PSAUME 5

«Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage.» (v. 1.)

 

Voyons d'abord quel est cet héritage, si nous y avons des droits, et le temps où nous devons en prendre possession. En effet, n'est-il pas contraire à toute raison, lorsqu'une succession nous est dévolue par un testament qui nous en assure la possession certaine, de nous voir faire mille démarches, nous donner mille peines, rechercher soigneusement les titres, consigner des sommes, recourir aux pièces, en transcrire la teneur, en un mot, déployer une activité sans bornes; tandis que nous restons froids et insensibles devant ce testament spirituel qui nous est présenté, devant ces lettres ouvertes sous nos yeux, et alors qu'il s'agit d'un héritage qui n'a rien de matériel ? Approchons-nous donc, ouvrons les titres, examinons avec soin les termes du testament, voyons pour quelles raisons cet héritage nous est dévolu, et quelle en est la nature. Car il ne nous est pas laissé purement et simplement, mais à des conditions expresses. Quelles sont ces conditions ? «Celui qui m'aime, nous dit notre Seigneur Jésus Christ, gardera mes commandements.» (Jn 14,23). Et encore : « Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas » (Mt 10,38); et plusieurs autres conditions qui sont mentionnées dans ce testament. Apprenons aussi le temps où nous devons entrer en possession de cet héritage : ce n'est point dans le temps présent, mais dans l'autre vie; ou plutôt c'est à la fois dans cette vie et dans l'autre : «Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice, nous dit-Il et le reste vous sera donné comme par surcroît;» (Lc 12,31); mais la pleine et entière possession de cet héritage ne nous sera donnée que dans la vie future.

Comme la vie présente est fragile et périssable et que d'ailleurs nous sommes encore loin de la perfection, Dieu fait à notre égard ce que font les législateurs de la terre, qui ne délivrent l'héritage paternel qu'à ceux qui ont atteint l'âge de leur majorité. Ainsi Dieu nous délivrera notre héritage lorsque nous serons parvenus à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge voulu, et que nous serons entrés dans cette vie sur laquelle la mort a perdu son empire. En attendant, Il a fait son testament, Il nous a laissé les Écritures où Il nous prescrit ce que nous devons faire pour entrer en possession de cet héritage, ne point perdre les titres qu'Il nous donne, et n'être point exclus de toute espèce de droit à cette glorieuse succession. Si quelques-uns, à la pensée de leur imperfections venaient à concevoir de l'inquiétude et de la défiance à l'égard des Promesses divines, qu'ils écoutent ce que leur dit l'apôtre saint Paul, parlant à la fois de la vie présente et de la vie future : «Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant; mais, lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l'enfant.» (I Cor 13,11). Et, dans un autre endroit : «Jusqu'à ce que nous arrivions à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge de la plénitude du Christ.» (Ep 4,13). Dans la vie présente, nous dit saint Paul, les choses créées sont pour nous comme une nourrice qui soutient notre enfance; mais, lorsque nous entrerons dans la maison du Seigneur, nous dépouillerons les vêtements de la corruption pour revêtir l'incorruptibilité, et nous passerons à une vie d'un genre tout différent. Ce testament déshérite donc par avance un grand nombre d'hommes, ceux qui ne remplissent pas les conditions qu'Il impose aux héritiers. Considérons maintenant la nature de l'héritage «C'est ce que l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et ce que le coeur de l'homme n'a jamais conçu.» (1 Cor 2,9). Comment donc pourrions-nous jouir dans la vie présente de ce magnifique héritage dont la connaissance seule surpasse toutes nos pensées ? C'est pour cela que Dieu en a réservé la jouissance pour la vie future. Mais voyez jusqu'où s'étend sa tendre Sollicitude pour nous : Il circonscrit les travaux et les épreuves dans la vie présente, pour que les souffrances ne dépassent pas la durée de cette vie si courte; et Il réserve les véritables biens pour la vie future, pour que les récompenses soient égales en durée à celle même de l'éternité. Dieu donne aussi à cet héritage le nom de royaume. Ces biens qui nous attendent sont au-dessus de toute parole; cependant Dieu S'est servi d'images et de figures pour nous en donner quelqu'idée, autant qu'il nous est possible de l'avoir. Tantôt c'est un royaume, tantôt ce sont des noces, tantôt un empire; Il emprunte, ce semble, à la terre les noms les plus éclatants pour nous faciliter l'intelligence de ces biens immortels, de cette gloire éternelle, de cette béatitude sans fin, de cette vie qui nous sera commune avec Jésus Christ, et à laquelle rien ne peut être comparé.

Or, quelles sont les conditions que nous impose l'Église, ou plutôt cet héritage lui-même ? Elles sont on ne peut plus faciles à remplir. «Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le vous-même pour eux.» (Mt 7,12). Vous voyez qu'il n'exige de vous rien d'extraordinaire; ce sont les lois que la nature elle-même avait prescrites. Faites à votre prochain, vous dit-il, ce que vous voudriez qu'il vous fît à vous-mêmes. Vous aimez qu'il vous loue ? Louez-le le premier. Vous ne voulez pas qu'il vous dérobe ce qui vous appartient ? Respectez vous-même le bien des autres. Vous désirez être honoré ? Honorez les autres. Vous voulez qu'on soit miséricordieux à votre égard ? Soyez miséricordieux pour vos frères. Vous voulez qu'on vous aime ? Commencez par aimer. Vous craignez d'entendre parler mal de vous ? Ne parlez jamais mal de personne. Remarquez la justesse du langage de notre Sauveur. Il n'a point dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît; mais : «Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse.» Deux voies nous conduisent à la vertu : l'une, la fuite du mal; l'autre, la pratique des bonnes oeuvres. Le Sauveur nous propose cette dernière voie dans laquelle se trouve comprise en quelque sorte la première. Déjà notre Seigneur avait commencé à le faire entendre lorsqu'Il disait : «Ne faites point à un autre ce que vous seriez fâché qu'on vous fît.» (Tob 4,16). Mais ici Il s'exprime en termes clairs et exprès : «Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur vous-mêmes.»

