LIVRE VI


La beauté de celle qui monte du désert


1. «QUE TU ES BELLE, MON AMIE, QUE TU ES BELLE ! TES YEUX SONT DES YEUX DE COLOMBES, SANS PARLER DE CE QUI SE CACHE À L’INTÉRIEUR.» Une fois extirpée l'habitude de tous les vices de la chair, maintenant que l’Église des nations s'est convertie du culte des dieux multiples et infâmes à l'unique vrai Dieu, le Christ Seigneur loue sa double beauté, celle de son âme et celle de son corps. Et la première beauté de l'âme, c'est de connaître son créateur; la seconde, c'est de se connaître elle-même : quelle elle a été créée et pourquoi. Ensuite, les ornements de sa beauté sont de cesser de faire le mal, et de pratiquer le bien : fuir les querelles, rechercher la paix et la charité, orner ses oreilles par l'écoute de chastes paroles et, grâce aux bandeaux de la pudeur, protéger ses yeux de tout ce qui est honteux. Ainsi, ces yeux, qui avaient coutume, tels ceux de l'épervier, de guetter leur proie, de convoiter le bien d'autrui ou les spectacles lascifs, maintenant qu'ils ont connu le Christ, remplis de la simplicité de ceux des colombes, brillent de la lumière de la miséricorde, de la douceur et de la chasteté.

2. Parmi tous les membres de l'Eglise, il n'y a donc que ceux qui tiennent le rôle des yeux qui soient loués les premiers, car il n'y a rien, parmi tous les membres du corps, qui soit plus cher que les yeux. Par leur exemple ou par les paroles de leur enseignement, de tels personnages servent donc de guides à tout le corps de l'Eglise dans la douceur, la simplicité, la chasteté, et pour cela ils sont appelés à juste titre les yeux de l’Église et comparés aux yeux de ces oiseaux qui, par nature, aperçoivent de loin l'adversaire qui vient. Vivant donc avec prudence, ne créant jamais d'obstacle aux autres vivants, ils sont comparés aux yeux des colombes. Et quand ils présentent à Dieu intérieurement, dans leur coeur, la même beauté que celle qu'ils montrent à l’extérieur aux hommes, c'est là précisément la beauté cachée, quelle que soit l'oeuvre bonne dont il s'agit, que loue le Christ en disant : «Tes yeux sont des yeux de colombes, sans parler de ce qui se cache à l’intérieur.» Ainsi, en tout ce qu'ils font, tout est consacré à Dieu et rien à la louange des hommes ni à la vaine gloire.

3. «TES CHEVEUX SONT COMME DES TROUPEAUX DE CHÈVRES QUI SONT MONTÉES DE LA MONTAGNE DE GALAAD.» Dans les  yeux, nous l’avons dit, Il faut voir les chefs et les guides du peuple chrétien, c'est-à-dire les évêques. Dans les cheveux nous est montrée la personne des riches pieux qui, revêtus d'habits délicats, resplendissent sous l'or et les pierreries et sont parfumés des poudres aromatiques les plus odorantes : oints d'onguents, peignés par les soins de petits esclaves, ornés des oeuvres de leur foi droite et de leur miséricorde, ils sont une parure pour tout le corps de l'Eglise. Ces gens-là en effet, parce qu'ils trouvent leurs joies dans les réalités matérielles et ne peuvent suivre la route ardue, de la philosophie, l'austérité des apôtres, sont comparés à des troupeaux de chèvres; et parce qu’ils font retour de leurs richesses à celui qui les leur donne, ils ont mérité d’être les cheveux de l'Eglise.

4. Et ce n'est pas à n'importe quelles chèvres, comme à des êtres vils, qu'ils sont comparés, mais à celles qui sont montées de la montagne de Galaad. Or Galaad signifie l'émigration du témoignage. Ce sont donc les âmes dont le témoignage de malice a émigré vers celui de la bonté par la conversion à la foi droite. C’est d’elles que l'apôtre Paul disait : «Vous avez été autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur.» Il leur disait aussi : «Vous êtes ma gloire et ma couronne, si vous tenez bon dans le Seigneur.» Elles émigrent pour toujours de la rapacité à la miséricorde, de la fange des étreintes multiples à l’unique mariage légitime et chaste, de tout mensonge à toute vérité, de tous les chants lascifs à la louange du seul Seigneur créateur. Il est donc dit qu'elles descendent de la montagne et montent sur la montagne.

