler notre courage, à plus forte raison si nos ennemis marchent contre nous et nous déclarent la guerre. «Les eaux mugissent et bouillonnent, les montagnes ont été renversées par sa Puissance.» (Ibid. 4). Une autre version porte : «Les eaux mugissant, bouillonnant et les montagnes étant ébranlées pour rendre gloire à Dieu.» Après avoir déclaré qu'ils ne craindront pas, alors même que tous les éléments seraient bouleversés sous leurs yeux. Le Roi-prophète proclame la Puissance de Dieu, à laquelle rien ne résiste. C'est à juste titre que nous serons sans crainte, dit-il, et suivant sa coutume, il fait servir tour à tour les créatures et les événements humains à démontrer cette divine Puissance. Or, voici le sens de ses paroles : Dieu ébranle, renverse, transporte comme Il le veut, toutes les choses créées, tant il est vrai que tout est souple et plie sous sa Main quand Il commande. Je crois que David veut nous dépeindre ici les ennemis de Dieu, aussi redoutables par leur multitude que par leur force, et le nombre presque infini de ceux qui se déclarent contre Lui. Sa Puissance est si grande, dit-il, que sur un seul signe de sa volonté, tout obéit. Et comment donc pourrions-nous craindre, nous qui avons un maître aussi puissant ? «Changement de rythme et de modulation.» Suivant une autre version : «Toujours.» «Un fleuve par son cours impétueux.» Suivant une autre version : «Les divers bras du fleuve (le texte hébreu porte : Phalagau), réjouissent la cité de Dieu, le Très-Haut a sanctifié son tabernacle.» Un autre interprète traduit : «Saint est le lieu de l'habitation du Très-Haut. Dieu est au milieu d'elle, elle ne sera point ébranlée; Dieu la protégera dès le lever de l'aurore.» (Ibid. 6); Une autre version porte : «Vers le matin.» Une autre : «Vers l'heure du matin.» Après ce tableau de la Force et de la Puissance de Dieu, qui Lui rendent toutes choses faciles, le Roi-prophète fait ressortir sa Providence à l'égard des Juifs, et raconte en peu de mots les biens dont Il les a comblés. Ce Dieu si puissant, si fort, si terrible, qui porte l'univers et fait sentir partout son action, qui fait trembler, ébranle et bouleverse de fond en comble toutes les choses créées, a comblé notre cité de bienfaits innombrables. Ce fleuve en effet, représente l'abondance intarissable des dons que le ciel a versés sur nous avec abondance. Le Prophète semble dire : Tous ces biens ont coulé sur nous comme d'une source inépuisable. Semblable à un fleuve qui se divise en plusieurs bras, pour arroser la contrée qu'il traverse, la Providence de Dieu répand ses bienfaits de toutes parts, les verse avec abondance et souvent avec impétuosité, et remplit tout de ses dons. Et non seulement Dieu nous procure une sécurité et une protection à l'épreuve de tous les dangers, mais il répand encore dans notre âme une joie toute spirituelle. C'est pour cela que le Roi-prophète ajoute : «Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle.» N'est-ce pas déjà une grande bonté de la part de Dieu, d'appeler notre ville son tabernacle ?
2. Ce n'est pas sans raison que le Roi-prophète donne ici à Dieu le nom de Très-Haut. Celui qui est élevé au-dessus de tout ce qui est créé, dit-il, qui ne peut être limité par aucun espace, dont la nature est incompréhensible, a daigné appeler notre ville son tabernacle, et la remplit tout entière de sa Présence. Tel est le sens de ces paroles : «Dieu est au milieu d'elle», comme de ces autres de Jésus Christ : «Voici que Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.» (Mt 27,20). Ainsi, Dieu l'enveloppe de toute part, et elle sera à l'abri non seulement de tout danger, mais de toute agitation. La cause en est qu'elle a au milieu d'elle un protecteur toujours présent et toujours prêt à la défendre. C'est ce que signifient ces paroles : «Dès le lever de l'aurore»; c'est un secours qui ne souffre ni lenteur ni retard, qui est toujours plein de force et de vigueur, et qui vient toujours dans le temps favorable. «Les nations ont été remplies de trouble.» Une autre version porte : «Les nations se sont réunies, et les royaumes ont chancelé. Dieu a fait entendre sa Voix, et la terre a été ébranlée.» (Ibid. 6). Il fait ressortir ici la puissance de la Protection divine. Ce ne sont pas des ennemis ordinaires qui viennent assaillir cette ville, ce sont des rois, des nations entières qui s'assemblent