 

2. Il y a encore une autre condition. Quelle est-elle ? Aimer son prochain comme soi-même. Quoi de plus facile ? Ce qui est difficile et pénible, c'est la haine, source de trouble et de dissension; mais pour aimer c'est une chose facile et douce. S'il nous avait dit à nous autres hommes : Vous aimerez les animaux, ce commandement eût offert quelque difficulté; mais c'est à des hommes qu'il ordonne d'aimer des hommes, qui sont de même substance, qui descendent d'une même famille, et que la voix de la nature, par mille raisons, nous conseille d'aimer. Où sont donc les difficultés ? Les lions comme les loups nous donnent ici l'exemple; car la conformité de nature établit entre eux une certaine liaison. Quelle sera donc notre excuse, à nous qui apprivoisons les lions, qui habitons avec eux dans nos demeures, et qui ne faisons rien pour attirer nos semblables ? N'en voyez-vous pas un grand nombre qui, pour obtenir un héritage, assiègent et obsèdent les vieillards : jeunes encore, pleins de force et de santé, ils supportent toutes les incommodités de la vieillesse, la goutte, les infirmités de l'âge, les suites des affections catarrhales, sans quitter ces vieillards d'un seul instant. Et pourquoi ? Pour des richesses, pour une espérance incertaine; tandis que pour nous, c'est le ciel, et, avant le ciel, le bonheur de plaire à Dieu.

Mais quelle est donc celle qui obtient ici l'héritage, car le titre de ce psaume porte : «Pour celle qui obtient l'héritage ?» C'est l'Église et tous les membres dont elle est composée, c'est elle dont saint Paul dit : «Je vous ai fiancés à cet unique Époux qui est Jésus Christ, pour vous présenter à Lui comme une vierge toute pure» (2 Cor 11,2); et saint Jean : «Celui qui a une épouse est époux.» (Jn 3,9). L'époux, les premiers jours passés, sent diminuer la vivacité de son amour; mais notre époux nous aime continuellement et d'un amour qui s'accroît de jour en jour; c'est ce que saint Jean veut nous faire entendre en lui donnant le nom d'époux nouvellement fiancé, alors que sa tendresse est dans toute sa force. Et ce n'est pas la seule raison pour laquelle il donne à l'Église le nom d'épouse, il veut encore que tous nous ne formions qu'un corps et qu'une âme, par les sentiments d'une même vertu et d'un même amour; et que pendant tout le cours de notre vie nous imitions l'épouse qui n'a d'autre objet que de plaire à son époux. Telle que l'épouse assise le jour de son union dans sa chambre nuptiale n'a qu'une préoccupation, celle de se rendre agréable à son époux, ainsi nous-mêmes, pendant tout le cours de notre vie, n'ayons qu'une pensée, celle de plaire à notre époux et de garder fidèlement la conduite modeste et digne de l'épouse. C'est de cette épouse que David disait longtemps à l'avance : «La reine s'est tenue à ta droite, ornée d'un habit enrichi d'or, couverte de vêtements de diverses couleurs.» (Ps 44,10). Voulez-vous connaître sa chaussure ? Écoutez saint Paul qui est chargé de conduire l'épouse et qui vous dit : «Que vos pieds aient une chaussure qui vous dispose à suivre l'évangile de la paix.» (Ep 5,15). Voulez-vous voir aussi sa ceinture, et comme elle est tissée de la vérité : «Que la vérité, vous dit-il, soit la ceinture de vos reins. (Ibid., 5,27). Voulez-vous encore contempler sa beauté, le même apôtre vous en fait la description : «Elle n'a ni tache, ni ride.» (Ibid., 5,27). Écoutez encore l'éloge qu'en fait l'auteur du Livre des Cantiques : «Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a aucune tache en toi.» (Can 4,7), Voulez-vous voir enfin ses pieds, saint Paul vous dit : «Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent l'évangile de paix, de ceux qui annoncent les biens !» (Rm 10,15). Et ce qui doit nous remplir d'admiration et d'étonnement, c'est qu'après avoir ainsi prodigué les ornements pour son épouse, Il n'est point venu dans tout l'éclat de sa gloire, dans la crainte de l'effrayer et de la mettre hors d'elle-même par la splendeur de sa beauté; Il est venu revêtu du même vêtement que son épouse, et Il a voulu prendre comme elle une nature composée de chair et de sang.