5. Mais ces âmes, puisqu'il est dit qu'elles ont émigré du moins bon au meilleur, sont louées, non d’être descendues, mais d'être montées de la montagne de Galaad. C'est l'habitude des chèvres, en effet, de descendre en une course folâtre de la montagne vers les plaines, mais de monter sur la montagne avec beaucoup de calme et de gravité. Dès lors il faut comprendre que cette catégorie de riches qui se contente de ce qu'elle a et ne convoite pas le bien d'autrui, monte ainsi des biens temporels aux biens éternels et adhère au corps de l'Eglise. Mais celle qui demeure dans la vallée de la convoitise ou qui redescend de la montagne en question où elle était montée, est rejetée du corps de l’Eglise, arrachée comme des cheveux de sa tête, et, tout au contraire de l'autre, elle est blâmée d'avoir émigré du bon témoignage au mauvais.

6. « Tes DENTS SONT COMME DES TROUPEAUX DE BREBIS TONDUES QUI SONT REMONTÉES DU BAIN. TOUTES AVEC DEUX PETITS, ET PARMI ELLES AUCUNE N'EST STÉRILE.» Je pense donc qu’il faut voir dans les dents de l’Eglise ceux qui n'ont pas besoin du lait de la doctrine, mais qui dépassant l'âge de l’enfance, non seulement mâchent des aliments très solides, mais encore sont disposés dans le corps de l’Eglise comme des os très solides, pour découper et ruminer la viande de la parole de Dieu, et sont dotés d’une intelligence très vive pour découper à chaque âme les sentences des paroles divines, selon ce qui convient aux capacités de chacune.

7. Toutes les dents, sans doute, se trouvent dans une même bouche, mais celles qui sont réunies à proximité des lèvres et qui découpent en morceaux les aliments ont un rôle, et un autre celles qui transmettent à tous les membres de l’Eglise, pour les nourrir, cet aliment découpé, après l'avoir réduit en une seule substance fine et spirituelle. C'est ce que dit Paul, le docteur des nations : «Dieu a partagé à chacun selon la mesure de sa foi,» et : «Les premiers que Dieu a établis dans l’Église sont les apôtres, ensuite les prophètes, et en troisième lieu les docteurs.» Donc les premières dents me semble-t-il, selon l'explication littérale, découpent le texte de l’Écriture divine : ce qu'il convient de prescrire à chaque personnage, d'après celle parole : «Il méditera jour et nuit sur la loi du Seigneur», et cette autre : «Et cette autre : «Libérez le pauvre et délivrez l'indigent de la main des pécheurs.»

8. Qu'ils soient comparés à des troupeaux de brebis tondues tondues qui remontent du bain semble enseigner prophétiquement que, une fois tondus par les deux lames de la doctrine du nouveau et de l'ancien Testament et une fois retranchée d'eux par le bain du baptême la vieille et sordide habitude du péché, ils montent continuellement vers une vile meilleure et sans tache. Il nous est dit que, comme les troupeaux de brebis, après la tonte, sont lavés dans l’eau et deviennent entièrement purs de toute salissure, de même aussi, une fois lavés dans la fontaine salutaire, ils ne souillent jamais la robe toute blanche qu'ils reçoivent au baptême. Et, pour mettre le comble à leur louange, le texte montre qu'ils se multiplient sans cesse et se parent des deux petits qui sont leurs disciples. Jamais leur nombre ne diminue ni ne décroît par la faute de la stérilité, mais la bénédiction de la fécondité les renouvelle chaque jour par le moyen des deux petits : ils engendrent les uns par la parole de leur enseignement, les autres par l'exemple de leur vie.

9. «TES LÈVRES SONT COMME UNE BANDELETTE ECARLATE, ET TA PAROLE EST DOUCE.» L'écarlate est la couleur du sang. Une bandelette écarlate, c'est ainsi qu'est désigné le diadème qui était attaché sur la tête du grand-prêtre Aaron et en retombait. Cette couleur montre l'insigne honneur royal que confère la confession du nom du Christ, le roi véritable. Il faut évidemment y reconnaître le sang des martyrs qui empourpre les lèvres de l'Eglise. En effet ce sont les confesseurs et les martyrs qui jouent le rôle des lèvres et donnent à l'Eglise sa grande beauté. Ces lèvres-là protègent des agressions les dents en question, afin que croient au témoignage des martyrs ceux qui refusent de croire à la parole des docteurs, et qui dans leurs blasphèmes nient que la loi irréprochable qui promet, après la mort corporelle, la vie éternelle, provienne du Dieu tout-puissant, parlant par les prophètes et les apôtres.

