PSAUME 4
Si le prophète s'exprime de la sorte, ce n'est pas seulement pour nous apprendre que sa prière a été exaucée, mais pour nous enseigner à nous-mêmes ce que nous devons faire si nous voulons que
Dieu nous exauce promptement, et nous accorde l'effet de nos prières avant même qu'elles soient terminées. Le roi-prophète, en effet, ne dit pas: Lorsque je L'ai eu invoqué, mais : «Lorsque je L'invoquai, Il m'a exaucé.» C'est la promesse que Dieu Lui-même a faite par son prophète à celui qui l'invoque: «Pendant que vous parlerez encore, Je dirai : Me voici» (Is 58,9). Car ce qui donne à la prière cette puissance de persuasion sur le CÏur de Dieu, ce n'est point la multitude des paroles, c'est une conscience pure, et la pratique des bonnes Ïuvres. Voulez-vous savoir ce qu'il dit à ceux qui vivent dans le mal, et qui s'imaginent cependant Le fléchir par la longueur de leurs prières ? «Lorsque vous multiplierez vos prières, Je ne vous écouterai point; lorsque vous étendrez vos mains, Je détournerai mes Yeux de vous.» (Is 1,15). Avant toutes choses, celui qui prie doit avoir de la confiance, et il obtiendra infailliblement ce qu'il demande. Aussi le prophète ne dit-il pas: Il m'a exaucé; mais: «Il a exaucé ma justice;» «montrant ainsi cette confiance en Dieu dont son âme est toujours remplie quand il s'approche de Lui. Or, ne pensez pas que ces paroles lui soient inspirées par un sentiment de vaine présomption; s'il parle ainsi, ce n'est point pour se faire valoir, mais pour notre instruction et pour nous donner à tous une leçon des plus utiles. Vous auriez pu dire : Il a été exaucé de Dieu, parce que c'était David; mais pour moi qui suis si petit et qui ai si peu d'importance, je ne puis rien en espérer. Il vous montre donc que si Dieu l'a exaucé ce n'est pas sans de sages raisons, et que s'Il rejette vos prières, ce n'est point à la légère et comme au hasard, qu'Il examine toujours avec le plus grand soin les Ïuvres de celui qui Le prie. Si vous pouvez présenter vos Ïuvres à l'appui de votre prière, vous serez toujours exaucé; mais, si elles vous font défaut, fussiez-vous un David, vous ne pourrez jamais fléchir le CÏur de Dieu.
Voyez les avares: ils ne tiennent aucun compte ni de la dignité, ni de quelqu'autre considération que ce soit; ils ne considèrent que ceux qui ont de l'argent, et se montrent disposés à tout faire pour eux. Ainsi Dieu, qui aime la justice, ne renverra jamais les mains vides le juste qui vient Le prier. Quant à celui qui n'a point cette justice, et dont l'âme est souillée des vices contraires, il a beau prier et supplier, ses efforts sont inutiles, parce qu'il n'a point en lui la puissance de persuasion. Voulez-vous donc être tout-puissant auprès de Dieu, présentez-vous devant lui avec cette justice. Or, ne croyez pas que la justice soit une vertu particulière; c'est la vertu considérée dans son ensemble et comme la réunion de toutes les vertus. C'est dans ce sens que Job était juste: il avait toutes les vertus qu'un homme peut pratiquer; il ne s'abstenait pas de tel vice pour s'en permettre un autre. Quelle est, en effet, la balance que nous appelons juste ? Celle qui est toujours parfaitement égale. Ce n'est point celle qui serait juste pour peser de l'or, et qui ne le serait plus quand il s'agirait de peser du plomb, mais celle qui pèse toutes choses avec une parfaite égalité. Qu'entendons-nous encore par une mesure juste ? Celle qui mesure également tous les objets. C'est donc ainsi que Job était juste et équitable dans toutes les circonstances de sa vie. Ce n'est point seulement dans l'usage des richesses que Job était fidèle aux lois de l'équité; dans toutes les autres choses, il en était l'observateur rigoureux. Et qu'on ne dise pas qu'à la vérité il aimait à être équitable dans les questions d'argent, mais qu'il cessait de l'être dans ses rapports et dans ses paroles avec ceux qui l'entouraient, et qu'il les traitait avec hauteur et dédain; car il ne fuyait rien tant que ces emportements de l'orgueil. C'est pour cela qu'il disait: «Ai-je dédaigné d'entrer en jugement avec mon serviteur; et avec ma servante, lorsqu'ils disputaient contre moi ? N'ont-ils pas été créés comme je l'ai été moi-même ?» (Job 31,13). L'orgueil et l'arrogance sont donc aussi une grande injustice.
2. Nous accusons de cupidité celui qui veut s'emparer des biens des autres et ne se contente pas de ceux qu'il possède; de même nous taxons d'orgueil celui qui exige de son prochain plus d'égards qu'il ne lui en est dû, qui veut avoir tous les honneurs, et n'a en retour que du mépris pour les autres. Cette prétention n'a point d'autre source que l'injustice En voulez-vous la preuve ? La voici: c'est Dieu qui a créé votre prochain aussi bien que vous et qui lui a donné absolument les mêmes avantages que vous avez reçu vous-même. Pourquoi donc le déposséder et le dépouiller de l'honneur que Dieu lui a donné, ne pas lui laisser prendre sa part de biens qui vous sont communs, vous attribuer tout exclusivement et le réduire à cette pauvreté qui le prive non seulement des richesses, mais encore de l'honneur ? Dieu vous a donné à un et à l'autre une seule et même nature, une noblesse égale, et a daigné vous admettre tous deux à l'honneur d'être sa créature. Ces paroles: «Faisons l'homme.» (Ge 1,26), sont communes au genre humain tout entier. Pourquoi donc dépouiller votre prochain de son patrimoine, le réduire à la dernière humiliation, et vous approprier ce qui est la propriété commune de tous ? Tel n'était pas le saint roi-prophète; aussi disait-il avec autant de confiance que de liberté : «Dieu a exaucé ma justice.»
C'est ainsi que saint Paul parle souvent de lui-même, non par un sentiment d'orgueil ou d'ambition, mais pour se proposer aux autres comme modèle, lorsqu'il dit, par exemple : «Je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi dans la continence.» (1 Cor 7,7). Ainsi David lui-même, lorsque les circonstances l'exigent, proclame la force toute divine dont Dieu l'avait revêtu. Il rappelle comment il étouffait les ours, étranglait les lions, non pour se faire valoir assurément, mais uniquement pour se rendre digne de foi. Mais si j'ai la justice, me dira-t-on, quel besoin ai-je encore de la prière ? La justice seule ne suffit-elle pas pour diriger toute ma vie, et l'auteur de tous les dons ne sait-il pas lui-même ce qui nous est nécessaire ? &emdash; Je réponds que la prière est un lien puissant qui nous unit à Dieu, nous apprend à converser avec Lui, et nous inspire l'amour de la sagesse. Celui qui fréquente habituellement un homme éminent, retire le plus grand fruit de cette société; combien plus celui qui entretient avec Dieu un commerce assidu ? Mais nous ne comprenons pas suffisamment ces grands avantages de la prière, parce que nous n'y portons pas toute application d'esprit qu'elle exige, et que nous n'y suivons point les lois que Dieu nous prescrit. S'agit-il de présenter une requête à des hommes qui nous sont supérieurs, nous ne les abordons qu'après avoir composé notre attitude, notre démarche, nos vêtements, tout notre extérieur; tandis que, si nous paraissons devant Dieu, c'est en affectant des airs d'ennui, avec un sans-gêne inconvenant, en nous retournant en tout sens, et en donnant des signes d'une nonchalance scandaleuse; nous fléchissons les genoux devant Lui, et notre esprit se promène sur la place publique. Si nous nous mettions en prière avec tout le respect convenable, et comme des hommes qui vont s'entretenir avec Dieu, les fruits les plus précieux nous seraient assurés avant même que nous eussions obtenu ce que nous demandons. L'homme qui connaît les règles de ce divin entretien que Dieu permet à l'homme d'avoir avec Lui devient comme un ange sur la terre; son âme est comme délivrée des liens du corps, sa raison se tient dans les plus haut régions; il s'élève de la terre aux cieux; il regarde avec mépris toutes les choses de la vie; cet homme s'approche du trône même de Dieu, fût-il d'ailleurs pauvre, au service des autres, d'une condition obscure et sans aucune science. Ce que Dieu recherche, en effet, ce n'est ni une élocution brillante, ni un savant arrangement des mots, mais la beauté de l'âme, et, si elle Lui tient le langage qui Lui plaît, elle obtient l'entier accomplissement de ses désirs. Voyez donc comme la prière est chose facile !