Il ne l'appelle pas non plus du haut du ciel, Il vient la chercher sur la terre, fidèle en cela à la coutume qui veut que l'époux vienne chercher l'épouse dans sa demeure. C'est la loi proclamée autrefois par Moïse : «C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à son épouse» (Gn 2,24), et saint Paul lui-même a dit : «Ce sacrement est grand, je le dis, en Jésus Christ et en l'Église.» (Ep 5,32). Lors donc qu'il est entré dans sa demeure, et qu'il l'a trouvée couverte de mille souillures, sans vêtement et étendue dans l'impureté de son sang, (Éz 16,5-6), Il l'a purifiée, Il a répandu sur elle une huile parfumée, Il l'a nourrie de mets exquis, l'a revêtue d'habits d'une richesse incomparable. Après qu'Il S'est rendu Lui-même son vêtement, Il l'a prise et conduite dans les cieux. C'est pour elle que l'héritage est préparé. Mais que dit de cette héritière le roi-prophète ? Une multitude de choses; car il est son avocat et il a prédit et annonce d'avance un grand nombre d'événements dont elle devait être l'objet; par exemple : celui qui serait son époux, son union avec Lui, les biens dont Il devait la combler. C'est pour cela qu'il parle ici en son nom, et qu'à l'exemple des orateurs et des avocats qui avant de plaider devant les tribunaux disent le nom du client dont ils prennent la défense, il nous avertit qu'il va parler «pour celle qui reçoit l'héritage.» Mais écoutons ce que demande à Dieu celle pour qui l'héritage est destiné. «Seigneur, prête l'oreille à mes paroles.» Elle donne le nom de seigneur à son époux, c'est le langage d'une épouse prudente. Si l'usage suivi par ceux qui ont une même nature, est que l'épouse appelle son mari son seigneur; cet usage a bien plus sa raison d'être dans les rapports de Jésus Christ avec son Église, puisqu'Il est par nature son Seigneur et son Dieu. Elle L'appelle donc son Seigneur non seulement parce qu'Il est son époux, mais parce qu'Il est vraiment son Seigneur; elle Le prépare ainsi à écouter sa prière. L'héritage lui est destiné; mais le testament n'aura son plein effet qu'à la condition qu'elle aura parfaitement accompli les commandements qui lui sont proposés. Elle s'adresse donc à Dieu et Le prie de venir à son secours, afin qu'elle puisse observer les commandements et ne pas perdre ses droits à l'héritage céleste : «Seigneur, dit-elle, prête l'oreille à mes paroles.» Sa prière est pleine de confiance, parce qu'elle demande ce que Dieu même a le plus grand désir de lui accorder; tandis que celui qui demande à Dieu des choses indignes de Lui, ne peut espérer d'être exaucé. Ainsi, prier contre ses ennemis, contre ceux qui nous ont causé quelque peine, ce n'est pas le langage d'un homme, c'est le langage du démon. Si, en effet, le jurement vient du démon, «car, dit notre Seigneur, ce qui se dit de plus que : Cela est, cela n'est pas, vient du malin.» (Mt 5,37); il est évident que la prière contre les ennemis vient de la même source. Si donc vous dites à Dieu : «Seigneur, prête l'oreille à mes paroles,» dites-le dans les sentiments d'un homme plein de douceur et de charité, et qui n'a rien de commun avec le démon.

«Comprends mes cris.» Ces cris, ce n'est pas l'élévation de la voix, mais le sentiment du coeur. Dieu ne dit-Il pas à Moïse qui Le priait en silence : «Pourquoi cries-tu vers Moi ?» (Ex 14,15). Il ne lui dit pas : Pourquoi me pries-tu ? mais : «Pourquoi cries-tu vers Moi ? » parce que la prière de Moïse lui était inspirée par un ardent amour pour son peuple. Or, pour mieux vous convaincre qu'il ne s'agit pas ici d'un cri extérieur, mais de la disposition de l'âme, et d'un redoublement de désirs, le roi-prophète ne dit pas : Prête l'oreille à mes cris; mais : «Comprends» ou bien : Apprends quel est l'objet de mes cris. Car, bien qu'il se soit servi d'un langage humain, ce langage a une signification plus haute. «Sois attentif à la voix de ma supplication.» Cette voix c'est encore une voix intérieure. C'est ainsi qu'Anne criait vers le Seigneur. (1 Rois 1,13). Remarquez encore qu'il ne dit pas simplement : «Prête l'oreille à la voix de ma prière;» mais : «Prête l'oreille à la voix de ma supplication.» Celui qui prie doit, en effet, prendre l'extérieur et les sentiments d'un véritable suppliant. Un suppliant se garde bien de tenir le langage d'un accusateur; or, celui qui prie contre ses ennemis est un accusateur plutôt qu'un suppliant. Vous voyez donc qu'il ne présente sa prière que lorsqu'il l'a rendue digne d'être entendue. Ainsi lorsque nous voulons assurer le succès de notre prière, commençons par la préparer, qu'elle soit une véritable prière et non une accusation, et alors nous pourrons l'adresser à Dieu conformément aux lois qu'Il a Lui-même prescrites. «Ô mon roi et mon Dieu.» C'est le nom que le prophète donne souvent à Dieu et qui était encore plus familier au patriarche Abraham. Aussi, dit saint Paul, «Dieu ne rougit pas de S'appeler leur Dieu.» (Hé 11,16). L'Église donne elle-même à Dieu ce nom, et le justifie par l'ardeur de ses désirs; elle ne se contente pas de dire : «Ô roi,» mais, «Ô mon roi et mon Dieu !» témoignant ainsi de l'amour qui l'anime.

