HOMÉLIE SUR CE SUJET : Que Dieu n'est pas auteur du malSOMMAIRE
APRÈS l'explication de plusieurs passages des Psaumes, l'orateur montre que celui qui fait Dieu auteur du mal, approche beaucoup de celui qui nie absolument son existence. Il prouve que Dieu n'est pas auteur du u,al, parce que bien des choses, que nous regardons comme des maux, ne sont pas des maux, mais sont une suite de notre nature, ou nous sont envoyées par Dieu pour nous éprouver ou nous punir. Il se fait des objections tirées de plusieurs passages de l'Écriture qu'il explique. Le péché est le seul mal véritable; il ne vient pas de Dieu, mais de notre volonté propre, du mauvais usage que nous taisons de notre libre arbitre. Il fait voir comment le vrai mal, le péché est entré dans le monde; dans quel état Adam avait été créé, et comment il a été déchu de cet état. Mais pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas faits impeccables ? St. Basile répond solidement à cette question. Une très–longue dissertation sur le démon termine cette homélie : on y voit cousinent cet esprit de malice est tombé, et comment il cherche à nous entraîner dans sa chute.
Plusieurs sortes d'instructions nous sont données par David, ce divin psalmiste, ce digne organe de l'Esprit-Saint qui opéron en lui. Tantôt le prophète nous rapportant ses propres malheurs et le cocuage avec lequel il a supporte ses disgrâces nous laisse, par son exemple, une excellente leçon de patience, comme lorsqu'il dit : Seigneur pourquoi ceux qui me persécutent se sont-ils multipliés (Ps. 3,1) ? Tantôt il célèbre la bonté de Dieu et la promptitude du secours qu'il accorde à ceux qui le cherchent avec droiture. Le Dieu, dit-il, qui est le principe de ma justice, m'a exaucé au moment où je l'invoquais (Ps 4,1), paroles conformes à ces autres du prophète Isaïe : Lorsque vous parlerez encore, il vous dira : Me voici (Is 58 q.); c'est-à-dire, vous n'aurez pas encore cessé de l'invoquer, et il aura exaucé votre demande. Ensuite, adressant à Dieu des prières, il nous apprend comment des pécheurs doivent l'apaiser : Seigneur, dit-il, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me punissez pas dans votre colère (Ps 6,1). Dans le douzième psaume, après s'être étendu sur une épreuve par où il avait passé, en disant: Jusques à quand, Seigneur, m'oublierez-vous ? sera-ce pour toujours (Ps 12,1) ? après nous avoir appris dans tout le psaume à ne pas nous laisser abattre par les afflictions, mais à attendre la bonté de Dieu, et à nous convaincre que c'est par des vues de sagesse qu'il nous livre aux afflictions, mesurant à chacun les épreuves en proportion de sa foi; après donc qu'il a dit : Jusques à quand, Seigneur, m'oublierez-vous ? sera-ce pour toujours ? jusques à quand détournerez-vous de moi votre face? il passe aussitôt à la perversité des impies : et qu'en dit-il ? Lorsqu'ils éprouvent dans la vie quelque contre-temps, trop faibles pour supporter les événements fâcheux, ils doutent et sont incertains s'il est un Dieu qui gouverne les choses humaines, qui examine ce qui se passe sur la terre, qui traite chacun selon son mérite. Ils vont plus loin, lorsque le malheur continue à lespersécuter de plus en plus, ils confirment en eux-mêmes cette opinion perverse, et déclarent dans leurs coeurs qu'il n'y a pas de Dieu: L'insensé a dit dans son coeur : Il n'y a pas de Dieu (Ps 13,1). Et dès qu'une fois il s'est persuadé de cette horrible doctrine, il se livre sans réserve à tous les excès. Car s'il n'est pas d'être qui examine ce qui se passe parmi les hommes, s'il n'est pas d'être qui rende à chacun ce qu'il mérite selon ses actions, qu'est-ce qui empêche d'opprimer le pauvre, d'égorger les orphelins, d'assassiner la veuve et l'étranger, de se permettre tous les crimes, de se souiller par les passions les plus infâmes, les plus abominables, les plus brutales ? Aussi le Roi-Prophète, comme par une suite de cette pensée: Il n'y a pas de Dieu, ajoute : Ils se sont corrompus, et sont devenus abominables dans leurs affections. Car il est impossible de ne pas s'écarter de la voie droite lorsqu'on est parvenu à oublier Dieu dans son coeur. Pourquoi les nations ont-elles été livrées à leur sens réprouvé, et font-elles des actions peu convenables ? n'est-ce point parce qu'elles ont dit : Il n'y a point de Dieu (Rom 1,28) ? Pourquoi les gentils sont-ils tombés dans des passions qui déshonorent l'humanité (Rom 1,23 