LIVRE 2

CHAPITRE I

Tout baptisé du baptême qui est dans l’évangile de notre Seigneur Jésus Christ doit-il être mort au péché et vivre pour Dieu dans le Christ Jésus ?

Si nous tous, qui aspirons au royaume de Dieu, nous prétendons, pareillement et nécessairement, à la grâce du baptême, selon la sentence du Seigneur qui a dit : «Quiconque ne naît pas de l'eau et de l'Esprit ne peut entrer dans le royaume de Dieu», tous alors, nous devons pareillement nous régler sur la même doctrine du baptême, doctrine que l'Apôtre, à l'intention générale de tous ceux qui ont été baptisés, formule ainsi : «Ignorez-vous, frères, que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous marchions de même nous aussi dans une vie nouvelle», etc. Et dans un autre passage, il nous transmet de manière plus impressionnante et plus claire un enseignement identique : «Vous tous, dit-il, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a pas de Juif ni de Grec, pas d'esclave ni d'homme libre, pas d'homme ni de femme, car tous, vous n'êtes qu’un dans le Christ Jésus.» De façon semblable, il affirme encore, s'adressant à tous : «C'est dans le Christ que vous avez reçu la circoncision, non pas une circoncision faite de main d'homme, mais celle qui consiste à dépouiller le corps de la chair pécheresse, la circoncision du Christ. Ensevelis avec lui par le baptême, avec lui aussi vous êtes ressuscités par la foi.» Par conséquent, toute personne qui a été baptisée du baptême de l'Evangile doit vivre selon l'Evangile, comme l’indique encore cette autre déclaration : «Je l'atteste à nouveau, tout homme qui se fait circoncire doit accomplir la Loi tout entière.»
Il en résulte donc clairement que tous ceux qui ont été baptisés, ainsi qu'il est écrit, dans l'unique baptême sont également tenus, en se proportionnant à celui qui est mort et ressuscité pour nous, d'accomplir ce qu’a écrit l'Apôtre lui-même : «L'amour du Christ nous étreint à la pensée que si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts; et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux.» Si, en effet, celui qui a subi la circoncision selon Moïse sur une partie de son corps est tenu d'accomplir la Loi tout entière, combien davantage celui qui a subi la circoncision selon le Christ, qui consiste, ainsi qu'il est écrit, à dépouiller le corps entier de la chair pécheresse, est-il tenu d'accomplir le mot de l'Apôtre : «Moi je suis crucifié au monde, et le monde est crucifié pour moi. Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !»
C'est pourquoi celui qui par le baptême s'est vraiment plongé dans la mort du Christ, selon la doctrine de l'Apôtre, celui-là s'est aussi fait mourir lui-même au monde; mais il s'est fait mourir bien davantage au péché, selon ce qu'a dit le même Apôtre dans son discours sur le baptême : «Notre vieil homme a été crucifié (avec le Christ), afin d'annihiler notre corps de péché, pour que nous ne soyons plus asservis au péché.» De plus, il s'est engagé par un pacte inviolable à suivre en tout le Seigneur, c'est-à-dire à vivre tout entier pour Dieu, en accomplissant entièrement ce qu’a dit l'Apôtre, tantôt : «Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu à offrir vos corps en victime vivante, sainte, agréable à Dieu : c'est le culte raisonnable que vous avez à rendre», etc.; tantôt : «Que le péché cesse donc de régner sur votre corps mortel pour vous faire obéir à ses convoitises. Cessez de faire de vos membres des instruments d'injustice au service du péché. Offrez-vous au contraire à Dieu tels des morts revenus à la vie et faites de vos membres des instruments de justice au service de Dieu.»
Je le répète, lorsqu'il s'agit de ces dogmes et de dogmes semblables : «Il n'y a pas de Juif ni de Grec, pas d'esclave ni d'homme libre, pas d'homme ni de femme, car tous, vous n'êtes qu'un dans le Christ Jésus.» Ainsi tous, comme un seul homme, nous deviendrons dignes d'entendre : «Viens, bon serviteur; en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton Seigneur.» De ce bonheur nous serons jugés dignes, si chacun de nous, au poste où il a été appelé et qui lui a été assigné, fait fructifier par un surcroît d'application et un zèle diligent le don spirituel qu'il a reçu en partage, ainsi qu'il est écrit. Chapitre II

Est-il sans danger, quand on n'a pas le coeur purifié de mauvaise conscience, d'impureté ou de souillure, de remplir les fonctions sacerdotales ?

Est-il sans danger, quand on n'a pas le coeur purifié de mauvaise conscience, d'impureté ou de souillure, de remplir les fonctions sacerdotales ? Moïse, donnant une règle aux gens de son temps pour faire réfléchir ceux du nôtre a, écrit dans la Loi qu'il a reçue de Dieu : «Le Seigneur s'adressa à Moïse et lui dit : Parle ainsi à Aaron : Nul de tes descendants, à quelque génération que ce soit, s'il a une disgrâce en sa personne, ne s'approchera pour présenter les offrandes destinées à son Dieu, car aucun homme ne doit s'approcher s'il y a en lui une disgrâce.» Et dans la suite de son texte, il explique la disgrâce. Il ne s'approchera pas, s'il doit s'adjoindre des membres étrangers, ni s'il a fracturé, fût-ce partiellement, l'un de ses propres membres c, moins parce que cette fracture empêche l'aisance dans l'action que parce qu'elle porte atteinte à la bonne apparence ou à l'intégrité.
De son côté, le Seigneur disant : «Il y a ici plus grand que le temple» nous enseigne qu'oser, dans ces conditions, exercer les fonctions sacerdotales se rapportant au corps du Christ, qui s'est livré pour nous comme offrande et victime à Dieu en parfum d'agréable odeur, serait une impiété d'autant plus grave que le corps du Fils seul-engendré de Dieu est supérieur à celui des béliers et des taureaux; et cette supériorité ne résulte pas d’une comparaison, car elle est incomparable.
Eh bien ! la disgrâce ou la mutilation, on ne l’observe pas aujourd'hui sur les membres du corps; c'est sur les actes justes demandés par la piété évangélique qu’on peut la reconnaître, lorsque le précepte est exécuté de façon contraire à la raison, ou incomplète, ou ne pouvant plaire à Dieu, parce que l'intention humaine, telle une cicatrice ou une lèpre, apparaît sur le précepte. Il est donc nécessaire en tout temps, mais surtout au moment de célébrer un mystère si grand et d'une telle nature, d'observer la recommandation de l'Apôtre qui a dit : «En possession de ces promesses, bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevons de nous sanctifier dans la crainte de Dieu. Ne donnons en rien aucun sujet de scandale, de peur que notre ministère ne soit décrié; affirmons-nous en tout comme des ministres de Dieu.»
C'est ainsi que l'on se rend digne de célébrer les mystères sacrés du Seigneur selon l'évangile de Dieu.


Chapitre III

Est-il sans danger, lorsqu'on n'est pas purifier de toute souillure de la chair et de l'esprit, de manger le corps du Seigneur et de boire son sang ?

Dans la loi, Dieu a fixé le châtiment le plus élevé à l'encontre de celui qui oserait, en état d’impureté, toucher aux choses saintes. Car il est écrit, en figure pour les gens de ce temps-là, mais pour nous donner à nous matière à réflexion : «Le Seigneur parla a Moïse en ces termes : Dis à Aaron et à ses fils de prendre garde aux offrandes saintes des fils d'Israël. Ainsi ils ne profaneront pas mon nom saint en ce qui concerne les choses qui me sont consacrées par ce peuple. C'est moi le Seigneur. Dis-leur : Tout homme à travers vos générations, dans toute votre descendance, qui s’approcherait des offrandes saintes que les fils d’Israël consacrent au Seigneur, alors que son impureté est sur lui cet homme-là sera retranché de ma présence. C’est moi le Seigneur.» Que dirons-nous alors à l’encontre de celui qui oserait en cet état s'approcher d'un mystère st grand et d'une telle nature ? D'autant, en effet, ce qui est ici l'emporte sur le temple, selon le mot du Seigneur, d'autant le fait d'oser toucher au corps du Christ avec une âme souillée est plus grave et plus redoutable que de toucher aux béliers ou aux taureaux.
L'Apôtre l'a dit : «Qui mange le pain ou boit le calice du Seigneur indignement sen coupable à l'égard du corps et du sang du Seigneur.» Et il rend sa condamnation plus forte et en même temps plus redoutable en la répétant : «Que chacun, affirme-t-il, s'examine soi-même, avant de manger de ce pain et de boire à ce calice; car celui qui mange et qui boit indignement mange et boit sa condamnation, s'il ne discerne pas le corps et le sang du Seigneur.» Or si celui qui s'est trouvé en simple état d’impureté – et le caractère propre de l'impureté, la Loi nous l'enseigne en figure – encourt une condamnation si redoutable, combien il s'attire une condamnation plus grave celui qui étant dans le péché se comporte insolemment envers le corps du Seigneur !
Purifions-nous donc de toute souillure à la différence entre la souillure et l'impureté apparaît clairement aux gens sensés – avant de nous approcher des choses saintes. Ainsi nous éviterons la condamnation frappant les meurtriers du Seigneur, car «quiconque mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable à l'égard du corps et du sang du Seigneur», et nous obtiendrons la vie éternelle, comme l'a promis celui qui ne trompe pas, notre Seigneur et notre Dieu Jésus Christ. Ce bonheur nous sera donné à condition qu'en mangeant et en buvant nous nous souvenions de lui, qui est mort pour nous, et que nous observions la sentence de l'Apôtre qui a dit : «L’amour du Christ nous étreint à la pensée que si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts; et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux»; et c’est à cela que nous nous sommes engagés en recevant le baptême.