Elle expose ensuite les raisons qui rendent sa prière digne d'être exaucée. Quelles sont ces raisons ? - «Car je T'adresserai ma prière, ô mon Dieu.» Qui donc, me direz-vous, n'adresse pas ses prières à Dieu ? Il en est beaucoup qui paraissent prier Dieu, mais qui le font uniquement pour être vus des hommes. Ce n'est point ainsi que prie l'Église, elle s'adresse à Dieu seul, en laissant de côté toute considération humaine. «Tu entends ma voix dès le matin.» Vous voyez une âme pleine d'ardeur et profondément pénétrée. C'est aux premiers rayons du jour, dit-elle, que je me livre à ce saint exercice. - Écoutez cette leçon, vous qui ne vous mettez en prière qu'après mille occupations étrangères. L'Église agit bien différemment, elle donne à Dieu les prémices de la journée. «Il faut, dit l'auteur du livre de la Sagesse, prévenir le lever du soleil pour Te bénir, et T'adorer avant le lever du jour.» (Sag 16,28). Vous ne souffrez point qu'un de vos inférieurs présente avant vous ses hommages à l'empereur. Et cependant le soleil adore depuis longtemps son Créateur, et vous dormez encore; vous cédez ici la première place à la créature, et vous ne prévenez pas toute cette nature créée pour vous, et vous ne rendez pas à Dieu vos actions de grâces. Aussitôt que vous êtes sortis du lit, vous vous lavez les mains et la figure sans songer à donner à votre âme aucun des soins qu'elle exige. Ne savez-vous donc pas que la prière purifie l'âme, comme l'eau purifie le corps ? Purifiez donc votre âme avant votre corps. Le péché a couvert notre âme d'une multitude innombrable de taches, effaçons-les par la prière. Nos lèvres étant ainsi protégées, les actions de la journée reposeront sur un fondement solide et durable...

«Dès le matin, je me présenterai devant Toi et je Te contemplerai.» Je me présenterai devant Toi, non en changeant de lieu, mais par mes oeuvres. C'est le seul moyen de nous approcher de Dieu. Ce n'est, en effet, que par les oeuvres qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne de Dieu; car Dieu remplit tous les lieux de sa Présence. «Je me présenterai devant Toi et je verrai que Tu n'es pas un Dieu Ami de l'iniquité.»

«Et le méchant n'habitera pas avec Toi.» Le roi-prophète veut parler du culte des idoles, dans lequel les hommes se complaisaient, comme aussi dans toute sorte d'iniquités et d'actions criminelles. Ces méchants, dit-il, ne seront ni vos amis ni vos voisins. «Les insensés ne soutiendront point tes Regards.» Il nous montre ici l'horreur que Dieu a pour les méchants, et il enseigne à ceux qui veulent s'approcher de Lui à se rendre d'abord semblables à Lui; car c'est à ce titre seul qu'ils peuvent s'approcher de Lui. Un homme vertueux ne peut se lier avec un homme vicieux : à combien plus forte raison Dieu repousse-t-Il le méchant de sa présence ? Voulez-vous vous convaincre que les méchants ne peuvent avoir de liaison avec les hommes vertueux, écoutez la manière dont il parle de l'homme juste :«Sa vue seule nous est insupportable.» (Sag 2,15). C'est ainsi que Jean le Baptiste, alors même qu'il était dans les fers, loin de tous les regards, était à charge à Hérodiade, bien qu'elle en fût elle-même si éloignée. C'est ainsi qu'après sa mort il était encore un sujet d'effroi pour la conscience du roi Hérode. Qu'aucun donc de ceux qui pratiquent la vertu ne regarde comme un malheur d'être en butte aux complots des méchants. Les vrais malheureux sont ceux qui commettent le mal.

«Tu haïs tous ceux qui commettent l'iniquité, Tu perds tous ceux qui profèrent le mensonge. Le Seigneur abhorre l'homme sanguinaire et trompeur.» Ces paroles, dans l'intention du prophète, sont pour nous une leçon continuelle qui nous enseigne la nécessité de conformer notre vie à celle de l'Époux, pour nous rendre dignes de nous approcher de lui. Sans cela nous serons privés du secours d'en-haut, et c'est le plus grand malheur qui puisse nous arriver.

«Tu hais tous ceux qui commettent l'iniquité. » Tous, esclaves, hommes libres, rois, ou tout autre, quel qu'il soit. Ce n'est point la dignité, mais la vertu que Dieu pèse quand il veut choisir ses amis. Comme certains esprits ignorants estiment que cette Haine de Dieu est peu de chose, écoutez comme il leur inspire la crainte du châtiment. «Tu perds tous ceux qui profèrent le mensonge.» Il s'adresse ici à la partie sensible et matérielle dans les pécheurs. Le châtiment, leur dit-il, ne s'arrêtera pas à cette Haine de Dieu, bien que ce fût déjà un supplice indicible; Il détruira tous ceux qui profèrent le mensonge. Un supplice insupportable et plus cruel mille fois que l'enfer, c'est d'être l'objet de la Haine de Dieu; mais il n'en parle que pour ceux qui sont capables de comprendre ce châtiment; pour les esprits plus grossiers il ajoute : «Tu perds ceux qui profèrent le mensonge.» Ne vous laissez donc aller ni au trouble, ni à l'inquiétude, lorsque vous voyez les artisans de mensonge, les voleurs, ceux qui s'emparent des biens d'autrui, n'éprouver cependant aucun mal. Le châtiment ne peut manquer de les atteindre; car telle est la Nature de Dieu, Il détourne ses Regards de l'iniquité, elle est pour Lui un objet de haine et d'horreur. Ceux qui profèrent le mensonge, sont ici ceux qui vivent dans le crime, ceux qui poursuivent des choses vaines et mensongères et qui sont plongés dans la volupté, dans les plaisirs de la table, dans l'amour des richesses, toutes choses que le roi-prophète a coutume de désigner sous le nom de mensonge. «Dieu abhorre l'homme sanguinaire et trompeur», c'est-à-dire l'homme qui se plaît dans le meurtre, qui ourdit en secret des trames perfides, qui parle autrement qu'il ne pense, qui, sous les dehors de la douceur, cache les instincts et la férocité des loups. Se peut-il rien de plus dangereux ?

