PSAUME 40
1. Vous admiriez tout récemment encore l'étendue du discours que nous vous avons fait sur Melchisédech, et nous admirions nous-même votre attention et votre intelligence, qui se soutinrent jusqu'à la fin, malgré la longueur de notre discours et les nombreuses difficultés qu'il renfermait. Mais ni cette longueur ni ces difficultés ne purent ralentir votre zèle. Nous voulons donc aujourd'hui vous en récompenser par un entretien plus facile à comprendre. Il ne faut pas toujours tenir fortement tendu l'esprit des auditeurs, car il s'épuiserait bien vite. Il ne faut pas non plus lui laisser trop de relâchement et de liberté pour ne point affaiblir son activité. L'enseignement doit donc être varié dans ses formes. Tantôt il faut prendre le genre populaire, tantôt lui préférer le style de la controverse. Je vous le disais alors, lorsque les loups viennent fondre sur le troupeau, les bergers laissent la flûte pour prendre en main la fronde. Et nous aussi, maintenant que les fêtes des Juifs, mille fois plus cruels que les loups, sont passées, laissons la fronde pour reprendre la flûte. Ne prolongeons pas davantage le genre de la discussion, et abordons des matières plus claires en prenant la harpe de David et en expliquant le verset que nous avons tous chanté ce matin. Quel est ce verset ? «Comme le cerf soupire après un courant d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, Seigneur.»
Il est nécessaire d'expliquer tout d'abord l'usage des psaumes, et pourquoi nous les récitons sous forme de chants. Voici la raison pour laquelle la récitation des psaumes est accompagnée de chants : Dieu, voyant l'indifférence d'un grand nombre d'hommes qui n'ont aucun goût pour la lecture des choses spirituelles, et ne peuvent supporter le travail sérieux d'esprit qu'elles demandent, a voulu leur rendre ce travail plus agréable, et leur ôter même le sentiment de la peine. Il a donc uni à des chants les vérités divines, afin de nous inspirer, par le rythme et le charme des mélodies, un goût plus vif pour ces hymnes sacrées. Rien, en effet, n'élève plus notre âme, ne lui donne pour ainsi des ailes, ne la soulève au-dessus de la terre, ne l'affranchit des liens du corps, ne lui donne un amour plus ardent pour la vraie sagesse, et ne lui inspire plus de mépris pour toutes les choses de la terre, qu'une douce harmonie et le chant mesuré et cadencé des saints cantiques. Ces chants ont tant de charme pour notre nature, qu'ils sèchent les larmes, apaisent le chagrin des enfants encore à la mamelle et les endorment sur le sein de leurs mères. Vous voyez, en effet, les nourrices qui les portent sur leurs bras aller et revenir fréquemment en les berçant par des chants enfantins, pour assoupir et fermer leurs paupières. Les voyageurs eux-mêmes, qui conduisent des animaux sous les ardeurs d'un soleil brûlant, chantent aussi pour leur adoucir les fatigues du voyage. Et non seulement les voyageurs, mais les vignerons lorsqu'ils foulent le raisin, qu'ils vendangent ou cultivent la vigne, ou se livrent à n'importe quel autre travail; les matelots chantent également en faisant aller leurs rames. Les femmes elles-mêmes, lorsqu'elles tissent et séparent à l'aide de la navette les fils entremêlés de la chaîne, chantent souvent ou seules ou bien toutes réunies en choeur. Or, le but que se proposent en chantant les femmes, les voyageurs, les vignerons et les matelots, c'est d'alléger le travail et la peine, car l'âme, grâce à ces chants, supporte sans se plaindre les plus dures fatigues.
Or, comme nous sommes naturellement sensibles aux douceurs de la mélodie, Dieu, pour nous prémunir contre les chants voluptueux et lascifs par lesquels le démon nous corrompt et nous perd, nous a donné les psaumes qui nous charment en même temps qu'ils nous instruisent. Les chants des enfants du siècle entraînent après eux les plus grands dangers, la ruine de toute vertu et la mort, car les paroles licencieuses et dissolues qu'ils contiennent, s'insinuent dans les replis les plus secrets de l'âme, l'affaiblissent et l'énervent. Les psaumes spirituels, au contraire, sont la source féconde des plus précieux avantages. Ils élèvent l'âme à une éminente sainteté et lui donnent tous les principes de la vraie sagesse. En même temps que les paroles purifient l'âme, l'Esprit saint descend dans le coeur qui fait retentir ces mélodies sacrées. Voulez-vous une preuve que le chant intelligent des psaumes attire la Grâce de l'Esprit saint ? Écoutez ce que dit saint Paul : «Ne vous laissez point enivrer par le vin d'où naît la dissolution, mais remplissez-vous du saint Esprit.» Et comment accomplir cette recommandation ? «En chantant du fond de vos coeurs à la Gloire du Seigneur.» (Ep 5,18-19). Qu'est-ce à dire, du fond de vos coeurs ? Avec intelligence. Ne soyez pas comme ceux qui ne prononcent les paroles que de bouche, tandis que leur âme vagabonde se répand sur tous les objets extérieurs; mais que votre âme écoute les paroles de votre langue.