Parmi les hommes, lorsqu'on veut obtenir quelque faveur, il faut être doué du talent de la parole, gagner par des flatteries tous ceux qui entourent le prince, avoir recours à mille autres moyens pour se rendre agréable. Ici, au contraire, la seule chose exigée, c'est une âme qui veille sur elle-même et qui éloigne soigneusement tous les obstacles qui l'empêchent de s'approcher de Dieu; «car, dit le Seigneur, Je suis le Dieu qui est près et non pas le Dieu qui est loin.» (Jer 23,23.) Quand Il s'éloigne, c'est nous seuls qui en sommes cause, car pour Lui, Il est toujours près de nous. Mais que dis-je, nous n'avons pas besoin d'éloquence ? Bien souvent la parole même est inutile. Que votre cÏur seul Lui parle et L'invoque avec ferveur, et vous serez aussitôt exaucés. C'est ainsi qu'Il exauça la prière de Moïse, (Ez 14,15), et celle de la mère de Samuel, (1 Rois 1,13). Point de soldat ici qui vous repousse, point de garde qui vous fasse perdre l'occasion favorable; personne qui vous dise: Vous ne pouvez maintenant avoir audience, venez plus tard. &emdash; En quelque temps que vous veniez, Il est prêt à vous entendre. Quand même ce serait à l'heure du dîner, ou à celle du souper; même au milieu de la nuit, sur la place, dans les chemins, dans votre lit, lorsque vous êtes au tribunal, près du magistrat, invoquez Dieu comme il le faut, et vous obtiendrez infailliblement l'effet de votre demande. Vous n avez point à dire: Je crains de me présenter devant Dieu pour Lui adresser ma prière, car mon ennemi est là. Dieu a pris soin d'écarter cet obstacle; Il ne prête aucune attention à votre ennemi, et n'interrompt point votre prière. Vous pouvez donc en tout temps et continuellement vous adresser à Lui sans craindre la moindre difficulté. Vous n'avez ici besoin ni de portier pour vous introduire, ni d'intendants, ni d'administrateurs, ni de défenseurs, ni d'amis; présentez-vous seul devant Dieu, Il vous écoutera d'autant plus que vous n'aurez recours à aucun intermédiaire pour Le prier.
3. Jamais donc nous ne fléchirons aussi bien Dieu par l'entremise des autres que par nous-mêmes. Puisque Dieu désire et recherche notre amitié, Il fait tout pour nous inspirer de la confiance, et dès qu'Il nous voit agir nous-mêmes sous l'impression de ce sentiment, Il descend aussitôt à nos désirs; c'est ce qu'Il fit à l'égard de la Cananéenne. (Mt 15,22, et ss). Pierre et Jean L'avaient prié pour elle, Il ne les écoute pas; cette femme fait elle-même de nouvelles instances, Il lui accorde aussitôt ce qu'elle
demande. Il parut d'abord vouloir différer tant soit peu, mais ce n'était point pour ajourner la grâce que sollicitait cette femme. Il voulait couronner sa persévérance d'une manière plus éclatante et rendre ses instances plus vives et plus intimes. Préparons-nous donc soigneusement à prier Dieu, et apprenons comment nous devons Lui adresser notre prière. Il ne s'agit point pour vous d'aller aux écoles, de faire de grandes dépenses, de payer des maîtres, des rhéteurs, des philosophes. Il n'est même pas nécessaire d'employer beaucoup de temps pour que vous appreniez les règles de cet art; il vous suffit de le vouloir, et vous le savez en perfection. Ce n'est point seulement votre propre cause, c'est aussi la cause des autres que vous pourrez défendre devant ce tribunal.
Quel objet faut-il se proposer dans l'étude de cette jurisprudence céleste ?&emdash;La méthode ou la forme de la prière. Approchez-vous de Dieu avec une âme mortifiée, avec un cÏur contrit, les yeux inondés de larmes abondantes; ne demandez rien de terrestre, ne désirez que les choses de la vie future; que les biens spirituels soient l'unique objet de votre prière; ne demandez pas à Dieu vengeance contre vos ennemis, oubliez toutes les injures qui vous ont été faites, chassez de votre âme toutes les passions qui la troublent, présentez-vous avec un cÏur pénétré de componction, rempli d'humilité et d'une grande douceur; qu'il ne sorte de votre bouche que des paroles convenables, ne prenez part à aucune mauvaise action, n'ayez aucun rapport avec l'ennemi commun du genre humain, c'est-à-dire avec le démon. Car les lois civiles elles-mêmes punissent sévèrement celui qui plaide la cause des autres devant le souverain, et puis en même temps entretient des relations avec ses ennemis. Si donc vous voulez plaider à la fois votre cause et celle des autres auprès de Dieu, conduisez-vous avec la plus grande droiture et n'ayez pas le moindre rapport avec cet ennemi commun du genre humain. C'est ainsi que vous serez véritablement juste, et en ayant ainsi la justice pour avocat, vous ne pourrez manquer d'être écouté.
«Au jour de la tribulation, Tu as élargi ma voie.» Il ne dit point : Tu m'as écarté les afflictions, ni Tu m'as délivré des tentations, mais en les laissant subsister, Tu m'as mis au large. Dieu fait paraître les ressources infinies de sa Sagesse et de sa Puissance, non seulement en nous délivrant de nos tribulations, mais en nous les faisant supporter avec une merveilleuse facilité lorsqu'elles persistent. Cette conduite fait éclater à la fois la Puissance de Dieu et la vertu de ceux qui sont victimes de ces tribulations, parce que, d'un côté, Dieu donne la force qui met au large et console l'âme affligée; et, de l'autre, Il laisse peser sur elle l'épreuve pour étreindre de près sa négligence et la guérir du relâchement et de la négligence. Comment, me direz-vous, Dieu peut-Il mettre au large au milieu de l'affliction ? C'est ce qu'Il fit pour les trois enfants dans la fournaise et pour Daniel dans la fosse aux lions. Il n'a point éteint les flammes de la fournaise pour garantir ces enfants de leur atteinte. Il n'a point fait mourir les lions pour mettre Daniel à l'abri de leur férocité; mais alors que le feu était des plus ardents et que les lions étaient là prêts à dévorer leur proie, les justes jouirent de la plus grande liberté. (Dan 3,24; 4,11). L'âme est encore mise au large dans un autre sens, lorsqu'accablée sous le poids des tribulations, elle se voit délivrée de ses passions et d'une multitude de maladies intérieures; car c'est vraiment alors qu'elle voit s'élargir la voie devant elle. Combien qui dans la prospérité voient naître dans leur âme des affections criminelles qui sont pour eux la cause de peines cuisantes : amour des richesses, amour des plaisirs des sens, et d'autres objets non moins coupables !
Voyez ceux qui sont tourmentés de la fièvre : tant qu'ils cherchent la satisfaction de leurs désirs déréglés dans une table bien servie, dans des vins exquis, leur état ne fait que s'empirer; mais, s'ils consentent à s'imposer avec persévérance quelque privation, un mieux sensible se déclare aussitôt, ils voient disparaître leurs souffrances et finissent par recouvrer la santé. Ainsi en est-il dans la conduite ordinaire de la vie. Rien ne nous met plus au large que l'affliction, qui nous détache de toutes les choses de la terre. Croyez-vous que les Juifs n'aient pas été dans de grandes tribulations, alors même que leurs affaires paraissaient les plus prospères ? N'entendez-vous pas le langage d'une âme dévorée par la fièvre, en proie à l'agitation et au trouble dans ces paroles : «Faites-nous des dieux qui marchent devant nous; car, pour ce qui est de Moïse, cet homme qui nous a tirés de l'Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé ?» (Ex 32,1). Au contraire, ne voyez-vous pas le signe d'une âme véritablement sage et affranchie de toutes les passions qui nous troublent, dans la prière fervente que les Juifs adressèrent à Dieu du milieu de leurs tribulations, pour qu'il vînt à leur secours ? Et le roi-prophète lui-même, quelles peines cruelles n'a-t-il pas éprouvées parmi les douceurs d'une vie tranquille, par suite de cette passion coupable qui a été pour lui la cause de mille déchirements et de mille angoisses ? Mais, lorsque la tribulation est venue fondre sur lui, quelle a été la tranquillité de son âme ? Le feu ne l'a point touché, et il a vu toute son ardeur s'éteindre. En effet, la plus grande cause de tribulation pour une âme, ce sont les passions qui l'assiègent. Les unes viennent du dehors, les autres naissent au dedans d'elle-même, et c'est la plus grande tribulation. Le monde a beau nous tourmenter, nous n'avons rien à craindre si nous savons ne pas nous tourmenter nous-mêmes; il dépend donc de nous d'être dans l'affliction ou de n'y être pas.