de tous côtés pour entourer une seule ville et en faire le siège; et non seulement elle n'a souffert aucun dommage, mais elle a triomphé de ces ennemis, elle a vaincu et détruit les armées qui étaient venues fondre sur elle. Tel est le sens de ces paroles : «Les royaumes ont été renversés, le Très-Haut a fait entendre sa voix.» C'est-à-dire que sa voix seule a suffi pour s'emparer de leurs villes. Cette expression figurée est empruntée à notre langage; car ce n'est ni par le son de sa voix, ni par ses cris, mais par un seul acte de sa Volonté, que Dieu remporte la victoire sur ses ennemis. Toutefois, le Roi-prophète élève notre esprit au-dessus de ces expressions matérielles et sensibles et lui fait entendre un langage beaucoup plus digne de Dieu. Il représente continuellement Dieu comme un guerrier revêtu de ses armes, pour nous montrer que ce sont là de simples métaphores, de simples figures qu'il emploie pour s'accommoder à notre intelligence (car Dieu n'a que faire de toutes ces armes). Il ajoute : «Il a fait entendre sa voix, et la terre a été ébranlée». Ainsi, ce ne sont plus seulement les villes, les peuples, les contrées, mais la terre tout entière que le son de sa Voix ébranle et renverse. La terre, dans le langage de l'Écriture, signifie aussi la multitude des hommes, comme dans ces paroles de la Genèse : «Or, la terre avait une seule prononciation et une seule langue.» (Gn 19,1).
«Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur.» (Ibid. 8). Le texte hébreu au lieu du mot armées, porte : Sabaoth. Voyez comme le discours du Roi-prophète s'élève de la terre au ciel, jusqu'aux légions innombrables des anges et des archanges, jusqu'aux puissances célestes. Que me parlez-vous d'armées, de barbares, d'hommes mortels ? Jugez de la Puissance de Dieu par la grandeur du royaume qu'Il possède dans le ciel; que d'armées, de puissances invisibles sont soumises à ses ordres ! Le Prophète leur donne le nom de puissances, pour faire ressortir leur force, comme Il le fait dans un autre endroit, lorsqu'il dit : «Vous qui êtes revêtus de force et qui exécutez ses ordres.» (Ps 102,20). En effet, un seul ange envoyé de Dieu a suffi pour faire périr une armée de cent quatre-vingt mile homme. (4R 19,35). Me direz-vous qu'Il est puissant, il est vrai, mais qu'Il n'a pas la Volonté de nous secourir ? Bannissez cette crainte, car le Prophète ajoute : «Il est notre Défenseur.» Sa Volonté est donc égale à sa Puissance, ne craignez rien. Mais si nous en sommes indignes ? Rassurons-nous, sa Bonté pour nous est comme un héritage que nos pères nous ont transmis. C'est pour cela que David ajoute : «Le Dieu de Jacob,» comme s'il disait : Cette bonté pour nous date de loin, elle remonte à l'origine de notre nation, et s'est perpétuée d'âge en âge. «Changement de modulation.» Suivant une autre version : «Toujours.» «Venez et contemplez les oeuvres du Seigneur, les prodiges qu'Il a opérés sur la terre.» (Ibid. 9.) «Il a fait cesser la guerre jusqu'aux extrémités de la terre. Il brisera les arcs et mettra les lances en pièces.» (Ibid. 10). Une autre version porte : «Il a brisé et Il livrera les boucliers aux flammes.» Une autre : «Il réduira les chars en cendre.» Après avoir décrit les bouleversements dont la terre, la mer, les montagnes ont été le théâtre, et le Secours divin qui leur a été envoyé du ciel, le Roi-prophète s'adresse de nouveau à ceux qui ont été les témoins de ces grands événements et les appelle à contempler avec des transports de joie et d'amour les triomphes et les victoires que Dieu a remportés sur leurs ennemis. Cependant le Roi-prophète se sert ici du mot de prodiges, et non de celui de trophées et de victoires. Car ces grands événements ne se succédaient pas selon les lois de la nature; ce n'était non plus ni par les armes, ni par la force extérieure que la victoire se décidait, mais par la seule Volonté de Dieu, et Il montrait par les résultats de la guerre que c'était Lui qui menait son peuple au combat. La puissance était vaincue par la faiblesse, des armées innombrables par un petit nombre d'hommes, les rois par ceux qu'ils tenaient sous le joug; les événements s'accomplissaient en dehors de toute espérance; c'est donc à juste titre que le Roi-prophète les appelle des prodiges, puisqu'ils étaient contre toute prévision et qu'ils s'étendaient jusqu'aux extrémités de la terre.