2. Là où se trouve un bourbier, on y voit accourir les animaux immondes, tandis que les abeilles sont attirées dans les endroits d'où s'exhalent les parfums et les émanations odorantes. Ainsi les chants dissolus attirent les démons, tandis que les cantiques spirituels appellent en nous la Grâce de l'Esprit saint, qui sanctifie à la fois notre bouche et notre coeur. En vous parlant ainsi, mon intention n'est pas que vous vous contentiez de chanter vous seuls les psaumes, mais que vous formiez vos enfants, vos épouses, au chant de ces cantiques sacrés, non seulement dans le temps que consacrez au tissage ou à d'autres occupations, mais surtout pendant les repas. C'est le moment que le démon choisit de préférence pour tendre ses pièges, car il a pour auxiliaires dans les festins l'ivresse, les excès de la table, les rires dissolus, le relâchement et la mollesse de l'âme. Il faut donc, avant comme après le repas, vous couvrir de la protection des psaumes, et en vous levant de table avec votre femme et vos enfants, chanter ensemble à Dieu ces hymnes sacrés. Voyez, en effet, l'apôtre saint Paul, menacé d'une sanglante flagellation, (cf. Ac 16, 25), attaché à un pieu dans un cachot qui lui servait de demeure. Il ne laisse pas, au milieu même de la nuit, alors que le sommeil est si plein de douceur, de louer Dieu avec Silas, sans que ni le lieu, ni le temps, ni les inquiétudes, ni la tyrannie du sommeil, ni les fatigues, ni les douleurs, ni quelqu'autre motif ait pu le forcer d'interrompre leurs saintes mélodies. (cf. Ac 16,25). Nous donc, dont la vie s'écoule dans le calme, dans la joie, dans l'abondance de tous les biens, combien plus devons-nous offrir à Dieu nos chants d'actions de grâces, afin que si l'ivresse ou la sensualité ont laissé quelque trace honteuse dans notre âme, la divine psalmodie puisse effacer ces impressions mauvaises et toutes les pensées criminelles ! À l'exemple des personnes riches qui font essuyer leurs tables avec une éponge pleine de baume, pour la nettoyer et la rendre pure de toutes les taches que les aliments auraient pu y laisser, nous-mêmes au lieu de baume, remplissons notre bouche de cette mélodie spirituelle, pour qu'elle efface dans notre âme les taches que la sensualité aurait pu y produire, et disons tous ensemble d'une commune voix : «Tu m'as rempli de joie dans la contemplation de tes créatures, et nous serons remplis d'allégresse en louant les oeuvres de tes Mains.» (Ps 91,5).
À la psalmodie joignons la prière, afin que notre habitation soit sanctifiée comme notre âme par les bénédictions du Ciel. Ceux qui invitent à leurs festins les comédiens, les danseurs, les femmes de mauvaise vie, y appellent en même temps le démon et toutes ses cohortes, et font de leurs maisons le théâtre de guerres et de dissensions innombrables (car c'est de là que naissent les jalousies, les fornications, les adultères, et une foule d'autres crimes). Ainsi, par une raison contraire, celui qui invite le Roi-prophète avec sa harpe sacrée appelle en même temps Jésus Christ dans l'intérieur de sa demeure. Or, là où se trouve Jésus Christ, le démon n'ose entrer; que dis-je ? Il n'ose même jeter un regard furtif; et de cette source coulent en abondance la paix, la charité, tous les biens. Ils font de leur maison un théâtre, faites de la vôtre une église. Car on peut appeler sans se tromper une église, la maison qui est sanctifiée par le chant des psaumes, par la prière, par le choeur des prophètes, par la ferveur et la charité. Peut-être ne comprenez-vous pas toute la force des paroles; ne laissez pas de former votre bouche à les redire. Car la langue elle-même est sanctifiée par ces paroles, lorsqu'elles sortent d'un coeur embrasé d'amour. Si nous contractons cette heureuse habitude, nous n'omettrons jamais ni volontairement, ni par négligence, de remplir ce devoir sacré, et l'habitude seule nous forcera comme malgré nous d'accomplir tous les jours cet acte de religion. Ni l'âge avancé, ni la jeunesse, ni la rudesse de la voix, ni l'ignorance absolue des règles de l'harmonie ne peuvent faire obstacle à l'exécution de ces chants. La seule condition qui soit ici exigée, c'est une âme qui sait modérer ses appétits sensuels, un esprit attentif, un coeur contrit, une raison bien affermie, une conscience pure. Si vous entrez avec ces dispositions dans le choeur que Dieu préside, vous pourrez figurer près de David lui-même. Il n'est besoin ici ni de harpe, ni de cordes tendues, ni d'archet, ni de science musicale, ni d'aucun instrument. Si vous le voulez, vous serez vous-même la harpe en mortifiant vos membres et en établissant ainsi une parfaite harmonie entre votre âme et votre corps. En effet, lorsque la chair cesse d'avoir des désirs contraires à ceux de l'esprit, (cf. Ga 5,47), qu'elle obéit à ses inspirations, et que vous la conduisez ainsi dans la voie de la vertu et de la perfection, vous exécutez une mélodie toute spirituelle. On ne demande pas ici une science qui ne s'acquiert qu'à force de temps. Ayez une volonté généreuse, et vous arriverez bientôt à la perfection. Le lieu, le temps sont indifférents, et vous pouvez en tout temps comme en tout lieu chanter intérieurement ces divins cantiques. Vous vous promenez sur la place publique, vous êtes en voyage ou au milieu de vos amis, qui vous empêche de proposer à votre âme des chants intérieurs qui peuvent s'exécuter en silence ? C'est ainsi que Moïse criait vers Dieu, et Dieu l'écoutait. (cf. Ex 14,15). Vous êtes artisan, vous pouvez également dans votre atelier joindre le chant des psaumes au travail qui vous occupe. Vous servez dans les armées ou vous remplissez les fonctions de juge, vous pouvez en faire autant.