10. Par l'amitié qu'ils ont acquise en croyant au Dieu unique et par la grandeur de leurs mérites, tout comme – les lèvres défendent les dents, ils défendent ceux qui ruminent la parole de Dieu contre les agressions des hommes méchants, grâce aux vertus de leurs miracles, et contre les attaques des démons, grâce à leurs prières. Bien plus, ceux-ci constatent que sont vivants ceux qui ont été mis à mort pour le nom du Christ, et ils les voient chasser à coups de fouets les démons auteurs de leur mort. Car de même que la voix, modulant le souffle qui vient de l’intérieur et répercutée grâce à la fermeture des dents et des lèvres, fait entendre la douceur d’une mélodie, de même se fait entendre la douce parole de l’Église grâce à la vertu des miracles des martyrs, et grâce au don de l’interprétation  des mystères cachés faite par ceux qui tiennent la place des dents, lorsqu’ils exposent correctement la parole de la loi divine sous le souffle de l’Esprit saint.

11. TES JOUES SONT COMME UN FRAGMENT DE GRENADE, SANS PARLER DE CE QUI SE CACHE À L’INTÉRIEUR.» Dans la beauté de joues, il faut voir représentée la pudeur de la virginité et de la chasteté : il n’y a rien en effet de plus beau que les fidèles aussi bien que le infidèles puissent glorifier dans le visage de l’Église que la  gloire de la chasteté. Car en disant comme un fragment de grenade – c’est-à-dire du fruit du grenadier –, le texte montre que par ses œuvres la virginité imite le Christ notre Seigneur.

12. De lui en effet, l’Église a dit plus haut : «Comme le grenadier parmi les forêts, ainsi mon bien-aimé parmi les fils.» Or cet arbre produit un fruit très beau à voir et de saveur très douce, qui est aussi un remède très approprié aux malades. Pour le salut des hommes il a été montré au monde grâce à la Vierge, et il a répandu dans le monde entier les fleurs de l’innocence et de la chasteté. C’est, nous indique le texte, une partie de sa beauté – ce que veut dire : un fragment –, la virginité et la continence, que possèdent ceux au sang gardé intact, en qui le visage de l'Eglise se montre le plus beau.

13. Et en disant : «Sans parler de ce qui se cache à l’intérieur,» le texte montre que plus encore que toutes les bonnes oeuvres, c'est la chasteté seule, en ceux qui sont les ministres du peuple chrétien – en tant que cette chasteté est visible aux hommes – qui rend belle l’Eglise, sans parler de ce qui, à l'intérieur, dans le secret du coeur, est le plus beau aux yeux de Dieu et demeure caché, aux yeux des hommes. Les premières de ces joues de l'Eglise sont à voir, je pense, dans les deux Marie – l'une de l'ancien Testament et l'autre du nouveau, la soeur de Moïse et d'Aaron et la bienheureuse Mère du Seigneur –, toutes deux vierges : les premières, en gardant leur innocence, elles ont commencé à rendre admirables les joues de l'épouse, l'Eglise.

14. «TON COU EST COMME LA TOUR DE DAVID QUI A ÉTÉ BÂTIE AVEC SES CRÉNEAUX. MILLE BOUCLIERS Y SONT SUSPENDUS, TOUTE L'ARMURE DES FORTS.» Dans le cou de l'Église, nous pouvons voir ceux qui, grâce au zèle de la lecture, sont pourvus de la science de la foi droite, et par l'intermédiaire de qui tout le corps de l’Eglise exprime, selon la réalité, que le Père dans le Fils, le Fils dans le Père, et l'Esprit saint qui découle de l’un et de l'autre, sont d'une unique essence. Accueillant les énoncés de la loi divine qu'ont exposés ceux dont nous avons parlé plus haut et qui sont comparés aux yeux, aux lèvres et aux dents, ils transmettent la parole de foi, l'aliment des âmes, à tout le corps de l'Eglise, non seulement de bouche, mais aussi par l'exemple de leur vie. Leur vie illustre les situe entre la tête de l’Eglise, le Christ, et les autres membres, et elle les assimile au bienheureux Moïse, par qui Dieu s'adressait au peuple d'Israël et par qui le peuple s'adressait à Dieu. Ils marchent devant Dieu et les hommes, non avec la tête haute de l'orgueil, mais avec le cou penché de l’humilité, comme l'écriture en témoigne au sujet de Moïse : «Moïse était le plus doux et le plus affable de tous les hommes.» De ceux qui lui ressemblent, le Seigneur déclare par la bouche du prophète Isaïe : «Sur qui reposerai-je, sinon sur l'humble et doux, qui tremble à mes paroles ?» C'est, donc en ceux-ci qu'il faut voir à juste titre le cou de l’Eglise : sur eux repose la tête de l'Eglise, le Christ, car ils glorifient et portent Dieu en leur corps.

