LETTRE DE CASTOR, ÉVEQUE D'APT

à Cassien, abbé de Marseille

 

Au Seigneur décoré par sa sainteté d'une gloire spéciale, illustre en toute sa vie, distingué par l'honneur du savoir, à Cassien, notre Père, Castor, le dernier des habitants de la terre, offre l'hommage du plus humble de ses serviteurs.

La raison elle-même réclame, ô Père, que ceux qui ne savent point user de la raison et demeurent inhabiles à trouvent aide et secours dans les soins affectueux d'un maître. Hélas ! dans l'état de notre nature déchue, ou ne voit pas chez tous une égale aptitude à se conduire. Il reste néanmoins qu'en acceptant de subir une discipline, l'humanité se met en mesure de conquérir des avantages considérables. Tous les talents ne se rencontrent pas à toutes enseignes; tous ne connaissent pas l'art de combattre. Mais celui-ci se perd justement, qui sait où prendre les biens meilleurs, et néglige de s'en emparer. D'autre part, qu'ils doivent. être ployés à de longs exercices, se fortifier par des travaux multiples et variés, ceux à qui se trouve commise la direction des autres! Parfois, le présomptueux succombe par sa témérité, lorsque, ayant de quoi satisfaire, à tous les besoins, son soin indiscret dépense en directions incertaines.

Or, ignorants comme nous le sommes, nous pourrions facilement, par inattention, nous laisser persuader ce qui ne convient pas.

Je viens donc à vous, Père très aimé, avec, toute la charité qui est en moi : que votre abondance inépuisable supplée à notre impuissance ! Les saints exercices auxquels vous présidez aujourd'hui, ont vu croître vos jeunes années et s'ouvrir cette intelligence si remarquable; nous, nous ne sommes que des néophytes, pour qui les pompes du siècle n'ont point perdu leur charme; réveillez-nous par la description de votre vie, ne remettez pas !

Nous vous tenons pour l'homme du monde le mieux instruit de la doctrine des monastères orientaux, particulièrement de ceux de l'Égypte et de la Thébaïde : n'avez-vous pas illustré de votre présence les lieux rendus fameux par la Nativité du Seigneur ? Mais possédant à fond toutes les branches de la science catholique, serait-il convenable que vous nous abandonniez a notre indigence ?

Je le réclame avec instance de votre Paternité : ne refusez pas à notre monastère novice de lui expliquer simplement, telles que les Pères vous les ont apprises, les institutions cénobitiques que vous avez vu s'établir et fleurir par l'Égypte et la Palestine, et que vous faites vous-même observer. Ne différez pas de répandre les flots d'une éloquence douce comme le miel, et d'en abreuver nos coeurs trop longtemps arides, afin que c'en soit fini de la stérilité, et que les fruits de justice abondent.

Je crois que si nous réussissons à faire quelque progrès, si, pour réponse à votre paternel labeur, notre lâcheté peut offrir à Dieu un service moins indigne, vous en aurez une plus belle récompense.

Adieu ! Père des serviteurs de Dieu, et souvenez vous de moi.