3. Il n'est pas besoin en effet de parler, la voix intérieure de l'âme suffit pour le chant des psaumes. Car ce n'est point pour les hommes que nous chantons, c'est pour Dieu qui entend la voix du coeur et pénètre dans les replis les plus secrets de notre âme. C'est ce que l'apôtre saint Paul proclame si ouvertement lorsqu'il dit : «L'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables; et celui qui sonde les coeurs sait quels sont les désirs de l'Esprit, parce qu'il demande pour les saints ce qui est selon Dieu.» (Rm 8,26-27). Ce langage de l'Apôtre ne signifie point que l'Esprit saint pousse des gémissements, mais que les hommes vraiment spirituels, qui ont reçu les Dons de l'Esprit saint, accompagnent des gémissements de la componction les prières et les supplications qu'ils adressent à Dieu pour leurs frères. Imitons leur exemple, et entrons tous les jours en communication avec Dieu par les psaumes et les prières. Mais ne lui offrons point de simples paroles, pénétrons-en le sens et la force, et pour cela expliquons le début de ce psaume. Quel est-il ? «Comme le cerf soupire après les sources d'eaux vives, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu.»
Il est ordinaire à ceux qui aiment de ne point tenir leur amour secret, mais de faire connaître à tous ceux qui les entourent l'ardeur dont ils sont embrasés. Car l'amour est de sa nature comme une flamme ardente que l'âme ne peut tenir cachée. Aussi, écoutez le langage que l'amour suggère à l'apôtre saint Paul parlant aux Corinthiens : «Ô Corinthiens, ma bouche s'ouvre vers vous.» (2 Cor 6,11). C'est-à-dire, il m'est impossible de contenir et de taire l'amour que j'ai pour vous, que je porte partout et toujours dans mon coeur comme dans mes paroles. C'est ainsi que le saint roi David ne peut se résoudre à taire l'amour ardent qu'il a pour Dieu et qu'il l'exprime en ces termes : «De même que le cerf soupire après les sources d'eaux vives, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu.» C'est ce même sentiment qui lui inspire ailleurs ces paroles : «Ô Dieu, ô mon Dieu, je Te cherche dès l'aurore; mon âme brûle d'une soif ardente pour Toi comme une terre déserte, stérile et sans eau.» (Ps 62,1). C'est ainsi que traduit un autre interprète. Comme la parole est impuissante à exprimer son amour, le Roi-prophète cherche de tous les côtés un exemple qui puisse nous faire comprendre cet amour et nous faire partager ses transports. Laissons-nous donc persuader, et apprenons de lui à aimer Dieu. Et ne me dites pas : «Comment puis-je aimer Dieu que je ne vois point ?» Car combien de personnes aimons-nous sans les voir, nos amis par exemple, nos enfants, nos parents, ceux qui nous sont le plus étroitement unis et que des voyages lointains séparent de nous ? Loin que leur absence soit un obstacle à notre amour pour eux, elle ne sert au contraire qu'à le rendre plus vif et plus ardent. C'est ce qui faisait dire à saint Paul, parlant de Moïse, qu'il avait renoncé aux trésors et aux richesses, à la splendeur du trône et à tous les honneurs que pouvait lui offrir l'Égypte, aimant mieux être affligé avec le peuple de Dieu. L'apôtre nous donne ensuite la cause de cette conduite, c'est que Moïse sacrifiait à Dieu tous ces avantages terrestres : «Il demeura ferme et constant comme s'il eût vu l'Invisible.» (He 11,25-27). Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses créatures; vous voyez ses oeuvres, le ciel, la terre et la mer. La vue seule d'un objet qui appartient à une personne qu'on aime, sa chaussure, ses vêtements ou quelqu'autre chose semblable, ravive l'affection qu'on a pour elle. Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses serviteurs, ses amis, je veux dire les saints et ceux qui mettent en lui leur confiance. Ayez pour eux une affection respectueuse, et vous y trouverez une grande consolation au désir que vous avez de voir Dieu. Dans le commerce ordinaire de la vie, nous aimons non seulement nos amis, mais aussi les personnes qui leur sont unies par les liens de l'affection. Si l'un de nos amis nous tient ce langage : «J'aime cette personne, et je regarde comme fait à moi le bien qu'on peut lui faire»; n'est-il pas vrai que nous mettons tout en oeuvre, que nous déployons tout notre zèle pour lui être utile, comme si c'était notre ami lui-même ? Or, nous pouvons donner cette preuve de notre amour pour Jésus Christ. Il nous a dit : «J'aime les pauvres, et Je tiendrai compte de tout le bien qui leur sera fait comme s'il M'était fait à Moi-même.» (Mt 19,21). Consacrons donc tous nos soins à les honorer, à les servir; faisons plus, versons dans leur sein tous les biens que nous possédons; dans la ferme confiance que dans leur personne c'est Dieu même que nous avons l'honneur de nourrir. Vous faut-il une preuve de cette vérité, écoutez ce que dit Jésus Christ : «J'ai eu faim, et vous M'avez donné à manger. J'ai eu soif, et vous M'avez donné à boire. J'étais nu, et vous M'avez revêtu.» (Mt 25,35-36). Et que de raisons Il nous donne pour satisfaire en partie le désir que nous avons de Le voir ! Trois choses d'ailleurs nous inspirent de l'amour : la beauté du corps, la grandeur des bienfaits, et l'affection qu'on nous témoigne. Chacune de ces choses peut par elle-même produire en nous ce sentiment. Quand même nous n'aurions reçu aucun bienfait d'une personne, il suffit que nous apprenions qu'elle nous aime d'un amour constant, qu'elle ne cesse de nous louer, de nous admirer, pour que nous nous attachions à elle et que nous l'aimions comme un bienfaiteur. Or, Dieu possède ces trois titres à notre amour, mais à un degré si élevé, qu'aucune parole n'est capable de l'exprimer. Et d'abord la beauté de cette nature bienheureuse et immortelle est une perfection infinie que rien ne peut surpasser, qui échappe à tout discours comme à toute pensée. Mais gardez-vous de croire, mon très cher frère, que cette beauté ait rien de matériel, c'est une gloire toute spirituelle et une magnificence vraiment ineffable.