et suiv.) ? pourquoi chez eux les femmes ont-elles changé l'usage qui est selon la nature, et que les hommes commettent des infamies les uns avec les autres n'est-ce point parce qu'ils ont transféré l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu incorruptible, à des figures d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds et de serpents ? Celui-là est donc insensé, privé de raison et d'intelligence, qui va jusqu'à dire qu'il n'y a pas de Dieu: celui-là en approche beaucoup et ne lui cède guère en folie, qui ose dire que Dieu est l’auteur du mal. Je les crois tous deux également coupables, parce que tous cieux nient également l’Être bon, l'un en disant qu'il n'existe plus, l'autre en décidant qu'il n'est pas bon. Car s’il est l'auteur du mal, il n'est pas bon. Ainsi c'est nier Dieu de part et d'autre. D'où viennent donc, dira-t-on, les maladies, les morts prématurées, les destructions de villes les naufrages, les guerres, les pestes toutes ces calamités sont des maux, et toutes sont l'ouvrage de Dieu. Ainsi à quel autre qu'à Dieu attribuer tout ce qui arrive Puisque nous sommes tombés sur une question célèbre et qui est fort agitée, nous allons l'examiner avec le plus grand soin; et prenant des principes convenus, nous tâcherons de l'expliquer de la manière la plus claire et la moins confuse. Avant tout, il faut bien nous persuader qu'étant l'ouvrage de Dieu, conservés par ce même Dieu, qui entre à notre égarer dans les moindres détails, nous ne pouvons rien souffrir contre sa volonté, et que ce que nous souffrons ne nous est pas nuisible, ni tel que nous puissions rien imaginer de meilleur. La mort vient de Dieu; mais la mort n'est point du tout un mal, si ce n est la mort du pécheur, parce que la sortie de ce monde est pour lui le commencement des supplices de l'enfer. Quant aux tourments de l'enfer, ils n'ont pas Dieu pour auteur, mais nous-mêmes, puisque la sourd; et le principe du péché viennent de nous et de notre libre arbitre. Nous pouvions ne rien éprouver de fâcheux en noms abstenant du mal; nous avons été entraînés dans le péché par l'attrait du plaisir; par quelle raison spécieuse pourrions-nous donc soutenir que nous ne sommes pas nous mêmes la cause de nos peines ? Une chose est mauvaise par rapport à nos sens ou par sa propre nature. Ce qui est mauvais par sa nature dépend de nous: l’injustice, l'insolence, la sottise, la lâcheté, la jalousie, les meurtres, les empoisonnements, les impostures, et tous les autres vices semblables qui souillent une âme faite à l’image du Créateur et qui obscurcissent sa beauté. Nous appelons encore mauvais ce qui est pénible et douloureux pour nos sens : les maladies, les blessures, le manque du nécessaire, la diffamation, les pertes d'argent, la mort de nos proches et de nos amis. Chacun de ces maux nous est envoyé pour notre utilité par un maître sage et bon. S'il nous ôte les richesses quand nous en usons mal, c'est pour nous ôter un instrument d'injustice. Il nous envoie la maladie, parce qu'il nous est plus utile que les membres de notre corps soient enchaînés par la douleur, que d'avoir les mouvements de la concupiscence libres pour le péché. Il nous envoie la mort, lorsque le terme de notre vie est accompli, terme qu'un juste jugement de Dieu a marqué pour chacun dès le commencement, prévoyant de loin ce qui est utile à chacun de nous. Les pestes, les sécheresses, les inondations, sont les fléaux communs des peuples et des villes, propres à punir leurs excès. Comme donc un médecin est regardé comme bienfaiteur, quoiqu'il cause des peines et des douleurs au corps, parce qu’il attaque la maladie et non le malade; de même Dieu est bon, parce qu'il sauve le tout en punissant des parties. Loin de faire des reproches à un médecin, qui coupe, bride, ou retranche entièrement des parties du corps, vous le payez, vous l’appelez sauveur, parce qu’aux dépens d’une modique partie du corps, il arrête le mal avant qu'il le gagne tout entier. Et lorsque, dans un tremblement de terre, vous voyez une ville s’écrouler surs ses habitants, ou un vaisseau disparaître au milieu de la mer avec les hommes qu'il portait, vous vous permettez des murmures et des blasphèmes contre le vrai Médecin et le véritable Sauveur ! Cependant vous deviez comprendre que, dans les maladies humaines qui sont peu considérables et qui peuvent être guéries, on se contente d'employer des remèdes utiles; mais