4. Voulez-vous entendre la voix de l'Apôtre proclamer la grande liberté que l'âme trouve au sein de l'affliction ? Écoutez saint Paul vous énumérant lui-même les fruits qu'elle produit : «La tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l'espérance, et cette espérance n'est pas confondue.» (Rom 5,3-5). Voyez s'il est possible de dire combien l'âme s'étend et se dilate au milieu de la tribulation, qui devient pour elle comme un port où elle aborde avec joie ? «La tribulation, dit-il, produit la patience.» Quoi de plus calme et de plus tranquille, en effet, que l'homme véritablement patient et qui supporte facilement toutes les afflictions ? Quoi de plus fort que celui qui a passé par l'épreuve ? Que peut-on comparer au plaisir intime qui en est le précieux fruit ? Saint Paul nous énumère trois sujets de joie différents qui naissent de l'affliction : la patience, l'épreuve et l'espérance des biens futurs. C'est ce que le sage prophète veut exprimer lorsqu'il dit à Dieu : «Tu as élargi ma voie dans la tribulation.» Il a dit précédemment : «Dieu m'a exaucé;» il explique maintenant en quoi Dieu a exaucé sa prière. Ce n'est point en lui accordant des richesses, il n'en demandait pas; ce n'est point en obtenant de triompher de ses ennemis, tel n'était point l'objet de sa prière. Dieu l'a exaucé en lui donnant le calme et la tranquillité qu'il goûte désormais au milieu même de la tribulation.
«Aie pitié de moi et exauce ma prière.» Que dis-tu, saint prophète ? Tu viens d'invoquer le souvenir de ta justice, et tu fais un appel à la compassion et à la miséricorde ? Comment accorder ces choses ? &emdash; Rien de plus facile, et ces paroles sont étroitement unies avec celles qui précèdent. Car, quelle que soit la multitude de nos bonnes Ïuvres, ce n'est que par un effet de sa Bonté et de sa Miséricorde que Dieu nous exauce. Fussions-nous parvenus au sommet de la plus haute vertu, c'est toujours sa Miséricorde qui nous sauve. Apprenons de là qu'à la justice intérieure il nous faut joindre la contrition du cÏur. Quand même vous seriez pécheur, si vous priez Dieu avec cette humilité qui est une partie de la vertu, vous êtes capable des plus grandes choses; au contraire, fussiez-vous des plus justes, si vous vous présentez devant Dieu dans un sentiment de présomption, vous perdez tout le mérite de vos bonnes Ïuvres. C'est ce que prouve l'exemple du publicain et du pharisien. (Luc 18).
Il nous faut donc maintenant apprendre la manière de prier. Quelle est-elle ? Apprenez-la du publicain et ne rougissez pas de vous instruire à l'école d'un tel maître, dont la prière a été si parfaite, que quelques paroles seulement lui ont obtenu un plein succès. Son âme était si bien préparée, qu'une seule parole lui suffit pour lui ouvrir le ciel. Et quelle était cette préparation ? Il reconnaissait sa misère, il se frappait la poitrine, il n'osait pas lever les yeux vers le ciel. Vous aussi, priez de la sorte, et vous rendrez votre prière plus légère que l'aile de l'oiseau. Si, en effet, cette prière a suffi pour rendre juste un pécheur, à quel degré de perfection sera élevé le juste, s'il sait adresser à Dieu une semblable requête ? C'est pour nous faire comprendre cette vérité que le roi-prophète ne parle pas ici de lui-même, mais de sa prière. Il a dit plus haut : «Exaucez ma justice;» il dit ici : «Exaucez ma prière.» Pourquoi le centurion Corneille a-t-il été exaucé ? C'est parce que la prière a été son avocate auprès de Dieu. «Tes prières et tes aumônes, lui dit l'ange, sont montées en présence de Dieu.» (Ac 10,4). Et c'est avec raison qu'il lui parle de la sorte; car ce sont les bonnes Ïuvres que le Seigneur exauce; ce ne sont pas absolument les prières, mais les prières qui sont conformes à la loi de Dieu. Et quelles sont ces prières ? Celles qui ont pour objet des choses qu'il est digne de Dieu de nous donner, et qui ne Lui demandent pas ce qui est en opposition avec ses lois. Mais qui donc serait assez téméraire, me direz-vous, pour implorer de Dieu des choses qui seraient en contradiction avec sa loi ? Celui qui implore la Vengeance de Dieu contre ses ennemis, voilà qui est en contradiction directe avec la loi divine; car Dieu Lui-même nous a dit : «Remettez leurs dettes à ceux qui vous doivent.» (Mt 6,12). Et vous, vous venez invoquer contre vos ennemis celui qui vous commande de leur pardonner ? Se peut-il un égarement plus coupable ? Celui qui se présente pour prier Dieu doit avoir l'attitude, les pensées, les sentiments d'un suppliant; pourquoi donc prendre la figure d'une autre personne, d'un accusateur ? Comment pouvez-vous espérer obtenir le pardon de vos péchés, quand vous venez prier Dieu de punir les péchés des autres ?
Que votre prière n'ait donc rien d'impitoyable, quelle soit pleine de calme, qu'elle ait pour ainsi dire un visage gracieux et agréable. Telle est la prière où règne la douceur, et qui ne souhaite point de mal à ses ennemis; tandis que la prière qui est faite dans un esprit opposé ressemble à une femme emportée à la fois par l'ivresse et la folie, ou bien à un sanglier en fureur. Aussi le ciel lui demeure-t-il impitoyablement fermé. La prière, au contraire, qui s'inspire de la douceur chrétienne, a je ne sais quoi de mélodieux, de doux, de digne des oreilles des rois, quelque chose qui est à la fois suave, harmonieux et mesuré. Aussi une prière semblable, loin d'être exclue de la scène, reçoit les couronnes qui lui sont dues; car elle se présente avec une lyre d'or, avec des vêtements où l'or éclate également. Aussi charme-t-elle son juge par son attitude, par ses regards, par sa voix; et personne ne songe à la repousser des célestes palais. Elle répand dans toute l'assemblée une joie ineffable. La prière vraiment digne des cieux, celle qui emprunte aux anges mêmes leur voix, est celle dont le langage n'a point d'amertume, et ne fait entendre que des paroles de douceur. Lorsqu'elle adresse ses supplications à Dieu pour d'injustes ennemis, pour des persécuteurs, les anges l'écoutent dans un profond silence, et, lorsqu'elle a cessé de parler, ils ne se lassent par de l'applaudir, de la louer, de l'admirer. Faisons nous-même à Dieu de semblables prières, et nous serons exaucés. Lorsque nous nous présentons devant Dieu, figurons-nous que nous parlons non pas devant une réunion ordinaire, vulgaire, mais devant une assemblée composée de tout l'univers, ou plutôt de tous les peuples qui habitent les cieux, et au milieu desquels est dressé le trône du Roi des cieux, qui prête une oreille attentive à notre prière. Faisons en sorte que notre prière soit digne de paraître au milieu de cette assemblée; lorsque nous sommes pour entrer dans l'assemblée des anges, préparons-nous avec plus de soin que ne s'exerce le joueur de harpe ou de Iyre, pour ne laisser échapper aucun son qui blesse l'harmonie. Que notre langue, semblable a l'archet qui touche l'instrument, ne fasse entendre que des accents agréables, harmonieux, cadencés et animés d'une pensée céleste. Lorsque nous nous présentons devant Dieu pour lui adresser nos supplications et nos prières, faisons résonner les cordes de notre âme en faveur de nos ennemis; c'est ainsi que nous mériterons de voir exaucées les prières que nous faisons pour nous-mêmes.
5. La prière faite dans ces sentiments couvre de honte le démon et nous inspire la plus grande confiance. Non seulement elle confond le démon, mais elle le met en fuite; car le démon ne craint pas si vivement celui qui le chasse d'un autre homme et lui fait prendre la fuite, que celui qui triomphe de sa colère, et qui sait commander à son courroux : la colère est elle-même un démon cruel, et ceux qu'elle domine sont plus malheureux que ceux qui sont possédés du démon. En effet, le démon ne précipite pas dans l'enfer ceux qu'il possède; mais la colère, le souvenir des injures qu'on a reçues nous ferme la porte du royaume des cieux. Si nous savons soumettre notre prière à cette règle, nous pourrons dire aussi à Dieu avec confiance : «Exauce ma prière.» Non seulement alors vous retirerez de votre prière les plus grands avantages, mais vous comblerez de joie Dieu qui vous écoute, parce que vous Lui demanderez des choses qui sont vraiment conformes à ses commandements, et qu'Il vous accordera on ne peut plus volontiers. Voilà qui est digne de l'Adoption divine, voilà ce que nous marque véritablement du caractère de ses enfants : «Soyez miséricordieux, nous dit-il, comme votre Père céleste est miséricordieux;» (Lc 6,36); et encore : «Priez pour ceux qui vous font du mal, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux.» (Mt 5,44). Que peut-on comparer à une semblable prière ? Ce n'est ni aux anges, ni aux archanges, mais au Roi des cieux lui-même qu'elle nous rend semblables. Or considérez quelle confiance fait éclater dans ses prières celui qui devient semblable, autant qu'il est en lui, au Roi des cieux. «Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cÏur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ?» À qui le roi-prophète adresse-t-il ici la parole ? À qui fait-il ce reproche et donne-t-il ces conseils ? À ceux qui vivent dans le crime et se laissent entraîner au mal. Mais quoi, est-ce que nous ne sommes pas nous-mêmes enfants des hommes ? Oui, nous sommes par nature enfants des hommes, mais nous sommes par grâce enfants de Dieu. Si nous conservons soigneusement l'image de Dieu par la pratique de la vertu, cette grâce aura son effet complètement. Car il faut que ceux qui doivent à la grâce le titre glorieux d'enfants de Dieu en expriment fidèlement le caractère par la sainteté de leur vie. Quant à ceux qui sont absorbés par les soins de cette vie et se laissent aller à leurs inclinations vicieuses, la sainte Écriture les appelle les enfants des hommes : «Les enfants de Dieu voyant les filles des hommes.» (Ge 6,2).
