Que le septième combat est contre l'esprit de vaine gloire. Nature de cet esprit
Notre septième combat est contre l'esprit de vaine gloire : esprit multiforme, varié, subtil, que le regard le plus perspicace peut à peine, je ne dis pas prévenir, mais reconnaître et saisir.
CHAPITRE 2
La vaine gloire attaque le moine, non seulement dans la partie charnelle, mais aussi dans la partie spirituelle
C'est que la vaine gloire n'attaque pas seulement le moine dans la partie charnelle; mais elle porte aussi ses coups dans la partie spirituelle. Sa malice plus subtile sait mieux s'insinuer dans l'âme; et tels, que les vices charnels n'avaient pu séduire, éprouvent de leur succès spirituel de plus cruelles blessures. Lutte d'autant plus périlleuse, qu'elle se dissimule davantage à notre vigilance !
Avec les autres vices, la guerre se fait au grand jour et à front découvert. Devant la contradiction inflexible, le tentateur doit reculer. Il quitte la place, plus faible qu'il n'était venu; et, après cette défaite, il n'attaquera plus son vainqueur de la même violence.
La vaine gloire, au contraire. Si elle a tenté l'âme d'élèvement charnel et qu'elle ait dû reculer, devant ses refus, multiforme en sa perversité, elle change de masque et de personnage, et c'est sous les dehors de la vertu qu'elle s'efforce maintenant de percer son vainqueur et de l'égorger.
CHAPITRE 3
Que la vaine gloire est diverse et multiforme
Les autres vices et passions se révèlent uniformes et simples. La vaine gloire est diverse, multiforme, variée; elle attaque de toutes parts, et son vainqueur la retrouve partout en face de soi. L'extérieur et le maintien, la démarche, la voix, le travail, les veilles, le jeûne, la prière, la solitude, la lecture, la science, le silence, l'obéissance, la longanimité lui sont autant d'armes, pour blesser le soldat du Christ. On dirait d'un écueil fatal, que recouvrent les ondes soulevées. Poussés par un vent favorable, les navigateurs, sans défiance et ignorants du danger, y vont faire naufrage d'une manière aussi misérable qu'imprévue.
CHAPITRE 4
Comment la vaine gloire assaille le moine de droite et de gauche
Qui veut aller la route royale «par les armes de la justice, qui sont à droite et à gauche,» doit, selon la doctrine de l'Apôtre, passer «à travers l'honneur et lignominie, à travers la bonne et la mauvaise renommée». (2 Cor 6,7-8) Avec une précaution infinie, il nous faut suivre, entre les flots soulevés, le droit chemin de la vertu, la discrétion tenant le gouvernail, l'Esprit du Seigneur gonflant nos voiles : bien persuadés qu'à nous écarter d'une ligne, soit à droite, soit à gauche, nous nous brisons sans retard sur des écueils mortels.
C'est pourquoi le très sage Salomon nous donne cet avertissement : «Ne vous détournez ni à droite ni à gauche;» (Pro 4,27) c'est-à-dire : Ne vous flattez pas, à droite, de vos vertus, et ne vous élevez pas de vos succès spirituels; ne fléchissez pas, à gauche, vers le sentier du vice, cherchant, selon le mot de l'Apôtre, votre gloire dans ce qui ferait votre confusion. (cf. Phil 3,19)
Si l'ennemi ne réussit à faire naître la vaine gloire sous le prétexte d'un habit soigneusement relevé et luisant de propreté, il s'efforce de l'insinuer pour la malpropreté, la négligence, la pauvreté. Celui qu'il n'a pu abattre par l'honneur, il le renverse par l'humilité; celui qu'il n'a pu enorgueillir par l'éclat de la science et de l'éloquence, il l'accable par la gravité du silence. Le moine jeûne-t-il ouvertement, la vaine gloire le choque; s'il cache son jeûne par mépris de la gloire, le même vice de l'élèvement lui assène de terribles coups. De crainte que la contagion de la vaine gloire ne le souille, il évite de prolonger ses prières à la vue des frères; mais, pour les avoir récitées secrètement et sans témoin, il éprouve encore les inévitables aiguillons de la vanité.