4. Le prophète veut nous donner une idée de cette beauté dans ces paroles : «Des séraphins étaient autour du trône, de deux de leurs ailes ils voilaient leur face, de deux autres ils voilaient leurs pieds, et des deux dernières, ils volaient. Et ils criaient : Saint, saint, saintÉ» (Is 6,2-3); étonnés, ravis qu'ils étaient de tant de splendeur et de tant de gloire. David lui-même, à qui cette divine Beauté avait été révélée, s'écrie dans l'admiration où le jette la contemplation de la gloire de cette Nature bienheureuse : «Ceins ton glaive à ton côté, Toi qui es le Tout-Puissant; revêts-Toi de ta Gloire et de ta Majesté.» (Ps 44,4). Aussi Moïse désirait-il vivement contempler cette gloire blessé, qu'il était par l'amour que Dieu lui avait inspiré. (cf. Ex 33,43). C'est encore ce qui faisait dire à l'apôtre Philippe : «Montre-nous le Père, et cela nous suffit.» (Jn 14,8). Ou plutôt, quoi que nous puissions dire, nous ne pourrons jamais donner même une idée faible et imparfaite de cette immortelle beauté. Voulez-vous que du moins nous énumérions ses bienfaits ? La parole ici est également impuissante; voilà pourquoi saint Paul disait : «Grâces à Dieu pour le don ineffable qu'Il nous a fait.» (2 Cor 9,15). Et encore : «L'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui L'aiment.» (1 Cor 2,9). Et dans un autre endroit : «Ô profondeur des trésors de la Sagesse et de la Science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables !» (Rm 11,33). Quel discours a pu encore nous faire comprendre l'amour que Dieu a pour nous ? Saint Jean, dans l'admiration que produisait en lui cet amour, s'écriait : «C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu'Il lui a donné son Fils unique !» (Jn 3,16). Voulez-vous connaître comment Dieu exprime cet amour ardent qu'Il a pour nous, écoutez ce qu'Il dit par son prophète : «Une mère peut-elle oublier son enfant et n'avoir point pitié du fruit de ses entrailles ? Mais quand elle l'oublierait, Moi Je ne vous oublierai jamais.» (Is 49,18). David commence ce psaume par ces paroles : «Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu.» Et notre Seigneur Jésus Christ semble rivaliser avec lui lorsqu'il dit : «Combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu !», (Mt 23,37). Dans un autre endroit, le Roi-prophète exprime encore la même vérité : «Comme un père s'attendrit sur ses enfants, ainsi le Seigneur a pitié de ceux qui Le craignent.» (Ps 102,13). Et dans le même psaume : «Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa Miséricorde s'élève et s'affermit sur ceux qui Le craignent.» Le Roi-prophète a recours à des exemples pour nous faire connaître le vif désir de son âme, et Dieu Lui-même ne dédaigne pas de Se servir de comparaisons pour exprimer le désir ardent qu'Il a de notre salut. David a choisi les comparaisons du cerf dévoré par la soif et d'une terre desséchée, et Dieu choisit comme exemple de sa Tendresse l'amour des poules pour leurs petits, la sollicitude des pères pour leurs enfants, la distance qui sépare les cieux de la terre, les entrailles si sensibles des mères, non que son Amour ne soit pas supérieur à celui des mères pour leurs enfants, mais parce que ces images, ces figures, ces descriptions, ces comparaisons expriment pour nous le plus grand amour que nous puissions concevoir.