Chapitre IV

Devons-nous accorder foi et obéissance à toute parole de Dieu, dans la pleine assurance qu'elle exprime la vérité, même s'il nous arrive de trouver une parole ou une action, soit du Seigneur lui-même, soit des saints eux-mêmes, paraissant la contredire ?

Sans doute cette question est-elle tout à fait indigne de quiconque a accepté de confesser que notre Seigneur Jésus Christ est le Fils seul-engendré du Dieu vivant, celui grâce à qui fut créé l'univers visible et invisible, dont la parole exprime ce qu'il a entendu de son Père. Cependant, c'est une nécessité pour nous d'y répondre et d'obéir à l'apôtre qui a écrit : «Vous serez prêts à vous justifier devant toute personne qui vous demande raison de la foi qui est en vous.»
Et pour éviter de jeter un doute dans l'esprit des auditeurs si nous disons quelque la parole Dieu chose de notre propre fonds, mentionnons cette déclaration du Seigneur lui-même : «En vérité, en vérité, je vous le dis, pas un iota, pas un trait de lettre ne passera de la Loi avant que tout ne soit accompli»; et ceci encore : «Il est plus facile que le ciel et la terre passent que ne tombe un seul trait de lettre de la Loi.» Or, s'il y a ici plus que Salomon et plus que Jonas, il est logique de dire qu'il y a également ici plus que Moïse. De fait, l'Apôtre après avoir évoqué la gloire de Moïse, gloire inaccessible aux Israélites, la compare à celle de notre Seigneur Jésus Christ, et il ajoute : «Non, ce qui a été glorifié en ce premier ministère n'est pas gloire à côté de la gloire suréminente; car si ce qui doit prendre fin s’est manifesté avec gloire, combien plus ce qui demeure est-il glorieux !» A ce point, et quoique le texte qui vient d'être cité nous apprenne à reconnaître et à confesser, dans une foi qui n'hésite pas, la parole de l’Evangile comme la plus sûre, mentionnons pourtant encore cette déclaration du Seigneur lui-même : «Le ciel et la terre passeront; mes paroles, elles, ne passeront pas.»
Eh bien donc ! les paroles du Seigneur, plus que tout, suffiraient à établir nos coeurs dans l'Esprit saint et hégémonique pour qu'ils soient fermes et exempts de doute à l'égard de toute parole sortant de la bouche de Dieu. Mais pour venir aussi en aide à la faiblesse de certaines personnes, il serait logique d'y joindre encore un ou deux témoignages pris parmi beaucoup d’autres. Voici donc David qui déclare : «Ils sont sûrs tous les commandements du Seigneur, fixés pour les siècles des siècles, établis dans la vérité et la rectitude.» Il déclare encore : «Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles et saint dans toutes ses oeuvres.» Et il a fait bien des déclarations de ce genre. De son côté, Jéhu a dit dans le livre des Rois : «Voyez, la parole du Seigneur ne tombera pas à terre.»
Quant à ce qui semble à certains égards se contredire, mieux apparentes vaut s'accuser soi-même, en se disant qu'on n'est pas encore arrivé à comprendre les trésors de la sagesse – il est difficile en effet d’atteindre les jugements insondables de Dieu –, plutôt que de s'exposer à être condamné comme téméraire et présomptueux et d'entendre cette parole : «Il est impie celui qui dit au roi : Tu commets l'iniquité», et : «Qui se portera accusateur contre les élus de Dieu ?» Bien que, dans la plupart des difficultés, il semble à la plupart qu'il y ait une solution claire, nous devons cependant, pour ce qui semble contradictoire, observer soigneusement ceci : quand une parole ou une action semble contredire le précepte, il faut que chacun en ce qui le concerne obéisse au précepte, sans critiquer les profondeurs de la richesse et de la sagesse, sans chercher des prétextes ou des excuses à ses péchés; telle est en effet l'attitude agréable à Dieu et exempte de périls, comme nous l'avons appris par les Ecritures divinement inspirées. Mais quand c'est un précepte qui paraît contredire un autre précepte, examinons bien les idées sous-jacentes et lisons tout le contexte; alors nous reconnaîtrons qu’il n'y a pas conflit et nous observerons chacun celui qui s'adapte à notre cas, en vue de notre vocation céleste, but auquel ils tendent l'un et l'autre, certains préceptes guérissant la maladie, les autres inspirant le progrès qui conduit à réaliser parfaitement ce qui est agréable à Dieu. Le Seigneur en effet dit tantôt : «On n’allume pas une lampe pour la cacher sous le boisseau, mais on la place sur le lampadaire où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux», et tantôt : «Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite.» Et l'on pourrait trouver bien des paroles de ce genre chez les évangélistes ainsi que chez Paul.
D'autre part, si l'ordre a été donné sans que la manière de l'exécuter soit indiquée ensuite, acceptons la parole l'un par l'autre du Seigneur : «Scrutez les Ecritures !» Imitons les apôtres qui ont demandé au Seigneur lui-même de leur expliquer ce qu'il venait de dire b, et apprenons de lui, en nous reportant à ce qu'il a dit ailleurs, la vérité et le salut. Par exemple, en ce qui concerne le précepte : «Faites-vous des trésors dans le ciel c », nous sommes instruits par les ordres donnés au jeune homme, puisque le Seigneur en personne lui a dit : «Vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel d », et qu'il a adressé d’autre part cette parole à ceux qui désiraient recevoir en héritage le royaume des cieux : «Soyez sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père céleste de vous donner le royaume. Vendez ce que vous possédez et donnez-le en aumône. Faites-vous des bourses qui ne vieillissent pas, un trésor qui ne vous manque jamais dans les cieux.»
Enfin, au cas où l’observation du précepte, qui est notre gloire, nous ferait courir un danger, rappelons-nous l'Apôtre qui a dit : «Plutôt mourir que de me voir privé de ma gloire», et qui a déclaré dans un autre passage avec plus d’ampleur : «Qui nous séparera de l'amour du Christ ? Tribulations, angoisse, persécutions, faim, nudité, dangers, glaive ?» etc., nous apprenant ainsi avec plus de force à observer les commandements. Donnons une preuve plus éclatante de notre amour pour notre Seigneur qui a déclaré : «Si quelqu'un m'aime, il gardera mes commandements», et qui a souvent parlé de la façon. Quant au reste, imitons l’Apôtre et disons : «Ô profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont insondables et impénétrables ses voies ! Qui a connu la pensée du Seigneur», descendu des cieux pour nous annoncer les paroles de son Père ? Il est nécessaire et salutaire de croire en lui, comme les enfants croient en leurs parents et les petits écoliers en leurs maîtres, car telle est la parole de notre Seigneur Jésus Christ lui-même : «Si quelqu'un n'accueille pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, non certes, il n'y entrera pas.»


Chapitre V

La désobéissance à toute parole (de Dieu) mérite-t-elle colère et mort, même si la menace n'est pas jointe à chaque cas particulier de désobéissance ?