Mais, me direz-vous, vous avancez le contraire de ce que vous voulez prouver ? Nullement. L'auteur sacré donne ici le nom d'enfants de Dieu à ceux qui avaient eu pour pères des hommes vertueux et avaient reçu de Dieu des témoignages d'honneur, mais qui, menant ensuite une vie toute différente, s'étaient livrés au vice et avaient perdu ces glorieuses prérogatives. S'il rappelle ces prérogatives d'honneur, c'est pour faire ressortir davantage leur conduite coupable, et il leur montre après cela que leur plus grand crime, c'est qu'étant enfants de Dieu et devant le jour à des hommes aussi vertueux, ils en soient venus à cet excès d'iniquité. Dieu S'exprime encore ailleurs en ces termes : «J'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut; mais vous mourrez tous comme les autres hommes.» (Ps 81,67). Considérez quelle était la prudence du prophète. Il a commencé par relever la Puissance de Dieu, sa Condescendance, la multitude des ressources qui sont à sa Disposition, sa Bonté, sa Tendresse, qui le portent à venir au secours de ceux qui sont dans la tribulation et à les exaucer par un sentiment de miséricorde; puis il pense à l'iniquité qui se répand comme un torrent parmi les hommes, à l'impiété qui les domine, et comme sous le poids d'un profond découragement, il s'adresse à ceux qui passent toute leur vie dans ces excès criminels, et leur tient à peu près ce langage : Quoi ! Vous avez un Dieu dont la Bonté, dont la Clémence égalent la Puissance, et vous vous laissez entraîner à l'iniquité? &emdash; Voyez dans ce reproche quel heureux mélange de colère, de douceur et de sagesse ! Que leur dit-il donc ? «Enfants des hommes, jusqu'à quand aurez-vous le cÏur appesanti ?» Il leur fait surtout un reproche de leur persévérance dans le mal.
Si c'est un crime, en effet, de ne pas comprendre tout d'abord la Bonté de Dieu envers nous, quel pardon peut espérer celui qui ferme les yeux si longtemps à la vérité ? Or, que faut-il entendre par ces cÏurs appesantis ? Ceux qui ont des sentiments grossiers et charnels, qui sont attachés à la terre, suivent leurs inclinations vicieuses, se livrent à toute sorte de crimes, et se corrompent au milieu des plaisirs des sens; tel est l'homme charnel. En se rendant ainsi l'accusateur de leur vie, le roi-prophète leur indique la source de leur impiété, et leur fait voir que c'est là le plus grand obstacle qui les empêche de s'élever à des vérités plus hautes. Rien n'appesantit le cÏur, comme les désirs criminels, l'inclination trop vive aux jouissances de la vie, et l'attache trop grande aux biens de la terre. On ne se tromperait point en appelant ce cÏur un cÏur de boue; c'est pour cela que le roi-prophète l'appelle un cÏur appesanti, et il fait voir que la cause de tout le mal, c'est que le cÏur qui devrait remplir l'office de conducteur, non seulement ne peut maintenir le coursier qu'il est chargé de conduire, mais qu'il se laisse entraîner avec lui dans l'abîme. C'était à lui de donner des ailes à la chair, de la maintenir dans de plus hautes régions, de l'élever jusqu'au ciel; et il tombe avec elle sous le poids écrasant du vice. Quand le conducteur, quand le pilote se conduisent de la sorte, quelle espérance de salut peut-il rester ? C'est ce que nous dit notre Seigneur : «Si la lumière qui est en vous est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres elles-mêmes ?» (Mt 6,23). Si le pilote tombe dans l'ivresse et imite le mouvement irrégulier des flots, comment le navire pourra-t-il échapper au naufrage ?
6. Comment donc pourrons-nous rendre notre âme légère ? Si notre vie est vraiment exemplaire, c'est-à-dire, si nous ne soupirons après aucune des jouissances de cette vie, et si nous n'attachons pas à nos pieds de ces entraves qui nous entraînent dans les basses régions. Parmi les corps, il en est qui par leur nature tendent toujours à tomber, comme les pierres, le bois et d'autres corps de ce genre; d'autres qui tendent toujours à s'élever comme le feu, le vent et la plume, qui est légère de sa nature. Si donc vous attachez à un corps léger un corps pesant et qui tend naturellement à tomber, ni les ailes, ni le vent ne pourront vous être d'aucune utilité, puisque le corps pesant l'emporte nécessairement, rompt l'équilibre et entraîne le corps plus léger avec lui. De même encore, qu'un homme ait les jambes alourdies ou par l'afflux des humeurs, ou par l'effet d'une autre maladie; rien ne lui servira que tout le reste de son corps soit léger. Or, s'il en est ainsi des corps, à plus forte raison de notre cÏur. Ne faisons donc rien pour l'appesantir, de peur que comme les navires dont le lest est trop pesant, il ne vienne à être submergé. Cela dépend complètement de nous. Notre âme n'est pas pesante de sa nature; au contraire, elle est légère et tend à s'élever; c'est nous qui contre sa nature la rendons pesante, et c'est ce que nous reproche le roi-prophète. Si elle était pesante de sa nature, il ne nous en aurait pas fait un reproche. Ainsi encore nous marchons en vertu de notre nature; mais, si nous alourdissons volontairement nos genoux, I'empêchement ne vient pas de la nature. Le même phénomène se produit pour les pieds de l'âme, c'est-à-dire pour les pensées. «Pourquoi aimez-vous la vanité, et recherchez-vous le mensonge ?» Le prophète a ici en vue le culte des idoles, et la vie qui est livrée au mal. On appelle vain ce qui est vide, ce qui n'a que le nom de la chose, sans la chose elle-même.
Ainsi les Grecs ont une multitude de noms de dieux; mais de fait, ils n'ont pas ce que ce nom signifie. Il en est de même de toutes les autres choses : ils ont le nom des richesses, le nom de la gloire, le nom de la puissance; mais ils n'en ont pas la réalité, et ils n'en possèdent que le nom. Qui donc serait assez insensé pour rechercher des noms vides de sens et de choses, et de poursuivre avidement des vanités qu'il devrait bien plutôt fuir ? Or, que sont autre chose les plaisirs et la félicité du monde ? Est-ce que tout n'est pas mensonge et tromperie ? Vous avez beau faire sonner bien haut les noms de gloire, de richesses, de puissance; tout cela n'est que vanité. Voilà pourquoi l'Ecclésiaste a dit : «Vanité des vanités, et tout est vanité.» (Ec 1,2). Voilà pourquoi le roi-prophète se plaint si amèrement en voyant notre vie en proie à un égarement aussi déplorable. De même qu'un homme qui en voit un autre fuir la lumière et rechercher les ténèbres, ne peut s'empêcher de lui dire : Pourquoi donc cet acte insensé, et si contraire à toute raison ? ainsi le prophète s'écrie : «Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? Sachez que le Seigneur a couvert son saint de gloire.» Un autre interprète traduit : «Mais sachez qu'Il a couvert de gloire.» Voyez ici la sagesse du prophète ! D'où part-il pour les amener à la connaissance de Dieu ? Il choisit pour cela une des preuves les plus évidentes, un fait des plus manifestes, il se propose lui-même en exemple. Je suis, leur dit-il, le serviteur du Dieu véritable, venez donc apprendre de moi quelle est sa Puissance, sa Force, sa Providence. C'est ce que le roi-prophète prouve jusqu'à l'évidence, lorsque, pour démontrer la Providence divine, il choisit successivement le soleil, le ciel, le terre, l'air et proclame la Gloire du Créateur par l'ordre admirable qui règne dans toutes les parties du monde visible. Les serviteurs de Dieu et les événements qui sont arrivés par son ordre lui fournissent la preuve de la même vérité. C'est ce que nous voyons dans Abraham lui-même. Les enfants de Heth lui disaient : «Nous savons que vous êtes venu vers nous comme un prince de Dieu.» (Gen 23,6). &emdash; Et comment le savez-vous ? &emdash; Par les combats que vous avez livrés, par les victoires et les trophées que vous avez remportés. Les Juifs en sont un autre exemple. Les miracles opérés en leur faveur avaient rempli de crainte les habitants de toute la terre, comme l'atteste cette courtisane de Jéricho : «La crainte et la terreur de ton Nom nous ont tous saisis.» (Job 2,9).