15. Et en disant : «Ton cou est comme la tour de David qui a été bâtie avec ses créneaux,» il montre que ceux qui sont le cou de l’Église ressemblent à Moïse, qui a déclaré semblable la dignité prophétique du Christ et la sienne – en disant au peuple à propos du Christ : «Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d'entre vous un prophète que vous écouterez à l'égal de moi. Et quiconque n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du milieu de son peuple», – lui en qui le Seigneur reposant comme dans une tour promulguait la loi au peuple.

16. C’est lui, le Christ, à mon avis, qu'il faut pour cette raison voir dans la tour de David à laquelle est comparé le cou de l'Eglise, car David signifie la main puissante. Et en qui d'autre peut-on voir la main puissante, sinon en celui qui, de la race de David, montré aux hommes par l'incarnation comme du haut d'une tour, a manifesté, lui qui crée tout, qu'il était le véritable bras du Père ? Ainsi quiconque garde la foi droite au sujet de l’Incarnation du Seigneur et possède la douceur du bienheureux Moïse au point d'être digne de communiquer aux hommes la grâce, qu'il a reçue de Dieu, de la révélation des mystères secrets, doit à mon avis être considéré comme le cou de l'Église : il a acquis la ressemblance avec cette tour bâtie, par la main puissante, du matériau de la chair tirée de la Vierge. C'est à cette main droite que le prophète déclare : «Tu m'as conduit, car tu es devenu mon espoir, une tour forte en face de l’ennemi.»

17. Et en disant : Qui a été bâtie avec ses créneaux, le texte nous enseigne que la seule science de la foi droite ne suffit pas pour échapper aux embûches de l'ennemi, mais que doivent être bâtis sur elle, en guise de créneaux, les exemples que par ses actions a transmis le Christ, le Verbe du Père, la main puissante. Ce sont l'amour du prochain, la miséricorde, la vérité inébranlable, le mépris des réalités présentes, la tranquillité de l'esprit, l'habitude des jeûnes et de la prière assidue. Voilà vraiment les créneaux que construisent sur nous les mains de la bonne volonté. Voilà sans aucun doute les créneaux qui repoussent les volées de flèches des puissances des airs, flèches qui par suite de la convoitise de la chair transpercent l'âme négligente.

18. C'est une image de cette tour de cette tour que, lisons-nous, le roi David construisit, par crainte des attaques des ennemis, dans la citadelle de Sion, et où il entreposa armes et nourritures. C'est de là aussi que le vrai David, la main puissante du Père, monta aux cieux, lui qui, nous le savons, a déposé dans la citadelle de Sion – la tour dont il s'agit – la nourriture de nos âmes, celle de son corps et de son sang, et les armes de notre défense, la croix. De ces armes il est dit à présent : Mille boucliers y sont suspendus, toute L'armure des forts.

19. Mille est un nombre plénier : il s'exprime en  partant du un, la première lettre dans les langues hébraïque, syrienne et grecque, et il est tout entier dans le un, nombre auquel on revient lorsqu'on a compté les milliers de milliers. On ne peut rien lui ajouter, et si on lui retranche quelque chose, on détruit la plénitude du nombre. Si on le divise en deux parties, on le rend impair. Si on le divise en trois, on n'obtient pas un nombre identique suivant qu'on applique les règles de l'arithmétique ou celles de la géométrie. Les savants déclarent que le nombre mille est un nombre solide et indivisible. Et la règle de l'Eglise, dans bien des cas, ne rejette pas cette science, parce que bien des mystères sont renfermés par l'Esprit saint dans les écritures divines sous forure numérique.