La question de savoir si la désobéissance à une parole quelconque mérite la colère et la mort a été traitée plus largement dans la Lettre sur la concorde. Mais pour aujourd'hui, afin de rappeler un ou deux témoignages parmi beaucoup d'autres, écoutons Jean-Baptiste qui dit : «Celui qui croit au Fils a la vie éternelle; celui qui désobéit au Fils» – et cette expression indéterminée peut tout contenir – «ne verra pas la vie; la colère de Dieu demeure sur lui.» Ecoutons d'autre part le Seigneur lui-même qui a prononcé cet aphorisme : «Pas un iota, par un trait de lettre ne passera de la Loi avant que tout ne soit accompli.» Or s'il en est ainsi en ce qui concerne la Loi, à combien plus forte raison en est-il ainsi de l'Evangile, comme le Seigneur lui-même l’a souvent confirmé.
Quant à la seconde partie de la question : «Même si la menace n'est pas jointe à chaque cas particulier de désobéissance», j'estime que, pour les croyants, il suffit de rappeler ce qu'a enseigné le Seigneur lui-même dans le passage faisant suite aux béatitudes. Dans ce passage, il a mentionné un grand nombre d'attitudes défendues, et pour les unes il a précisément ajouté la menace en disant : «Toute personne qui se mettra en colère contre son frère sera passible du jugement. Quiconque lui dira : Raca, sera passible du sanhédrin. Quiconque lui dira : Insensé, sera passible de la géhenne de feu», et plusieurs paroles de ce genre. Mais il a mentionné les autres sans ajouter de menace, par exemple quand il a dit : «Tout homme qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis dans son coeur l'adultère avec elle», et : «Moi je vous dis de ne pas jurer du tout», et peu après : «Que votre langage soit : oui oui, non non. Ce qu'on dit de plus vient du mauvais.» Et il a énuméré plusieurs fautes de ce genre sans spécifier ensuite le châtiment particulier; mais il avait fait connaître sa pensée pour tous les cas de façon plus générale, ayant déclaré par avance : «Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, non certes, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.» Et à la fin de son discours il a ajouté : «Quiconque entend ces paroles que je dis et ne les met pas en pratique sera comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable; la pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison, elle s'est écroulée et sa chute a été grande !» Et en de nombreux passages, il a fait mention de nombreuses fautes; mais pour la punition réservée à chacune, il s'est abstenu de l'ajouter, estimant suffisant ce qu'il avait dit souvent de manière générale à l'encontre de toutes.
Mais puisque les plus faibles ont besoin d'être aidés, mentionnons encore l'Apôtre. Lui-même imitant le Seigneur, a dit tantôt : «Si quelqu'un qui porte le nom de frère est impudique, cupide, idolâtre, insulteur, ivrogne ou rapace, il ne faut même pas manger en compagnie d'un tel homme», tantôt : «Ne vous mentez pas les uns aux autres», une autre fois : «Colère, emportement, cris, médisance, que tout cela soit extirpé de chez vous ainsi que toute méchanceté», et souvent il a dit beaucoup de paroles de cette sorte sans ajouter la menace. Mais d'autres fois, dans une pensée plus générale, il ajoute aussi la punition. C’est ainsi qu'il a dit : «Ne vous y trompez pas : ni impudiques, ni efféminés, ni infâmes, ni voleurs, ni cupides, non plus qu'ivrognes, insulteurs, rapaces n'hériteront du royaume de Dieu.» Et il écrit avec plus d'ampleur dans un autre texte : «De même qu’ils n'ont pas jugé raisonnable de garder la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leur esprit déraisonnable pour faire ce qui ne convient pas : remplis d'injustice de toute sorte, de méchanceté, de cupidité, de malice, pleins d'envie, de meurtre, de dispute, de fourberie, de malignité, délateurs, diffamateurs, ennemis de Dieu, insulteurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, sans piété filiale, sans intelligence, sans fidélité à la parole donnée, sans coeur, sans respect des trêves, sans miséricorde; connaissant bien pourtant l'arrêt de Dieu qui déclare dignes de mort ceux qui commettent de telles actions, non seulement ils les font, mais encore ils approuvent ceux qui les commettent. Aussi es-tu sans excuse, homme, qui que tu sois, qui juges; lorsque tu juges autrui, tu te condamnes toi-même, car tu commets les mêmes actions, toi qui juges.» Et en maint passage, l'Apôtre s'exprime de façon semblable.
Ces paroles montrent que, même si à considérer les choses en détail on ne voit point la menace du châtiment épinglée à chaque espèce de transgression, nous devons nécessairement reconnaître que par une nécessité inévitable celui qui viole, ne serait-ce qu'un seul commandement, est soumis à la sentence générale. Notre Seigneur Jésus Christ, en effet, a prononcé : «Celui qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a qui le juge; la parole que j'ai fait entendre, c'est elle qui le jugera au dernier jour» etc., et c'est une perspective plus redoutable. De son côté, Jean-Baptiste, le plus grand des hommes, donne en forme d'aphorisme ce témoignage : «Celui qui désobéit au Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui.» L'Ecriture divinement inspirée procède habituellement de la manière qui vient d'être dite, même dans l'Ancien Testament, car, par l'intermédiaire de Moïse, qui a écrit un grand nombre des prescriptions de la Loi sans indiquer à côté la menace à l'encontre de celui qui les violerait ou les négligerait, elle a ajouté, à l’encontre de tous, cette malédiction générale, source première du châtiment le plus terrible : Maudit soit quiconque ne demeure pas fidèle à tout ce qui est écrit dans le livre de cette loi !» Et dans un autre passage elle affirme : «Maudit soit tout homme qui fait avec négligence l'oeuvre du Seigneur.»
Or, s'il est maudit celui qui fait cette oeuvre avec négligence, que mérite alors celui qui ne la fait pas ?

Chapitre VI

La désobéissance réside-t-elle dans l’exécution d'une chose défendue, ou bien est-elle aussi dans l'omission d'une chose approuvée ?

Concernant le jugement à porter sur cette question, c'est notre Seigneur Jésus Christ qui nous donne la garantie la plus forte; pour repousser l'erreur entrée par avance dans nos âmes et les fixer a dans une foi vigoureuse, il a bien voulu nous enseigner la crainte de ses jugements non seulement par des paroles, mais encore par des exemples; il savait que les faits mettent dans l'esprit une plus ferme assurance de la vérité.
Il dit pour commencer : «Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, non certes, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux b», et après avoir développé cet enseignement dans tout le chapitre, il ajoute cette déclaration, accompagnée d'un exemple : «Quiconque entend les paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique sera comparé à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont brisés contre cette maison. Elle s'est abattue et sa chute a été grande.» Il a dit encore : «Un homme avait un figuier planté dans sa vigne; il alla y chercher du fruit, mais n'en trouva point. Il dit alors au vigneron : Voici trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n'en trouve pas, coupe-le. A quoi bon lui faire occuper inutilement le terrain ?»
Dans un autre passage, il met en plus grande lumière cette condamnation en disant : «Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.» Et la raison qu'il ajoute n’est pas l'exécution d'une action défendue mais l’omission d'une action approuvée : «J'ai eu faim, dit-il, et vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire», etc. Et on pourrait trouver beaucoup de paroles semblables pour montrer qu'ils ne sont pas seuls à mériter la mort ceux qui exécutent des actions mauvaises et pour qui précisément a été préparé le feu qui ne s'éteint pas; avec eux sont condamnés aussi ceux qui s'abstiennent des bonnes actions et même ceux qui les font avec négligence, car il est écrit : «Maudit soit tout homme qui fait avec négligence l'oeuvre du Seigneur.»
Mais il serait temps de rappeler aussi les paroles que Jean adressait à ceux qui avaient reçu par le baptême le pardon de leurs fautes : «Race de vipères, qui vous a suggéré de fuir la colère qui vient ? Produisez donc des fruits dignes de votre conversion. Et ne croyez pas pouvoir dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père, car, je vous le dis, des pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres. Tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit est coupé et jeté au feu.»
Chacun de ces témoignages montre non pas l’exécution d'un acte mauvais, mais la non-exécution de l'oeuvre de justice exigée par la piété. Si en effet «est maudite toute personne qui fait avec négligence l’oeuvre du Seigneur», parce qu'elle n'y a pas mis l’empressement convenable, combien davantage sont maudits ceux qui n'ont accepté en aucune façon de faire le bien. Et c'est à juste titre qu'ils s'entendent dire : «Allez-vous en loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.»
Ainsi tout montre qu'il nous faut nécessairement une plus grande hâte, un zèle sans hésitation, ainsi qu’une volonté bonne et inébranlable, lorsque notre Seigneur Jésus Christ commande, pour mériter nous aussi d’être proclamés bienheureux, selon cette parole de notre Seigneur Jésus Christ lui-même, le Fils seul-engendré du Dieu vivant : «Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.»

Chapitre VII

Est-il possible, est-il bien vu et bien accepté de Dieu qu'un esclave du péché fasse une action juste selon la règle de la piété observée par les saints ?