lorsqu'elles sont au-dessus de tout remède, il faut nécessairement retrancher les parties gangrenées, de peur que le mal gagnant de roche en proche, n'arrive jusqu’aux sources de la vie. De même donc que ce n'est pas le médecin; mais la maladie qui est cause qu'on emploie le fer et le feu; ainsi, dans les destructions de villes, qui ont pour principe les excès de leurs crimes, Dieu est déchargé de tout reproche. Mais, dit-on, si Dieu n'est pas auteur du mal, pourquoi est-il dit dans l’Ecriture ? Moi qui ai formé la lumière et les ténèbres, qui fais la paix et qui crée les maux (Is 45,7); et encore: Le Seigneur a envoyé les maux sur les portes de Jérusalem (Mich 1,12); et encore : Il n'arrive point de mal dans la ville qui ne vienne de la part du Seigneur (Amos 3,6). Considérez, dit Moïse dans son fameux cantique, considérez que c'est moi seul qui suis, et qu'il n'est pas d'autre Dieu que moi. C'est moi qui ferai mourir et qui ferai vivre, qui blesserai et qui guérirai (Deut 32,29). Mais aucun de ces passages, si l’on pénètre dans le sens de l'Ecriture, n'accuse Dieu et ne le représente comme auteur et créateur du mal. Quand Dieu dit : C'est moi qui ai formé la lumière et les ténèbres, il ne fait par là que se représenter lui-même comme le créateur de tous les êtres, et non comme l’auteur du mal. De peur donc que vous ne pensiez que l'auteur de la lumière est autre que celui des ténèbres, il se dit lui-même créateur des objets les plus opposés dans la nature. Il ne veut pas que vous vous imaginiez qu'un certain être a créé la feu, un autre l'eau, un autre l’air, un autre la terre, parce que ces éléments ont des qualités opposées; considération qui en a déjà fait recourir plusieurs à la pluralité des Dieux. Il fait la paix et il crée les maux. Il fait la paix principalement en vous, lorsque, par une bonne doctrine, il ramène la paix dans votre âme, et qu’il apaise les passions révoltées contre elle. Il crée les maux, c'est-à-dire, il les transforme, il en change la nature, de sorte qu'ils cessent d'être des maux et qu'ils deviennent des biens. O mon Dieu, dit David, créez en moi un cœur pur (Ps 50,12); non en le faisant passera du néant à l'existence, mais en le renouvelant, parce qu’il est invétéré dans le mal. Afin, dit saint Paul, qu'il crée deux hommes en un seul homme nouveau (Ep 2,15). Ici créer n'est pas non plus tirer du néant, mais transformer ce qui existe déjà. Si quelqu'un, dit le même apôtre, est devenu en Jésus-Christ une nouvelle créature (2 Cor 5,17). N'est-ce pas Dieu, dit Moïse, qui est votre père ? n'est-ce pas lui qui vous a possédé, qui vous a fait et qui vous a créé (Deut 52,6) ? Le mot créé, employé après celui de fait, nous apprend et nous démontre que le mot de création doit s'entendre ici, comme il s'entend souvent, dans le sens d'amélioration. Ainsi Dieu fait la paix, par-cela même qu'il crée les maux, c’est-à-dire, qu'il les change eu biens. D'ailleurs, quand vous entendriez par la paix, l'exemption de la guerre, et que vous appelleriez mal les inconvénients que la guerre entraîne, expéditions au loin, travaux, veilles, terreurs, sueurs, blessures, massacres, prises de villes, servitudes, exils, ce qu'offre de pitoyable le tableau de malheureux au pouvoir de l'ennemi, en un mot, toutes les disgrâces lui accompagnent la guerre, nous disons quelles arrivent par un juste jugement de Dieu, qui, par ce fléau, châtie les peuples qui l’ont mérité. Ou bien, nierez-vous que Sodome ait été consumée par le feu après ses infamies? nierez-vous que Jérusalem ait été détruite, que son temple ait été désolé, après l'horrible fureur des Juifs contre le Seigneur Jésus ? Cette destruction devait- elle en toute justice s'opérer autrement que par les armes des Romains, auxquels ces ennemis de leur propre vie avaient livré le Fils de Dieu ? Ainsi les maux de la guerre sont quelquefois un juste châtiment infligé à des coupables. Ces paroles: Je ferai mourir et je ferai vivre, peuvent être prises, si vous voulez, dans leur sens naturel, parce que la crainte édifie les simples. Je blesserai et je guérirai; cela aussi peut être utile, entendu naturellement, parce que la plaie produit la crainte, et que la guérison excite à l'amour. Vous pouvez néanmoins entendre les mêmes paroles dans un sens plus relevé. Je ferai mourir, au péché; je ferai vivre, à la justice. Autant l'homme extérieur se détruit en nous, autant l'homme intérieur se renouvelle (2. Cor. 4. 