20. Ce nombre mille, dans les langues hébraïque, syrienne et grecque, est représenté, nous l'avons dit, par la première lettre : on écrit le un par la première lettre seule, sans apex; le nombre mille par la même lettre avec apex. On comprend par là que – de même que dans le cas du chiffre un, qui est aussi le premier – est représentée par la lettre qui est présentée la première la toute-puissance du Dieu Père, unique et premier, avant lequel il n'y a rien. Et lorsqu'on ajoute un apex à cette lettre, c'est la Trinité indivisible et coéternelle qui se trouve mise en lumière par le nombre mille.

21. Ces armes, c'est grâce au mystère de la croix, on le sait, qu'elles nous ont été données, et elles sont invincibles contre les troupes des démons. Car, tout comme le calcul hébraïque, syrien et grec désigne le nombre mille par la première lettre, c'est, dans le calcul latin, la vingt et unième lettre qui le représente; elle se nomme X en latin, et, formée de deux barres croisées, bien que penchées, elle dessine une croix. Par cette lettre située à la vingt et unième place – ce qui fait trois fois sept –, c'est la Trinité parfaite, resplendissante de l’Esprit septiforme, qui est représentée protégeant les âmes de ceux qui croient en elle. Et ce même chiffre, encadré à gauche et à droite par deux traits – la croix au milieu des deux Testaments, l'ancien et le nouveau – désigne les armes de notre défense dans la totalité de leur nombre. Ces armes, certes, sont suspendues à «celui qui est issu de la lignée de David selon la chair, prédestiné Fils de Dieu avec puissance,» «qui est devenu pour nous une tour forte contre l’ennemi,» «parce que c’est de lui, par lui et en lui» que sont toutes les armes de combat d du peuple chrétien, celles dont l'apôtre Paul exhorte les soldats à se revêtir : «Avec les armes de la justice, dit-il, à droite et à gauche.»

22. C'est donc cette tour qui permet aux croyants de monter de cette vallée de larmes jusqu'à la montagne du paradis. C'est cette tour, bâtie par la main puissante, que le Juif tournait en dérision, que le centurion repentant admirait; c'est en proclamant sa foi en elle que le larron est monté jusqu'au royaume des cieux. C'est à cette tour glorieuse que sont comparées les âmes qui ont mérité d’être le cou de l'Eglise et en qui le Christ a reconnu sa ressemblance.

23. Et en disant : «Toute l'armure des forts,» le texte nous enseigne qu’aucun des rois, aucun des princes, aucun de ceux qui croulent sous le poids des richesses, aucun athlète aux membres puissants, aucun expert dans les arts de la guerre, n'est plus fort que celui qui marche dans toute la ferveur de son coeur, protégé par la croix du Seigneur en guise de bouclier. C'est munis de ce bouclier que les apôtres, ces combattants très forts, n’éprouvèrent aucune peur des traits enflammés des esprits malins. Ces armes étaient suspendues comme à une tour, à Paul, par qui c'était le Christ qui parlait au sujet du corps de l'Église, lorsque Paul se glorifiait et disant en se riant : «Que personne ne me fasse d’ennuis car je porte en mon corps les stigmates de mon Seigneur Jesus Christ» et : «Que jamais je ne me glorifie, sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi, et de moi un crucifié pour le monde.»

24. Ces armes-là constituent, certes, une véritable et très forte armure. Elles peuvent garder indemne le soldat du Christ dans son combat contre les bataillons des puissances de l’air, qui chaque jour luttent contre les fidèles par les attaques des vices. Mais fort est ce soldat à qui le prophète promet dans son combat une si glorieuse victoire, lorsqu'il dit : «Mille tomberont à ton côté et dix mille à ta droite.» Grâce à cette armure le monde entier a été racheté. Avec elle, les martyrs ont vaincu les rois et les princes de la terre et toutes les  légions des démons. C'est elle qui suscite une grande confiance chez le juste, lorsqu'il lui est dit : «Sa vérité t’enveloppera du bouclier. Tu ne craindras pas les terreurs de la nuit.» La vérité, c'est-à-dire le Verbe de Dieu le Père; d'un bouclier protecteur, au moyen de la  croix. Ne dit-il pas : «Je suis la Voie, la Vérité et la Vie ?»

