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JUIN 2007 |
chrétiens orthodoxes sous la juridiction de S. B. Mgr. Nicolas archevêque d'Athènes et primat de toute la Grèce SOMMAIRE SUR LE MARTYRE DES APÔTRES
SAINT PIERRE ET SAINT PAUL ENTRETIENS SUR LES RAPPORTS DE L’ÉGLISE AVEC LES
FIDÈLES LES PÈRES
DE L’ÉGLISE (suite)
: Clément d’Alexandrie SYNAXAIRE DES MARTYRS ORTHODOXES CHINOIS NOUVELLES
C'est avec du retard que paraît ce numéro du fait que l'impression
se fait normalement en France.
Après avoir passé un mois au Cameroun (dont une bonne semaine
au Tchad), j'ai repassé par la France et aussi la Suisse. Les travaux
au Cameroun avancent peu à peu et à Omog, il y a eu au dernier
moment une dizaine de baptêmes. Au Congo, on m'attend aussi, mais pour
cette fois-ci c'était au-dessus de mes possibilités.
J'ai donc repris la charge pastorale au Pirée et à Athènes,
et après un mois là-bas, j'ai dû partir pour Thessalonique
remplacer le père Élie, âgé et malade. Je ne sais
combien de temps je resterai ici.
Vers la fin d'année, au plus tard, je tâche de faire une tournée
en
France et en Suisse.
Mon téléphone à Thessalonique : 0030 2310 657411 ou le
portable 0030 6949577884
Vôtre, en Christ,
hm. Cassien
Abba Macaire le Grand a dit : Ce
qu'il faut pour le moine qui est assis dans sa cellule, c'est qu'il
rassemble en lui-même son intellect loin de tous les soucis du
monde, sans le laisser vagabonder dans les vanités de ce siècle,
qu'il soit tendu vers un but unique, appliqué constamment à
la pensée de Dieu seul, restant en lui à toute heure,
sans distractions, ne laissant rien de terrestre troubler son cœur,
ni pensée des choses charnelles, ni souci de ses parents, ni
consolation de sa famille, mais que dans son esprit et dans tous ses
sens il soit comme se tenant en présence de Dieu, afin d'accomplir
en cela la parole de l'Apôtre qui dit : «Afin que la vierge
soit toute assidue auprès du Seigneur, dans une absence complète
de distractions.» (l Co 7, 34-35) |
SUR
LE MARTYRE DES APÔTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL
saint Augustin (sermons inédits)
Avec la grâce de Dieu, nous célébrons aujourd'hui le martyre
de saint Pierre et de saint Paul; le
monde entier solennise aujourd'hui leur mémoire, les unissant dans
les mêmes cantiques, comme ils ont été unis par une même
foi et couronnés par un même triomphe. C'est la fête de
Paul; et, tous le proclament, c'est aussi la fête de Pierre. Comment
garder le silence sur Pierre, quand on se rappelle avec quelle fermeté
il a refoulé la rage de Simon le Magicien, lui a enseigné la
saine doctrine et a confondu son orgueil ? Par leur trépas glorieux,
ces deux apôtres ont prouvé combien la mort des saints est précieuse
devant Dieu. Paul est un vase d'élection, Pierre tient les clefs de
la maison du Seigneur; l'un était pêcheur, l'autre a été
persécuteur. Paul a été frappé d'aveuglement,
afin de mieux voir; Pierre a renié, afin de croire. Paul, embrassant
la foi de Jésus Christ après la résurrection de l'Église,
s'est montré le disciple d'autant plus glorieux de la vérité,
qu'il avait été plus obstiné dans son erreur. Pierre
pêcheur n'a pas déposé ses filets, mais les a changés,
parce qu'honoré le premier du sacerdoce, il préféra désormais
les sources à la mer, et chercha les poissons, non pas pour les détruire,
mais pour les purifier. Tous deux furent heureux dans l'administration de
la doctrine, mais la mort les confirma dans un bonheur plus grand encore.
Sur la terre, la gloire n'est qu'en désir; au ciel, elle a toute sa
réalité. Sur la terre, les tribulations se succèdent,
la mort met les saints en possession de la véritable grandeur. La voix
de ces apôtres se fait entendre jusqu'aux confins de la terre. Partout
s'élève en leur faveur un concert de louanges; partout la voix
des fidèles redit la magnificence de leur triomphe.
2. Comment appeler morts des hommes dont la foi est un principe de vie et
de résurrection pour le monde entier ? Pour arriver au glorieux séjour
de l'éternelle lumière, que personne n'hésite à
se confier en toute assurance à la direction de ces illustres docteurs;
à leur suite la conquête du ciel n'est plus impossible. Paul
est là pour seconder nos efforts, et Pierre pour ouvrir les portes
de l'éternel séjour. Du reste, il ne peut que nous être
utile de rappeler le glorieux martyre de ces apôtres. Paul fut décapité,
Pierre fut crucifié la tête en bas. Ce genre de mort est plein
de mystère. Il convenait que Paul eût la tête tranchée,
parce qu'il est pour les Gentils le chef ou la tête de la foi. Pierre
avait reconnu que Jésus Christ est la tête de l'homme, et comme
Jésus Christ était alors assis dans sa gloire, Pierre lui présenta
d'abord sa tête, que les pieds devaient suivre, afin que dans ce nouveau
genre de martyre, pendant que les pieds et les mains étaient enchaînés,
la tête pût prier et prendre le chemin du ciel. Je ne suis pas
digne, disait Pierre, d'être crucifié comme mon Seigneur. Par
ce langage il ne refusait pas le martyre, mais il craignait de s'approprier
le genre de mort du Sauveur, et ne se trouvait digne que de honte et de châtiment.
Bienheureux Pierre, quand nous vous voyons suspendu à la croix, combien
vous l'emportez à nos yeux sur le Magicien aspirant à prendre
son vol dans les airs ! Il ne s'élève que pour tomber plus
profondément, tandis que vous n'inclinez votre tête vers la terre
que pour posséder le ciel après votre mort, par la grâce
de Jésus Christ qui vit et règne dans les siècles des
siècles. Amen.
Tu as près
de toi le Seigneur que tu aimes; tu as aussi un ange gardien de ta vie,
qui a mission de te délivrer de tous maux. saint Théodore le Studite (Epître à Euphros) |
1. LES DÉBUTS DE L’ÉGLISE GAULOISE
L’Église gauloise débuta au premier siècle. Selon
la tradition occidentale, la Gaule (France) fut d’abord évangélisée
par sainte Marie Madeleine, saint Lazare et ses soeurs, les saintes Marie
et Marthe. Plusieurs historiens, fondés sur le second épître
de saint Paul à Timothée, pensent que l’apôtre Crescens,
envoyé par saint Paul, avait oeuvré en Gaule. D'après
quelques-uns, saint Paul lui-même s’y serait arrêté
en route pour l’Espagne. De toute manière, la foi chrétienne
a pénétré en Gaule méridionale de bonne heure,
en particulier en Provence et dans la vallée du Rhône –
régions ayant une forte présence de minorités grecques
venues de l’Asie Mineure, de la Phrygie et de la Syrie.