3. On peut sans crainte de se tromper voir dans ce psaume, entendu dans le sens anagogique, une prédiction du temps présent. Dieu en effet, a mis fin à la guerre cruelle que les démons faisaient aux hommes; Il a donné la paix à toute la terre, et Il a même fait cesser et rendu moins fréquentes les guerres extérieures. C'est ce qu'Isaie lui-même avait prédit : «Ils changeront leurs épées en socs de charrues, leurs lances en faucilles; les nations ne lèveront plus le fer contre les nations, on ne les verra plus davantage s'exercer aux combats.» (Is 2,4). Dans les temps qui ont précédé l'Avènement de Jésus Christ, tous les hommes portaient les armes, nul n'était exempt du service militaire, les villes étaient sans cesse en lutte contre les villes, la guerre était universelle. Maintenant au contraire, la plus grande partie de la terre est en paix, tous exercent tranquillement leurs différentes professions, le laboureur cultive la terre, comme le navigateur traverse les mers, et il n'y a plus qu'un nombre restreint de soldats armés pour la défense commune. J'oserai même dire qu'ils deviendraient inutiles, si notre conduite était ce qu'elle doit être, et si nous n'avions pas besoin des dures leçons de l'adversité. Le feu dont parle le prophète, c'est la Colère de Dieu, et il prédit ici les suites de la victoire qu'ils remporteront sur les ennemis, ils livreront aux flammes leurs armes et leurs chars. Ézéchiel prédit cette même circonstance, comme le savent ceux qui sont instruits dans les saintes lettres (Ez 39,10). «Soyez dans le repos, et reconnaissez que c'est Moi qui suis le Seigneur. Je serai élevé au milieu des nations, et Je serai élevé dans toute la terre.» (Ibid. 11). Un autre interprète traduit : «Soyez guéris et reconnaissez.» Un autre : «Cessez afin de reconnaître.» Le texte hébreu porte : Ouarphou ouadou. Le Roi-prophète adresse la parole aux nations à peu près en ces termes : Vous avez reconnu que la Force et la Puissance de Dieu s'étendent jusqu'aux extrémités de la terre, mais vous avez besoin que votre âme soit tranquille et pure. C'est le sens de cette expression : «Laissez» ou «Cessez»; c'est-à-dire, renoncez à vos erreurs, rompez avec les habitudes de votre vie ancienne, dégagez-vous pour respirer plus librement de l'épais nuage des vices qui vous environne, vous serez conduits alors par la doctrine des miracles, et dans le silence d'une âme calme et tranquille, vous reconnaîtrez le souverain maître de l'univers.
En effet, les miracles ne suffisent pas, il faut de plus une âme remplie de dispositions convenables. Que de miracles ont été opérés sous les yeux des Juifs, et ils n'en ont retiré aucun profit pour leur salut. À quoi serviraient les rayons du soleil, si l'oeil n'est pas transparent pour donner passage aux rayons lumineux ? Les miracles seuls ne sont donc pas suffisants. Aussi, après avoir décrit ces miracles, le Roi-prophète exhorte ceux qui doivent en profiter, à renoncer aux vices qui les retiennent captifs pour parvenir à la connaissance du souverain Maître de toutes choses. «Soyez dans le repos et considérez que c'est Moi qui suis Dieu, et non les idoles ou les statues.» Tenez-vous donc dans le repos et Je vous donnerai beaucoup d'autres preuves de cette vérité. C'est ce que signifient les paroles suivantes : «Je serai élevé au milieu des nations, et Je serai élevé dans toute la terre;» c'est-à-dire, ce sont mes oeuvres qui vous démontreront ma Grandeur et mon Élévation au-dessus de tout ce qui existe. En effet, cette nature immortelle et ineffable a une élévation qui lui est propre. Mais comme vous êtes incapable de vous élever jusqu'à elle, Je vous la ferai connaître par les oeuvres : et cette connaissance ne sera pas limitée à la Palestine, à la ville de Jérusalem, mais s'étendra jusqu'à vous, nations infidèles. C'est ainsi que Dieu S'élève en leur faisant sentir sa main victorieuse et puissante, par les miracles qu'Il a opérés à Babylone, dans l'Égypte, dans le désert, par tout l'univers, et qui sont comme autant de maîtres qui leur apprennent à le connaître. «Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur.» (Ibid. 12). Ce Dieu dont la grandeur et l'élévation s'étendent à tous les temps et à tous les lieux, a toujours été avec nous. Loin de vous donc tout sentiment de crainte ou de trouble, puisque vous avez pour défenseur le Dieu fort et invincible, à qui est dû la gloire, l'honneur, avec le Père qui est de toute éternité et son Esprit vivificateur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.