Dans l'Ancien Testament, Dieu déclare : «Si le pécheur sacrifie un veau, il est comme celui qui tuerait un chien; s'il offre de la fleur de farine, c'est comme s’il offrait du sang de porc»; (Is 66,3) il s'est montré non moins rigoureux dans sa législation concernant ce qu'on offre en sacrifice, et il a établi pour les contrevenants un jugement redoutable. Voyons d'autre part le Nouveau Testament. Notre Seigneur Jésus Christ a dit de sa propre bouche dans les évangiles : «Celui qui fait le péché est esclave du péché,» – «on ne peut servir deux maîtres», «vous ne pouvez servir Dieu et Mammon», et il a prononcé de la manière la plus claire : «Ainsi, quiconque parmi vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple.» Or, si la sentence est telle à propos des choses indifférentes, qu'en sera-t-il de celles qui sont défendues ? Il a dit aussi par la bouche de l'Apôtre : «Ne formez pas d'attelage disparate avec les infidèles. Quelle association peut se faire entre la justice et l’iniquité ? Quelle union entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Béliar ? Quelle part le fidèle a-t-il avec l’infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ?» Il est donc démontré que cette action est tout à fait impossible, qu’elle déplairait à Dieu et serait dangereuse pour celui qui s'y risquerait.
C'est pourquoi je vous exhorte à suivre l’enseignement du Seigneur : rendons l'arbre bon et son fruit sera bon; purifions d'abord l'intérieur de la coupe et du plat, et alors l'extérieur tout entier sera pur. Laissons-nous aussi instruire par l'Apôtre : purifions-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, et puis achevons de nous sanctifier dans l'amour du Christ, afin que Dieu puisse se complaire en nous et que le Seigneur nous fasse bon accueil dans le royaume des cieux.

Chapitre VIII

L'exécution des commandements est-elle bien accueillie de Dieu si elle se fait en désaccord avec un commandement de Dieu ?