L’histoire écrite de la Gaule orthodoxe commence au deuxième
siècle avec la prestigieuse Église de Lyon, que seule celle
de Rome surpassait en autorité et influence en Occident. Ses premiers
évêques furent les saints Pothin et Irénée. Saint
Pothin fut au nombre des chrétiens martyrisés par l’empereur
Marc-Aurèle en l’an de grâce 177. Les Actes de Pothin,
inclus par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique
(Livre 5, chap. 1), sont considérés comme un des plus beaux
écrits de l’Église ancienne. Le successeur de Pothin fut
le hiéromartyr Irénée, qui avait connu le hiéromartyr
Polycarpe dans sa jeunesse en Smyrne, ce dernier ayant été à
son tour disciple de saint Jean le théologien. Les écrits de
saint Irénée de Lyon se comptent parmi ceux des saints pères
de l’Église; bientôt, l’influence de saint Irénée
atteignit grâce à eux l’Asie mineure et l’Égypte
à la fois.
D’autres cités eurent aussi leurs martyrs et leurs saints, même
si les persécutions étaient moins intenses en Gaule que dans
les autres provinces de l’Empire. Parmi ces saints serviteurs du Christ,
les plus vénérés sont : saint Victor de Marseille, saint
Saturnin de Toulouse, saint Symphorien d’Autun, les saints Marcel de
Chalon-sur-Saône et Valérien de Tournus, saint Denys de Paris,
saint Maurice d’Agaune avec les martyrs de la légion thébaine,
saint Julien du Mans, saint Taurin d’Évreux et saint Patrocle
de Troyes.
Au milieu du troisième siècle, la région de Narbonne
et la Gaule celtique avaient plus de trente évêchés. Des
conciles locaux se tenaient sous les auspices de l’archevêque
d’Arles, auxquels assistait le clergé de toute la Gaule et même
de la Bretagne. Le nombre des évêques continua à augmenter
jusqu’à la fin du siècle, pendant que le pays se remettait
difficilement de l’invasion des Alémans de 257. Épargné
de la persécution de Dioclétien grâce à la modération
de Constantin Chlore, l’Église de Gaule fut à même
de s’organiser en paix même avant l’époque de Constantin
le Grand. Cependant, à la veille du quatrième siècle,
l’Église de Gaule n’était pas encore une “Église
nationale” distincte, comme l’étaient les Églises
d’Antioche et d’Alexandrie.
2. SAINT MARTIN DE TOURS ET L’ÉCLOSION DU MONACHISME D’OCCIDENT
Le monachisme prit d’abord racine en Orient, mais l’Occident reçut
très tôt un modèle de ce mode de vie par l’exemple
personnel et les écrits de saint Athanase d’Alexandrie, qui vécut
en exil à Trèves, en Gaule, au début de l’an 335.
Puisque Athanase connaissait saint Antoine le Grand, et avait trouvé
refuge parmi les moines de la Haute-Égypte pendant une période
de grand danger, on peut supposer que les Gaules étaient au courant
des exploits ascétiques du bienheureux Antoine et des moines d’Égypte.
Au quatrième siècle, le feu de la foi chrétienne
se mit à brûler intensément dans la Gaule orthodoxe, grâce
surtout à l’exemple et à l’inspiration du mouvement
monastique croissant par le monde chrétien entier.
Deux des plus grands saints de ce temps en Gaule furent saint Hilaire de Poitiers
et saint Martin de Tours. Saint Hilaire, considéré comme “l’Athanase
de l’Occident”, fut le père spirituel de saint Martin.
Saint Martin est estimé le premier des grands saints moines de la Gaule.
Son exemple de “martyre non sanglant” par l’ascèse
fut suivi par beaucoup.
Trois éléments importants peuvent être mentionnés
dans l’expansion de l’idéal ascétique du monachisme
au milieu du peuple gaulois :
a) Le premier vrai monastère fut Marmoutier, fondé par saint
Martin. Les moines de Marmoutier, au nombre de quatre-vingts, vivaient tous
dans de minuscules cellules en bois, construites en partie dans les grottes
naturelles situées au flanc d’une immense falaise s’étendant
le long des bords de la Loire. Aujourd’hui encore, on peut voir ces
grottes près de Tours. Le monastère de Marmoutier avait une
forte influence, car beaucoup d’évêques furent choisis
en son enceinte. Saint Sulpice Sévère, dans sa Vie de Saint
Martin, parle ainsi du monachisme de ce lieu :
“Personne n’y avait rien qui fût appelé le sien...
Il n’y était permis d’acheter ou de vendre quoi que ce
soit... Aucun travail manuel n’y était pratiqué, sauf
celui des copistes, et même cela était assigné aux frères
les plus jeunes, tandis que les aînés passaient tout leur temps
en prière. Ils ne quittaient leurs cellules que très rarement...
Ils prenaient tous leur nourriture ensemble... La plupart d’entre eux
portaient des vêtements de poils de chameau. Cela doit être considéré
comme le plus remarquable puisque beaucoup parmi eux étaient visiblement
de rang noble... et élevés de manière très différente.”
(Chapitre 10)
L’expression, particulière à saint Martin, de la vie monastique
à Marmoutier était naturellement en harmonie avec l’âme
des Gaules et servait de catalyseur à l’expansion du christianisme
parmi ce peuple.
b) Un des fruits spirituels immédiats de l’exemple de saint Martin
fut le fameux monastère de Lérins. La fondation du monastère
sur l’île de Lérins en 410 fut l’oeuvre de saint
Honoré, le futur évêque d’Arles. Le monastère
servait d’école spirituelle à des évêques
et des écrivains ecclésiastiques, tels que saint Faust de Riez,
saint Eucher de Lyon, saint Vincent de Lérins, saints Hilaire et Césaire
d’Arles et saint Patrick d’Irlande.
L’information qui nous est parvenue sur la vie du monastère de
Lérins peut se trouver en premier lieu dans la Vie de son fondateur,
saint Honoré, et dans l’éloge du désert de saint
Eucher de Lyon. Ces sources montrent que la plupart des moines vivaient en
communauté pendant que les plus expérimentés poursuivaient
leurs combats selon un mode de vie érémitique ou semi-érémitique.
Le monachisme du style de Lérins (dont l’idéal le plus
haut était la vie anachorétique dans le désert) se répandit
dans tout le sud-est de la Gaule, notamment dans les montagnes du Jura avec
les saints Romain et Lupicin, et dans le Valais, où le monastère
Saint-Maurice-d’Agaune était resté un centre spirituel
important pendant encore plusieurs siècles.
c) Finalement, les enseignements spirituels de saint Cassien le Romain doivent
être mentionnés. En 416, saint Cassien fonda le monastère
Saint-Victor à Marseille. Avant cela, en 400, il fut ordonné
au diaconat par saint Jean Chrysostome. Saint Cassien fut un grand défenseur
des enseignements dogmatiques de l’Église et exprima de façon
équilibrée la synergie entre la liberté de l’homme
et la grâce de Dieu. Cependant, son oeuvre principale fut de révéler
aux moines gaulois le mode de vie et la spiritualité des moines de
l’Orient. Ses Institutions et Conférences, écrites pour
les moines de Provence, sont une manifestation glorieuse de ces fruits spirituels
qu’il avait acquis pendant son long séjour parmi les saints hommes
renommés d’Égypte. Beaucoup des communautés monastiques
nouvellement fondées, de même que des ascètes désireux
de mener la vie solitaire, se servirent de ses écrits comme de manuels
et guides spirituels. Les règles monastiques exposées dans les
Institutions servirent de base à l’établissement des Typiques
monastiques ultérieurs les siècles suivants, y compris à
celui de la Règle de saint Benoît.
3. LES MÉROVINGIENS
Juste au moment où le monachisme commença à prendre racine
en Gaule, un événement grave secoua l’intellect et le
coeur du monde gréco-romain entier : après plusieurs siècles
de violents conflits et de sanglantes escarmouches, les tribus germaniques
du Nord finirent par mettre à sac la cité de Rome. Ce fait marqua
le début d’une nouvelle période dans l’histoire
de l’Occident, aussi bien sur le plan ecclésiastique que sur
le plan politique, quant aux défis qu’il apporta à l’Église
orthodoxe en croissance.