CHAPITRE 5
D'une comparaison qui montre la nature de la vaine gloire
Les anciens ont une comparaison très heureuse, pour dépeindre la nature de ce vice; ils l'assimilent à l'oignon et autres plantes bulbeuses. Ôtez une enveloppe, vous en rencontrez une seconde; autant vous en enlevez, autant vous en trouvez.
CHAPITRE 6
Le bienfait de la solitude n'éteint pas la vaine gloire.
On fuit dans la solitude le commerce des mortels, afin d'éviter la vaine gloire : elle n'y cesse point ses poursuites. Plus on veut échapper au monde entier, plus vif est son acharnement. Elle souffle l'élèvement à celui-ci, parce qu'il est bien patient au travail et à la peine; à celui-là, parce qu'il est prompt à l'obéissance; à tel autre, parce qu'il l'emporte sur tous en humilité. Elle tente l'un pour sa science, l'autre pour ses lectures, un troisième pour la longueur de ses veilles.
C'est toujours par nos vertus qu'elle s'efforce de nous blesser; elle prépare des occasions de scandale et de mort dans ce qui nous gagne la couronne de vie. On veut aller par le chemin de la piété et de la perfection : où les ennemis qui méditent des embûche tendront-ils leurs pièges trompeurs, sinon dans la voie où l'on marche ? C'est la parole du bienheureux David : «Sur la route où je marchais, ils ont caché un piège.» (Ps 141,4) Dans cette voie des vertus, où notre élan nous porte «vers la récompense à laquelle nous sommes appelés d'en haut», (Phil 3,14) leur but est de nous précipiter par l'élèvement de nos succès, de nous faire tomber, en engageant nos pas dans les lacets de la vaine gloire.
Ainsi arrive-t-il que, n'ayant pu être vaincu dans la lutte avec l'adversaire, la sublimité de notre triomphe fait notre défaite. Ou bien, ce qui est une autre sorte d'illusion, nous passons, dans l'abstinence, la mesure de nos moyens; et l'affaiblissement qui en résulte, rend impossible la persévérance de notre course.
CHAPITRE 7
Terrassée, la vaine gloire se relève plus ardente à la lutte
Tous les vices s'énervent, lorsqu'on les surmonte; et la défaite les rend de jour en jour plus faibles. Les circonstances de temps, de lieu les diminuent, apaisent leurs bouillonnements. Du moins, l'opposition qu'ils ont avec la vertu contraire, fait-elle que l'on s'en garde et qu'on les évite plus aisément. Mais, pour celui-ci, terrassé, il se redresse plus ardent à la lutte. On le croit éteint, et il renaît plus vigoureux de sa mort.
Les autres vices n'assaillent que ceux contre qui ils ont prévalu dans le combat. Celui-ci fait une guerre plus acharnée à ses vainqueurs, et plus fortement il a été mis en déroute, plus il est véhément à revenir au combat par l'élèvement de la victoire même. L'astuce du démon subtil consiste à faire succomber le soldat du Christ à ses propres armes, lorsqu'il n'a pu le vaincre par le moyen des armes ennemies.
CHAPITRE 8
Ni le désert ni l'âge ne refroidissent l'impétuosité de la vaine gloire.
Parfois, nous l'avons dit, les autres vices s'apaisent par un bienfait des lieux; ils se calment et diminuent, lorsqu'on leur soustrait la matière, l'opportunité, l'occasion du péché.
La vaine gloire pénètre au désert avec celui qui la fuit. Point de lieu dont on puisse l'exclure. Nul moyen de l'affaiblir, en lui soustrayant son objet du dehors, car rien ne l'anime que la vertu de celui qu'elle attaque.
Certains, nous l'avons dit encore, s'atténuent avec le temps et finissent par s'évanouir. Loin de nuire à la vaine gloire, une longue vie, si elle ne se fonde en zèle industrieux et en prudente discrétion, ne fait que lui fournir plus ample matière.
CHAPITRE 9
La vaine gloire plus dangereuse, parce qu'elle se mêle aux vertus.
Enfin, les autres passions s'opposent nettement aux vertus contraires, et font la guerre à découvert, comme en plein jour. D'où une facilité plus grande à les vaincre, comme à se prémunir.