Il y a donc deux voies qui conduisent à la connaissance de Dieu, l'une par les créatures, l'autre, qui est beaucoup plus claire, par les serviteurs de Dieu, et Dieu, depuis les siècles les plus reculés, n'a cessé de répandre par ce dernier moyen sa doctrine de génération en génération. C'est ainsi qu'Il a enseigné les Égyptiens et les Perses par Abraham, les Ismaélites et une multitude d'autres par ses enfants, et par Jacob les habitants de la Mésopotamie. C'est ainsi que l'univers entier, s'il l'avait voulu, aurait eu les saints pour maîtres. Je dirai plus, bien avant ces saints patriarches, le déluge et la confusion des langues avaient suffi pour réveiller de son assoupissement l'intelligence des hommes. Car, de peur que le souvenir de ce dernier événement ne vînt à s'effacer de l'esprit des hommes par suite de l'éloignement des temps, cet endroit même reçut un nom significatif : on l'appela Babylone à cause de la confusion des langues, afin que ce nom seul fît remonter à l'événement qui lui avait donné naissance, et comprendre l'étendue de la Puissance de Dieu. De cette manière, tous ceux qui habitaient l'Occident apprenaient tous les grands faits historiques dans leurs relations avec les marchands égyptiens. Dans les commencements, il est vrai, un très petit nombre de peuples habitaient cette partie du monde, tandis que les contrées de l'Orient comptaient un grand nombre de nations et une population considérable. C'est dans l'orient, en effet, qu'Adam avait reçu la vie; c'est l'Orient qu'habitaient les enfants de Noé, ils y étaient encore après la construction de la tour de Babel, et ils se fixaient pour la plupart dans cette partie du monde. Cependant Dieu prit soin à chaque génération de leur donner des maîtres, tels que Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Melchisédech.
Voilà pourquoi le roi-prophète cherche à faire impression sur ceux qui vivent dans l'iniquité, en leur rappelant la protection dont Dieu environne les saints : «Sachez que le Seigneur a rendu son saint admirable.» Que signifie cette expression ? Il a environné celui qui Lui était dévoué d'une gloire, d'un éclat qui excitait l'admiration. Apprenez donc quelle est la Puissance de Dieu par les merveilles qu'Il opère en faveur de son serviteur. Il ne dit pas seulement : Il l'a comblé de biens, mais, «Il l'a rendu admirable» c'est-à-dire qu'Il l'a comblé de biens d'une manière tout à fait miraculeuse, contre toute attente et toute espérance. C'est ce qu'Il fit en particulier pour Abraham : non seulement Il sauva l'honneur de sa femme, mais Il le rendit lui-même l'objet de l'admiration des Égyptiens, et le juste dut à la Protection divine, de ne courir aucun danger, et de plus, d'être environné de gloire dans toute l'Égypte. (Gen 12,11-20). C'est comme récompense de sa justice, que Dieu le garantit de tout danger, et c'est pour l'instruction des autres qu'Il le fit sortir de l'Égypte comblé de gloire et d'honneur. Nous voyons les mêmes effets de cette protection dans Daniel jeté en pâture aux lions, et dans Jonas englouti par la baleine. Partout Dieu Se déclare, au prix même des plus grands miracles, le Protecteur non de tous indifféremment, mais de ceux qui se recommandent par leur sainteté.
7. Vous voyez comme le roi-prophète nous exhorte à la fois à la connaissance de Dieu, et à mener une vie sainte, en nous enseignant à ne point placer l'espérance de notre salut dans la seule Bonté de Dieu, mais aussi dans le mérite de nos actions vertueuses. «Le Seigneur m'exaucera lorsque je L'invoquerai.» Il vient de dire que Dieu l'a couvert d'une gloire admirable, il ne s'arrête pas là et il nous fait connaître un bonheur d'un genre différent. Quel est-il ? C'est d'avoir toujours Dieu pour auxiliaire et pour défenseur, et de jouir continuellement de sa Présence. Et ce n'est pas une seule fois, mais deux, mais trois fois, mais toutes les fois que nous L'invoquons, qu'Il renouvelle ce prodige. Voyez comme Il est prompt à nous exaucer. Il a dit en commençant : «Lorsque je L'invoquais, le Dieu de ma justice m'a exaucé,» de même ici : «Lorsque je crierai vers Lui.»
Mais comment donc se fait-il qu'un si grand nombre ne soient point exaucés? Parce qu'ils demandent des choses inutiles, et alors il vaut mieux pour nous que Dieu nous refuse l'objet de nos prières. Si donc parfois Dieu nous exauce, ne nous hâtons pas de nous réjouir; et, s'il refuse de nous exaucer, témoignons-lui notre reconnaissance. La cause pour laquelle Dieu n'écoute point nos prières, vient ou de ce que nous demandons des choses inutiles, et c'est un profit véritable de ne point les recevoir; ou de ce que nous prions avec tiédeur, et alors, en différant de nous exaucer, Dieu prend un moyen sage et efficace pour nous faire persévérer dans la prière; c'est pour nous un des plus précieux avantages. «Si vous savez, nous dit-il, donner de bonnes choses à vos enfants » (Mt 7,11), à plus forte raison notre Dieu sait-Il et quand il faut donner, et ce qu'il faut donner. Saint Paul a demandé à Dieu une grâce et ne l'a pas obtenue, parce qu'il demandait une chose inutile. Moïse demande aussi, et Dieu refuse de l'exaucer. Ne cessons donc point de prier, lorsque notre prière n'est point exaucée, ne nous laissons point aller à la tristesse et au découragement, mais persévérons avec constance, dans la prière.
«Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher, repassez en silence sur vos lits de repos les pensées de votre cÏur.» Je répète ce que j'ai dit précédemment: avant de conduire les hommes à la connaissance de Dieu, le roi-prophète veut guérir leur âme de toutes ses maladies; car il sait qu'une vie corrompue est pour nous le plus grand obstacle à la connaissance des vérités sublimes de la religion. C'est ce que saint Paul lui-même nous indique lorsqu'il dit aux Corinthiens: «Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles. Je ne vous ai nourris que de lait, comme de petits enfants en Jésus Christ, et non de viandes solides. » (1 Cor 3,1-2). Et ailleurs, écrivant aux Hébreux : «Nous aurions beaucoup de choses à vous dire sur cette matière; mais il est bien difficile de les expliquer, parce que vous vous êtes rendus peu capables de les entendre. » (Heb 5, 2).
C'est ce que de son côté Isaïe nous déclare en ces termes : «Ce peuple me cherche, et demande à connaître mes voies, comme si c'était un peuple qui eût pratiqué la justice, et qui n'eût point abandonné la loi de son Dieu.» (Is 58, 2). De même le prophète Osée lorsqu'il dit : «Semez pour vous dans la justice et rendez ainsi plus vive la lumière de la connaissance. » (Os 10,12). Jésus Christ Lui-même n'a-t-Il pas dit : «Quiconque fait le mal, hait la lumière, et ne vient point à la lumière» (Jn 3,20); et encore : «Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez l'un de l'autre la gloire, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ?» (Jn 5,44). L'évangéliste lui-même fait ailleurs cette remarque : «Ses parents (ceux de l'aveugle-né) parlèrent ainsi, parce qu'ils craignaient les Juifs.» (Jn, 9,22). Et dans un autre endroit : «Cependant plusieurs d'entre les princes mêmes crurent en Lui; mais, à cause des pharisiens, ils ne Le confessaient pas.» (Jn 12,42). C'est ainsi que nous voyons partout que la corruption des mÏurs est un obstacle à la connaissance parfaite des vérités divines. De même que l'humeur qui se répand sur la pupille transparente de l'Ïil, obscurcit et trouble l'organe de la vue, ainsi la pensée qui s'est laissée envahir et corrompre par le vice couvre l'âme d'épaisses ténèbres. C'est dans cette conviction que le roi-prophète donne ce sage conseil : «Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher.» Il n'interdit point la colère, elle a son utilité; il ne proscrit point l'indignation, elle peut nous servir pour réprimer l'injustice, ou pour stimuler la négligence. La colère qu'il nous défend, c'est la colère qui est injuste, c'est l'indignation qui n'a point de raison d'être. Lorsque Moïse arrive aux lois qui ont pour objet les devoirs de la morale, il place en tête de toutes ce précepte : «Vous ne tuerez pas.» (Ex 20,13;15). C'est ce que fait ici le roi-prophète, et il fait plus encore parce qu'il connaissait mieux les devoirs de la religion véritable.