La fusion de la population celto-romaine de la Gaule avec les envahisseurs
francs fut facilitée par la conversion du roi franc Clovis du paganisme
germanique à l’orthodoxie chrétienne en 498, commençant
effectivement ce qui a été appelé plus tard la période
mérovingienne de l’histoire de France.
Alors que les intentions de Clovis pouvaient être bonnes, ses actes
et ses pratiques, de même que ceux de certains de ses descendants, étaient
nettement loin de l’idéal chrétien. Mais malgré
le fait que le comportement de l’aristocratie franque était souvent
ce que l’on peut appeler brutal, la sainteté orthodoxe avait
une influence puissante sur la société mérovingienne.
Peu d’époques furent aussi fécondes en saints. Ils étaient
nombreux parmi les conseillers des rois; quelques-uns appartenaient même
aux familles royales. On peut mentionner le roi Guntrumnas (appelé
“le bon roi”) de Bourgogne et surtout les saintes reines Clotilde,
Radegonde et Bathilde. C’étaient les saintes reines mérovingiennes
qui attisaient le feu du monachisme féminin en Gaule en fondant des
monastères et en y entrant elles-mêmes peu de temps avant leur
mort de justes.
Indubitablement, ce sont les saints évêques des cinquième
et sixième siècles qui ont subi les luttes les plus pénibles.
Cela a été dû à plusieurs causes : l’impiété
des dirigeants toujours changeants de France, l’opposition de nombreuses
personnes germaniques païennes (ou ariennes) non converties qui s’installèrent
dans leurs diocèses, puis le relâchement, l’ambition séculière
et le caractère mercenaire de certains membres du clergé. Néanmoins,
de grands saints brillèrent pendant ces siècles, comme les saints
hiérarques Rémi de Reims, Éloi de Noyon, Aldouin de Rouen,
Didier de Cahors, Léger d’Autun et surtout Grégoire de
Tours. Saint Grégoire écrivit beaucoup (plus de douze volumes)
sur l’histoire de la Gaule et ses saints et pécheurs. C’est
lui qui nous a appris le plus sur les années mérovingiennes
de la Gaule orthodoxe.
Comme les années passaient, la foi chrétienne orthodoxe continuait
à se propager parmi les habitants de la Gaule. Puis, à la fin
du sixième siècle, ce processus de conversion nationale reçut
une nouvelle impulsion d’une source inattendue – les moines et
saints d’Irlande.
4. LES MISSIONNAIRES IRLANDAIS SUR LE CONTINENT
Le plus connu peut-être des moines missionnaires d’Irlande fut
saint Colomban de Luxeuil, qui mit en oeuvre ses “migrations”
sur le continent européen.
Saint Colomban et ses disciples commencèrent leurs voyages en 590,
allant par la Bretagne au coeur de la Gaule franque. Lorsque saint Colomban
arriva, les conditions politiques et sociales de la Gaule étaient déjà
déplorables. Saint Colomban et ses disciples s’étaient
lancés dans une prédication itinérante avant de s’adresser
à Guntrumnas, le roi de Bourgogne susmentionné, pour obtenir
la permission d’établir un monastère. Saint Colomban choisit
un endroit éloigné de la cour, aux pieds des montagnes des Vosges,
dans un lieu appelé Annegray. Peu après, deux autres institutions
surgirent – celle de Luxeuil et celle de Fontaines. Saint Colomban était
abbé de ces trois établissements.
Pendant une dizaine d’années tout allait bien. La région
fut profondément et durablement influencée par les monastères
et presque tous ses habitants furent baptisés. Alors Colomban s’attira
des ennuis de la part de la reine Brunhilde et fut exilé de Bourgogne.
Bien que chassé de Bourgogne, il fut bien accueilli par d’autres
rois francs, qui, eux aussi, s’écartaient de plus en plus de
la Bourgogne. Finalement, saint Colomban et ses moines s’installèrent
à Bregenz, à l’extrémité orientale du lac
de Constance en la Suisse actuelle. Laissant là un de ses disciples
proches, Colomban eut l’inspiration de prêcher aux Lombards et
traversa les Alpes pour aller en Italie et s’installer finalement à
Bobbio, près de la rivière Po, où il décéda
en 615.
Parmi les autres moines missionnaires d’Irlande figuraient les saints
Killian, Colman, et Totnan de Würzburg en Allemagne, Gall de Suisse et
Ours d’Aoste en Italie.
Par toute l’Europe, les moines irlandais établirent des hôtelleries
pour des pèlerins et des voyageurs en annexe à leurs ermitages
monastiques et partout où ils allaient, ils apportèrent avec
eux – et continuèrent à produire – des oeuvres de
grande beauté. L’Europe occidentale avait souffert d’une
grande perte d’instruction à cause de la violence des siècles
précédents. Les Irlandais qui vinrent sur le Continent apportèrent
avec eux dans leurs bagages des copies de textes anciens, dont certains, depuis
des siècles, n’avaient été lus que par des Irlandais.
Ainsi, ces moines rendaient à l’Europe les trésors perdus
d’instruction classique, de pensée patristique, de commentaire
biblique et de poésie, en se liant d’amitié avec les peuples
barbares germaniques pour les convertir par leur amour et leur exemple.
5. CHARLEMAGNE ET LE COMMENCEMENT DE LA FIN
À la fin du huitième siècle, nombreuses étaient
les tribus germaniques qui avaient entendu la Bonne Nouvelle de l’évangile
et qui commencèrent à se convertir à la foi chrétienne.
Cela eut lieu à une large échelle tout particulièrement
parmi les dirigeants, qui donnèrent naissance finalement à la
fameuse dynastie carolingienne, avec Charlemagne comme son premier grand chef
et ascendant formateur. Charlemagne chercha à instituer une “nouvelle
Byzance” ou le “nouveau saint Empire romain”, en alliant
consciemment son royaume au pape de Rome, afin de créer une société
chrétienne idéale, qui serve de modèle sur lequel les
générations futures puissent construire, à la fois sur
le plan politique et dogmatique. Malheureusement, la base dogmatique qu’ils
choisirent était hérétique, et la manière péremptoire
de l’Église de Rome comme des dirigeants carolingiens renforcèrent
cet idéal corrompu en construisant sur lui pendant des siècles.
Les courants incontrôlés de cet idéal vicié eurent
comme résultat final la séparation de l’Occident du reste
de la chrétienté en 1054.
En dépit du fait que l’avènement des Carolingiens décida
de l’avenir de l’Europe en brisant son unité spirituelle,
il ne mit pas fin à l’Empire byzantin. Les objectifs annexionnistes
et unionistes des pouvoirs occidentaux, qui aboutirent à la conquête
de Constantinople en 1204, affaiblirent l’Empire byzantin, mais ne le
détruisirent pas. À la veille de la conquête turque de
Byzance, une magnifique renaissance spirituelle et culturelle eut lieu, à
l’époque des Paléologues, grâce surtout au mouvement
hésychaste. Même après la chute de Constantinople en 1453,
la continuité de l’Empire byzantin survécut dans l’Empire
russe, jusqu’à la révolution de 1917.