16). Celui que Dieu fait mourir n'est pas autre que celui qu il fait ivre; mais il fait vivre le même homme en le faisant mourir; il le guérit en le blessant, suivant ces paroles des Proverbes : Vous le frapperez avec la verge, et vous arracherez son âme à la mort (Prov. 23. 4.). Ainsi donc la chair est blessée afin que l’âme soit guérie; le péché est mis à mort afin que la justice vive. Quant à ce passage : Le Seigneur a envoyé les maux sur les portes de Jérusalem, il s'explique de lui-même. Quels maux ? le bruit des chars et des cavaliers. Lorsque vous lisez dans l’Écriture : Il n'est point arrivé de mal dans la ville qui ne vienne de la part du Seigneur, remarquez quelle entend par mal la punition infligée aux pécheurs pour les corriger de leurs fautes. Je vous ai affligé, dit Dieu, et je vous ai tourmenté par la famine pour votre bien (Deut 8,3) : j'ai voulu arrêter vos injustices avant qu'elles s'étendissent outre mesure, comme on arrête un courant d'eau par une bonne muraille et par une forte digue. De-là, les maladies des villes et des nations, les sécheresses de l’air, la stérilité de la terre, les événements fâcheux que chacun éprouve dans la vie, arrêtent les progrès du vice. Ainsi ces sortes de maux nous viennent de la part de Dieu pour empêcher les vrais maux de naître. Il a imaginé les afflictions du corps et les peines extérieures pour couper cours au péché. Ainsi Dieu détruit le mal, mais le mal ne vient pas de Dieu. De même le médecin ôte la maladie, mais ne donne pas la maladie. Les destructions de villes, les tremblements de terre, les inondations, les défaites des armées, les naufrages, toutes les calamités qui font périr une infinité d’hommes, soit qu'elles viennent de la terre, de la nier, de l’air, du feu, ou d'une cause quelconque, sont envoyées, pour corriger ceux qui restent, par Dieu qui emploie des iléaux publies pour châtier la perversité publique. Le péché qui est le mal proprement, et qui seul mérite ce nom, dépend de notre volonté, puisqu'il est en notre pouvoir de nous livrer au vice oit de nous en abstenir. Parmi tous les autres maux, les uns nous sont envoyés comme des occasions de signaler notre courage, ainsi qu'a Job la mort de tous ses enfants à-la-fois, la perte en un moment de toute sa fortune, l’affreux ulcère répandu sur tout son corps : les autres sont comme le remède des péchés; ainsi David essuya l'opprobre de sa maison pour expier les excès d'une passion criminelle. Nous remarquons encore une autre espèce d'accidents terribles, envoyés par un juste jugement de Dieu pour rendre plus sages les hommes portés au crime; comme lorsque Dathan et Abiron furent engloutis par la terre qui ouvrit ses abîmes pour les dévorer (Nomb 16,31). Ce ne furent pas eux alors qui devinrent meilleurs par une telle punition, puisqu’ils descendirent tout vivants dans l’enfer, mais ils rendirent les autres plus sages par leur exemple. Ainsi Pharaon fut submergé avec toutes ses troupes. Ainsi les anciens habitants de la Palestine furent exterminés. Au reste, quoique l'Apôtre dise dans un endroit: Des vases de colère formes pour la perdition (Rom. 9. 22.), ne vous imaginez pas que Pharaon fût d'une constitution mauvaise, parce qu'alors il se voit juste de s'en prendre à celui qui la créé; mais que le mot même de vase vous apprenne que chacun de nous a été fait pour un usage utile. Et comme dans une grande maison il y a des vases d'or, d'argent, d'argile ou de bois, et que chaque homme, par un effet de sa volonté propre, a une ressemblance avec ces diverses matières; le vase d'or est celui dont les moeurs sont pures et franches, le vase d'argent est celui qui est d'un mérite inférieur à ce premier; le vase d'argile est celui qui n'a point de goût que pour la terre, et qui est propre à être brisé; le vase de bois est celui qui est facilement souillé par le péché, et qui devient un aliment pour le feu éternel : ainsi le vase de colère est celui qui, comme un vase matériel, reçoit toute la puissance du démon, et qui, par un effet de la corruption, répandant une odeur infecte, ne peut plus être employé à aucun usage, n'est plus digne que d'être détruit et anéanti. Comme donc il fallait que Pharaon fût brisé, le sage et habile Administrateur des ames l'a disposé à devenir un exemple célèbre et à jamais mémorable, afin due par son malheur, il fût du moins utile aux autres, puisque son extrême malice