Moïse proscrit le meurtre, David veut étouffer dans notre cÏur jusqu'à la colère qui enfante le meurtre, qui est la racine et la source de tout mal. C'est pour cela que Jésus Christ voulant mettre un frein à cette passion de la colère, disait : «Celui qui se met sans raison en colère contre son frère, sera digne de la géhenne du feu. » Mt 6,22. Vous voyez partout la juste mesure. «Mettez-vous en colère et ne péchez pas... Celui qui se met en colère sans raison...» La colère est donc permise pour de justes causes. Car saint Paul s'est mis en colère contre Elymas; (Ac 13,15); et Pierre contre Saphire. (Ac 13,10). J'oserais dire toutefois que ce n'était pas de la colère, mais de la prudence, de la sollicitude, un acte sage et ferme de prévoyance. Un père se met en colère contre son fils, mais c'est par affection pour lui. L'homme dont la colère est sans raison est celui qui ne cherche qu'à se venger; celui, au contraire, qui ne se propose que de corriger les défauts de son prochain est le plus doux des hommes. C'est ainsi que la Colère de Dieu dont parlent les Écritures, a pour objet non de Le venger Lui-même, mais de nous être utile. Prenons-Le donc pour modèle. Se venger de la sorte, c'est se venger en Dieu; agir autrement, c'est se venger en homme. La Colère de Dieu ne diffère pas seulement de la nôtre en ce qu'elle est toujours juste, mais en ce qu'elle ne produit en Lui aucun trouble de l'esprit. Ne nous laissons donc pas aller à la colère sans raison. La colère ne nous a pas été donnée pour que nous y trouvions une occasion de péché, mais comme un moyen de nous opposer aux péchés des autres; ni pour répandre le trouble et le malaise dans notre âme, mais pour être le remède de toutes ses maladies.
8. Voyez en vous-même de quel crime se rend coupable celui qui change le remède en poison, qui fait de nouvelles blessures avec l'instrument destiné à guérir les blessures des autres; semblable en cela à un homme qui prendrait le fer destiné à retrancher les chairs gangrenées du corps des autres, pour déchirer son propre corps et le couvrir de blessures; ou à un pilote qui se servirait pour submerger sa barque du gouvernail, à l'aide duquel il devait maîtriser la fureur désordonnée des vents. Telle est donc la colère : c'est un instrument utile pour nous réveiller de notre assoupissement, pour inspirer à notre âme une certaine vigueur et nous donner la force de prendre hautement la défense de ceux qui sont victimes de l'injustice, et de tirer vengeance des pièges qui leur sont dressés. C'est pour cela que le roi-prophète prend soin de nous dire : «Mettez-vous en colère, et ne péchez pas.» Si cela n'était pas possible, il n'en eût point fait un précepte; car personne ne songe à commander l'impossible. Après avoir rappelé ce précepte apostolique et cette loi de l'évangile, dans les mêmes termes dont S'est servi notre Seigneur Jésus Christ, le roi-prophète nous donne une a
cette proposition, il en donne la preuve. Quelle est-elle ? «Tu as répandu la joie dans mon cÏur.» Après s'être élevé contre la multitude sans intelligence, il prouve l'existence de la Providence divine par l'exemple de ceux qui réfléchissent et chez qui la raison a conservé toute sa force : «Tu as, dit-il, répandu la joie dans mon cÏur», c'est-à-dire : Tu m'as appris la véritable sagesse, le mépris de toutes les choses de cette vie, la science des biens vrais et immuables. Tu as rempli mon cÏur des plus belles espérances en me conduisant comme par la main jusqu'à la vie future, et en me donnant l'espérance comme gage des biens dont je dois un jour avoir la jouissance. Tel est le sens de ces paroles du roi-prophète.
10. Celui qui doit recueillir la succession d'un riche héritage ou d'une grande dignité, avant même qu'il en jouisse et lorsqu'il ne fait que l'attendre, trouve dans l'espérance qui lui est donnée le sujet d'une joie continuelle; quelle doit donc être, dites-moi, la joie de celui qui attend la possession du royaume vivant et immortel et la jouissance de ces biens «que l'Ïil de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a pas entendus, que son cÏur n'a pas compris ?» (1 Co 2, 9). C'est ce qui fait dire au prophète : «Vous avez répandu la joie dans mon cÏur.» C'est, en effet, un des plus grands traits de la Providence divine que de nous préparer dès maintenant ces biens, et d'en faire l'objet de notre espérance. Si les esprits grossiers, charnels, attachés à la terre, ne daignent pas y faire attention, c'est leur conduite insensée et non point celui qui nous a fait ces promesses, qu'il faut accuser du trouble et de l'agitation qui sont la suite de leur indifférence. Et remarquez que le roi-prophète ne dit pas simplement : Tu as fait naître la joie; mais : «Tu l'as fait naître dans mon cÏur»; nous apprenant ainsi que la véritable joie ne vient point des biens extérieurs et visibles, ni de la multitude des esclaves, ni de l'or, ni de l'argent, ni de la richesse des vêtements, ni d'une table somptueuse, ni de la grandeur de la puissance, ni de la magnificence de ses vastes palais. Tout cela est pour le plaisir des yeux, mais ne donne point la joie du cÏur. Aussi, combien de ceux qui possèdent ces biens regardent la vie comme insupportable, portent dans leur âme comme un foyer de peines et de découragement, épuisés qu'ils sont par la multitude de leurs soucis, et accablés sous le poids de craintes continuelles. Non, dit le roi-prophète, ce n'est pas là qu'est la source de la vraie joie, mais dans un cÏur intelligent, dans une âme qui s'affranchit du corps pour ne penser qu'aux biens incorporels. Si les choses présentes ont pour vous tant de charmes et vous donnent l'idée de la Providence de Dieu, combien plus cette idée doit naître dans votre esprit à la pensée de ces biens futurs qui l'emportent de beaucoup en nature comme en durée sur tous les biens de la terre ! Les richesses et la prospérité dont vous jouissez vous font croire à la Providence de Dieu; mais les richesses que Dieu vous prépare dans le ciel ne doivent-elles pas rendre votre foi bien plus vive ?
Vous me direz peut-être : «Pourquoi ces biens sont-ils en espérance et ne sont-ils pas visibles à nos yeux ? Je réponds que pour nous autres fidèles, les biens qui sont l'objet de notre espérance sont plus évidents que les biens extérieurs et visibles, tant est grande la certitude de la foi. Vous me direz encore : Pourquoi ne pas recevoir dès ici-bas la récompense de nos travaux ? Parce que cette vie est le temps de la lutte et des combats, et que les couronnes et les récompenses sont le partage de la vie future. (2 Tm 4, 8). Nous devons encore ici admirer la Providence de Dieu, qui a renfermé pour nous les travaux et les fatigues dans l'espace si court de cette vie périssable, en réservant les récompenses et les couronnes pour cette vie immortelle et qui ne doit jamais finir. Cependant, lorsqu'une grande partie des hommes était encore comme dans un état d'enfance spirituelle, Dieu ne leur refusa pas les biens de la vie présente. C'est la règle qu'il a suivie à l'égard des Juifs. Il leur prodiguait les richesses, prolongeait leur vie jusqu'à la vieillesse, les garantissait de toute maladie. Ajoutez à cela la ruine de leurs ennemis, une paix profonde, des victoires, des triomphes, de nombreux enfants qui faisaient la joie du foyer domestique, tous ces biens étaient la récompense de leur fidélité au service de Dieu. Mais depuis, notre Seigneur Jésus Christ est venu nous appeler à prendre possession du ciel, nous enseigner le mépris des biens de la terre, nous inspirer l'amour des biens éternels et nous détacher des choses de la vie présente; Dieu n'a plus donné les biens terrestres en si grande abondance, parce pour les hommes devenus plus parfaits, les biens du ciel sont les véritables et les seules richesses.
Les parents suivent la même conduite à l'égard de leurs enfants. Lorsqu'ils sont encore en bas âge, ils leur donnent des choses de ce genre, des chaussures, des habits, des ornements d'or, des bracelets; mais, quand leurs enfants sont plus grands, ils remplacent ces dons par des objets d'une plus grande importance, ils cherchent à leur procurer la gloire, l'éloquence, la célébrité parmi leurs concitoyens, le crédit dans les palais des rois, les dignités, les charges, et les détournent ainsi des désirs de leur première enfance; Dieu agit de même à notre égard, Il nous détache de tous les biens misérables et puériles pour nous inspirer l'amour des biens célestes qu'Il nous a promis. Cessons donc d'admirer ces biens fugitifs et périssables, et ayons des sentiments plus élevés. Toutefois Dieu ne nous a pas entièrement privés de ses biens. La chair dont notre âme est revêtue, le corps qui lui sert de demeure lui rendent ces biens nécessaires, et Dieu nous les donne en abondance. Voilà pourquoi le prophète, après avoir décrit l'action plus noble et plus élevée de la Providence en disant : «Tu as répandu la joie dans mon cÏur»: ajoute : «Ils se sont multipliés par l'abondance de leurs fruits, de leur froment, de leur vin, de leur huile.» Le roi-prophète touche à une partie importante de l'action de la Providence qui s'étend à toutes les choses visibles. En parlant du froment, du vin, de l'huile, et de l'abondance de tous ces fruits, il comprend en même temps la pluie, l'ordre régulier des saisons, la fécondité de la terre, ses enfantements productifs, la diffusion de l'air, le cours du soleil, les révolutions périodiques de la lune, le mouvement régulier des astres, la succession de l'été, de l'hiver, de l'automne, du printemps, la science de l'agriculture, le bon choix des instruments, et une foule d'autres industries qui concourent au même but. Car sans ce concours il est impossible que les fruits se forment et parviennent à leur maturité. Quand donc le roi-prophète se contente de parler du froment, du vin, de l'huile, il offre à l'esprit sage le moyen de s'élever de la partie au tout, en ouvrant devant ses yeux cette mer immense de la Providence de Dieu, dont l'action se manifeste dans toutes les choses visibles.