Voulez-vous une preuve que l'Amour de Dieu pour nous l'emporte de beaucoup sur l'amour d'une tendre mère pour ses enfants ? Écoutez ce qu'Il dit par son prophète : «Quand même une mère oublierait ses enfants, Moi, Je ne vous oublierai jamais.» (Is 49,15). Il veut nous faire comprendre par là que l'Amour qu'Il a pour nous est bien plus ardent que tout amour purement naturel. Méditez sérieusement toutes ces considérations, et vous allumerez vous-même dans votre âme le feu de l'Amour divin et la flamme brillante de la charité. Et puisque rien n'est plus puissant pour établir une amitié vive et constante entre les hommes, que le souvenir des bienfaits qu'ils ont revus, servons-nous de cette pensée à l'égard de Dieu. Considérons en nous-mêmes tout ce qu'Il a fait pour nous, le ciel, la terre, la mer, l'air, tout ce que la terre contient, les arbres, les fleurs si variées, les animaux, les reptiles, tout ce qui existe dans la mer, au milieu de l'air, les astres qui sont dans le ciel, le soleil, la lune, et pour tout dire en un mot, toutes les créatures visibles, l'éclat de la lumière, l'ordre admirable des saisons, la succession du jour et de la nuit, les révolutions périodiques des astres. C'est Lui qui a répandu en nous un souffle de vie, qui nous a donné l'intelligence et nous a revêtus d'un empire presqu'absolu sur les créatures. Il nous a délégué ses anges, Il nous a envoyé ses prophètes, et après eux son Fils unique. Et après tant de bienfaits, Il ne cesse encore par Lui-même et par son Fils unique de vous exhorter à travailler à votre salut; et saint Paul ne cesse lui-même jusqu'à ce jour de répéter : «Nous remplissons la fonction d'ambassadeur pour Jésus Christ, et c'est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche. Nous vous conjurons au Nom de Jésus Christ de vous réconcilier avec Dieu.» (2 Cor 5,20).
«Son Amour ne s'est point arrêté là, Il a fait asseoir les prémices de votre nature au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus, et de tout ce qu'il y a de plus grand, soit dans le siècle présent, soit dans le siècle futur.» (Ep 1,21). C'est donc maintenant que nous pouvons nous écrier en toute vérité : «Qui pourra raconter la Puissance du Seigneur, qui pourra publier les louanges qui Lui sont dues ?» (Ps 105,2). Et encore : «Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont Il m'a comblé ?» (Ps 105,3). Que peut-on imaginer de plus glorieux en effet, que de voir les prémices de notre nature qui s'est rendue coupable de tant de crimes, qui s'est déshonorée par tant d'actes ignominieux, élevée à cette hauteur et environnée d'une gloire si éclatante ? Ne vous contentez pas de méditer ces bienfaits qui vous sont communs avec tous les hommes, repassez dans votre esprit ceux qui vous sont personnels, comme par exemple d'être sorti victorieux d'une action calomnieuse qu'on vous intentait, d'avoir évité les pièges que les voleurs vous avaient tendus au milieu d'une nuit obscure et profonde, d'avoir échappé au dommage que l'on voulait causer à votre fortune, d'avoir été guéri d'une maladie grave dont vous étiez atteint.
5. Rappelez à votre souvenir les bienfaits que vous avez reçus de Dieu dans tout le cours de votre vie, et vous trouverez qu'ils sont innombrables; non seulement ceux qui s'étendent à votre vie tout entière, mais ceux mêmes qui n'embrassent qu'un seul jour; et si Dieu voulait nous remettre sous les yeux toutes les grâces dont Il ne cesse de nous combler, sans que nous y pensions, sans même que nous le sachions, nous ne pourrions pas seulement les énumérer. Que de démons sont répandus dans les airs ! Combien de puissances ennemies ? Or, si Dieu leur permettait seulement de nous montrer leur affreuse et horrible figure, ne serions-nous pas saisis de crainte et d'épouvante, et comme frappés de mort ? À cette considération, joignons la pensée des péchés volontaires ou involontaires que nous avons commis (car c'est encore une grâce signalée de Dieu qu'Il ne tire pas tous les jours vengeance de nos péchés), et nous y trouverons un nouveau motif de L'aimer. Réfléchissez, en effet, aux fautes nombreuses que vous commettez, aux bienfaits dont Dieu vous comble chaque jour, à la patience, à la longanimité dont vous êtes l'objet; considérez encore que si Dieu eût voulu vous infliger chaque jour le châtiment que méritaient vos péchés, il y a longtemps que vous auriez cessé d'exister (comme l'atteste le Roi-prophète : «Si Tu scrutes, Seigneur, nos iniquités, qui pourra, grand Dieu, subsister devant Toi ?» (Ps 129,3)). Alors, vous Lui rendrez de continuelles actions de grâces; aucune des épreuves qui vous arrivent ne vous paraîtra trop dure, et vous reconnaîtrez que ces épreuves eussent-elles été mille fois plus douloureuses, vous êtes loin encore d'avoir souffert ce que vous méritiez; vous sentirez alors un désir ardent naître dans votre coeur, et vous pourrez dire avec le Roi-prophète : «Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu !»