Sur cette question, nous trouvons un enseignement clair et une sorte de canon applicable à tout cas du même genre dans l'Ancien Testament, qui déclare comme parole sortant de la bouche de Dieu : «Si tu as présenté correctement ton offrande, mais si tu ne l'as pas correctement partagée, tu as péché. Cependant sois tranquille :tu as le moyen de détourner ce mal.» Ainsi, non seulement l'offrande qui a été présentée en violation des règles ne peut être accueillie mais encore elle vous est imputée à péché, si vous la présentez dit cette manière. De même, on peut apprendre de l’Apôtre le canon inviolable de la piété applicable à tous les cas en général. Prenant comme exemple un fait humain, il a dit en effet : «Quand on pratique la lutte, on n'est pas couronné si on ne lutte pas selon les règles.» On peut encore, et avec une crainte plus grande, rappeler à la mémoire notre Seigneur Jésus Christ lui-même, qui a établi une règle lorsqu'il a dit : «Bienheureux ce serviteur que le maître à son retour trouvera agissant ainsi.» Par cet «ainsi», en effet, il a montré que celui qui n'agit pas «ainsi» est exclu de la béatitude, comme on peut l'apprendre exactement et en avoir pleine assurance d'après bon nombre de récits et de paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament. Or, le «pas ainsi» est une transgression relative soit au lieu, soit au temps, soit à la personne, soit à l'objet, soit à la mesure, soit à l'ordre, soit aux dispositions intérieures.
Pour traiter la question, voyons d'abord la transgression relative au lieu. On sait que l'Apôtre a utilisé les faits bien établis dans la coutume pour exposer plus clairement ce qui convient à la piété et venir en aide aux auditeurs. Il a dit en effet : «La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c'est une honte pour l'homme de porter des cheveux longs, tandis que c’est une gloire pour la femme de les porter ainsi ?», etc. Il serait donc logique, après cela que nous aussi, nous utilisions les dispositifs bien établis par la nature pour les besoins de notre vie présente. Ainsi, le manger et le boire : ils soutiennent la vie, mais quel homme sensé accepte de manger et de boire sur la place publique ? Qui accepte de jeter les graines sur le rocher ou sur la mer pour les perdre et perdre en même temps les fruits attendus ? On pourrait trouver ainsi beaucoup d’actions, qui, exécutées en violation du lieu, sont dangereuses ou condamnables.
Mais rappelons encore la parole de l'Apôtre : «Ces choses arrivaient à nos pères en figures et elles ont été écrites pour notre instruction à nous qui touchons la fin des temps.» Voyons si les actions prescrites par la loi divine en vue de la piété, tout en ayant des rapports entre elles, ne gardaient pas de façon inviolable leur caractère distinct. Pour les unes en effet, leur place était fixée à Jérusalem, et si on les faisait en dehors de cette ville, c'était à ses risques et périls; pour les autres, s'ajoutait aussi le fait que dans la ville même de Jérusalem elles n'étaient pas admises n'importe où, mais seulement dans les lieux réservés au culte divin; ce qu'on faisait dans le temple et sur l'autel, on n'osait pas le faire ailleurs dans Jérusalem, et ce qu'on faisait ailleurs, on ne le tolérait pas dans le temple. Quant à nous, soyons assurés que le commandement est en danger par transgression du lieu, principalement si nous célébrons les mystères sacerdotaux en des lieux profanes, car une telle action indique le mépris chez le célébrant, et de plus elle scandalise en beaucoup de manières, affectant l'un d'une façon, l'autre d'une autre, car si les gens sont généralement faibles dans la connaissance, ils le sont de façon différente.
Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi alors l’Apôtre a-t-il déclaré : «Je veux que les hommes prient en tout lieu ?» Le Seigneur, en effet, donne la permission de pratiquer l'adoration en tout lieu par cette parole : «L'heure vient où ce n'est ni à Jérusalem ni sur cette montagne que vous adorerez le Père.» Voici la réponse que l'on peut faire : le mot «tout» n'inclut pas les lieux réservés aux usages humains, aux activités malpropres, inspirant le dégoût, mais il ouvre à l’adoration un large champ allant de la périphérie de Jérusalem à tout lieu de la terre habitée, pourvu, évidemment, que selon la prophétie de l'offrande on consacre avec soin ce lieu à Dieu, en vue d'y accomplir les rites sacrés du glorieux mystère.
Ce n'est pas une raison, en effet, parce que nous avons entendu cette parole du prophète : «Vous serez appelés prêtres de Dieu», pour nous arroger tous le pouvoir d'exercer tel sacerdoce, ou telle liturgie; il n'est pas au pouvoir de l'un de prendre pour lui la grâce donnée à l'autre; mais chaque fidèle demeure dans les limites propres du don de Dieu, comme l'Apôtre nous l'enseigne. D'une part, en effet, s'adressant à tous il dit : «Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps en victime vivante, sainte, agréable à Dieu : c'est le culte raisonnable que vous avez à rendre. Ne vous conformez pas à ce siècle, mais transformez-vous en renouvelant votre intelligence, afin de reconnaître quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, capable de lui plaire, parfaite», d'autre part, s'adressant à chacun en particulier, il distingue clairement la liturgie qui convient à chaque fidèle et lui interdit de s’introduire dans un poste gui n'est pas le sien. Il déclare en effet : «En vertu de la grâce divine qui m'a été donnée, je dis à toute personne parmi vous : Ne vous estimez pas plus qu'il ne faut vous estimer, mais ayez de vous une sage estime, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partager.» De plus, s'inspirant du bon ordre qui maintient les parties de notre corps ajustées les unes aux autres pour nous assurer belle apparence et sécurité, il règle parmi nous le bon ordre qui plaît à Dieu dans l'amour de Jésus Christ et qui s'applique à nos relations les uns avec les autres dans la diversité de nos charismes. Il dit en effet : «De même que notre corps en son unité possède un grand nombre de parties et que ces parties n'ont pas toutes la même fonction, de même nous, si nombreux que nous soyons, nous formons un seul corps dans le Christ, dont nous sommes, chacun individuellement, partie interdépendante. Nous avons des charismes différents selon la grâce qui nous a été donnée. Si c'est la prophétie, exerçons ce charisme en proportion de notre foi, si c'est l'enseignement, enseignons, le service, servons», etc.
Or, si des fidèles qui travaillent les uns avec les autres en ayant pour seul but de plaire à Dieu et qui sont si fortement unis entre eux par leur participation commune à l'amour du Christ ne sont pas autorisés à sortir du lieu propre où s'exerce leur charisme, comment ne devons-nous pas bien davantage distinguer des lieux consacrés ceux qui sont mis à part pour des activités étrangères, voire opposées au culte ? Car tout, les passages cités et non cités de l'Ecriture inspirée de Dieu; les passages du même genre, les exemples donnés plus haut, tout doit nous apprendre que l'action accomplie en violation du lieu aboutit par un retournement à l’opposé du but fixé.
Sur la transgression relative au temps, nous pouvons écouter ces paroles de notre Seigneur Jésus Christ lui-même : «Le royaume des cieux ressemble donc à dix vierges, qui, ayant pris leurs lampes, sortirent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient sages et cinq étaient sottes. Celles qui étaient sottes prirent leurs lampes sans prendre d'huile avec elles. Les sages prirent de l'huile dans leurs fioles en même temps que leurs lampes. Comme l’époux se faisait attendre, elles s'assoupirent toutes et s’endormirent. Mais au milieu de la nuit, il y eut un cri : Voici que l'époux arrive; sortez à sa rencontre. Alors toutes ces vierges se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. Les sottes dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile car nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent : Jamais il n'y en aurait assez pour nous et pour vous. Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous-mêmes. Comme elles partaient en acheter, l’époux arriva; les vierges qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces et la porte se referma. Plus tard, les autres vierges arrivent aussi en disant : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il leur répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. Veillez donc car vous ne savez ni le jour ni l'heure.»
Lorsque, sur le même sujet, une recommandation est faite plusieurs fois, elle touche plus fortement et on y croit davantage, je le sais. C'est pourquoi, j'en présenterai encore une, tirée d'un autre passage, mais allant dans le même sens. C'est le Seigneur lui-même qui parle : «Beaucoup chercheront à entrer et n'y parviendront pas. Dès que le maître de maison sera entré et aura fermé la porte et que vous commencerez à dire : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous, alors il vous répondra : Je ne sais d'où vous êtes ! Voilà pourquoi je vous dis : Tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ne pensez pas que vient le Fils de l'homme.» Et en de nombreux passages, c'est la même recommandation.
D'autre part, s'il faut invoquer aussi le témoignage de l'Apôtre, écoutons-le rappeler la parole du prophète : «Au temps favorable je t'ai exaucé et au jour du salut je t'ai secouru», puis ajouter de son propre fonds : «Le voici maintenant le temps favorable, le voici maintenant le jour du salut.» Ecoutons-le nous dire encore : «Ainsi donc, pendant que nous en avons le temps, pratiquons le bien à l'égard de tous et surtout de nos frères dans la foi.» Et si un autre témoignage est encore nécessaire, citons David qui a dit : «C’est pourquoi tout homme pieux te priera au moment favorable», et Salomon qui a prononcé cet aphorisme concernant les temps : «Toute chose est belle en son temps.»
Passons à la transgression concernant la personne. L'Ancien Testament nous instruit à ce sujet avec l'épisode de Coré et de ses compagnons qui osèrent s'introduire dans une dignité qui ne leur avait pas été octroyée, celle du sacerdoce : ils tombèrent sous le coup d'une âpre colère qui les livra à la mort et à une destruction plus effroyable. D’autre part, le Seigneur lui-même nous apprend à nous garder de cette transgression, ayant dit à ses disciples : «Je n’ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d’Israël», et à la femme : «Il n'est pas beau de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens.»
Pour la transgression concernant l’objet, elle se produit, d'après l'Ancien Testament, toutes les fois que, malgré l'ordre donné d'offrir en sacrifice des choses pures, intactes, irréprochables, on n'apporte pas une offrande de cette sorte, désobéissance dont Dieu a dit : «Présente cela à ton maître, vois s'il en sera content, s'il agréera ta personne.» Considérons aussi le Nouveau Testament. Notre Seigneur Jésus Christ lui-même a mentionné la prophétie d'Isaïe contre les Juifs : «Isaïe, déclara-t-il, a bien prophétisé en disant de vous : Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi, c'est en vain qu'ils me rendent un culte, car ils donnent pour enseignement des préceptes humains.» D'autre part, l'Apôtre qui témoigne en faveur de la conscience des Juifs les condamne cependant, parce que leur justice s'est égarée. Voici ce qu’il écrit : «Je leur rends ce témoignage qu'ils ont le zèle de Dieu, mais c'est un zèle mal éclairé, car, méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu.»
C'est pourquoi, dans un souci sincère de plaire à Dieu, l'Apôtre, après avoir énuméré les oeuvres de justice les plus hautes qu'il avait accomplies selon la Loi, continue ainsi : «Eh bien ! tout cela, je vais jusqu'à le considérer comme un dommage au regard de ce bien suprême, la connaissance de Jésus Christ mon Seigneur. Pour lui, j'ai subi tous les dommages, je regarde tout comme balayures, quand il s'agit de gagner le Christ et d'être trouvé en lui non pas avec ma justice propre, celle qui vient de la Loi, mais avec la justice qui s'obtient pu la foi en Jésus-Christ, celle qui vient de Dieu et s’appuie sur la foi, cela, afin de le connaître», etc. Par ces paroles et des paroles semblables, il nous enseigne à nous garder bien davantage de jamais introduire la justice humaine dans la règle de notre Seigneur Jésus Christ, qui est de plaire à Dieu.
Au sujet de la transgression concernant la mesure, il suffit, je pense de citer notre Seigneur Jésus Christ. Pour marquer la différence avec la mesure de l'amour ancien, indiquée par ce mot de l'Ecriture : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», il a déclaré : «Je vous donne un commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres comme moi-même je vous ai aimés. Il n'y à pas d'amour plus grand que celui-ci, donner sa vie pour ses amis.» Et d'une façon générale, pour toutes les oeuvres de justice pareillement, on peut s'instruire auprès du Seigneur, qui a lui-même fixé cette mesure : «Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, non, certes, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux.»
Il y a transgression sur l'ordre et la succession des choses, quand on s'occupe des choses premières en second ou en troisième lieu et quand on accorde aux choses prescrites en troisième lieu la priorité sur celles qui précèdent. A son interlocuteur qui avait répondu : «Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse» le Seigneur prescrivit : «Vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, prends ta croix, puis viens et suis moi.» Ce serait violer l'ordre, si à quelqu'un qui n’a rien fait de ce qui précède, on permettait de faire ce qui vient après : «Suis-moi»; et de même, lorsque le Seigneur dit encore : «Si quelqu'un vient à moi, qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive», si on mettait l'ordre de suivre avant les ordres précédents; et de même encore, lorsque le Seigneur, après avoir longuement instruit la foule, ajoute cette conclusion : «Ainsi, quiconque parmi vous ne renonce pas à ce qu’il possède, ne peut être mon disciple», si on s’imaginait être disciple avant d'avoir observé les instructions données d'abord. Voilà pourquoi il est nécessaire d'observer ce précepte de l'Apôtre : «Que tout se fasse avec bienséance et selon l’ordre.»
Quant à la transgression relative aux dispositions intérieures, on en a un exemple, lorsque le Seigneur déclare, à propos de ceux qui font l'aumône ou quelque autre oeuvre de justice par un désir passionné de plaire aux hommes et pour se faire voir d'eux : «En vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense.» Il présente encore plus sévèrement le mal chez ceux qui exécutent ses commandements par passion humaine, lorsqu'il montre que non seulement on perd la récompense, mais que, de plus, on mérite un châtiment si on exécute l'ordre non par piété, mais par désir de plaire aux hommes ou dans quelque autre vue : plaisir, cupidité, soin des affaires – conduite que blâme aussi l'Apôtre. Lui-même, le Seigneur déclare, en condamnant plus sévèrement de tels individus : «Beaucoup viendront en ce jour-là disant : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé les démons et accompli beaucoup de miracles ? Nous avons mangé et bu en ta compagnie, tu as enseigné sur nos places. Et alors je leur répondrai : Eloignez-vous de moi, je ne sais d'où vous êtes, ouvriers d'iniquité.»
Ainsi, ces passages et d'autres semblables montrent clairement que vous avez beau opérer des charismes, accomplir les commandements, si vous n’agissez pas dans les dispositions intérieures ni pour le but enseignés – par le Seigneur quand il a dit : «Que votre lumière brille devant les hommes, de sorte qu'ils voient vos bonnes oeuvres et louent votre Père qui est dans les cieux» – et de son côté Paul parlant dans le Christ affirme : «Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu» –, alors, c'est à bon droit que vous vous entendez répondre ce qu'a répondu le Seigneur.
Cet enseignement conduisit l'Apôtre à dire : «Si je parle les langues des hommes et des anges, mais que je n'aie pas l'amour, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Si j'ai le don de prophétie, si je connais tous les mystères et toute la science, si j'ai toute la foi au point de transporter les montagnes, mais que je n'aie pas l'amour, je ne suis rien. Si je distribue tous mes biens en aumônes, si je livre mon corps aux flammes, mais que je n'aie pas l'amour, cela ne m'est d’aucune utilité.» Et ailleurs il affirme, de façon plus générale et plus forte : «Si j'en étais encore à vouloir plaire aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ.»
Et si on cherche en outre un témoignage dans l'Ancien Testament pour acquérir pleine assurance sur une telle question, voici Moïse qui déclare : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force, et tu aimeras ton prochain comme toi-même», paroles auxquelles le Seigneur ajoute : «De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les prophètes», et dont témoigne aussi l'Apôtre quand il dit : «L’amour est la plénitude de la Loi.» Que de plus, on ne reste pas impuni si on n'accomplit pas ces commandements et les oeuvres de justice qui en découlent, mais que l’on s'expose au châtiment, Moïse lui-même le crie dans cette parole : «Maudit soit quiconque ne demeure pas fidèle à tout ce qui est écrit dans ce livre.» Et David de son côté affirme : «Si j'ai médité l'injustice dans mon coeur, que le Seigneur ne me prête pas l'oreiller»; ailleurs il dit encore : «Ils seront saisis d'effroi là où il n'y avait aucun sujet d'effroi, car Dieu disperse les os de ceux qui ont voulu plaire aux hommes.»
Il faut donc beaucoup d’application et un zèle vigilant pour ne violer en aucune façon, dans l'exécution du commandement, l’une des conditions susdites, ce qui non seulement nous ferait perdre une si belle et si grande récompense, mais encore nous exposerait à des menaces si redoutables.