11. Voilà pourquoi saint Paul, dans un de ses discours où il démontre l'action de la Providence, s'exprime en ces termes : «Dieu qui dispense les pluies du ciel et les saisons favorables pour les fruits, en nous donnant la nourriture avec abondance, et remplissant nos cÏurs de joie.» (Ac 14,16). Le roi-prophète ne s'arrête pas aux choses recherchées et superflues, il ne dit rien de la multitude des fruits variés, des divers genres de légumes, de graines, de plantes, de fleurs, que l'on recueille dans les jardins et les champs, ni de toutes leurs autres productions; il ne parle que de ce qui est essentiellement nécessaire à l'entretien de notre vie, et prouve par là même l'action de la Providence sur les choses qu'il passe sous silence. Or, ces aliments nécessaires, Dieu ne se contente pas de nous les donner, il nous les prodigue chaque année avec abondance. S'il paraît quelquefois se montrer moins libéral et resserrer sa Main, c'est encore par un effet de sa Providence, pour réveiller l'indifférence d'un trop grand nombre et les engager à solliciter ces biens de sa Bonté. Nous dira-t-on que ce n'est point Dieu, mais les idoles qui donnent la pluie, nous demanderons la preuve d'une telle assertion. &emdash; Parce que les poètes, répondra-t-on, représentent Jupiter comme le principe et la source de la pluie. &emdash; Mais ils nous le représentent aussi comme un adultère, comme un corrupteur de la jeunesse, comme un parricide souillé d'ailleurs de mille autres crimes non moins énormes. Ce sont des mensonges, disent-ils; est-il donc plus vrai qu'il soit l'auteur de la pluie? Si vous admettez le témoignage de vos poètes sur un point, il faut l'admettre sur un autre; si vous le rejetez dans une chose, vous devez le rejeter sur toutes les autres. Car pour nous, toutes les fois que nous produisons des témoins de la Puissance de Dieu, nous recevons leur témoignage sur toutes les choses qu'ils affirment. Il vous faut donc admettre aussi que Jupiter est un adultère, qu'il est coupable de tous les crimes dont les poètes le chargent, et vous convaincre que de semblables crimes sont incompatibles avec la Puissance divine, et que celui qui en est coupable ne peut être Dieu. Mais vos fables se démentent d'elles-mêmes, le mensonge se réfute par lui-même, en dépit de vos efforts, et détruit le témoignage de vos poètes. Or, leur témoignage une fois renversé, toutes vos inventions croulent avec la même facilité. «Ce sont vos poètes qui ont inventé les noms de vos dieux et qui les leur ont imposés, comme l'atteste un de vos philosophes.
Laisserez-vous là vos poètes pour recourir aux interprétations allégoriques. Je vous demanderai : Qu'est-ce que Jupiter? C'est, répondez-vous, une substance ignée supérieure à l'air et qu'on appelle l'éther, à cause de son état continuel de combustion et d'incandescence. Ce n'est donc point une nature raisonnable, intelligente; c'est une substance dépourvue de la faculté de penser. N'est-il pas clair pour tous que l'air n'a ni l'usage de la raison, ni la propriété de discuter? Il n'y a personne qui n'en soit convaincu, fût-il plus stupide que les êtres inanimés. Jupiter n'existe donc plus et sa prétendue substance est réduite à néant. Car, si l'air est ce que vous appelez Jupiter, et que l'air soit tel que nous l'avons défini, votre fable tombe d'elle-même. Si donc Jupiter est tout simplement l'air, il n'est le père de personne, il n'a enfanté aucune substance, telle que serait le soleil, auquel ils donnent le nom d'Apollon, et qu'ils prétendent être son fils; le soleil n'a ni raison, ni âme, ni intelligence, c'est une substance créée qui se meut et accomplit son cours suivant les lois que Dieu lui a imposées dès le commencement. D'ailleurs la pluie ne vient point de l'éther, mais des nuées, qui sont chargées ou des vapeurs aqueuses qui s'élèvent de la mer, ou des eaux qui sont dans les régions supérieures, selon le langage des prophètes. Or, si vous ne croyez pas aux prophètes, nous vous donnons des preuves évidentes et incontestables qu'ils ont été divinement inspirés et qu'ils n'ont jamais parlé d'eux-mêmes, mais sous la dictée de la Grâce divine et toute céleste de l'inspiration. Tous les événements qu'ils ont prédits, anciens ou nouveaux, ont eu leur accomplissement et leur réalisation. Toutes les prophéties qui concernaient les Juifs se sont vérifiées, et la ruine de ce peuple, en particulier, est un fait connu de toute la terre. Il en est de même des prophéties qui ont Jésus Christ pour objet dans le Nouveau Testament, ce qui prouve la divinité des nouvelles comme des anciennes Écritures. Or, si les Écritures sont divines, tout ce qu'elles nous disent de Dieu est la Vérité même. N'ayez donc aucun doute sur la Providence de Dieu, mais admirez sa Sollicitude paternelle, qui, malgré le mélange des méchants avec les bons, donne à tous indifféremment l'usage de la terre, la lumière du soleil et les pluies qui fertilisent leurs champs.
S'il permet que quelques-uns tombent dans la misère et la pauvreté, il le fait dans leur intérêt, et pour inspirer à leur âme un plus grand amour de la sagesse. Vous savez, en effet, et vous savez parfaitement que les richesses, pour ceux qui ne sont point sur leurs gardes, deviennent un instrument de corruption; tandis que la pauvreté est la mère de la sagesse : tous les jours, nous avons des preuves de ces deux vérités. Combien voyons-nous de pauvres plus prudents que les riches, plus amis de la sagesse, d'une santé même plus vigoureuse, parce que la pauvreté a été un bienfait à la fois pour leur corps et pour leur âme ! «Pour moi, je dormirai et je me reposerai dans la paix. Parce que tu m'as, Seigneur, affermi d'une manière toute singulière dans l'espérance.» Voici un bienfait nouveau et une mesure signalée de la divine Providence, c'est que la paix est le partage de ceux qui sont fidèles à Dieu; «car, dit ailleurs le roi-prophète, ceux qui aiment ta loi, jouissent d'une grande paix.» (Ps 118,165). Rien, en effet, ne produit plus sûrement la paix, que la connaissance de Dieu et la pratique de la vertu : elles bannissent de l'âme toutes les luttes intestines dont elle est agitée et ne souffrent point que l'homme soit en guerre avec lui-même. S'il ne jouit pas de cette paix intérieure, fût-il d'ailleurs extérieurement dans une paix profonde, à l'abri de toute invasion de l'ennemi, il est plus malheureux que tous ceux qui vivent au milieu de la guerre et des combats.
12. Non, ni les Scythes, ni les Thraces, ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures, ni les peuples les plus barbares ne font une guerre aussi acharnée qu'une pensée coupable qui se glisse dans l'intérieur de notre âme, qu'un désir déréglé, que l'amour des richesses, l'ambition du pouvoir, l'inclination violente pour les choses de la terre. Et on le comprend facilement : d'un côté, la guerre n'est qu'extérieure; de l'autre, au contraire, elle est au-dedans même de l'âme. Or, nous voyons partout que les maux qui naissent à l'intérieur, sont beaucoup plus graves et déterminent plus promptement la mort que ceux qui viennent du dehors. Ainsi le ver qui ronge l'intérieur d'un arbre le fait mourir bien plus vite. Les maladies dont le principe est intérieur altèrent bien plus gravement les forces et la santé du corps que celles qui viennent d'une cause extérieure. Ce qui perd et détruit les villes, ce sont moins les guerres étrangères que les luttes intestines des citoyens entre eux. Aussi pour l'âme, ce sont moins les attaques extérieures dont elle est l'objet, que les vices qui naissent au-dedans d'elle-même qui sont cause de sa ruine. Mais qu'un chrétien, armé de la crainte de Dieu, fasse tous ses efforts pour apaiser cette guerre, pour calmer et assoupir ses passions intérieures, et qu'il étouffe comme autant de bêtes féroces toutes les pensées mauvaises en les poursuivant jusque dans leur dernière retraite, il jouira d'une paix parfaite et profonde. C'est cette paix que Jésus Christ nous a donnée en venant au monde, cette paix que Paul souhaite aux fidèles dans toutes ses épîtres : «La Grâce et la Paix qui viennent de Dieu notre Père soient avec vous.» Celui qui a cette paix en partage, ne redoute ni les barbares, ni les ennemis, il ne craint même pas le démon. Il se rit des phalanges de ses satellites; aucun homme n'a autant de joie et d'assurance; ni la pauvreté ne l'inquiète, ni la maladie ou les infirmités ne l'accablent, ni aucune de ces vicissitudes humaines qui tombent sur nous à l'improviste ne le trouble, parce que son âme pleine de santé et de force peut soutenir parfaitement et avec la plus grande facilité ces divers assauts.