25. Cette armure de la croix dont nous parlons, tant qu’elle donnait la mort aux maudits qui y étaient suspendus, était une armure punitive au service de juges mortels et faibles. Mais lorsque le Béni y fut suspendu et mis à mort, elle est devenue l'armure des forts, de ceux qui sont toujours vivants, ce que montre justement le nombre de mille boucliers. Mais cette armure requiert la force chez celui qui combat pour la foi en la Trinité. Tel était l’un de ces forts qui disait : «Mais en tout cela nous triomphons,» et : «je rends grâce à celui qui me donne la force;» lui encore, dépouillé de toute vanité comme un enfant, déclare ne savoir rien d'autre que le Christ et le Christ crucifié pour le péché du monde entier.

26. «TES DEUX SEINS SONT COMME LES DEUX FAONS JUMEAUX D'UNE BICHE, QUI PAISSENT PARMI LES LYS.» Dans ces deux seins de l'Eglise épouse je pense que sont préfigurés les deux fils d'Aaron, premier prêtre de la loi : Eléazar et Phinées, à la place desquels sont substitués maintenant ceux qui dans le peuple de Dieu, par leur enseignement salutaire et l'exemple de leur vie sainte, nourrissant les âmes de leurs auditeurs, encore toutes jeunes dans la foi, encore à la mamelle. La poitrine de l'Eglise, de laquelle ont poussé ces seins : il ne me semble pas absurde d'y voir Aaron lui-même. Il est est ordonné de pénétrer dans la tente du témoignage revêtu de vêtements brodés d'or, resplendissant de pierreries variées, tout comme l'épouse reine, au moment de s'unir au roi, entre dans la chambre nuptiale, l’appartement du roi, brillant sur toute sa jeune poitrine d'or et de pierreries.

27. S'il est parlé de deux seins, c'est parce que celui qui se proclame à la fois docteur et nourricier des âmes, s'il n'enseigne pas à ses auditeurs les deux Testaments – à savoir que l'ancien et le nouveau sont issus du même Dieu tout-puissant –, devient un meurtrier des âmes. Car en ne suçant qu'un seul sein, jamais personne ne fera croître ses forces pour parvenir jusqu'à l'homme parfait, jusqu'à l'âge de la plénitude du Christ. Mais, ou bien en ne recevant que l'ancien, comme le Juif, il aura besoin, décharné et les pieds desséchés, de l'aide d’autrui; ou bien, en ne recevant que le nouveau, comme Mani, il sera gonflé par l'hydropisie, cette maladie aqueuse de l'orgueil, et il mourra.

28. S'il est parlé de deux seins comme des deux faons jumeaux d'une biche, c'est pour avertir ceux que l’on voit se présenter comme les seins de l'Église qu'ils ont à proposer à leurs auditeurs, par le lait de la doctrine, l'égalité et la similitude des deux Testaments dont le sens concorde. Qu'ainsi, tout ce que l'ancien Testament, à travers des figures, a annoncé en prophétie comme devant arriver pour le salut de l'homme, ils le montrent accompli dans le nouveau par le moyen de l'Incarnation de notre Seigneur. Par lui, la Trinité, qui dans la loi mosaïque ne brillait pas avec évidence, mais sous des images, resplendit maintenant comme le soleil à la face du monde entier. C'est ainsi, par exemple, que Dieu a dit par Moïse, au premier livre, celui de la Genèse : «Dans le Principe Dieu fit le ciel et la terre,» et plus loin : «L'Esprit de Dieu planait sur les eaux.»

29. Tu as là les trois personnes en une seule puissance : le Principe, Dieu, l'Esprit; celui qui a créé, celui en qui il a créé, celui qui a donné vie au créé. Or l'unité de ces trois personnes est manifestée à tous égards et de façon plus claire que le jour dans le nouveau Testament par le bienheureux évangéliste Jean, par le terme de Verbe, lorsqu'il dit : «Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.» Que le Père ait tout fait dans son Fils, le Fils lui-même l'a déclaré. Interrogé par les Juifs : «Toi, qui es-tu ?» Il répondit qu'il était le Principe – ce Principe en qui le bienheureux Moïse affirme qu'ont été faits le ciel et la terre – en disant : «Je suis le Principe, moi qui vous parle.» Or principe signifie ce avant quoi il n'y a rien. Il enseignait par là avec évidence qu’avant le Principe, avant le Verbe Dieu, avant l'Esprit saint, il n'y avait rien, comme le confirme l'apôtre Paul : «Tout existe à partir de lui – c'est-à-dire du Père – et en lui –c’est-à-dire en le Fils – et par lui – c’est-à-dire par l'Esprit saint.»