Chapitre IX

Faut-il m'associer aux transgresseurs de la Loi, et aux oeuvres infructueuses des ténèbres, en particulier si ces transgresseurs n'appartiennent pas au groupe qui m'a été confié ?

Est transgresseur de la Loi quiconque ne l'a pas observée intégralement ou même en a seulement violé un précepte; car, lorsque une chose manque, fût-ce une petite chose, le tout se trouve en péril. Ce qui est arrivé à peu de chose près, n'est pas arrivé. Comme celui qui mourut à peu de chose près n'est pas mort mais vivant, que celui qui eut la vie sauve à peu de chose près, n’est pas vivant mais mort et que celui qui entra à peu de chose près, n'est pas entré; témoins les cinq vierges, ainsi, celui qui a observé la Loi à peu de chose près ne l'a pas observée, mais il est transgresseur de la Loi.
Il faut donc, quand il s'agit de ceux qui transgressent la Loi, même s'ils semblent sincères, obéir à l’Apôtre. Celui-ci nous a dit, une fois : «Si quelqu'un, tout en portant le nom de frère, est fornicateur ou cupide ou ivrogne ou insulteur ou rapace, il ne faut même pas prendre de repas avec un tel homme» – et ici il faut observer que ce n'est pas le frère ayant tous ces vices ensemble qu'il a bel et bien retranché de la table commune, mais celui qui en aurait seulement un sur la totalité, car il n'a pas dit «cet homme» mais «un tel homme». Il a déclaré une autre fois : «Faites mourir vos membres terrestres : fornication, impureté, passion, désir mauvais, ainsi que la cupidité qui est idolâtrie; ces fautes attirent la colère de Dieu», et il a ajouté de façon plus générale : «sur les fils de la désobéissance; n'ayez donc pas de participation avec eux.» Et il dit encore : «Tenez-vous à l'écart de tout frère qui vit dans le désordre, et non selon la tradition reçue de nous.» Et en maints endroits, il s'exprime de même.
Pour ce qui est de «ne pas s'associer aux oeuvres infructueuses», si nous voulons savoir clairement ce que cela veut dire, examinons d'abord à quelles actions est appliqué le qualificatif «infructueux.» Est-ce seulement à celles qui sont condamnées ou bien aussi à celles qui, étant louables, ne sont pas faites dans de saines dispositions ? Ainsi dans l'Ancien Testament, le Prophète a dit au sujet des saints, en utilisant la parabole de l'arbre : «Il donnera son fruit en son temps.» Salomon affirme : «Les oeuvres des justes produisent la vie, les fruits des impies produisent le péché.» Osée déclare : «Semez en vous-mêmes pour la justice, récoltez un fruit de vie.» Michée : «Voici que la terre ira à sa destruction avec ceux qui l'habitent en raison des fruits de leurs entreprises.» Et d'autres prophètes ajoutent d'autres considérations. Eh bien ! que ces paroles brillent comme un flambeau ! Mais la lumière véritable nous est présentée plus distinctement par le soleil de la justice, notre Seigneur Jésus Christ lui-même, quand il dit : «Un bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits, ni un arbre gâté produire de bons fruits h», et autres paroles semblables.
Sachant donc que le nom de «fruits» s'applique de la même façon à des réalités opposées, il nous reste à examiner quelle sorte d'hommes sont les arbres non porteurs de fruits, quelles oeuvres, d'autre part, sont déclarées par l'Apôtre oeuvres infructueuses. Sur les arbres non porteurs de fruits, Jean-Baptiste nous donne une indication, lorsque, après avoir dit à ceux qui ont été admis au baptême pour la rémission des péchés et purifiés de toute souillure : «Produisez donc des fruits dignes de la conversion», il ajoute presque aussitôt : «Tout arbre, donc, qui ne produit pas de bon fruit est coupé et jeté au feu.» Mais l'enseignement du Seigneur répand une plus grande lumière. A ceux qui se tiennent à sa droite, il dit : «Venez les bénis de mon père; recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde», et il montre leurs bons fruits dans les paroles qui viennent ensuite. Ceux qui sont à sa gauche, au contraire, il les envoie «au feu éternel préparé pour le diable et pour ses anges». Ce qu'il leur reproche, ce n'est pas d'avoir commis le péché, mais d'avoir omis de produire de bons fruits. «J'ai eu faim, dit-il, et vous ne m'avez pas donné à manger», etc. Cette omission les a mis au rang des pécheurs appelés par le Seigneur anges du diables.
La différence entre ceux qui portent du fruit, bon ou mauvais, et ceux qui n'en portent pas ayant été ainsi mise en lumière, il nous reste à voir quelles oeuvres principalement sont déclarées par l'Apôtre, oeuvres infructueuses. Pour moi, en réfléchissant, je ne trouve pas d'intermédiaires entre celui qui exécute le commandement de façon conforme à la Loi et agréable à Dieu, celui qui commet le mal et celui qui ne fait ni l'un ni l'autre, si ce n'est ceux qui font le bien sans être agréables à Dieu en raison d'une des circonstances qui ont été dites précédemment, lorsque nous nous demandions si l'exécution du commandement est bien accueillie, quand elle se fait en désaccord avec un commandement. Or, au sujet de ces gens-là, le Seigneur déclare : «Ils ont reçu leur récompense.» Tel fut le cas des cinq vierges sottes. Le Seigneur lui-même rend à leur sujet ce témoignage qu'elles étaient vierges, qu'elles avaient apprêté leurs lampes, les avaient allumées, c’est-à-dire qu'elles avaient agi de la même façon que les vierges sages, et que, sorties à la rencontre du Seigneur, elles montrèrent en tout le même empressement que les sages; mais pour le simple manque d'huile dans leurs fioles, elles ne purent atteindre leur but, et l'accès de la salle de noces leur fut interdit.
Il en va pareillement pour la personne qui est laissée, dans le cas du couple occupé à la meule, dans le cas du couple étendu sur le même lit. Et si dans ces deux cas, le Seigneur a fait silence sur l'explication, c'est peut-être afin qu'en toute entreprise, dans le manque si léger soit-il
de ce qui convient, et en particulier du pur amour tel que l'Apôtre nous l'a enseigné, nous apprenions à reconnaître ce qui peut rendre ainsi nos oeuvres infructueuses et que nous soyons attentifs à mener sans transgression aucune et selon la règle le combat qui plaît à Dieu, en nous affirmant en tout comme ses ministres. De plus, c'est aussi pour que nous évitions de nous associer à de telles oeuvres, suivant le conseil de Paul, qui, parlant dans le Christ, a déclaré en termes décisifs : «Ne vous associez pas aux oeuvres infructueuses de ces ténèbres», et qui, en ajoutant : «Dénoncez-les plutôt», nous a appris en même temps la manière de ne pas y participer.
Mais qu'est-ce que participer ? Combien y a-t-il de façons de le faire ? Examinons donc cette question. En fait, lorsque me reviennent à l'esprit cette invitation des Proverbes : «Viens avec nous, prends part au meurtre», et ces affirmations de l'Apôtre : «Vous tous, vous participez à la grâce que j'ai reçue»; «Vous avez pris part à mon épreuve»; «Celui qu'on instruit de la Parole, qu'il fasse participer son instructeur à tous ses biens»; lorsque j'évoque encore cette parole : «Si tu voyais un voleur, tu courais avec lui, et tu partageais la condition des adultères»; et celle-ci : «Tu réfuteras ton frère et le convaincras de sa faute; ainsi tu ne te chargeras pas d'un péché à cause de lui»; et cette autre encore : «Tu as fait cela et je me suis tu. As-tu supposé cette iniquité que je serai semblable à toi ? Mais je te convaincrai de ta faute et je la placerai devant ta face»; lorsque je me rappelle tous ces passages et d’autres semblables, je considère que la participation est en acte quand on se prête une aide mutuelle pour agir en vue du même but, qu'elle est en pensée quand on donne son approbation et son agrément à l'intention de l’exécutant.
Une autre façon de participer, qui échappe à la plupart, apparaît à l'examen attentif de l'Ecriture inspirée. C'est lorsque, n'ayant pas collaboré à l'action, ni approuvé l'intention, mais ayant reconnu le mal dans la pensée de l'exécutant, on ne réagit pas, on ne cherche pas à le convaincre de sa faute, on ne se conforme pas aux textes cités plus haut, ni à cette parole de l’Apôtre aux Corinthiens : «Vous n'avez pas pris le deuil, pour que soit exclu du milieu de vous l'auteur de cette action»; ce à quoi il a ajouté : «Un peu de levain fait lever toute la pâte !» Craignons donc et souffrons qu'il nous dise : «Débarrassez-vous du vieux levain afin d'être une pâte nouvelle.»
Mais celui qui coopère avec une personne pour le bien, dans une bonne pensée, sans savoir que les dispositions et le but de cette personne sont mauvais, ne sera pas accusé pour la part qu'il aura prise à cette coopération; étranger aux dispositions de l'autre, restant fidèle à la règle de l'amour de Dieu, il reçoit son propre salaire en proportion de son propre travail, comme nous l'a clairement montré notre Seigneur Jésus Christ lui-même avec l'exemple de l'homme étendu sur le lit, de la femme occupée à la meule.
Quant à la différence à l'égard de ceux qui nous ont été confiés et de ceux qui ne l'ont pas été, elle consiste dans l'obligation de prendre soin, non dans la participation aux fautes. Nous devons en effet donner nos soins par priorité à ceux-là seuls qui nous ont été confiés. La participation au mal et aux oeuvres infructueuses est interdite pareillement dans tous les cas.