On peut se mettre en garde contre un ennemi déclaré; mais on ne peut se défendre contre celui qui cache sa méchanceté sous le voile d'une profonde dissimulation, et qui produit ainsi des maux innombrables. Aussi notre Seigneur nous recommande-t-Il une grande vigilance quand les hommes s'approchent de nous. «Ils viennent à vous, nous dit-Il, sous des vêtements de brebis, et ils sont au dedans des loups ravissants.» (Mt 8,15).

 

«Pour moi, grâce à ta Miséricorde, j'entrerai dans ta demeure. » C'était au milieu de tels hommes que l'Église avait été choisie, parmi les gentils, les magiciens, les homicides, les auteurs de sortilèges, les artisans de mensonge et les imposteurs, et c'est d'eux qu'elle avait dit : Ils sont pour Toi, ô mon Dieu, un objet de haine et d'horreur; elle nous apprend ici que ce n'est ni à sa justice ni à ses bonnes oeuvres, mais à la Miséricorde divine, qu'elle doit d'avoir été délivrée du milieu de ces hommes de crime, et introduite dans le sanctuaire de Dieu. «Pour moi, grâce à ton infinie Miséricorde, j'entrerai dans ta demeure.» Elle prévient l'objection qu'on pouvait lui faire : Comment après vous être vous-même rendue coupable de pareils crimes, avez-vous pu être sauvée ? Et elle nous apprend à qui elle est redevable de son salut. C'est grâce à sa grande Miséricorde nous dit-elle, et à sa Bonté ineffable que j'ai été sauvée. Mais il en est qui, atteints, comme les Juifs, d'une maladie incurable, ne veulent pas entendre parler de miséricorde. Cependant la grâce et la miséricorde, bien que comme telles, soient des dons purement gratuits, ne peuvent sauver que ceux qui le veulent et qui consentent à recevoir en eux la grâce, et non ceux qui résistent audacieusement, et rejettent le don qui leur est offert. C'est ce qu'ont fait les Juifs, dont saint Paul a dit : «Ne connaissant pas la Justice de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la Justice de Dieu.» (Rm 10,3). Après avoir dit ce que Dieu a fait pour elle, elle nous apprend ce qu'elle a fait elle-même. «Je T'adorerai avec crainte dans ton saint temple.» Après la grâce que j'ai reçue, dit-elle, je Te présenterai l'expression de ma reconnaissance, je T'offrirai ce sacrifice : «Je T'adorerai avec crainte dans ton saint temple.» Je n'imiterai pas la conduite d'un grand nombre qui dans la prière affectent des manières inconvenantes, donnent des signes d'ennui, et sont comme atteints d'engourdissement; pour moi, je Te prierai avec crainte et avec tremblement. Celui qui prie de la sorte, se dépouille de tous les vices, s'élève à la pratique de toutes les vertus, et se rend digne de la Miséricorde de Dieu.

«Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à cause de tes ennemis.» L'Église a chanté les Louanges de Dieu, proclamé sa Haine pour les méchants, sa Bonté, sa Miséricorde, le salut dont elle a été l'objet, la manière dont Dieu l'a sauvée. Elle nous a fait connaître ensuite comment elle a répondu à cette grâce : elle s'est détournée du mal, elle s'est efforcée de porter les hommes à la vertu, elle a donné à ceux qui vivent dans le crime la double espérance de pouvoir obtenir miséricorde, s'ils veulent se convertir; elle termine en adressant à Dieu cette prière : «Seigneur, conduis-moi dans ta Justice.» C'est ainsi qu'elle nous enseigne à offrir d'abord nos louanges à Dieu, à Lui rendre grâces pour ses Bienfaits, à Lui adresser ensuite nos prières, et à Le remercier de nouveau de ses Bienfaits. Mais considérons l'objet de sa prière : Demande-t-elle les choses de cette vie, des biens fragiles, périssables et inutiles ? Sollicite-t-elle des richesses, de la gloire, de la puissance ? Demande-t-elle vengeance contre ses ennemis ? Non, aucune de ces choses. Que demande-t-elle donc ? «Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à cause de tes ennemis.» Voyez comme elle se garde de demander aucune faveur passagère et comme elle implore le secours d'en-haut, secours nécessaire surtout à ceux qui entrent dans la voie de la justice. La justice doit s'entendre ici de la réunion de toutes les vertus. Ce n'est pas sans dessein qu'elle dit : «Dans ta Justice. » Car il y a la justice des hommes, qui consiste dans l'observation des lois humaines. Mais que cette justice est peu de chose ! Elle est pleine d'imperfections et de défectuosités, et n'est déterminée que par la pensée même des hommes. Pour moi, je demande ta Justice, celle que Tu as apportée sur la terre, et qui nous conduit au ciel, et je demande le secours qui m'est nécessaire pour obtenir cette justice.