Quand la révolution russe eut lieu, la maladie du communisme se répandit
rapidement par les autres nations orthodoxes. Pour sauver leur vie, beaucoup
d’orthodoxes de ces pays furent contraints de fuir. Beaucoup vinrent
en Occident. Parmi les nations occidentales, la France accueillit un très
grand nombre de ces immigrants orthodoxes. Ces émigrés, lentement
mais sûrement, commencèrent à partager la foi orthodoxe
avec leurs voisins et amis, et entamèrent de la sorte le processus
pour faire retrouver la foi ancienne de leurs ancêtres aux enfants de
la France contemporaine. Aujourd’hui, on trouve des monastères
et couvents orthodoxes répandus sur tout le territoire de la France,
et de plus en plus de personnes retournent à la plénitude de
l’Église orthodoxe universelle – celle de saint Martin,
de sainte Geneviève et de tous les saints protecteurs de l’ancienne
Gaule. Que Dieu augmente leur nombre !
Moine Nicodème
Dans un seul et même
homme, il faut à la fois aimer le frère et hair ses vices. Smaragde (Le diadème des moines, chap. 76) |
Dans : Le catechisme d’Orient du Métropolite Philarète
de Moscou (1851)
Q. Qu'est-ce que cette résurrection des morts que le Symbole de la
foi dit que nous attendons ?
R. Ce sera une nouvelle manifestation de la toute-puissance de Dieu, par laquelle
toutes les âmes des trépassés se réuniront à
leurs corps, et ces corps revivront d'une vie spirituelle et immortelle.
«Il est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme
un corps spirituel.» (I Cor 15,44)
«Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité,
et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité.» (Idem,
53)
Q. Comment ressuscitera ce corps putréfié dans le sein de la
terre, et entièrement dissous ?
R. Puisque Dieu créa primitivement le corps humain de la terre; il
lui est bien possible de renouveler de même ce corps réduit en
poussière. Saint Paul pour expliquer la résurrection des corps
se sert de l'emblème d'une semence mise en terre, qui doit, se décomposer
pour produire une plante ou un arbre. «Ne voyez-vous pas que ce que
vous serez ne prend point de vie, s'il ne meurt auparavant ?» (I Cor
15,36)
Q. Tous ceux qui sont morts doivent-ils ressusciter ?
R. Tous les morts doivent en effet ressusciter; et, quant à ceux qui
à l'époque de la résurrection générale
seront encore en vie ici-bas, leurs corps terrestres et opaques seront instantanément
convertis en des corps spirituels, radieux et immortels. Nous ne mourrons
pas tous, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d’œil,
du son de la dernière trompette : car la trompette sonnera, et les
morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons
changés.» (I Cor 15,51-52)
Q. Quand aura lieu la résurrection des morts ?
R. Lorsque la fin de tout ce monde visible sera arrivée.
Q. Donc tout l'univers doit finir ?
R. Cet univers sujet à la corruption aura un terme, mais il sera transformé,
et deviendra incorruptible et impérissable.
«Les créatures mêmes espèrent d'être délivrées
de en asservissement à la corruption pour participer à la liberté
de la gloire des enfants de Dieu.» (Rom 8,21) «Car nous attendons,
selon sa promesse, de nouveaux cieux, et une nouvelle terre, où la
justice habitera.» (II Pi 3,13)
Q. Par quoi le monde sera-t-il transformé ?
R. Par le feu.
«Or, les cieux et la terre à présent sont gardés
avec soin par la même parole de Dieu et sont réservés
pour être brûlés par le feu au jour du jugement et de la
ruine des impies.» (II Pi 3,7)
Q. En quel état se trouvent les âmes des trépassés
jusqu'au jour de la résurrection générale ?
R. Les âmes des justes dans une lumière et une tranquillité
qui est comme un avant-goût de la béatitude céleste, et
celle des pécheurs dans l'état opposé à cette
paix bienheureuse.
Q. Pourquoi les âmes des justes ne goûtent-elles pas immédiatement
après leur mort la béatitude céleste dans sa plénitude
?
R. Parce que l'entière rétribution, selon les œuvres, ne
peut appartenir qu'à l'homme complet, après la résurrection
des corps et le dernier jugement de Dieu.
Saint Paul en parle ainsi : «Il ne me reste qu'a attendre la couronne
de justice qui m'est réservée, que le Seigneur, comme un juste
Juge, me rendra en ce grand jour, et non seulement à moi, mais encore
à tous ceux qui aiment son avènement.» (II Tim 4,8)
Et ailleurs : «Nous devons tous comparaître devant le tribunal
de Jésus Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû
aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était
revêtu de son corps.» (II Cor 5,10)
Q. Quelle certitude a-t-on d'un état de félicité transitoire
qui précède pour les justes le jugement dernier ?
R. Le témoignage irrécusable de Jésus Christ qui nous
apprend dans une parabole que Lazare à peine mort fut porté
dans le sein d'Abraham. (Voyez Luc 16,22)
Q. Cet avant-goût de la béatitude céleste est-il joint
à la contemplation de notre Seigneur Jésus Christ ?
R. Cela doit être ainsi, du moins en ce qui regarde les saints, comme
saint Paul nous le fait entendre, disant : «Car je désire d'être
dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus
Christ.» (Ph 1,23)
Q. Quelle remarque nous reste-t-il à faire relativement aux âmes
de ceux qui sont morts dans la foi, mais dont le repentir n'a pas eu le temps
de porter fruit ?
R. Que pour leur obtenir une résurrection bienheureuse, les prières
de ceux qui sont encore sur cette terre peuvent être d'un grand secours,
surtout lorsqu'elles sont jointes au sacrifice non sanglant de la Liturgie,
et à des œuvres de bienfaisance accomplies avec foi en mémoire
des trépassés.
Q. Sur quoi se fonde cette doctrine ?
R. Sur la tradition constante de l'Église universelle, dont les traces
se retrouvent même sous l'ancienne loi. Judas Macchabée offrit
des sacrifices à Dieu pour l’âme des soldats tués
sur un champ de bataille. (II Mac 12,43) De tout temps, la prière pour
les trépassés a été une partie intégrante
de la Liturgie chrétienne; témoin la plus ancienne de toutes,
celle de l'apôtre saint Jacques. Saint Cyrille de Jérusalem s'exprime
sur ce sujet de la manière suivante : «Il est d'un grand avantage
pour les âmes de ceux qui nous ont précédés, que
l'on prie pour elles durant le sacrifice saint et terrible.» (Instruction
catéchétique, 5,9) Saint Basile de Césarée, dans
les Prières de la Pentecôte, dit que le Seigneur nous fait la
grâce d'accepter nos prières expiatoires et nos sacrifices, en
faveur de ceux qui sont retenus dans l'enfer, et qu'il nous permet d'en espérer
pour eux la paix, l'adoucissement de leur état et la délivrance.
«N’ayons
jamais honte de confesser le Crucifié, marquons avec confiance
notre front du signe de la croix, et retraçons-le sur tout ce
qui nous approche sur le pain que nous mangeons, sur les coupes dont
nous buvons; signons-nous de la croix en entrant ou en sortant de nos
maisons, en nous couchant et en nous levant, lorsque nous sommes en
voyage ou que nous nous reposons. Le signe de la croix protège
le pauvre, et devient pour le faible une sécurité qu'il
obtient sans peine. Car c'est encore une grâce que Dieu nous accorde,
que ce signe, qui est la marque distinctive des fidèles et la
terreur des esprits malins.» Saint Cyrille de Jérusalem (Instruct. catech. 13,36) |
ENTRETIENS SUR LES RAPPORTS DE L’ÉGLISE AVEC LES FIDÈLES
Jacques Kozmitch Amphithéâtroff, professeur de l'académie
ecclésiastique de Kiev. II publia lui-même son ouvrage en 1847.
Il plaça en tête ces humbles paroles, que nos lecteurs n'oublieront
pas: «Souvenez-vous de moi dans vos prières.»