Il n'est pas inutile de rechercher pour quelle raison David choisit le cerf comme terme de comparaison. Le cerf est souvent altéré et court fréquemment vers les sources d'eau vive. Or, il est altéré de sa nature parce qu'il dévore les serpents et se nourrit de leur chair. Imitez son exemple, nourrissez-vous du serpent spirituel, abattez à terre le péché, et alors vous pourrez éprouver la soif du désir de Dieu. De même qu'une conscience criminelle rend notre âme impure, ainsi lorsque nous aurons remporté une victoire complète sur nos péchés, et purifié notre âme de toutes ses souillures, elle pourra s'ouvrir à ces désirs spirituels, invoquer Dieu avec ferveur, s'embraser d'un amour plus ardent et chanter non seulement de bouche, mais par toutes ses actions, ces paroles du Roi-prophète. C'est dans ce dessein que ce saint roi a écrit, ou plutôt que la Grâce de l'Esprit saint lui a inspiré ces divins cantiques. Ce n'est pas seulement pour que nous les chantions de bouche, mais pour en faire passer le fruit dans nos oeuvres. Gardez-vous donc de croire que vous entrez ici pour réciter seulement des paroles. En chantant les cantiques inspirés du Prophète, vous contractez un véritable engagement. Lorsque vous dites : «De même que le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu,» vous avez fait un traité avec Dieu, vous avez signé une convention, quoique sans papier et sans encre, vous avez déclaré à haute voix que vous L'aimiez par-dessus toutes choses, que vous Lui sacrifiiez toute autre affection, et que votre âme était embrasée de son Amour. Si donc, au sortir du lieu saint, une femme de mauvaise vie vous attire par l'appât séducteur de sa beauté, dites-lui : «Je ne puis vous suivre, j'ai fait un pacte avec Dieu, et en présence de mes frères, des prêtres, des docteurs, j'ai déclaré et promis en chantant ces paroles, que j'aimais Dieu, que je soupirais vers Lui comme le cerf soupire après les sources d'eau vive. Je crains d'être infidèle à mes engagements; l'Amour de Dieu sera désormais l'unique objet de mes pensées.» Si vous voyez de l'argent étalé sur la place publique, des vêtements brochés d'or, des hommes s'avançant fièrement suivis d'une foule de serviteurs, et conduits par des chevaux ayant des freins dorés, ne vous laissez pas impressionner par toute cette pompe, mais dites à votre âme : Nous venons de chanter : «Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu,» et nous nous sommes fait l'application de ces paroles de l'Écriture. N'aimons donc rien des biens de cette vie, afin que cet amour demeure en nous dans toute sa pureté et qu'il ne vienne pas à s'affaiblir en se divisant. Ces richesses nous mettront en possession de toutes les richesses, de tous les trésors, de tout l'éclat que nous pouvons désirer. Cherchons donc à les acquérir, elles suppléeront pour nous à tout le reste. Voyez les malheureux esclaves d'un amour criminel, qui brûlent d'une passion coupable pour une fille souvent sans beauté; ils ne tiennent compte ni des menaces de leurs parents, ni des reproches de leurs amis, ni des jugements sévères du public, ils n'ont que cette personne en vue, et méprisent pour lui plaire les douceurs du foyer domestique, l'héritage paternel, la gloire, la réputation, les conseils de l'amitié. Il suffit pour les consoler de tout ce qu'ils sacrifient, d'avoir l'estime de la personne qu'ils aiment, quelle qu'elle soit, fût-elle perdue même d'honneur et de réputation. Ceux donc qui aiment Dieu d'un amour digne de Lui, pourraient-ils encore être sensibles à ce que les hommes appellent prospérité ou revers de fortune ? Non, ils ne se laisseront point séduire par les vaines apparences de cette vie, parce que cet Amour de Dieu est le but unique de leurs efforts. Ils n'auront que du dédain pour tous les biens de ce monde et du mépris pour ses afflictions, parce qu'ils sont comme enchaînés par l'Amour de Dieu, qu'ils ne voient que Lui seul, qu'Il est l'objet constant de leurs pensées, et qu'ils se considèrent comme les plus heureux de tous les hommes. Qu'ils soient dans la pauvreté, dans l'ignominie, dans les chaînes, dans les tribulations, en proie à des maux extrêmes, jusqu'au milieu de leurs souffrances, ils estimeront leur sort préférable à celui des rois, parce qu'ils goûtent cette consolation vraiment admirable de souffrir pour celui qu'ils aiment.
6. Voilà pourquoi saint Paul, au milieu des dangers qui menaçaient continuellement sa vie, dans les prisons, dans les naufrages, dans les déserts, lorsqu'il était battu de verges, victime de mille autres persécutions, (cf. 2 Cor 11,23-27), tressaillait d'allégresse et se glorifiait de ses souffrances : «Non contents de nous glorifier dans l'espérance de la gloire des enfants de Dieu, disait-il, nous nous glorifions encore dans nos afflictions.» (Rm 5,2-3); et ailleurs : «Je me réjouis dans mes souffrances et j'accomplis dans ma chair ce qui manque aux Souffrances de Jésus Christ.» (Col 1,24). Et dans un autre endroit, il reconnaît et déclare que les souffrances sont une grâce : «Jésus Christ vous a donné la grâce non seulement de croire en Lui, mais encore de souffrir pour Lui.» (Ph 1,29). Efforçons-nous donc d'entrer dans les mêmes sentiments et nous pourrons aussi supporter avec joie les épreuves qui nous arrivent. Ces épreuves n'auront pour nous rien de pénible, si nous aimons Dieu comme L'aimait le Roi-prophète. Ce n'est pas seulement ce verset que les fidèles chantent ensemble, mais les paroles qui suivent, qui nous font connaître l'étendue de son amour. En effet, après avoir dit : «De même que le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu», il ajoute : «Mon âme a soif du Dieu fort et vivant; quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la Face de Dieu ?» Il ne dit pas : Mon âme aime Dieu, ou bien elle a de l'affection pour Dieu, mais pour mieux nous exprimer la vivacité de son amour, il le compare au besoin de la soif, pour nous faire comprendre à la fois l'ardeur et la continuité de son amour. Ce n'est pas pendant un jour ou quelques jours seulement que nous éprouvons le besoin de la soif, mais pendant toute notre vie, parce que ce besoin tient à notre nature. Ainsi, ce saint roi et tous les saints ne se sont pas contentés d'avoir l'esprit de componction et d'amour un jour seulement, comme un grand nombre d'hommes, ou deux ou trois jours au plus (ce qui n'aurait rien de surprenant); mais ils persévéraient religieusement dans cet amour, et chaque jour ne faisait que l'accroître davantage.