Celle-ci se glisse entre les vertus; et la bataille se livre dans la confusion des rangs, sans plus se reconnaître qu'au milieu d'une nuit aveugle. Elle abuse d'autant plus cruellement, quon y songe moins et que l'on est moins sur ses gardes.
CHAPITRE 10
Exemple du roi Ézéchias, et comment il succomba aux traits de la vaine gloire.
Ne fut-ce point le cas d'Ézéchias, roi de Juda ? Cet homme d'une justice de tous points, consommée, et de qui les Écritures rendent un si beau témoignage, après les vertus qui lui méritèrent tant d'éloges, nous le voyons, par un seul trait de l'élèvement, prosterné dans la poussière. Lui dont une seule prière avait obtenu la mort de cent quatre-vingt,cinq mille hommes de l'armée des Assyriens, tués pendant la nuit par l'ange dévastateur, (cf. 4 Rois 19,15;35) se fait vaincre par la vaine gloire !
Je passerai sous silence la longue liste de ces vertus, qu'il serait infini de retracer, pour ne citer que cet unique trait. Le terme de sa vie venait de lui être signifié; un jugement du Seigneur avait fixé le jour de sa mort. Or, par une seule prière, il mérita d'outrepasser de quinze années les bornes de sa vie. (cf. 4 Rois 20,1-5) Le soleil rétrograda de dix degrés, qu'il avait déjà parcourus, en allant vers son couchant, (cf. 4 Rois 20,9-11) et, dans ce retour en arrière, reconquérant sur l'ombre les lignes qu'elle avait occupées à mesure qu'il se retirait, par un miracle inouï doubla le jour pour l'univers entier, contrairement aux lois de la nature.
Comment, après de si grands et incroyables prodiges, après des marques si extraordinaires de sa vertu, ce roi fut vaincu par le succès même : écoutez l'Écriture nous le raconter : «En ce temps-là, Ézéchias fut malade à la mort. Il pria le Seigneur; et le Seigneur l'exauca, et lui accorda un signe,» (2 Paral 32,24) le signe du mouvement rétrogade du soleil, que nous lisons qui lui fut donné par Isaïe au quatrième livre des Rois. «Mais Ézéchias ne répondit pas au bienfait qu'il avait reçu, car son coeur s'éleva; et la colère de Dieu s'alluma contre lui, ainsi que contre Juda et Jérusalem. Ensuite, le roi s'humilia, lui et les habitants de Jérusalem, de ce que son coeur s'était élevé; et la Colère du Seigneur ne vint pas sur eux durant les jours d'Ézéchias» (2 Paral 32,25-26).
Qu'elle est donc pernicieuse, qu'elle est grave, la maladie de. l'élèvement ! Tant de justice, tant de vertu, tant de foi et de dévotion, qui avaient mérité de changer la nature elle-même et les lois de l'univers, périssent par un seul acte de vaine complaisance ! Toutes les vertus du roi eussent été mises en oubli, et il eût immédiatement senti les effets de la colère divine, s'il ne l'eût apaisée par une prompte humilité. Celui que l'élèvement avait précipité d'une telle hauteur de mérite, ne put remonter jusqu'aux cimes perdues, qu'en repassant par les mêmes degrés d'humilité.
Voulez-vous entendre un autre exemple d'une semblable ruine ?
CHAPITRE 11
Exemple du roi Ozias, vaincu par la même maladie
Ozias fut le bisaïeul du roi dont nous venons de parler; et il est loué, comme lui, de tous points, par le témoignage des Écritures. Mais, après les extraordinaires vertus qui lui avaient gagné l'éloge, après les triomphes sans nombre remportés par le mérite de sa dévotion et de sa foi, il fut précipité par l'élèvement de la vaine gloire. Apprenez comment : «Le nom d'Ozias, est-il dit, se répandit au loin, parce que le Seigneur était son secours et l'avait fortifié. Mais, dans ce point de puissance, son coeur s'éleva pour sa perte, et il négligea le Seigneur, son Dieu.» (2 Paral 26,15-16)
Voilà un second exemple d'une ruine terrible; voilà deux hommes, si justes et si parfaits, qui se perdent par leurs triomphes et leurs victoires. Par où vous voyez combien funeste est le succès de la bonne fortune. Ceux que l'adversité n'avait pu abattre, la prospérité, s'ils ne se tiennent sur leurs gardes, les accable plus durement; ceux qui, parmi la lutte et au fort de la bataille, avaient échappé au péril de la mort, succombent à leurs propres trophées et à leurs triomphes.