Traduction de M. Georges Savitch Tesseisky, diacre
Publié dans «l'Union chrétienne» (mars 1986)
ENTRETIENSPREMIER ENTRETIEN
COMMENT L'ÉGLISE EST NOTRE MÈRE PAR LA RÉGÉNÉRATION
QU'ELLE NOUS DONNE PAR LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
«Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? N’a-t-elle
pas pitié du fruit de ses entrailles? Quand elle l’oublierait,
Moi je ne t’oublierai point. Voici, je t’ai gravée sur
mes mains; Tes murs sont toujours devant mes yeux.» (Is 49,15-16)
J'ai relu ces paroles du Seigneur afin de les placer en tête de mes
entretiens sur les saints rapports qui existent entre l’Église
de Dieu et nous, ses fidèles, et sur le grand amour qu'elle nous porte.
Je ne présenterai pas cette question sous une forme abstraite et scientifique;
je l'envisagerai sous les aspects qui la rapprochent le plus de nous, et se
rapportent â nos besoins de chaque jour. Nous entendons souvent donner
à l'Église le nom de mère. Je m'attacherai à cette
pensée; que l'Église est notre mère et je montrerai qu'elle
l'est en effet, pour nous tous qu'elle nous a donné la naissance, qu'elle
surveille notre éducation, qu'elle prend soin de nous comme de ses
propres enfants.
Elle est notre mère :
1° Par droit de régénération
2° Par droit d'éducation;
3° Par droit de surveillance et de protection.
Dans ce premier entretien, je ne traiterai que du premier droit, et j'établirai
que l'Église est notre mère par droit de régénération,
au moyen du Mystère (sacrement) du Baptême.
Nous tous chrétiens, nous avons une double naissance : l'une naturelle,
l'autre surnaturelle, dont la grâce est le principe.
La première nous est donnée par nos parents selon la chair,
la seconde, par l'Église. L'une et l'autre sont des faits qui ont une
haute importance pour toute notre vie. La première est le grand acte
de la nature; la seconde, le grand acte de la grâce divine.
Notre Seigneur parle ainsi de la première naissance :
«Une femme, lorsqu'elle enfante, est dans la douleur, parce que son
heure est venue; mais lorsqu'elle a donné naissance à un fils,
elle ne se souvient plus de sa douleur, dans la joie qu'elle éprouve
d'avoir mis un homme au monde.» (Jn 16,21)
Toutes nos mères souffrent donc au moment où arrive pour elles
l'heure de la maternité, parce qu'elles subissent l'effet de cette
parole prononcée par Dieu dans le paradis terrestre : «Tu enfanteras
dans la douleur.»
Voilà pourquoi la femme souffre, lorsqu'elle enfante; mais cette grande
douleur et bientôt changée en joie, lorsque la femme obtient
ce qu'elle désirait de toute la force de sa nature, lorsqu'elle devient
mère. Alors elle se sent plus élevée à ses propres
yeux et aux yeux du monde; elle se trouve en possession d'un droit qui vaut
mieux pour elle que toutes les armes; elle reçoit un nom plus vénéré
que cens dont l'éclat fait l'ornement du monde. Cette élévation
et ce nom qu'elle obtient, font oublier à la femme les souffrances
de l'enfantement, quelque vives qu'elles soient. Lorsqu'elle a enfanté
un fils, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu'elle éprouve
d'avoir mis un homme au monde. Une seconde vie a pénétré
dans le coeur de la mère au moment où une nouvelle créature
entrait dans le monde de Dieu, une créature qui, par la dignité
et par la place qu'elle occupe, est au dessus des autres créatures
visibles: « Un homme est venu au monde !»
Mais hélas ! mes frères, nous sommes tous conçus dans
l'iniquité; nous naissons tous dans le péché. Le malheur
qui nous a frappés est si grand, qu’il a détruit les dons
et les prérogatives de notre naissance. Quel avantage as-tu d'être
homme, si en même temps tu es un pécheur auquel il n'a pas été
pardonné ? Quel sera la sort de cette jeune créature qui n'a
encore d'autre mère que sa mère selon la nature ? «Les
enfants des pécheurs sont des enfant d'abomination; quand vous êtes
nés, vous avez été sous la malédiction; quand
vous mourrez, la malédiction sera votre partage.» (Sir 41,8-12)
Pourquoi donner la vie à un être sur lequel pèse une éternelle
malédiction ? Si nous n'avions que la naissance charnelle, nous serions
les plus malheureuses des créatures. Si les pères et les mères
ne donnaient la vie à leurs enfants que pour les soumettre au péché,
sans espoir de justification, de sanctification, mieux vaudrait qu'il n'y
eut plus sur la terre ni un seul père, ni une seule mère. Si
les enfants ne naissaient que sous le joug du péché, ils seraient
exclus de l'héritage de Dieu, et ils ne feraient qu'augmenter le nombre
des réprouvés. Alors on aurait pu dire de nous tout ce que le
Sauveur a dit d'un seul : «Il eût mieux valu pour cet homme
de n'être pas né.»
Ainsi, l'acte le plus beau de la nature humaine est en même temps le
plus triste, s'il a lieu en dehors de la grâce. Ton jeune enfant est
innocent par lui-même, mais ton péché pèse sur
lui. Il est dans un triste état lorsqu'il sort de tes entrailles; malgré
ton amour, il est dénué de toutes ressources humaines; mais
alors la sainte Église se hâte de lui venir en aide. Elle se
montre la véritable mère, la mère instituée par
Dieu, de cet être que la nature n'a pas achevé, ou plutôt
qu'elle a mal achevé. Comment ? vous l'apprendrez dans ce livre ecclésiastique
qui vous offre le tableau de notre régénération.
I. PRIÈRES DU PREMIER JOUR OÙ LA MÈRE A MIS SON ENFANT
AU MONDE
Ces saintes prières nous mollirent la sainte Église recevant
dans ses bras la mère et l'enfant après l'enfantement. Je ne
veux pas vous dire quels sont les sentiments, les inquiétudes, les
espérances, les craintes qui vous agitent, lorsque, dans vos familles,
vous voyez arriver un membre nouveau. Je dirai seulement qu'au moment où
la mère et l'enfant souffrent, et que, dans votre coeur vous éprouvez
une tristesse si profonde, la sainte Église vient prendre part à
vos peines avec la plus tendre sollicitude. Elle prend part aux douleurs des
vôtres, comme le Sauveur prenait part à toutes les douleurs de
l'humanité. Vous vous hâlez d'appeler les médecins du
corps; l'Église, elle, s'empresse d'imprimer le sceau de la sainteté
à ce qui se passe chez vous; elle bénit vos soins et prie le
Seigneur Tout-Puissant d'être lui-même le médecin de la
mère; de préserver son âme et son corps d’un affaiblissement
si naturel en pareille circonstance, et de la faire sortir au plus vite de
son lit de douleur. En jetant vos regards sur ce lit, vous n'apercevez que
la souffrance de la femme, souffrance que vous ne pouvez pas soulager; la
sainte Église supplie le Créateur de mettre une garde céleste
auprès du lit de douleur, de l'entourer d'anges purs et resplendissants,
afin que, dans ses souffrances, la mère soit préservée,
non seulement contre les ennemis invisibles, mais contre les regards méchants
et envieux des hommes hostiles. Vous ne devez donc pas seulement chercher
à consoler votre malade, vous devez approcher d'elle avec respect,
puisque vous vous trouvez au milieu des êtres radieux, qui sont plus
élevés que vous, et qui veillent sur elle.
Que voyez-vous dans ce berceau où, pour la première fois, après
sa vie dans le sein maternel, repose le nouveau membre de votre famille ?