le rendait incorrigible. Il l'a endurci en augmentant sa malice naturelle par la patience du juge et par le délai de la punition, afin que sa perversité étant enfin parvenue à son dernier terme, il pût signaler, dans la personne d'un roi coupable, sa justice souveraine. C'est pour cela qu'après avoir commencé par de moindres plaies, et ajoutant toujours jusqu'aux plus grands fléaux, il n'a point fléchi son caractère dur et opiniâtre, mais l'a trouvé bravant sa douceur, et exercé, pour ainsi dire, par l'habitude aux maux dont il le frappait. Toutefois, il ne l'a livré à la mort que lorsqu’il se submergea lui-même par cette fierté c’âme qui lui inspira l'audace d'entrer dans la voie des justes, qui lui fit croire qu’il pourrait traverser la mer Rouge comme le peuple de Dieu. Instruit par Dieu même, sachant distinguer les différentes sortes de maux, voyant ce qui est véritablement mal, comme le péché dont la fin eut la mort, et ce qui n'est mal qu'en apparence mais ce qui a la force du bien, comme les afflictions qui sont envoyées pour couper cours au péché, dont les fruits sont le salut éternel des aines; cessez de vous plaindre des dispositions du Très-haut, et en général ne regardez pas Dieu comme l'auteur de la substance du mal, ne vous imaginez pas que le mal soit une substance particulière. Non, la perversité n'est pas une créature vivante; nous ne pouvons pas nous la représenter semer comme quelque chose qui existe réellement. Le mal est la privation du bien. L'oeil a été créé. La cécité est survenue par la perte des yeux; de sorte que si l'oeil n'eût pas été d'une nature corruptible, la cécité n'aurait pu s'introduire. Ainsi le mal n'a pas une substance particulière, mais survient par les blessures faites à l'âme. On ne peut pas dire qu'il soit incréé, comme le disent ces impies qui accordent à la nature mauvaise le même honneur qu'à la nature bonne, puisque, suivant eux, l'une et l'autre est sans principe et avant toute création. On ne peut dire non plus qu'il ait été créé: car si tout vient de Dieu, comment l'être mauvais est-il venu de l'être bon ? ce qui est honteux ne vient pas de ce qui est honnête, ni le vice de la vertu. Lisez la création du monde, et vous verrez que tout ce que Dieu a créé était bon et très-bon. Le mal n'a donc pas été créé avec le bien. La créature spirituelle, ouvrage de Dieu, n'a pas reçu l'existence avec un mélange de perversité. En effet, s'il est vrai que les êtres corporels n'avaient pas en eux de mal avec lequel ils aient été créés; comment les êtres spirituels, qui l'emportent tellement pour la pureté et la sainteté, auraient-ils une substance commune avec le mal. Cependant le mal existe, et son pouvoir montre qu'il est répandu dans toute la vie. D'où a-t-il donc l'existence, si l'on ne peut dire, ni qu'il soit sans principe, ni qu’il ait été créé ? Que ceux qui nous font ces questions nous permettent de leur faire celle-ci : D’où viennent les maladies ? On ne peut dire que la maladie soit incréée, ni qu'elle soit l'ouvrage de Dieu. Les animaux ont été créés avec les parties naturelles qui leur conviennent; ils sont passés à la vie avec leurs membres entiers et parfaits, et ils n'ont été malades que par une altération de la nature. Ils perdent leur santé par un mauvais régime ou par quelque autre cause. Dieu a donc créé le corps et non la maladie; il a fait l'âme et non le péché. L'âme a été viciée en perdant sa bonté naturelle. Et quel était son bien principal . d'être attachée à Dieu et de lui être unie par la charité. La perte de cette charité a plongée dans une foule de maladies de diverses espèces, Et comment est-elle susceptible du mal ? par une conséquence de son libre arbitre, qui convient surtout à une nature raisonnable. Créée à l’image de Dieu, dégagée de toute nécessité, douée d'une liberté parfaite, notre âme conçoit le bien et en connaît la jouissance; elle a le pouvoir, en persistant dans la contemplation du beau et dans la possession des choses spirituelles, de conserver sa vie naturelle : elle a aussi le pouvoir de s'écarter de ce qui est beau et honnête, comme il lui arrive lorsque, rassasiée d'une volupté bienheureuse, appesantie par une sorte de sommeil, et comme précipitée de la région supérieure, elle se mêle à la chair en se prostituant à de honteux plaisirs. Adam vivait en haut, non par l'élévation de son séjour, mais par la sublimité de son esprit, lorsque nouvellement