CHAPITRE 12
Divers témoignages contre la vaine gloire
De là cet avertissement de l'Apôtre : «Ne soyez pas désireux d'une gloire vaine.» (Gal 5,26)
Et le Seigneur, flagellant les Pharisiens «Comment, dit-il, pouvez-vous croire, vous qui poursuivez la gloire qui vous vient les uns des autres, et ne cherchez pas la gloire qui ne vient que de Dieu ?» (Jn 5,44) C'est encore contre les gens de cette sorte que le bienheureux David à son tour profère cette menace : «Dieu a dispersé les os de ceux qui veulent plaire aux hommes.» (Ps 52,6)
CHAPITRE 13
Manières dont la vaine gloire attaque le moine
Les commençants eux-mêmes et ceux qui n'ont fait que de médiocres progrès dans la vertu et la science, n'échappent pas à la vaine gloire. C'est leur voix qui leur est un prétexte à l'élèvement - leur psalmodie est si harmonieuse ! - ou leur maigreur, ou leur belle prestance; ou bien la richesse de leurs parents, ou le mépris qu'ils ont fait de la milice et des honneurs.
Parfois même, elle leur persuade qu'ils eussent obtenu très facilement, s'ils avaient persévéré dans le siècle, dignités et richesses auxquelles peut-être ils n'auraient jamais pu atteindre. Elle les enfle ainsi d'un vain espoir à propos de rêves incertains, et les fait bien glorieux pour des choses qu'ils n'ont jamais eues, tout comme s'ils y avaient renoncé.
CHAPITRE 14
Comment la vaine gloire suggère l'ambition de la cléricature.
Il arrive aussi que la vaine gloire mette en la pensée du moine l'honneur de la cléricature, et lui suggère le désir, soit du sacerdoce, soit du diaconat : si on l'y avait élevé, fût-ce contre son gré, avec quelle austérité il en eût rempli les fonctions ! Les autres prêtres auraient eu en lui un modèle de perfection; sans compter qu'il eût gagné bien des âmes, par l'exemple de sa vie d'abord, mais aussi par sa doctrine et ses discours.
Tel vit dans la solitude ou retiré dans sa cellule : la vanité lui fait parcourir en esprit maisons et monastères, et lui montre dans son imagination une multitude d'âmes qui se convertissent à sa parole.
CHAPITRE 15
Comment la vaine gloire enivre l'âme
Le pauvre moine, abusé par de telles chimères, semble plongé dans un profond sommeil. On le voit si charmé de la douceur de ces pensées et si rempli de ces images, qu'il ne s'aperçoit plus, ni de ce qui se fait autour de lui, ni de la présence des frères; mais, rêvant tout éveillé, il boit avec délices, comme à la vérité, aux fantaisies d'une imagination en liberté.
CHAPITRE 16
Du moine qu'un vieillard surprit dans sa cellule à se bercer des illusions de la vanité
Je me souviens d'un vieillard que je connus au temps de mon séjour dans le désert de Scété. Il venait à la cellule d'un frère, avec le dessein de lui faire visite, lorsque, en approchant, il l'entendit murmurer de l'intérieur. Il s'arrête, curieux de savoir le passage des Écritures que le solitaire lisait ou récitait de mémoire tout en travaillant, selon la mode accoutumée. Et de prêter loreille avec soin pour ce pieux espionnage. Hélas ! le pauvre frère, séduit par l'esprit de vanité, se croyait dans une église à faire une exhortation au peuple. Le vieillard attend, immobile. L'autre finit son discours; puis, changeant d'office, se met à faire le diacre prononçant le renvoi des catéchumènes. Le vieillard frappe alors. Le moine accourt avec la révérence habituelle et l'introduit. Cependant, le remords de ses pensées le tourmente. Il s'enquiert avec sollicitude auprès de son hôte s'il y a longtemps qu'il est arrivé : «Ne vous ai-je pas fait l'affront de vous faire attendre trop à la porte ? - Non, repartit le vieillard d'un ton plaisant et amusé; je viens d'arriver, au moment où vous prononciez le renvoi des catéchumènes.»