Un pauvre être que vous a donné une faible créature. La
sainte Église voit autre chose. A la vue du berceau de l'enfant, elle
se rappelle la crèche où reposait notre Sauveur qui n'apparaissait
que comme un petit enfant; elle prie le Seigneur, au nom de cette enfance,
de protéger votre enfant contre les méchants et contre toute
épreuve; elle supplie son Sauveur et le nôtre d'étendre
ses ailes protectrices sur la mère et l'enfant et de les couvrir comme
la poule couvre ses poussins (prière pour le premier jour de naissance).
Ah ! mes frères, existe-t-il quelque chose de plus saisissant que cette
sollicitude de l'Église ? Est-il un sentiment qui puisse être
comparé à un si vif amour maternel ?
II. PRIÈRE POUR DONNER UN NOM À L'ENFANT
La sainte Église commence la régénération de l'enfant
en lui donnant un nom. Elle prie le Seigneur Tout-Puissant de faire resplendir
son image sur la face du nouveau-né; il imprime sur son coeur et sur
son esprit la croix de son Fils, afin que le saint nom du Sauveur soit toujours
gravé dans sa mémoire. En lui donnant le nom d'un saint, l'Église
:
1° donne à comprendre que le nouvel homme doit être sanctifié
d'en haut;
2° elle remémore le rite auquel le Sauveur fut soumis le huitième
jour après sa naissance, selon la loi de Moïse; elle rapproche
ainsi l'enfant de Celui qui fut votre Sauveur et le sien. Vous professez la
plus haute estime pour les titres honorifiques que vous décerne la
société; vous dites que le nom donne à celui qui le porte
une grande prépondérance parmi ses semblables. Croyez-vous que
le nom donné par l’Église à votre enfant n'a pas
une haute signification ? C'est sa première propriété,
et il la conservera toute sa vie. Ce nom sera la seule expression dont vous
vous servirez pour exprimer votre attachement, votre amour le plus tendre.
En recevant son nom, votre nouveau-né reçoit un représentant
au ciel, un intercesseur devant l'autel de Dieu; un ange gardien de sa vie
qui veillera sur lui mieux que vous; qui s'occupera de son salut avec plus
de zèle et de tendresse que vous ses père et mère terrestres;
qui partagera vos soins et votre sollicitude terrestres qui joindra ses principes
célestes aux vôtres. Vous joignez aux noms religieux de vos fils
et de vos filles, vos noms de famille, même ceux de vos ancêtres,
surtout lorsqu'ils ont jeté de l'éclat. Les noms donnés
par l'Église â vos enfants sont-ils moins glorieux ? Vous entendez
continuellement prononcer les grands noms de Paul, de Jean, d'Alexandre, de
Catherine, de Marie, et beaucoup d'autres. Seraient-ils des sons vides de
sens ? Les héros dont vous portez les noms sont-ils de moindre valeur
que ceux dont l'histoire civile a gardé la mémoire ? Les anciens
patriarches et prophètes, les saints apôtres, les martyrs, les
défenseurs de la foi et de l’humanité, toute la légion
des saints qui ont reçu dans les cieux le prix de leurs victoires,
est représentée sur la terre par les noms que nous recevons
de l’Église. Ces noms, sans cesse répétés,
sont une leçon toujours vivante sur la Sainte Écriture; et,
par l'intercession de ces saints, nous resserrons les liens qui nous unissent
au monde spirituel. Rien ne nous rappelle aussi bien l'Église céleste
que le nom que nous portons. Surtout pour l'enfant, ce lien qui le rattache
à l'Église céleste est un don inappréciable.
III. RITE DU SAINT BAPTÊME
Tandis que vous songez à organiser une fête de famille en l'honneur
de votre nouveau né, l’Église se prépare à
lui donner une fête plus digne de lui et de vous, dans le très
saint mystère du baptême. Ici elle apparaît vraiment comme
une mère qui va enfanter un chrétien. Le baptême est,
en effet, un enfantement spirituel, car elle nous y donne un nouvel être
plus élevé que celui que nous devions à notre naissance
charnelle. C'est là le triomphe de la grâce qui est fêté
au ciel par les saints anges. Tu as souvent préparé de l'eau
parfumée pour y plonger le corps de ton enfant bien-aimé. Tu
remplissais ainsi un devoir de mère attentive mais qui signifie ton
eau parfumée auprès de l'eau sainte dans laquelle l'Église
plonge ton enfant ? Ton eau ne peut enlever du corps de ton enfant aucun germe
de maladie; elle ne peut donner que peu de force à ses membres débiles.
L'eau du saint baptême le guérit de cette maladie ancienne, invétérée,
que l'on appelle péché originel. Par le mystère du baptême,
l'homme recouvre la première innocence et la sainteté qui ont
été perdues dans le paradis terrestre. Le baptême délivre
l'homme du joug de Satan, et le met au nombre des enfants de Dieu. Par le
baptême l'homme s'unit à son Créateur, à son Sauveur,
prend son image et s'attache â lui comme une jeune branche à
l'arbre de vie. Il se régénère ainsi entièrement.
Le front, les organes de la vue, de l'ouïe, de la respiration, la poitrine,
les mains, les pieds, tout est régénéré en lui
sous le sceau de l'Esprit saint, par le mystère de l'onction des huiles
saintes. Le vêtement baptismal lui-même, de la couleur la plus
naturelle, le blanc, et sans ornements, a une signification très élevée
il symbolise l’âme pure, lavée de toute souillure. Blanc
comme la neige, il est l'image du vêtement incorruptible fait des mérites
de notre Sauveur et Seigneur, selon cette parole : «Celui qui est baptisé
dans le Christ, est revêtu du Christ.
IV. LE QUARANTIÈME JOUR APRÈS LA NAISSANCE
La sainte Église s'empresse, par le rit de la Présentation,
d'accueillir dans l'Église la mère et son enfant, comme Siméon
et Anne reçurent notre Sauveur présenté dans le temple
de Jérusalem. Elle s'exprime ainsi par la bouche du prêtre :
«Seigneur, notre Dieu vous qui, le quarantième jour, avez été
présenté au Temple, selon l'ancienne loi, par votre sainte mère
Marie, qui était restée vierge; vous que le juste Siméon
porta dans ses bras ! Dieu tout-puissant, créateur de tous, bénissez
cet enfant que l'on vient présenter; inspirez-lui l'amour du bien;
écartez de lui toute puissance ennemie, en lui imprimant le signe de
ta croix, ô toi, mon Dieu, protecteur de l'enfance !»
Par le rit de la Présentation, l'Église donne au nouveau né
l’accès dans son saint Temple; elle l'y fait entrer comme dans
un nouveau monde créé et racheté par le sang de notre
Rédempteur : il entre dans ta maison; il vénérera ton
saint Temple. Par ce rite, l'Église place le nouveau né parmi
les élus de Dieu, et l'admet parmi ces chantres angéliques qui
louent le Créateur, selon cette parole : «Je te chanterai dans
ton Temple.» En approchant l’enfant de l'autel de Dieu, l'Église
enseigne qu'il a le droit d'y être admis, et qu'il sera à l'avenir
une victime sainte offerte à Dieu. Alors l'enfant, avec ses parents,
avec ses parrain et marraine qui le représentent, peuvent chanter l'hymne
de reconnaissance du juste Siméon Porteur de Dieu : «Maintenant,
Seigneur, tu peux laisser mourir en paix ton serviteur, puisque mes yeux ont
vu le Sauveur que tu nous a donné, et qui se montrera a tous les peuples.»