Chapitre X

Est-il toujours dangereux de scandaliser ?

Il me paraît indispensable de connaître d'abord ce qu'est le scandale, ensuite la diversité des gens qui scandalisent et les moyens de scandaliser. C'est alors qu'on peut apprendre à connaître ce qui est sans danger et ce gui est dangereux.
Eh bien donc ! je considère, en prenant les Ecritures pour guide, que le scandale c'est tout ce qui mène à un certain abandon de la piété véritable, fait venir l’erreur dans les esprits, édifie pour l'impiété, ou en général tout ce qui empêche d'obéir, jusqu'à la mort même, au commandement de Dieu. Si donc ce que nous faisons ou disons est bon en soi dans son principe, mais si quelqu'un, du fait de la maladie, utilise cette action ou cette parole à son détriment, dans ce cas, nous ne sommes pas touchés par la condamnation du scandale; nous qui avons dit ou fait le bien en vue d'édifier la foi. C'est ainsi que le Seigneur, après avoir dit : «Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l'homme», ajouta ce mot à l'adresse de ceux qui s'étaient scandalisés : «Toute plante que mon père céleste n'a pas plantée sera déracinée.» Il a dit aussi : «Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle», et peu après : «Nul ne peut venir à moi sinon par un don de mon Père.» Et comme certains avaient utilisé ces paroles pour leur perte, ainsi qu'il est écrit : «Beaucoup de ses disciples ayant entendu ce discours s'éloignèrent et revinrent sur leurs pas, et ils ne marchaient plus avec lui.» – «Jésus dit alors aux Douze : Est-ce que vous voulez vous en aller vous aussi ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle, et nous, nous croyons et nous savons que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.»
Ces déclarations que les gens à la foi solide ont utilisées pour édifier la foi et procurer le salut éternel, les gens faibles dans la science ou dans la foi en ont fait, à cause de leur propre médiocrité, prétexte à perdition. Ainsi avait-il été écrit au sujet du Seigneur : «Celui-ci doit amener la chute et le relèvement de beaucoup», non que le Seigneur porte en lui-même des contradictions, mais ce sont les utilisateurs de sa parole qui ont des volontés opposées, comme l'Apôtre aussi l'affirme : «Pour les uns, odeur de vie qui mène à la vie, pour les autres, odeur de mort qui mène à la mort».
Mais si l'action ou la parole est mauvaise de sa propre nature, celui qui a fait cette action ou dit cette parole encourt la condamnation et pour son propre péché et pour le scandale, même si lui, cause du scandale, ne se scandalise pas. C'est ce que nous apprenons dans le cas de Pierre. Comme il s'était opposé au dessein du Seigneur d'obéir jusqu'à la mort, celui-ci lui dit : «Retire-toi derrière moi, Satan, tu es pour moi un scandale.» Et en ajoutant brièvement le motif, il nous a instruits en général sur l'essence propre du scandale : «car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes». Nous savons donc que toute pensée contraire à la pensée de Dieu est précisément scandale et qu'elle entraîne, si elle est conduite jusqu’à l'acte, la condamnation pour homicide, selon ce qui est écrit chez le prophète Osée : «Les prêtres ont caché la route, ils ont assassiné Sichem, car ils ont commis l'iniquité au milieu du peuple.» (Os 6,9)
Envisageons enfin le cas où l'action dans son principe relève de ce qui est permis : si les âmes faibles dans la foi ou dans la science en reçoivent un dommage et y trouvent prétexte à se scandaliser, celui qui l'a faite n'échappe pas à la condamnation du scandale, car l'Apôtre déclare au sujet de ceux qui agissent sans considération pour les faibles : «En péchant ainsi contre vos frères, en blessant leur conscience qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez.»
Ainsi donc, lorsque l'action, mauvaise dans son principe, fournit des raisons de se scandaliser, ou bien lorsque, tout en étant de celles qui sont permises et laissées à notre discrétion, elle devient scandale pour les âmes faibles dans la foi ou dans la science, alors elle entraîne de façon claire et inexorable ce terrible jugement formulé ainsi par le Seigneur : «Mieux vaut se voir suspendre autour du cou la meule que tournent les ânes et être jeté dans la mer plutôt que de scandaliser un seul de ces petits» – nous nous sommes expliqué plus longuement sur ce jugement dans nos Premières questions où nous avons aussi dénombré avec plus de précision les variétés de scandale. C’est pourquoi l'Apôtre affirme à propos de ce qui est permis : «Il est bien de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, d'éviter ce qui pourrait heurter, scandaliser ou affaiblir ton frère.» Et quoiqu'il reconnaisse que «toute chose créée par Dieu est bonne et qu'aucun aliment n'est à proscrire si on le prend avec action de grâces», il affirme pourtant encore dans un autre texte : «Je me passerai de viande à tout jamais afin de ne pas scandaliser mon frère.» Or, si tel est le jugement à propos de ce qui est permis, que dire de ce qui est défendu ? Aussi nous donne-t-il cette instruction plus générale : Ne soyez pierre d'achoppement ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l'Eglise de Dieu. Faites comme moi qui m'efforce de plaire à tous en tout et ne cherche pas mon intérêt personnel mais celui du plus grand nombre, afin qu'ils soient sauvés.


Chapitre XI

Faut-il, peut-on sans danger refuser un ordre de Dieu, empêcher celui qui l'a reçu de l'accomplir, tolérer qu'il en soit empêché, en particulier si l'empêcheur est de bonne foi ou si une raison raisonnable en apparence s'oppose à cet ordre ?