animé, contemplant le ciel, ravi des beautés qui frappaient ses regards, il était transporté d'amour pour son bienfaiteur, qui l'avait gratifié de la jouissance d'une vie éternelle et des délices d'un paradis, qui lui avait donné la même principauté qu'aux anges, la faculté de vivre comme les archanges et entendre la parole divine. Ajoutez à tout cela que, sous la protection. De Dieu même, il jouissait des biens dont il l'avait comblé. Rassasié bientôt de tous ces plaisirs, devenu insolent par la satiété, il préféra à une beauté intellectuelle ce qui paraissait agréable aux yeux de la chair, et il regarda la satisfaction des sens comme plus précieuse que les jouissances spirituelles. Il fut donc aussitôt chassé du paradis, exclus d'une vie bienheureuse, étant devenu méchant, non par nécessité, mais car son imprudence. Ainsi il a commis le péché par un effet de sa volonté perverse, et il est mort par une suite du péché : car la solde du péché est la mort (Rom 6,23). Autant il s’éloignait de la vie, autant il approchait de la mort. Dieu est la vie, la mort est la privation de la vie : Adam s'est donc procuré la mort en se séparant de Dieu, selon ce qui est écrit : Ceux qui s'éloignent de vous périront (Ps 72,27). Ainsi Dieu n'a pas créé la mort, mais c'est nous-mêmes qui nous la sommes attirée par nos dispositions perverses. Cependant il n'a pas empêché notre dissolution pour notre propre avantage, pour ne pas éterniser notre faiblesse, en nous laissant vivre éternellement : comme si quelqu'un refusait d'approcher du feu un vase d'argile fêlé, jusqu'à ce qu’il remédiât à ce vice de son altération, en le refondant de nouveau. Mais pourquoi, dira-t-on, Dieu en nous créant ne nous a-t-il pas faits impeccables, de sorte que nous rie pourrions pécher quand même nous le voudrions ? c'est que vous-même vous ne regardez pas vos serviteurs comme affectionnés pour vous lorsqu'ils sont enchaînés par la force, mais lorsqu'ils remplissent volontairement leur devoir. Ce ne sont donc pas les actions forcées qui sont agréables à Dieu, mais les actions fruits de la vertu. Or la vertu vient de la volonté et non de la nécessité. La volonté dépend de ce qui est en nous, et ce qui est en nous est le libre arbitre. Celui donc qui se plaint du Créateur, parce qu'il ne nous a point rendus impeccables, annonce par cela même qui il préfère une nature dépourvue de raison à une nature raisonnable, une nature insensible et dénuée de passions à une nature clouée de vouloir et d'activité. Je me suis permis cette digression qui m'a paru nécessaire, de peur que, vous jetant dans un aldine de pensées inutiles, vous n'ajoutiez la privation de Dieu à celle des objets de vos désirs. Cessons donc de vouloir corriger la sagesse suprême. Cessons de chercher quelque chose de mieux que ce qu'elle a fait. Si les raisons des détails de son gouvernement nous échappent, que ce principe du moins reste gravé dans nos âmes, que rien de mauvais ne peut venir de l’Etre bon. Un objet qui tient à ce que nous venons de dire, c'est la question faite sur le démon. D'où vient le démon, si le mal ne vient pas de Dieu ? Que dirons-nous à cela ? La raison que nous avons donnée pour expliquer la perversité de l'homme, suffira pour ce qui regarde le démon. Comment l'homme est-il pervers ? par un effet de sa volonté propre. Comment le démon est-il méchant ? par la même cause, puisqu'il était doué lui-même de la liberté, et qu'il avait en lui le pouvoir de rester fidèle au Très-Maut, ou de se séparer de l'Etre bon. L'ange Gabriel est sans cesse présent devant Dieu (Luc 19). Satan était ange, et il est tombé de son rang sublime. La volonté a conservé l'un dans sa place élevée, le libre arbitre a précipité l'autre. Celui qui s'est maintenu pouvait manquer : l’autre pouvait ne pas tomber. La charité divine dont il était insatiable a sauvé l'un : la révolte contre Dieu a réprouvé l'autre. Le vrai mal est d’être séparé de Dieu. Une légère conversion de nous fait communiquer avec le soleil ou avec l’ombre de notre corps. Si nous tournons nos regards en haut, nous sommes sur-le-champ éclairés; si nous les abaissons vers l’ombre, nous sommes nécessairement dans les ténèbres. Ainsi le démon est méchant par sa volonté, sans que sa nature fût essentiellement opposée à l’Etre bon. Pourquoi donc est-il en guerre avec nous ? c’est qu'étant le réceptacle de toute malice, il a reçu la passion de l'envie qui