Ils ont vu, en effet, le Sauveur; ils ont vu la lumière qui illumine
le nouveau né et la gloire du peuple de Dieu.
Après ce saint rite, vous pouvez vous abandonner à toute votre
tendresse pour votre enfant. Par amour pour vous, l'Église a eu recours
au moyen le plus puissant, (rien n'est aussi puissant que le mystère
sacré) pour lui donner la vie éternelle, lui faire le don de
la justification, l'éclairer, l'oindre de l'huile sainte, le sanctifier,
le laver de toute tache, au nom du Père, du Fils et du saint Esprit.
Qu'est-il devenu pour vous cet enfant ? Il n'est plus seulement votre enfant,
il est l'enfant béni de Dieu, l'ami des saints, l'enfant de l'Église
de Dieu, un membre de la chrétienté. Tout chrétien, quel
qu'il soit, quel que soit le lieu où il réside lui doit aider
comme à son propre enfant. Qu'est-il encore votre enfant ? Étant
régénéré par l'Église, il est une créature
meilleure et plus pure que vous-même; il est un sanctuaire domestique
dont vous devez vous approcher, non seulement avec amour et avec des caresses,
mais encore avec respect et une profonde vénération. Peut-être
avez-vous perdu depuis longtemps la sainteté baptismale qui vous avait
été donnée par l'Église; peut-être que les
membres adultes de votre famille ont effacé le sceau du saint Esprit
dont ils avaient été marqués et perdu la robe d'innocence;
la grâce s'est peut-être éloignée de votre maison.
Maintenant, elle y rentre avec le nouveau-né, elle se repose sur lui,
prête à se reposer sur votre famille entière.
Je me suis servi du mot peut-être; car nous sommes tous obligés,
après avoir été plongés dans la piscine salutaire,
qui a été pour nous un paradis béni, de conserver notre
innocence et vivre d'une vie angélique. Mais qui d'entre nous peut
se flatter d'avoir conservé jusqu'à ce jour la grâce et
la sainteté baptismale ? Après le baptême, nous sommes
tombés comme Adam, notre père. Nous péchons souvent,
et la sainteté est fermée devant nous, comme le paradis terrestre
fut fermé pour Adam. Nous ne pouvons pas entrer une seconde fois dans
la piscine, nous ne pouvons être baptisés deux fois. Quel serait
notre sort si l’Église nous abandonnait après nous avoir
donné une fois le baptême ? Saint Paul a dit : «Si nous
péchons volontairement après avoir reçu la connaissance
de la vérité, il n'y aura plus de victime pour nos péchés;
nous n'aurons qu'à attendre un jugement terrible et le feu qui dévorera
tous les ennemis de Dieu.» (Héb 10,2627). Tous, hélas
! nous serions soumis à l'action dévorante du feu de Dieu; nous
tomberions plus bas que les Juifs et les païens, si l'Église ne
venait à notre secours avec d'autres moyens de nous justifier, de nous
sanctifier. Quels sont ces moyens ? Nous le verrons dans la suite, et nous
saurons ainsi que l'Église est une mère qui, après nous
avoir régénéré par le saint baptême, n'abandonne
pas ses enfants. L'homme peut être abandonné de tous; il peut
tout perdre fortune, gloire, honneurs, dignités, père et mère,
parents et amis. L'Église n'abandonne jamais un chrétien et
ne lui fait jamais défaut. «Une mère peut-elle oublier
ses enfants, et n'avoir pas pitié du fils qu’elle a porté
dans ses entrailles ? Quand même elle l'oublierait, moi je ne l'oublierai
point. Ainsi parle l’Église en répétant les paroles
de notre Seigneur Jésus Christ. Gloire â lui dans les siècles
des siècles. Amen.
Un prêtre venait de temps en temps d'une basilique
à la cellule d'un certain solitaire, pour y célébrer
le saint Sacrifice et lui donner le corps du Seigneur. Un jour, quelqu'un
vint trouver ce solitaire et porta auprès de lui une accusation
grave contre le prêtre. Lorsque ce dernier se présenta
comme de coutume pour célébrer le saint Sacrifice, le
solitaire indigné ne lui ouvrit pas. Le prêtre se retira.
Mais une voix se fit entendre au solitaire, qui disait : «Les
hommes se sont arrogé le droit de juger pour moi.» En même
temps, comme ravi en extase, il vit un puits d'or, avec son seau et
sa corde également d'or, et ce puits contenait une eau délicieuse.
Un lépreux puisait de cette eau et la versait dans un vase. Le
solitaire aurait bien voulu boire à ce vase, mais il n'osait
parce que celui qui puisait était lépreux. La voix se
fit alors entendre de nouveau«Pourquoi, disait-elle, ne bois-tu
pas de cette eau ? Comment celui qui emplit le vase serait-il un obstacle
? il ne fait que puiser et verser dans le vase.» Alors le solitaire,
rentrant en lui-même, comprit le sens de la vision : il appela
le prêtre, et lui demanda de célébrer comme auparavant
le saint Sacrifice. |
LES PÈRES DE L’ÉGLISE
(suite)
Clément d’Alexandrie
Le nom porté par le père alexandrin dont nous étudions
la vie et l’œuvre aujourd’hui était latin. Il s’appelait
Titus Flavius Clemens. À cause de cela, beaucoup pensent qu’il
était de souche romaine, ou qu’il portait le nom du maître
qui l’aurait affranchi. Il naquit vraisemblablement à Athènes,
vers l’an 150. Son lieu de naissance le fit parfois surnommer l’Athénien.
Sa famille, ses parents étaient païens. Il naquit donc tel aussi,
et il semble avoir été instruit alors dans le culte païen
d’Éleusis. Tous ceux qui ont écrit sa vie ont souligné
la solide formation reçue pendant sa jeunesse.
Contrairement à d’autres, nous n’allons pas analyser les
raisons de sa conversion, afin de prétendre déterminer si elles
se rapprochent de la seule séduction opérée par la pureté
évangélique sur son esprit, ou si d’autres motifs intellectuels
l’incitèrent à voir dans la nouvelle religion l’achèvement
de la philosophie hellénique. Ses écrits nous démontrent
trop l’authenticité de sa rencontre avec le Seigneur Christ,
pour que le don de la Foi qu’il reçut pleinement soit réductible
à de tels aspects. Si philosophie il y eut, ce ne fut qu’au titre
de celle que l’on nommera plus tard philosophie de la Vérité,
dont seul notre Dieu très bon est l’objet.
La première leçon portée par notre Alexandrin est celle
de ces deuxième et troisième siècles de l’ère
chrétienne, où l’on rencontre, dès cette haute
antiquité, tout ce qui continue de former ce que croit et confesse
l’Église catholique du Christ.
Que fit-il après sa conversion, dont nous ne connaissons pas exactement
la date ? Eh bien, il se mit à pratiquer tout ce qui lui avait été
transmis. Nous le constatons aisément en le voyant, à l’instar
de tous les vrais chrétiens recherchant un père pour les guider,
se mettre à rechercher un tel maître en Sicile, en Syrie, en
Palestine, là où résidaient les pères spirituels
les plus vertueux. Clément s’exprime ainsi au sujet de sa rencontre
avec de tels déifiés, qui avaient reçu sans intermédiaire
la vraie doctrine des apôtres : “Ils étaient parvenus jusqu’à
nous, pour nous confier la semence divine et je sais qu’ils se réjouiront
de voir leurs discours non pas expliqués, mais exposés tels
qu’ils avaient été transmis”. C’est dire que
pour Clément comme les autres pères apostoliques, la doctrine
était un dépôt à transmettre tel qu’il avait
été reçu, les commentaires philosophiques à son
endroit n’ayant d’intérêt que celui de la mettre
en valeur sans en altérer la pureté. Comme chaque ami de Dieu,
comme chaque fils obéissant du Père, Clément “ne
fut pas déçu de son attente” selon l’un des chants
du roi David. Il rencontra le père spirituel, l’ancien que Dieu
lui destinait. Dès ce jour, il s’attacha à lui pour apprendre
de sa bouche la vraie doctrine ascétique, et s’imprégner
de son exemple. Ce père spirituel s’appelait Pantène,
dont le nom est resté lié à la prestigieuse métropole
d’Alexandrie.