Remarquez encore le choix admirable de cette expression : «Conduis-moi.» La vie présente, en effet, est comme le chemin où il faut que Dieu nous conduise par la main. Si, lorsque nous entrons dans une ville, nous avons besoin d'un guide pour nous conduire, combien plus, dans le voyage que nous entreprenons pour arriver au ciel, le secours d'en-haut nous est-il nécessaire pour nous montrer la voie, affermir nos pas, et nous conduire comme par la main. Il y a tant de sentiers qui s'écartent de la voie; tenons donc fermement la Main de Dieu. «À cause de tes ennemis.» Bien des ennemis, dit-elle, conspirent contre moi, ils veulent égarer mes pas, me tromper et me détourner de la véritable voie. Puisque je suis exposée à tant de pièges, à tant d'attaques imprévues, conduis-moi Toi-même, ton Secours m'est nécessaire. - C'est à Dieu, en effet, qu'il appartient de nous montrer la voie; mais c'est à nous de nous rendre dignes d'être conduits par la Main divine. Si votre âme n'est pas pure, si elle est esclave de l'avarice ou de quelqu'autre vice qui est pour elle une souillure, la Main de Dieu ne peut vous conduire. «Rends droite ma voie devant tes Yeux», c'est-à-dire, fais qu'elle soit pour moi une voie claire, sans détours, bien connue, fais qu'elle soit pour moi une voie droite. Un autre interprète traduit ainsi : «Aplanis devant moi ta voie;» c'est-à-dire rends-la facile et parfaitement aplanie devant moi.

«Car la vérité n'est point sur leurs lèvres, leur coeur est rempli de vanité.» Le roi-prophète veut parler ici, ce me semble, de ceux qui sont plongés dans l'erreur et dont la bouche et le coeur sont également coupables, de ceux qui passent leur vie dans le crime.

«Leur bouche est un sépulcre ouvert.» Il désigne ici les hommes de sang ou ceux qui répandent des opinions qui portent avec elles la corruption et la mort. On ne se trompera point en disant que la bouche de ceux qui profèrent des paroles obscènes est comme un sépulcre ouvert; car l'odeur qui s'exhale d'une âme corrompue est bien plus funeste que les émanations d'un sépulcre ouvert. Telle est encore la bouche des avares, qui ne parlent jamais que de meurtres et de rapines.

Que votre bouche ne soit donc jamais un sépulcre, mais bien plutôt un trésor. Les trésors sont bien différents des sépulcres : les sépulcres corrompent, les trésors conservent le dépôt qui leur est confie. Ayez donc dans votre trésor, non pas un foyer de mauvaise odeur et d'infection, mais les richesses vraies et durables de l'amour de la sagesse. Et il ne se borne pas à dire : «Leur bouche est un sépulcre» mais : «Un sépulcre ouvert» pour nous faire comprendre l'infection bien plus grande qui s'en échappe. Ils auraient dû bien plutôt cacher ces paroles, au lieu de les produire au dehors et de dévoiler tout le mal qui les ronge. À l'égard des cadavres, nous faisons tout le contraire, nous nous empressons de les confier à la terre; mais pour eux, au lieu de cacher et d'étouffer au fond de leur coeur de semblables paroles, ils les profèrent en public, ils les étalent aux yeux de tous, sans crainte de choquer les regards. Chassons donc loin de nous, je vous en prie, les auteurs de ces discours. Nous prenons soin d'ensevelir les cadavres hors de l'enceinte des villes; combien plus devons-nous éloigner soigneusement de nous ceux qui osent proférer des paroles de mort, sans vouloir ni les couvrir ni les dissimuler, car de telles bouches sont la perte commune de toute une ville. «Ils se sont servis de leur langue pour tromper avec adresse.» Vous voyez un autre genre d'iniquité : les uns cachent et dissimulent au fond de leur coeur leurs projets artificieux, et n'ont à la bouche que de douces paroles; d'autres sont tellement habiles que leurs paroles mêmes servent souvent de voile à leur méchanceté, et que c'est à l'abri de leurs discours qu'ils ourdissent leurs trames pernicieuses. «Juge-les, ô mon Dieu, fais échouer leurs desseins.» Voyez quelle douceur respire cette prière. Il ne dit pas à Dieu : Punis-les; mais : «Juge-les», mets un terme à leur iniquité et anéantis leurs desseins. Cette prière est faite même dans leur intérêt et pour les empêcher d'enfoncer plus avant dans la voie du crime. «Pour prix de leurs nombreuses prévarications, rejette-les, parce qu'ils T'ont irrité, Seigneur.» C'est-à-dire : Je ne suis point sensible au mal qu'ils m'ont fait, mais je m'afflige des coups qu'ils dirigent contre Toi. Voici, en effet, un des premiers caractères d'une âme véritablement sage, c'est de ne point chercher à tirer vengeance de ses propres injures et de se montrer pleine de zèle pour les outrages dirigés contre Dieu. Telle est, au contraire, la conduite d'un grand nombre : ils sont insensibles aux intérêts de la Gloire de Dieu outragée, mais ils poursuivent avec une ardeur sans égale la réparation des injures qui leur sont faites. Ce n'est point ainsi qu'agissaient les saints; ils prenaient en main avec un zèle ardent la cause de Dieu contre ses ennemis, et ne songeaient même pas à venger leurs propres injures.