l'a rendu jaloux de mes prérogatives; il n'a pu supporter de nous voir mener une vie exempte de douleur, dans un lieu de délices. Trompant l’homme par ses artifices et par ses ruses, abusant, pour le séduire, du désir qu'il avait d'être semblable à Dieu, il lui montra l’arbre, et lui promit de le rendre semblable à Dieu s’il mangeait de son fruit. Si vous mangez du fruit de cet arbre, lui dit-il, vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal (Gen 3,5). Le démon n’a donc pas été créé notre ennemi, mais il l'est devenu par la jalousie qu'il nous portait. Comme il se voyait lui-même précipité du rang des anges, il ne put voir sans douleur un être terrestre qui, par sa vertu, s'élevait à la dignité angélique. Puis donc que le démon est devenu notre ennemi, Dieu a mis en nous une opposition avec cet esprit impur, en lui faisant cette menace par le discours qu'il adresse au serpent dont il avait emprunté l’organe : Je mettrai une inimitié entre loi et la rare de la femme (Gen 3,15). Les liaisons avec les méchants sont vraiment nuisibles, d'autant plus que c’est une loi de l'amitié de se rapprocher de ses amis par la ressemblance. Il est donc bien vrai de die que les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (I Cor 15,33). Et comme dans des lieux malsains, l'air qu'on respire cause insensiblement une maladie à ceux qui les habitent, de nième le commerce des médians porte de grands préjudices aux âmes, quoiqu'on ne s'en aperçoive pas aussitôt. C'est pour cela que le serpent a été déclaré notre ennemi irréconciliable. Mais si l'organe qu'a emprunté le démon est digne d'une si grande haine, combien ne devons-nous pas être animés contre le démoli lui-même qui a agi par son ministère ? Mais pourquoi, dit-on, existait-il dans le paradis un arbre par le moyen duquel le démon de oit, réussir dans ses entreprises contre nous s'il n avait pas eu cet appât pour ses artifices, continent nous eût-il entraînés dans la mort par la désobéissance ? C'est qu’il fallait que notre obéissance fût éprouvée par un précepte. C'est pour cela que l’arbre produisait de très-beaux fruits, afin que montrant notre tempérance par l’abstinence du plaisir, nous puissions mériter la couronne de la persévérance. En mangeant du fruit de l'arbre, Adam et Eve non-seulement violèrent le précepte, mais ils reconnurent leur nudité. Dès qu’ils eurent mange, dit l'Ecriture, leurs yeux jurent ouverts, et ils reconnurent qu'ils étaient nus (Gen 3,7). L'homme innocent ne devait pas reconnaître sa nudité, de peur que son esprit, distrait par ce besoin, occupé à imaginer des vêtements pour y remédier, ne fût détourné par les soins du corps de la contemplation de Dieu. Mais pourquoi n'a-t-il pas été créé tout vêtu et tout habillé ? C’est que ni les vêtements naturels, ni ceux de l'art ne pouvaient lui convenir. Les vêtements naturels sont particuliers aux brutes, tels que les plumes, les poils, l'épaisseur des peaux qui peuvent mettre à l'abri des froids de l'hiver et des chaleurs de l'été. En cela les animaux ne sont pas distingués les uns des autres, ils ont été tous également bien traités par la nature. Capable d'aimer Dieu, l'homme devait recevoir des avantages d'un ordre bien supérieur. Les occupations de l'art auraient été pour lui une occasion de perdre du temps, ce qu'on devait éviter, comme lui étant une chose nuisible. C'est pour cela que le Seigneur voulant nous rappeler à la vie du paradis terrestre, chasse de nos âmes toute inquiétude. Ne vous inquiétez point, nous dit-il, ou vous trouverez de quoi manger pour soutenir votre vie, ni d'où vous aurez des vêtements pour couvrir votre corps (Matth. 6, 25.). L'homme ne devait donc avoir ni les vêtements de la nature, ni ceux de l'art : mais d'autres lui étaient préparés s'il signalait sa vertu, qui devaient briller en lui par la grave divine, qui devaient l'embellir, comme les anges, d'une parure éclatante, laquelle effacerait la beauté des fleurs et la splendeur des astres. C'est pour cela qu'il n'a point reçu de vêtements au moment de sa création, parce qu'ils étaient des prix réservés à sa vertu, que les embûches du démon ne lui ont pas permis d’obtenir . Le démon est donc notre adversaire, parce que cet esprit impur avant causé dans l'origine notre chute par ses artifices, le Seigneur a réglé que nous serions en guerre avec lui, afin que renouvelant le combat, nous puissions triompher, par notre obéissance, de