30. Telle est donc la similitude et la beauté des seins de l'unique foi, qui sont comparés aux faons jumeaux des biches : de même âge, on les loue d'avoir poussé de l'unique poitrine de l'Eglise, l'onction de l'Esprit saint les remplissant du lait de la doctrine par la bouche des docteurs orthodoxes. Tout comme les faons jumeaux de la biche présentent entre eux une même ressemblance.

31. Et lorsqu'il est dit : Qui paissent parmi les lys, leur beauté s'en trouve augmentée. En même temps il fait connaître que, de même que les faons des biches trouvent plus de plaisir à se repaître du haut des tiges des buissons que du sol herbeux, de même ceux qui versent le lait de la doctrine dans le coeur des auditeurs : leurs paroles et les exemples de leur vie, lorsqu’ils exhortent, doivent se repaître de fleurs, non pas prises parmi les fleurs vulgaires des lettres profanes, mais cueillies sur les hautes montagnes des apôtres. Toujours chez eux les paroles par lesquelles ils exhortent le peuple doivent faire entendre l’écho de la pudeur, de la continence, de l’innocence à conserver. Toujours ils doivent choisir la pâture de leur doctrine dans les exemples des âmes chastes, c'est-à-dire les âmes de ceux qui, au milieu des forêts épineuses des impudiques, ont, par les parfums de leur chasteté, brillé comme de la candeur des lys, à savoir le bienheureux Elie, Elisée, Daniel, Jérémie, Joseph, Jean, Marie, Thecle, et tous ceux qui leur ressemblent qu'il serait trop long d’énumérer.

32. De ces lys, il faut cueillir des fleurs en les imitant. De ces fleurs il faut manger en enseignant. Ces exemples, il faut les ruminer en méditant. C'est en effet lorsque par l’imitation ils se repaissent de ces lys, à la manière des faons, que les seins dont il s'agit, bien qu'ils soient pleins de l'onction de l'Esprit saint, acquièrent en plus la beauté. C'est lorsqu'ils se sont repus des exemples de vie de telles fleurs qu'ils seront abondamment remplis du lait de la doctrine. Où est en effet l'amour de la chasteté, là est l'esprit multiple de la sagesse de Dieu; où est l'Esprit de Dieu, là est la liberté de la parole; où est la liberté, là n’existe d’asservissement honteux de la conscience à l'égard de personne; où n’existe d'asservissement de la conscience à l'égard de personne là abonde une merveilleuse doctrine.

33. Car voilà ce qu'enseigne l'Esprit saint : comme les faons jumeaux d'une biche qui paissent parmi les lys en fleurs offrent un tableau délectable, de même aussi le docteur du peuple procurera en sa personne une joie délicieuse à ses auditeurs, si, entre autres vertus, il est revêtu de la candeur de la chasteté tout au cours de sa vie. C'est ce que dit la suite : «JUSQU'À CE QUE LE JOUR SOUFFLE SA BRISE ET QUE LES OMBRES DÉCLINENT.»

34. Par là il est déclaré qu'une saine doctrine est toujours nécessaire au peuple de Dieu jusqu'à ce que ce grand jour du jugement, qui ne connaît pas de ténèbres, souffle sa brise, lui dont le souffle fait décliner vers le couchant les ombres de ce siècle ténébreux. En effet, tout ce qui dans le siècle présent parait grand doit être tenu pour ombres ou songes : ainsi la beauté du corps, la sagesse que donne la culture, la force des membres, les insignes des honneurs, la puissance royale; tout cela en comparaison de ce jour du jugement éternel est véritablement ombres et songes.

35. Les seins de l'Eglise sont donc comparés aux faons des biches parce qu'ils ont toujours le même aspect, sont beaux à voir, et rapides à fuir les attraits de la convoitise du monde, et ne sont jamais paresseux à rechercher les sommets escarpés qui plaisent à Dieu. Car pour chaque âme le jour souffle sa brise lorsque par la pénitence elle cherche son créateur, et que, parce qu'elle a mis un terme à ses oeuvres mauvaises, les ombres de l’ignorance ont décliné pour elle.