«Mais qu'ils se réjouissent, tous ceux qui espèrent en Toi.» Voilà le fruit de la prière : ceux-ci deviendront meilleurs et s'abstiendront désormais du mal; ceux-là éprouveront une joie indicible en voyant cet admirable changement, cette conversion du mal au bien; d'autres puiseront dans cet exemple le principe d'une perfection plus grande. «Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu habiteras en eux. Le roi-prophète veut parler des joies de l'éternité; car les autres joies n'ont pas plus de stabilité que les eaux courantes des fleuves, qui s'écoulent au moment même où elles passent sous nos yeux. Pour la joie dont Dieu est l'auteur, elle est durable, elle a de profondes racines, elle comble les désirs de notre coeur, elle est invariable, elle est à l'abri de toutes les vicissitudes de la terre, et les difficultés et les obstacles mêmes lui donnent un nouveau degré de perfection. Ainsi voyons-nous les apôtres se réjouir d'avoir été frappés de verges, Paul tressaillir d'allégresse au milieu de ses tribulations, et, sur le point de mourir, dire à ceux qui partageaient sa joie : «Quand même je serais immolé sur le sacrifice et l'oblation de votre foi, je m'en réjouirais et m'en féliciterais avec vous tous. Réjouissez-vous donc vous-mêmes et félicitez-moi.» (Phi 2,17-18). Dieu habite avec ceux dont le coeur est plein de cette joie sainte. C'est pour cela que l'Église par la bouche du prophète dit : «Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu habiteras en eux.» Jésus Christ nous confirme Lui-même cette vérité, en nous apprenant que cette joie n'aura point de fin : «Je vous verrai de nouveau, et personne ne vous ravira votre joie.» (Jn 16,22). Et saint Paul nous dit de son côté : «Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse.» (I Th 5,16-17). «Et tous ceux qui aiment ton Nom se glorifieront en Toi.» Voilà les seules choses dans lesquelles nous pouvons mettre notre joie, notre gloire, notre allégresse. Mais, pour celui qui se glorifie dans les choses de la terre, il est semblable en tout à ceux qui goûtent la joie fugitive d'un vain songe.

Dites-moi, en effet, qu'y a-t-il dans les choses humaines dont on puisse légitimement se glorifier. La force du corps ? Mais cette force ne dépend pas de notre choix, et nous n'avons aucun motif d'en tirer gloire. D'ailleurs, nous la voyons s'affaiblir et se perdre bien vite, souvent même elle tourne à la ruine de celui qui la possède, s'il n'en fait pas un bon usage. Nous pouvons dire la même chose de la jeunesse, de la beauté, de la puissance, des plaisirs, en un mot de tous les biens de la vie présente. Mais se glorifier en Dieu et dans l'amour qu'on a pour lui, voilà un couronnement incomparable, une gloire qui surpasse l'éclat des plus riches diadèmes, quand même celui qui se glorifie de la sorte serait dans les fers. Cette gloire ne craint ni la maladie, ni la vieillesse, ni la vicissitude des choses humaines, ni les changements de temps; elle est à l'épreuve même de la mort, et c'est alors qu'elle brille d'un plus vif éclat.

13. «Parce que Tu répands ta Bénédiction sur le juste.» Comme des dispositions si parfaites exposent aux railleries et à la dérision du monde, ceux surtout qui pratiquent la vertu, le roi-prophète prévient le découragement qui pourrait naître dans des âmes encore faibles et inexpérimentées, en relevant et en justifiant leurs sentiments. «Tu répands, dit-il, ta Bénédiction sur le juste. » Quel mal, en effet, peut faire le mépris des hommes et de la terre tout entière, à celui qui est jugé digne des applaudissements et des éloges du Maître des anges ? Et quel fruit, au contraire, lui reviendrait des applaudissements de tous ceux qui habitent la terre et les mers, si Dieu refuse d'y joindre ses propres Louanges? Faisons donc tous nos efforts pour mériter d'être loués de la bouche même de notre Dieu, d'être couronnés de sa Main. Si nous avons ce bonheur, nous dominerons tous les hommes, fussions-nous d'ailleurs pauvres, malades, plongés dans un abîme de maux. Voyez le saint homme Job assis sur un fumier, épuisé par le sang corrompu qui coulait de ses ulcères, par la quantité innombrable de vers qui fourmillaient dans ses plaies. Joignez à cela des épreuves non moins cruelles, le mépris et l'horreur qu'il inspirait à ses serviteurs, à ses amis, à ses ennemis, les pièges que lui tend sa femme, la pauvreté, la misère, cette maladie affreuse et incurable dont il est frappé; et cependant il est le plus heureux des hommes.