C'est ce que le Roi-prophète veut exprimer par ces paroles : «Mon âme a soif du Dieu fort et vivant»; et il nous indique en même temps la cause de ce désir ardent, pour nous apprendre comment il est possible d'aimer Dieu de cette sorte. Tel est le sens des paroles suivantes : «Mon âme a soif de Dieu»; il ajoute : «du Dieu vivant», et il semble par là faire entendre bien haut ces reproches aux oreilles de ceux qui soupirent après les choses de cette vie. Pourquoi cette passion insensée pour la matière ? Pourquoi cet amour des corps périssables ? Pourquoi cette ambition de la gloire ? Pourquoi ces désirs de la volupté ? Aucune de ces choses ne dure et ne vit éternellement; elles passent toutes, et disparaissent avec rapidité, elles sont plus vaines que l'ombre, plus trompeuses que les songes, elles se flétrissent et tombent plus vite que les fleurs du printemps. Les unes en effet périssent pour nous avec cette vie, les autres nous quittent même avant ce terme fatal. La possession en est incertaine, l'usage de courte durée, et le changement des plus rapides. En Dieu au contraire rien de semblable, Il vit et demeure éternellement et n'est sujet à aucun changement, à aucune espèce de vicissitude. Laissons donc toutes ces choses fragiles et éphémères, pour attacher notre amour à celui dont l'existence est éternelle. Jamais celui qui L'aime ne sera confondu, jamais il ne sera séparé de Lui, jamais il ne sera privé de l'objet de son amour. Celui qui place son affection dans les richesses, s'en voit dépouiller ou par la mort ou même avant qu'elle arrive. Ceux qui recherchent la gloire du monde éprouvent le même sort. Souvent la beauté des corps se flétrit encore plus vite. En un mot, toutes les choses de cette vie ont une existence éphémère et fugitive, et avant même qu'elles aient frappé nos regards, elles ont cessé d'exister. L'amour des biens spirituels est tout différent; il est toujours dans sa force et dans sa fleur, il ne connaît ni la vieillesse ni les effets de la vétusté; il est affranchi de tout changement, de toute vicissitude, de toute incertitude de l'avenir. Il est l'appui et le soutien, le rempart inexpugnable de ceux qui le possèdent; il ne les abandonne point au sortir de cette vie, mais il les accompagne et les suit constamment, et les revêt d'une splendeur plus brillante que celle des astres qui nous éclairent.
C'est ce que savait le saint roi David et c'est pour cela qu'il persévérait dans l'Amour de Dieu, mais il ne pouvait contenir au dedans de lui cet amour, et il s'efforçait par tous les moyens possibles de faire connaître le feu qui le brûlait intérieurement. Aussi après avoir dit : «Mon âme a soif du Dieu fort», il ajoute : «Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant Dieu ?» Vous voyez une âme toute embrasée et consumée d'amour. Il sait qu'il doit voir Dieu au sortir de cette vie, mais il ne peut attendre ce moment, il ne peut souffrir de retard, et il se montre ici animé du même esprit que l'Apôtre. En effet, la longueur du pèlerinage de cette vie arrachait aussi des gémissements à saint Paul. (2 Cor 5,2). Le Roi-prophète éprouve le même sentiment et il s'écrie : «Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant Dieu ?» Supposons un homme ordinaire, d'une condition vile, obscure et qui vit dans la pauvreté, il ferait déjà un grand acte de vertu en méprisant la vie présente, mais quelle vertu bien plus héroïque faut-il dans un roi qui nage au sein des délices, qui est environné d'une gloire éclatante, qui a remporté d'innombrables victoires, qui s'est illustré et immortalisé dans mille combats, pour mépriser les richesses, la gloire, les plaisirs de la terre, pour soupirer ardemment après les biens de l'autre vie ? Voilà la marque d'un esprit magnanime, d'une âme qui a le goût de la sagesse et qui brûle de l'amour des biens célestes.