36. «J'IRAI À LA MONTAGNE DE LA MYRRHE ET À LA COLLINE DE L’ENCENS.» Lors donc que, grâce à l’enseignement des mystères dont il a été question, le Christ notre Seigneur a rendu parfaite cette Eglise-là – qui, nous l'avons dit, a été amenée par l'ami de l'époux, l’apôtre Paul, du désert jusqu'à la chambre du roi –, il se dirige maintenant vers une autre nation très amère, mais qui mourra pour son nom et sera un jour une offrande digne d'être acceptée, grâce à sa vie sainte. En lui donnant le nom de montagne, il a souligné la grande puissance qu'atteignait le sommet de sa malice. Mais en l’appelant montagne de la myrrhe, il a montré la mortification corporelle comme son salut, elle qui s'acquiert par la discipline. L'Apôtre témoigne que sur le moment cette discipline est amère, mais, dit-il, dans la suite elle procure, grâce au travail exercé sur la sensibilité, le fruit d’un grand apaisement. Voilà ce que l'âme bienheureuse peut offrir en présent pour apaiser son créateur. Quant à l'encens, nous lisons dans l'ancien Testament que c'est un sacrifice réservé à Dieu. Nous pouvons y voir la vertu d'humilité, qui s'acquiert par la contrition du coeur. C’est d'elle que le prophète déclare : «C'est un sacrifice à Dieu qu'un esprit brisé. D'un coeur broyé et humilié Dieu n'a pas de mépris.»

37. Donc quiconque se réjouit de porter en son corps la mortification du Christ, en ne refusant pas, pour la défense de la justice, les tribulations les plus amères – ce que signifie myrrhe – et quiconque aura lavé ses membres, par la lessive de la continence, de toute souillure de la luxure, aura ainsi fait de sa chair, pour Dieu, une offrande vivante et très pure d'encens. Il devient la montagne de la myrrhe et la colline de l'encens : sur lui le Verbe de Dieu peut monter pour contempler l'Eglise toute belle, c'est-à-dire que lui est révélé si le peuple n'a contracté aucune tache due à une offense, ou si, par suite de quelque faute, il faut employer le châtiment.

38. «TU ES TOUTE BELLE, MON AMIE, ET IL N'Y A PAS DE TACHE EN TOI.» La foi droite, en effet, est celle dans laquelle le Christ a ordonné aux apôtres de baptiser toutes les nations dans l'unité de la Trinité, et la vie immaculée est celle qui rend l'Eglise, ou l'âme, toute belle et lavée de toute tache. C'est précisément pour contempler ce peuple que le Christ notre Sauveur promet d’aller, par l’enseignement des apôtres, à la montagne de la myrrhe et la colline de l’encens. De ce peuple, il a dit dans l’évangile : «Mes brebis entendent ma voie et elles me suivent,» et : «J'ai d'autres brebis,» c’est-à-dire des nations de langue différente, «et il faut que je les amène, et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur,» c'est-à-dire un troupeau d'une seule foi dans le monde entier. Ainsi, il y aura un seul troupeau, le peuple chrétien, professant une seule foi, et un seul pasteur des pasteurs, le Christ Seigneur, qui a promis à ses brebis et à ses pasteurs : «Voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde.»

39. Voici dont la nation qui monte à travers le désert grâce à l'enseignement du bienheureux Paul, rassemblée des divers peuples et nations, auxquels il déclare : «Je rends grâce à mon Dieu de connaître vos langues à tous.» Une fois instruite par le mystère de l’incarnation, de la passion, de la résurrection du vrai Dieu et vrai homme, elle nous est montrée maintenant élevée au comble de la perfection, l'amour du martyre, et devenue si glorieuse dans chacun de ses membres qu'il n’y a aucune tache en elle.

40. Tous ceux en effet que, dans ce peuple, on peut trouver de plus illustres par l'humilité et de plus élevés par la sublimité du martyre, il faut voir en eux les montagnes de la myrrhe et les collines de l'encens, car l'humilité fait le disciple du Christ, le martyre lui permet de payer sa dette au Christ en mourant pour le nom de celui qu'il sait être mort pour ses péchés. Car de même que la mort du Christ Seigneur pour les impies est précieuse aux yeux des anges, des archanges et des dominations, de même aussi celle des saints martyrs est louée comme précieuse à ses yeux. A lui est la gloire pour les siècles des siècles. Amen.