Pourquoi ? Parce qu'il était béni de Dieu, qui avait dit de lui : «C'est un homme irréprochable, juste, vrai, craignant Dieu, et fuyant le mal.» (Job 1,8). « Seigneur, Tu nous as couverts de ta Bienveillance comme d'un bouclier. » Le roi-prophète termine sa prière par l'action de grâces, en offrant à Dieu l'hymne de la reconnaissance. Or qu'est-ce que le bouclier de la Bienveillance divine ? C'est un bouclier à toute épreuve, un bouclier selon la Volonté de Dieu, une armure à laquelle rien n'est comparable; expression figurée qui veut dire : Tu nous as couverts de ton invincible Protection. Selon un autre interprète, il faut lire : «Tu le couronneras», indubitablement le juste, auquel il applique ces paroles. «Tu couronneras le juste; » c'est-à-dire que ta Bienveillance, ton Amour, seront pour lui des armes qui le rendront invulnérable. Ou bien encore : Tu entoures le juste d'un secours si puissant que sa gloire est pleine d'assurance, comme sa sécurité est toute brillante de gloire. Car que peut-on concevoir de plus fort et en même temps de plus glorieux qu'un homme qui est protégé par la Main du Très-Haut ? Cette couronne est tressée par la miséricorde, comme David le dit ailleurs : «C'est Lui qui vous couronne de miséricorde et d'amour.» (Ps 102,4). Elle est aussi préparée par la justice, comme le dit saint Paul : «Il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée.» (2 Tm 4,8). C'est encore une couronne de grâce : «Il vous couvrira d'une couronne de grâces», dit l'auteur des Proverbes. (Pro 4,9). C'est aussi une couronne de gloire, selon ces paroles d'Isaïe : «En ce jour-là, le Seigneur des armées sera une couronne d'espérance et de gloire pour son peuple.» (Is 28,4). Cette couronne est donc un admirable composé de bonté, de justice, de grâce, de gloire et de beauté; car elle est un Don de Dieu qui produit toutes ces grâces si variées. C'est enfin une couronne incorruptible, au témoignage de saint Paul : «Ils ne se proposent de gagner qu'une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible.» (I Cor 9,25). Tel est donc le sens de ces paroles : «Tu nous as couronnés d'une gloire» certaine et assurée; car le caractère des Dons de Dieu, ce qui distingue ses couronnes, c'est la force, c'est la gloire.

Il n'en est pas ainsi parmi les hommes : celui-ci est environné de gloire, mais sans jouir d'une entière assurance; celui-là vit en pleine sécurité, mais sans beaucoup de gloire : ces deux choses se trouvent difficilement réunies, et, si parfois on les voit ensemble dans un même sujet, cette union est de courte durée. Ainsi ceux qui sont au faîte des honneurs et de la puissance sont environnés de gloire et d'éclat; mais ils sont loin d'être en sûreté, et le terrain sur lequel ils marchent est d'autant plus glissant et dangereux que leur gloire est plus éclatante. Au contraire, les hommes d'une condition obscure et méprisée doivent à leur obscurité même la sécurité et le calme dont ils jouissent; mais leur vie est sans gloire, et c'est justement cette vie sans éclat qui fait leur sécurité. En Dieu, c'est tout l'opposé que vous voyez : Il sait réunir au suprême degré dans une même personne la gloire et la sécurité. Considérant donc la grandeur des biens qui nous sont proposés, et par-dessus tout le précieux avantage pour nous d'être agréables à Dieu, puisque c'est à la fois une armure invincible, la gloire, la sécurité, la réunion de tous les biens, courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte, ne perdons jamais courage et ne nous laissons point dépouiller de nos armes. Ce genre de combat ne souffre point que le soldat soit désarmé, on ne lui permet de quitter son armure que lorsque le combat est terminé, et le combat ne se termine qu'à la séparation de l'âme avec le corps. Il nous faut donc combattre pendant toute la durée de cette vie, dans l'intérieur de nos maisons, lorsque nous nous rendons aux assemblées, pendant nos repas, dans la maladie comme dans la santé.

Le temps de la maladie est surtout le temps favorable pour ce combat, lorsque les douleurs répandent le trouble dans notre âme, qu'elle est assiégée par la tristesse, et que le démon est là qui nous excite à dire quelque parole d'amertume. C'est alors surtout qu'il faut nous mettre en garde, nous couvrir de la cuirasse du bouclier, du casque et de toutes les autres armes, et rendre à Dieu de continuelles actions de grâces. C'est alors que nous lancerons contre le démon des traits perçants, que nous lui porterons des coups mortels, et que nous obtiendrons de brillantes couronnes. En effet, ce qui a environné le saint homme Job d'une gloire aussi éclatante (car pourquoi ne pas invoquer de nouveau son exemple ?), ce qui l'a rendu digne des plus grands éloges, ce qui lui a mérité une si belle couronne, c'est qu'au milieu des épreuves successives de la tentation, de la maladie, de la pauvreté, son âme demeura ferme et immuable, son esprit inébranlable, et qu'il offrit à Dieu des paroles de reconnaissance et d'actions de grâces qui furent à ses yeux un véritable sacrifice spirituel : «Le Seigneur m'a tout donné, le Seigneur m'a tout ôté, il n'est arrivé que ce qu'il Lui a plu; que le Nom du Seigneur soit béni.» (Job 1,21). Imitons nous-mêmes cet exemple : dans les tentations, dans les épreuves, dans les persécutions, rendons gloire à Dieu et ne cessons de Le bénir, parce que la gloire Lui est due dans les siècles des siècles. Amen.