cet ennemi irréconciliable. Il serait à désirer que le démon n’eût existé jamais, qu'il fût resté dans le rang où il avait été placé d'abord par le Souverain du ciel. Mais ayant abandonné son poste sublime il est devenu ennemi de Dieu, ennemi des hommes faits à l’image de lieu. C'est pour cela qu’il ne cesse de haïr les humains et de combattre le Très-Haut. Il nous hait comme l’héritage du Maître suprême, il nous hait confine les images d'un Pieu qu’il déteste. Aussi le sage et prévoyant Ordonnateur des choses humaines s'est-il servi de sa méchanceté pour exercer nos âmes, comme un médecin se sert du venin de la vipère pour composer de salutaires remèdes. Quel est donc le démon ? quel est son rang ? quelle est sa dignité ? pourquoi enfin est-il appelé Satan ? Il est appelé Satan parce qu'il est opposé à l’Etre bon. C'est ce que signifie le mot hébreu, comme nous l’apprenons dans les livres des Rois. Le Seigneur, dit l'Ecriture, suscita à Salomon un Satan (c'est-à-dire un ennemi ), Ader, roi des Syriens (2) (3. Rois 11. 14). Il est appelé Diable, c'est-à-dire calomniateur, parce qu’il nous jette dans le péché en même temps qu'il nous accuse; parce que se réjouit de notre perte et qu'il insulte à nos fautes. Sa nature est incorporelle, selon ce que dit l'Apôtre : Nous n'avons pas à combattre contre des hommes de chair et de sang, mais contre des esprits de malice (Ep 6,12). Sa dignité est celle de commandant et de prince : Nous avons à combattre, dit le même saint Paul, contre les principautés, contre les puissances, contre les princes de ce monde, les princes de ce siècle ténébreux (Ep 2,2). Le lieu de sa principauté est dans l’air, comme dit le même apôtre : Selon le prince des puissances de l’air, cet esprit qui exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de l'incrédulité (Ep 2). C'est pour cela qu'il est aussi appelé le prince du monde, parce que son empire est autour de la terre. Ecoutons le Seigneur lui-même : C'est maintenant, dit-il, que le monde va être jugé; c'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors (Jn 12,31). Et ailleurs : Le prince de ce monde eu venir, et il ne trouvera rien en moi qui lui appartienne (Jn 14,30). Puisqu'en parlant de l'armée du démon, saint Paul dit que ce sont des esprits de malice répandus dans le ciel, il est bon de savoir que l'Ecriture a coutume de donner le nom de ciel à l'air : par exemple, les oiseaux du ciel (Mt 6,26); et ailleurs, ils montent jusqu'aux cieux (Ps 106,26), c'est-à-dire, ils s'élèvent fort haut dans l'air. C'est pour cela que le Seigneur a vu Satan tombé du ciel comme un éclair (Luc 10,18), c'est-à-dire, tombé de son propre empire et étendu en bas, afin qu’il soit foulé aux pieds par ceux qui espèrent en Jésus-Christ : car le Seigneur a donné a ses disciples le pouvoir de fouler aux pieds les serpents, les scorpions et toute la puissance de l'ennemi (Luc 10,19). Depuis donc que la tyrannie odieuse du démon a été chassée de son empire, et que les lieux circonvoisins de la terre ont été purifiés par la Passion salutaire de celui qui a pacifié ce qui est sur la terre et dans le ciel (Col 1,20), le royaume des cieux nous est prêché; Jean-Baptiste dit : Le royaume des cieux approche (Mt 3,2); le Seigneur prêche partout l'Evangile du royaume (Mt 4,23); les anges s'écrient : Gloire au plus haut des cieux et paix sur la terre (Luc. 14); ceux qui reçoivent notre Seigneur en triomphe dans Jérusalem, s'écrient aussi : Paix dans les cieux et gloire dans les lieux très-hauts (Luc 19,38). Et en. général, il est mille cris de victoire qui annoncent la destruction entière de notre ennemi, et qu'il ne nous reste plus dans les lieux supérieurs de combat à livrer, ni d'adversaire qui nous éloigne de la vie bienheureuse; mais que par la suite nous serons constitués dans un état paisible, que nous jouirons pour toujours du bois de vie auquel les ruses du démon nous ont empêché de participer dès le commencement : car Dieu a placé une épée de feu pour défendre d'approcher du bois de vie (Gen 3,24). Puissions-nous franchir le passage sans obstacle, entrer dans les cieux, et y jouir des biens éternels en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans tous les siècles ! Amen. (1) Ader n'était pas roi des Syriens, mais Iduméen de la race royale. Saint Basile a cité le passage de mémoire, et sa mémoire l'a trompé.
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