Voulez-vous une preuve de cette vérité ? Voici un homme que l'envie domine, personne ne lui fait la guerre, en est-il plus heureux? Il se fait à lui-même une guerre cruelle, il aiguise ses pensées comme autant de glaives qui percent son âme, &emdash; tout ce qu'il voit lui est un écueil, il vient se heurter et se blesser contre chacun des hommes qu'il rencontre, parce qu'il n'en voit aucun d'un Ïil bienveillant, et qu'il les regarde tous comme ses ennemis. À quoi sert donc d'être en paix extérieurement, à cet homme outré de rage et de fureur, qui va de tous côtés comme l'ennemi commun du genre humain, portant dans son cÏur ce foyer de guerre intestine, qui aimerait mieux être percé de mille traits et de mille flèches, qui souhaiterait plutôt souffrir mille morts que de voir un de ses semblables obtenir quelque gloire où jouir de quelque bonheur ? En voici un autre qui est dominé par l'amour des richesses : il fait de son âme le théâtre de guerres innombrables, de combats, de séditions, qui sont pour lui une cause permanente d'agitation et de trouble et ne lui permettent pas de respirer un seul instant. Il n'en est pas ainsi de celui qui a su s'affranchir de toutes ces passions, il vit comme dans un port tranquille, faisant ses délices de l'étude de la sagesse, sans avoir à craindre aucun de ces tourments. Voilà pourquoi le prophète célèbre ce nouveau Bienfait de la Providence à son égard: «Pour moi, disait-il, je dormirai et je me reposerai dans la paix.» Il nous montre ainsi que celui à qui cette paix est refusée se voit fermé le port même qui est ouvert à tous les hommes, le port du sommeil et du repos de la nuit. Ces passions, en effet, détruisent jusqu'à la sécurité que nous donne la nature et par une tyrannie déplorable l'emportent jusque sur la puissance si grande du sommeil.
Ceux qui sont esclaves de la jalousie ou de l'envie, les avares, les ravisseurs du bien d'autrui, portent partout cette guerre avec eux, et sont toujours accompagnés de ces ennemis intérieurs; quelle que soit la voie qu'ils prennent, il leur est impossible d'éviter le combat. Jusque dans leurs demeures, jusque sur leurs lits de repos, ils ont à supporter des nuées de traits perçants, un bruit confus plus épouvantable que celui des flots qui s'entrechoquent, des meurtres, des cris, des gémissements et d'autres fléaux plus terribles que ceux qui marchent ordinairement à la suite des combats. Il n'en est point ainsi du juste; dans le jour, il goûte une joie ineffable, et, lorsque la nuit est venue, il se livre à un sommeil qui est pour lui plein de délices. Que signifie cette expression : epì tò aùtó ? C'est-à-dire en me recueillant tout entier en moi-même, sans partager mon esprit en mille soins différents, sans m'occuper des affaires de celui-ci ou de celui-là, sans faire de l'univers entier l'objet de ma sollicitude, mais en concentrant toutes mes pensées sur moi, sur ce qui peut m'être utile et donner satisfaction à mes véritables intérêts. «Parce que Tu m'as, Seigneur, affermi d'une manière toute spéciale dans l'espérance», dans l'attente des biens à venir : l'espérance que Tu m'en as donnée, suffit pour imposer silence à toutes les passions qui voudraient troubler mon âme. C'est ce que saint Paul nous enseigne lui-même quand il dit : «Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une gloire souveraine et incomparable; parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, mais les choses invisibles. (1 Cor 4, 17-18). En effet, point de chose si difficile qui ne devienne d'une extrême facilité par l'espérance que Dieu nous donne de la gloire future; c'est pour cela que le Prophète dit : «Tu m'as affermi dans l'espérance». Il ajoute : «D'une manière singulière», expression qui renferme une doctrine profonde.
13. Quel est donc le sens de cette expression Katá mónav «D'une manière singulière ?» C'est-à-dire en dehors des méchants. J'ai goûté cette paix en vous, dit le Roi-Prophète, et je mène une vie retirée, complètement séparée de la société des hommes corrompus. Précaution juste et louable; car, de même que les corps périssent souvent des émanations pestilentielles répandues dans les airs, l'âme aussi trouve souvent sa peste dans le commerce et le contact des méchants. L'Ïil parfaitement sain peut facilement contracter la maladie qu'il voit; ceux qui sont couverts d'une maladie contagieuse la communiquent à ceux qui ne l'ont pas : la société des hommes vicieux n'offre pas moins de dangers. Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ nous conseille non seulement de les fuir, mais même de les retrancher de notre sein. «Si votre Ïil droit vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le loin de vous.» (Mt 5,29). Ce n'est pas de l'Ïil qu'il veut ici parler, quel mal peut faire l'Ïil lorsque l'âme jouit d'une santé parfaite ? Notre Seigneur veut parler ici de nos amis les plus intimes qui semblent nous tenir lieu de ces membres, et qui cependant sont pour nous une occasion de ruine. Il nous commande de sacrifier leur amitié pour assurer notre propre salut. C'est ce qui fait dire au Prophète dans un des psaumes suivants : «Je ne me suis point assis dans les assemblées de vanité, et je n'entrerai point dans le conseil où siègent les méchants.» (Ps. 25, 4). Le prophète Jérémie lui-même proclame bienheureux celui qui vit dans la solitude, et qui porte le joug dès sa jeunesse. (Lam 3, 27, 28). L'auteur du livre des Proverbes ne cesse en mille endroits de nous dire et de nous presser, non seulement de fuir ceux qui nous conseillent le mal, mais de nous en séparer violemment, et de n'avoir aucun commerce avec eux. Car, si une habitude vicieuse a souvent assez de force pour changer et détruire les qualités qui nous sont naturelles, combien plus triomphera-t-elle de ce qui dépend de notre volonté ? C'est de la nature que nous tenons la couleur du visage et la santé, et nous les voyons s'altérer sous l'influence de dispositions qui leur sont contraires. L'appétit vient aussi de la nature; cependant nous le perdons souvent par suite de maladies; et nous voyons tous les jours beaucoup d'autres exemples semblables. Si les choses physiques sont sujettes au changement, combien plus celles qui dépendent de notre choix volontaire !
Gardons-nous donc d'estimer que la société des méchants n'offre pas de dangers et évitons-les par-dessus tout, fussent-ils nos parents, nos amis, en un mot, quels qu'ils soient. Telle a été la cause de la perte des plus grands personnages, d'un Salomon, d'un Samson, que dis-je ? de la nation tout entière des Juifs. Les reptiles venimeux font des blessures moins profondes que les vices des hommes : ces reptiles ne cachent point le poison mortel qu'ils portent avec eux, tandis que les méchants insinuent tous les jours insensiblement et sans bruit la contagion de leurs vices, et dépouillent chaque jour la vertu d'une partie de ses forces. Voilà pourquoi Dieu nous interdit jusqu'à un regard impur : «Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cÏur» (Mt 5,28); parce qu'en effet la pente vers le mal est glissante et facile. Lorsque vous voulez fixer votre séjour dans une ville, vous vous informez avec soin de la salubrité de l'air : n'est-il point malsain, le climat est-il tempéré, la chaleur n'y est-elle pas trop grande ? Mais, lorsqu'il s'agit des intérêts de votre âme, vous n'avez aucun souci des mÏurs de ceux qui doivent entrer en rapport avec elle, et vous la livrez indifféremment et comme au hasard au premier venu. Comment justifier, dites-moi, une pareille indifférence ?
D'où pensez-vous que viennent les vertus éclatantes que nous admirons dans ceux qui ont habité les déserts ? N'est-ce point parce qu'ils ont fui le tumulte et l'agitation qui règnent dans toutes les réunions des hommes, et qu'ils se sont dérobés à cette épaisse fumée qui environne toutes les affaires d'ici-bas ? Imitez-les donc, en recherchant la solitude jusqu'au milieu des villes. Comment cela peut-il se faire ? Si vous fuyez le commerce des méchants et si vous recherchez la société des bons, vous obtiendrez alors une sécurité plus grande que ceux qui habitaient les déserts, non seulement en fuyant ceux qui peuvent vous nuire, mais en fréquentant ceux qui vous seront utiles. Si vous fuyez les méchants et si vous recherchez les bons, vous verrez en même temps la vertu s'accroître et le vice diminuer. Prenons donc les moyens d'obtenir un si précieux résultat, en obéissant au psalmiste, qui dit à Dieu : «Tu m'as affermi d'une manière toute particulière dans l'espérance.» Je termine ici ce discours, après avoir, ce me semble, suffisamment résolu toutes les questions que j'avais entrepris de traiter, par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.