7. Imitons nous-mêmes un si bel exemple, cessons d'admirer les biens de la vie présente, et réservons notre admiration pour les biens de l'autre vie, ou plutôt admirons les biens éternels pour cesser d'admirer les biens de cette vie. Méditons donc continuellement ces vérités. Représentons-nous le royaume des cieux, l'immortalité, cette vie qui ne doit point finir, l'union avec les choeurs des anges, la société de Jésus Christ, une gloire incorruptible, une vie affranchie de tout sentiment de douleur. Représentons-nous encore que les larmes, les injures, les outrages, la mort, la tristesse, la fatigue, la vieillesse, les maladies, les infirmités, la pauvreté, les calamités, la viduité, toutes les autres épreuves douloureuses et pénibles ont disparu pour faire place à la paix, à la douceur, à la mansuétude, à l'amour, à la joie, à la gloire, à l'honneur, à la magnificence et à mille autres biens que la parole ne peut exprimer. Oh ! alors nous serons insensibles à tous les biens de la vie présente, et nous pourrons dire avec le Roi-prophète : «Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la Face de Dieu ?» Si tels sont nos sentiments, ni la prospérité ne pourra nous enfler, ni l'adversité nous abattre, ni la jalousie, la vaine gloire, ni aucune autre chose nous faire sortir de nous-mêmes. N'entrons donc pas ici comme au hasard, ne répondons pas comme par manière d'acquit, mais prenons ce verset pour nous servir de bâton et de soutien. Chaque verset des psaumes suffit à lui seul pour nous élever à une sagesse éminente, réformer nos idées, et nous procurer les plus grands avantages, et si nous méditons attentivement chacune des paroles qui les composent, nous en recueillerons les fruits les plus abondants. Vous ne pouvez objecter ici ni la pauvreté, ni le manque de loisir, ni la lenteur de votre esprit. Vous êtes pauvre, et par là même dans l'impossibilité de vous procurer des livres; ou bien vous avez des livres, mais le temps vous manque pour les lire. Contentez-vous de méditer les versets des psaumes que vous avez chantés ici non pas une, deux ou trois fois, mais dans une multitude de circonstances, et vous y trouverez une matière abondante de consolations. Voyez quels trésors un seul verset vient de nous ouvrir !
Et qu'on ne me dise pas : Avant cette explication, j'ignorais les richesses que ce verset renfermait; car avant même toute explication, une attention ordinaire suffit pour en pénétrer le sens. Si vous apprenez seulement à dire : «Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu ! Mon âme a soif du Dieu fort et vivant, quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la Face de Dieu ?» ces paroles seules sans autre explication, peuvent vous faire entrer dans tous les secrets de la divine Sagesse. Vous récitez encore ces autres paroles; «Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur» vous pouvez également en comprendre le sens, c'est-à-dire ne point regarder comme heureux celui qui a en partage les richesses, la puissance, la beauté, la force, qui possède de somptueuses demeures, qui occupe des fonctions éminentes, qui habite les palais des rois; mais celui-là seul qui fait profession de piété, de sagesse, de crainte de Dieu. Ajoutons qu'un tel homme est heureux non seulement par l'espérance des biens à venir, mais par les biens dont il jouit dans le cours de la vie présente. Dès cette vie en effet, il est mille fois plus puissant que le premier. Que la maladie les atteigne tous deux, celui qui est revêtu de pourpre ne trouvera aucun adoucissement à ses douleurs dans la multitude de ses gardes, non plus que dans l'éclat extérieur qui l'environne, mais sous les yeux de ses serviteurs, de ses parents, de tous ceux qui l'entourent, il est comme dévoré dans une fournaise ardente. Au contraire, l'homme fidèle aux inspirations de la piété et de la crainte de Dieu, sans avoir besoin de recourir à ses parents, à ses serviteurs, à aucun de ceux qui sont présents, n'a qu'à jeter les yeux non point constamment, mais deux ou trois fois vers le ciel pour éteindre les ardeurs de cette fournaise. Vous verriez la même chose se reproduire au milieu des afflictions et des malheurs qui fondent sur nous à l'improviste. Ceux qui ont les richesses en partage et occupent des positions brillantes, sont facilement accessibles au trouble. Ceux au contraire, qui préfèrent aux richesses l'amour de la religion et l'étude de la sagesse, supportent courageusement le poids de l'adversité. En dehors même de ces pénibles épreuves, la conscience de celui qui craint Dieu est pleine d'une joie plus grande et plus pure que l'âme de celui qui vit au milieu des richesses. Celui-ci en effet, bien qu'il ait tout en abondance, mène une existence mille fois plus triste que ceux qui ne vivent que de privations, parce que ses crimes sont continuellement présents à sa mémoire et que sa conscience ne cesse de les lui reprocher. L'autre, au contraire, bien que manquant du nécessaire, jouit d'un calme plus assuré que ceux qui regorgent de délices, parce qu'il se nourrit des espérances célestes, et qu'il attend de jour en jour la récompense de ses bonnes oeuvres. Mais je ne veux pas prolonger davantage ce discours pour ne point fatiguer votre attention, et je laisse à ceux qui aiment le travail le soin de lire chacun des versets de ce psaume et de comprendre la Vertu divine qu'ils renferment. Je m'arrête donc ici en vous exhortant, bien aimés frères, à ne point sortir d'ici sans aucun fruit. Prenez les paroles de ce psaume comme autant de perles pour les conserver et les méditer soigneusement dans vos demeures. Redites-les à vos amis et à vos épouses, et si le trouble vient à s'emparer de votre âme, si vous sentez s'élever en vous la convoitise, la colère ou quelqu'autre sentiment condamné par la raison, ayez à la bouche les paroles de ce divin cantique, elles seront pour vous en cette vie le gage d'une paix ineffable, et dans l'autre des biens éternels que nous obtiendrons par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, par Lequel et avec Lequel soit au Père et au saint Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant, toujours et dans les siècles des siècles. Amen.