CHAPITRE 17
Que toute guérison est impossible, si l'on ne fait connaître le principe et la cause des vices
J'ai cru que ces peintures avaient leur place dans mon ouvrage; et voici pourquoi. Il est bon de connaître théoriquement la puissance agressive des vices qui déchirent les pauvres âmes et la succession qu'ils présentent; il est meilleur d'en être instruit par des exemples. Nous en serons plus circonspects, pour éviter les lacets et les pièges multiples de l'ennemi.
Telle est, aussi bien, la méthode suivie par les pères d'Égypte. Sur le ton d'hommes qui y seraient eux-mêmes sujets, ils n'hésitent pas «à découvrir et mettre à nu, dans leurs conférences, les combats que nous livrent les vices, soit que les jeunes aient à les soutenir présentement, soit qu'ils ne doivent les éprouver que plus tard. A ce tableau des artifices dont les passions abusent l'âge de la première ferveur, les commençants pénètrent le secret de leurs luttes intimes et les considèrent comme dans un miroir. Du même coup, ils apprennent les causes et les remèdes des vices qui leur font la guerre; ils connaissent aussi, avant l'événement, leurs combats à venir, et savent la manière de se prémunir, d'y faire front et de s'y comporter. Les plus habiles médecins ne se bornent pas à soigner les maladies présentes; mais leur génie sagace s'emploie a prévenir les maux futurs par des ordonnances et potions salutaires. De même ces vrais médecins des âmes. Ils tuent d'avance, comme par un céleste antidote, les maladies qui se déclareront plus tard, et les empêchent de se développer dans les âmes, en découvrant aux jeunes, avec les causes des passions qui les menacent, les remèdes pour en guérir.
CHAPITRE 18
Le moine doit éviter les personnes du sexe et les évêques
Une maxime très ancienne des pères et qui s'est conservée jusqu'à ce jour - Hélas ! c'est à ma confusion que je la rapporte, moi qui n'ai pas su éviter ma soeur ni échapper aux mains épiscopales - est que le moine doit fuir les personnes du sexe et les évêques. La familiarité des unes et des autres a même résultat : c'est une chaîne qui ne laisse plus au moine la liberté de vaquer au silence de sa cellule, ni de s'attacher à la contemplation divine par un regard très pur sur les choses de la foi.
CHAPITRE 19
Remèdes pour triompher de la vanité
L'athlète du Christ qui désire combattre dans les règles le combat spirituel, doit s'empresser de vaincre en toutes manières le monstre aux cent têtes de la vaine gloire.
Voici le remède par où nous pourrons échapper à une malice en quelque sorte multiple, et qui s'offre à nous de toutes parts.
Ayant en la pensée la parole de David : «Le Seigneur a dispersé les os de ceux qui veulent plaire aux hommes,» (Ps 52,6) premièrement, ne nous permettons jamais de rien faire dans un propos de vanité et en vue de capter une gloire vaine; - ensuite, ce que nous avons bien commencé, efforçons-nous de le conserver par une semblable vigilance, de crainte que la maladie de la vaine gloire ne se glisse en nous par après, anéantissant tout le fruit de nos labeurs; - fuyons aussi avec soin tout ce qui n'est point, dans la vie des frères, du train et de l'usage communs, comme relevant de la jactance; - évitons de même ce qui serait de nature à nous faire remarquer parmi les autres et à nous gagner les louanges des hommes, comme étant seuls à le faire.
C'est, en effet, à de tels indices, que le poison de la vanité révèle surtout sa présence en nous. Mais il nous sera bien facile d'y échapper, par cette considération, que, si nos travaux ont la vaine gloire pour objet, non seulement nous en perdrons entièrement le bénéfice, mais, coupables d'un grand crime, nous serons punis, - en qualité de sacrilèges, des éternels supplices : car, ce que nous aurions dû faire pour Dieu, nous aurions mieux aimé l'accomplir en vue des
hommes; mais Celui à qui nous faisions cette injure, connaît les secrets les plus cachés; Il nous convaincra de Lui avoir préféré les hommes, et d'avoir mis la gloire du monde au-dessus de sa Gloire.