Puisque le Seigneur nous dit : «Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur», il est évident qu'en toute chose nous nous instruisons plus sûrement si nous rappelons le souvenir de notre Seigneur Jésus Christ lui-même, le Fils seul-engendré du Dieu vivant. Lorsque Jean-Baptiste lui dit : «C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et toi, tu viens à moi», il eut cette réponse : «Laisse faire pour l'instant, c’est ainsi qu'il est convenable pour nous d'accomplir toute justice.» Et lorsque, en présence des disciples, Pierre formula le souhait que les tribulations auxquelles le Seigneur devait, selon sa propre prédiction, être en butte à Jérusalem n'arrivent pas, ce dernier manifesta une plus grande indignation : «Retire-toi derrière moi, Satan, lui dit-il, tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes.» Une autre fois encore, lorsque le même Pierre, par déférence pour le Maître, refusa de se laisser servir par lui, le Seigneur lui répliqua : «Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi.» Mais, si nous voulons que l'âme trouve un secours supplémentaire dans l'exemple des êtres de notre race, rappelons la déclaration de l'Apôtre : «Qu'avez-vous à pleurer et à me briser le coeur ? Je suis prêt moi, non seulement à me laisser lier, mais encore à aller mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus.»
Or, quand pourrait-on montrer un homme plus renommé que Jean, un coeur plus sincère que Pierre ? Quand pourrait-on invoquer de plus pieuses raisons que les circonstances dans lesquelles ces grandes âmes se trouvèrent ? Et je sais d'autre part que ni le saint Moïse ni le prophète Jonas ni le prophète Jérémie, qui avaient donné des raisons pour éviter d'obéir, ne demeurèrent irréprochables aux yeux de Dieu.
Ces exemples nous apprennent à ne pas contester, à ne pas mettre d'empêchements, à ne pas tolérer qu'on en mette. Et si la Parole nous a définitivement enseigné à ne pas tolérer d'empêchement de la part des personnes dont nous avons parlé ni de personnes de cette qualité combien plus, dans tous les autres cas, devons-nous imiter les saints et dire avec eux, soit : «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes», soit : «Est-il juste de vous écouter, vous plutôt que Dieu ? A vous d’en décider, car pour nous, il nous est impossible de taire ce que nous avons vu et entendu !»


CHAPITRE XII

Chacun est-il tenu de s’occuper de tous en tout, ou seulement de ceux qui lui ont été confiés, et dans la mesure où il en a reçu de Dieu le charisme par l’intermédiaire de l’Esprit saint ?

Jésus Christ, notre Seigneur et le Seigneur de tous, Fils seul-engendré, avoue : «Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël.» D’autre part il dit à ses disciples : «Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie,» et il leur donne l’ordre de «ne pas prendre le chemin des nations ni d’entrer dans une ville des Samaritains.»Mais après que se fût accomplie à son égard cette prophétie de david parlant en quelque sorte de la part de Dieu le Père : «Toi, tu es mon Fils, moi aujourd’hui je t’ai engendré; demande-moi et je te donnerai les nations pour ton héritage, et tu possèderas les extrémités de la terre,» à ce moment-là il ordonna à ses disciples : «Allez, faites disciples toutes les nations.» Dès lors, à combien plus forte raison, chacun d’entre nous ne doit-il pas observer plus attentivement l’ordre de l’Apôtre qui a écrit : «Ne vus estimez pas plus qu’il ne faut vous estimer, mais ayez de vous une sage estime, chacun selon la mesure de foi que Dieu lui a donnée en partage,» et attendre le moment et l’objet du commandement selon ce qu'il a dit ailleurs : «Que chacun reste là où il a été appelé !» Ajoutons que l'Apôtre en ce qui le concerne, observant plus attentivement l'ordre qu'il donne aux autres, déclare : «Ils nous tendirent la main à moi et à Barnabé en signe d'accord : nous irions aux gentils, eux aux circoncis.»
Cependant s'il arrive qu'une nécessité se présente, comme l'amour de Dieu ou du prochain appelle à remplir les vides, celui qui aura obéi à cet appel est récompensé de son obéissance volontaire. Or, on y est appelé, puisque aimer Dieu et son Christ, c'est accomplir le commandement du Seigneur qui a dit : «Je vous donne un commandement nouveau, que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.» C'est l'amour du prochain qui appelle, chaque fois que le supérieur a besoin d'aide ou que la communauté, objet de ses soins, a besoin de quelqu’un pour remplir un vide. L'Apôtre en effet l'a dit : «Que personne ne recherche son propre intérêt, mais chacun celui de l’autre,» car l'amour selon le Christ «ne recherche pas son intérêt»; et ailleurs : «Edifiez-vous l'un l'autre, comme déjà vous le faites.»
Si donc quelqu'un n'a pas rempli en actes et en paroles la mission de prédication pour laquelle il a été envoyé, il est responsable du sang de ceux qui n'ont pas entendu (annoncer l'Evangile) et il n'a pas la liberté de dire comme l'Apôtre protestant solennellement devant les anciens d'Ephèse : «Désormais, je suis pur de votre sang à tous, car je ne me suis pas dérobé au devoir de vous annoncer l'entier dessein de Dieu.» Mais si, pour édifier la foi dans l'amour du Christ, on peut faire quelque chose de plus que ce qui a été commandé, on a la récompense que l'Apôtre nous a indiquée lorsqu'il a dit : «Si je fais cette tâche de moi-même, j'ai ma récompense; mais si je ne la fais pas de moi-même, c’est qu'un ministère m'a été confié.»

Chapitre XIII

Pour observer l'obéissance due à Dieu, faut-il endurer n'importe quelle épreuve, même si elle comporte une menace de mort ? Qu'en est-il en particulier lorsque nous nous occupons de ceux qui nous ont été confiés ?

Considérons notre Seigneur Jésus Christ, Fils seul-engendré du Dieu vivant, par qui tout a été fait, le visible et l'invisible, qui possède la vie comme la possède le Père qui la lui a donnée, qui a reçu du Père la toute-puissance. Comme arrivaient sur lui ceux qui cherchaient à le saisir pour le mettre à mort – mort destinée à nous justifier et à nous obtenir la vie éternelle –, avec quel empressement alla-t-il à leur rencontre, en disant : «Voici que le Fils de l'homme est livré aux mains des pécheurs. Levez-vous, allons ! Voici qu'il est tout proche celui qui me livre !» Et, ainsi qu’il est écrit dans l'évangile selon Jean, «Jésus donc, sachant tout ce qui allait lui arriver, s'avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi.» Et il reprit peu après : «Je vous ai dit que c'était moi. Si donc c'est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s'en aller.» Puisque telle fut la conduite de notre Seigneur, combien plus, en ce qui nous concerne, devons-nous supporter de bon gré les souffrances selon la nature ! Ainsi, dans les épreuves qui viennent sur nous du fait de l'ennemi, nous triompherons grâce à notre obéissance à Dieu et nous pourrons lui rendre gloire de ce que les afflictions allant jusqu'à la mort, qui nous viennent, croyons-nous, de l'ennemi, nous les accueillons joyeusement, ayant réussi à mettre en nous les sentiments de celui qui disait : «Il vous a été fait la grâce pour le Christ non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui.» Et les Actes qui proclament les combats des apôtres rapportent qu'ils accueillirent avec joie les outrages et la mon afin d'accomplir leur prédication selon l'ordre du Seigneur.
L'Apôtre nous instruit encore en nous disant : «Qui nous séparera de l'amour de Dieu ? tribulation, angoisse, persécution, faim, nudité, péril, glaive ? Il est écrit en effet : A cause de toi, on nous met à mort à longueur de journée, on nous a considérés comme brebis d'abattoir. Mais en tout cela, notre victoire est complète grâce à celui qui nous a aimés, car, j'en ai la certitude, ni mort, ni vie, ni anges, m principautés, ni puissances, ni pouvoirs, ni présent, ni avenir, ni hauteur, ni profondeur, ni quoi que ce soit d'autre de créé ne pourra nous séparer de l'amour que Dieu nous porte dans le Christ Jésus.» Cet amour dans le Christ contraint à observer les commandements sans en rien laisser de côté, selon ces paroles du Seigneur lui-même : «Celui qui m'aime, qu'il observe mes commandements; celui qui n'observe pas mes paroles, celui-là ne m’aime pas», et : «Vous, vous êtes mes amis si vous faites tout ce que je vous commande.» Or, le commandement nouveau qui lui appartient en propre, c'est de s'aimer les uns les autres, commandement auquel obéit l'Apôtre, lui qui affirme : «Dans notre tendresse pour vous, nous sommes disposés à vous donner non seulement l'évangile du Christ, mais encore notre propre vie, tant vous nous êtes devenus chers.»
Tenons donc nos regards fixés sur le Seigneur et, en imitant ce modèle illustre, renforçons notre zèle. Observons aussi les saints et instruisons-nous auprès d’eux autant qu'il est possible. Ainsi, en devenant plus zélés grâce à ces exemples et en gardant sans tache et sans reprocher, au risque même de la mort, chacun des commandements du Seigneur, nous pourrons entrer dans la vie éternelle et recevoir en héritage le royaume des cieux, comme l'a promis celui qui ignore le mensonge, notre Seigneur et notre Dieu, Jésus Christ, le Fils seul-engendré du Dieu vivant.

Sur le baptême

fin du livre II.