Alexandrie. C’est à Alexandrie, en l’an 180, que Clément
rencontra Pantène, son père spirituel, qui était probablement
originaire de Sicile. Clément en parle comme d’“un savant,
comme d’une abeille industrieuse, tirant des fleurs qui émaillaient
la prairie spirituelle des prophètes et des apôtres, le suc avec
lequel il nourrissait ses auditeurs”. Clément ne forçait
là ni son admiration, ni sa reconnaissance, tant la réputation
de sagesse et de science de son maître était grande. Pantène
était alors le directeur de la célèbre École d’Alexandrie,
qui tenait, d’une part, le rôle d’une université
chrétienne par l’ampleur des matières qui y étaient
enseignées, et d’autre part celui d’une fraternité
plus restreinte, composée d’étudiants groupés autour
d’un maître comme des disciples. Chacun connaît la célébrité
de cette Église (Alexandrie comptait alors un million d’habitants)
dont Eusèbe nous apprend, dans le chapitre II de son Histoire Ecclésiastique
qu’elle avait été fondée par le saint apôtre
Marc. En parlant d’Alexandrie, on ne peut oublier de préciser,
même brièvement, que l’histoire s’est souvent trop
focalisée sur le nom des hérétiques qui y ont sévi
ou qui y sont nés (par exemple les gnostiques Valentin, Basilide, Carpocras),
au point que le nom de cette métropole égyptienne leur est associé,
sans oublier leurs imitateurs. Ceci ne doit pas détourner l’attention
des chrétiens du fait basique que l’enseignement très
orthodoxe qui y fut dispensé fut majoritairement celui de bons et fidèles
serviteurs de l’évangile.
La rencontre avec le père spirituel qu’il recherchait fixa Clément
d’Alexandrie près de Pantène, son maître et son
ancien. Il y fut élevé au sacerdoce. Une lettre conservée
d’Eusèbe le présente en effet comme le bienheureux presbytre.
Après cela, continuer à débattre la question de savoir
s’il fut effectivement prêtre relève d’une discussion
oiseuse. Cette date de 180, qui marque la rencontre dont nous venons de parler,
semble situer la conversion de Clément dans la décennie
précédente, pour le moins.
Fils spirituel de Pantène, Clément devint son disciple préféré
à cause de son obéissance et de ses progrès dans la vie
spirituelle. Le maître n’hésita donc pas à le placer
à ses côtés pour enseigner avec lui. C’était
sans doute là une préparation voulue puisque, peu après,
Clément fut établi (sans doute par Pantène lui-même)
comme directeur de cette école. Il compta, parmi ses élèves
et disciples, Alexandre, qui devint évêque et avait commencé
son instruction sous Patène, ainsi qu’Origène, qui dirigea
après lui l’école d’Alexandrie.
L’œuvre de Clément d’Alexandrie. Certains auteurs
en parlent comme du plus ancien écrivain orthodoxe d’Alexandrie,
bien qu’Eusèbe nous parle des œuvres de son père
spirituel, Pantène, en disant qu’il avait expliqué “de
vive voix et par des écrits les trésors des divines Écritures”.
Ce témoignage d’Eusèbe correspond, par contre, à
la façon de faire des anciens pères qui privilégiaient
souvent l’enseignement oral. Il se peut aussi que ces écrits
se soient perdus. En ce cas, la substantifique moelle s’en retrouve
dans ceux de Clément, tant ce dernier s’était imprégné
des enseignements de son ancien. Il excella d’ailleurs à les
restituer selon le talent reçu de Dieu. À ce sujet, Guettée
précise : “…Clément, en tout ce qu’il
a écrit de la Nature divine, une en essence et triple en personnes,
et principalement touchant le Verbe, a eu surtout en vue de réfuter
l’ancien platonisme d’abord, puis le néoplatonisme de Valentin
et des autres gnostiques, qui étaient pour la plupart sortis de l’école
d’Alexandrie et qui avaient sans doute eu beaucoup d’influence
en Égypte”. Et le même auteur continue ainsi : “…On
n’a pas assez remarqué ce fait important qui donne la clef de
toute la doctrine des docteurs alexandrins sur le Verbe de Dieu. Des écrivains
abusant de quelques expressions isolées de Clément et d’Origène
n’ont voulu voir en eux que des disciples de Platon, s’appliquant
à introduire la doctrine de ce philosophe dans l’Église
en la revêtant d’un vernis chrétien. Il suffit de considérer
leurs doctrines dans leur ensemble pour voir que tel ne fut pas leur but”
(cf. R.P. V. Guettée in Histoire de l’Église, t. II, pp.
92–93).
Nous voilà renvoyés aux œuvres de ce père alexandrin
pour apprécier et nous nourrir de son enseignement. Elles appartiennent
aussi – et c’est capital – au témoignage de ces premiers
pères, instruits par les maîtres incomparables que furent ceux
qui avaient connu les apôtres, recevant alors de leur bouche les enseignements
que leur avait donnés le Seigneur. Ainsi, lorsque nous lisons les œuvres
de Clément, nous le voyons faire l’apologie de l’Église
une, nous le voyons enseigner le mystère de l’eucharistie, traiter
de la succession apostolique et de la hiérarchie ecclésiastique,
en vertu de l’enseignement directement reçu des apôtres.
Dès le début de l’histoire de l’Église, nous
voyons qu’il n’y eut jamais de place pour rien d’autre que
ce qui possède l’antiquité, l’universalité
et l’accord unanime depuis toujours. Et c’est ce que la hiérarchie
épiscopale aura à attester au cours des siècles, démontrant
clairement que tout ajout ou tout retranchement ne peuvent se prévaloir
de ce principe. C’est la première leçon de Clément
l’Alexandrin. Elle dirige carrément toute son œuvre, que
bien des auteurs résument dans ses trois principaux ouvrages (Le Protreptique,
Le Pédagogue et Les Stromates), qui sont autant d’éléments
de catéchèse destinés à conduire ses contemporains
païens à la conversion, puis de la conversion à la perfection.
Nous allons en parler brièvement.
Dans Le Protreptique, dont le titre complet est Exhortation aux Grecs, Clément
l’Alexandrin s’adresse au païen pour le tirer de son erreur.
Il utilise talentueusement sa connaissance du paganisme qu’il avait
abandonné, pour en souligner et réfuter radicalement les erreurs.
Comme Justin, il démontre l’impasse de la philosophie humaine,
expliquant comment et pourquoi ses plus grands maîtres ne pouvaient
amener au salut. Connu lui-même comme un des maîtres de cette
école d’Alexandrie, si célèbre sous le simple rapport
humain, on comprend facilement qu’une telle notoriété
jointe à la vertu ait provoqué la confiance de ses contemporains.
D’autre part, voir un tel connaisseur de la philosophie en démontrer
les impasses pour les diriger vers le Christ, Lui qui l’a guéri
de cette maladie de l’âme, constituait un exemple communicatif.
Après la première catéchèse du Protreptique, son
ouvrage Le Pédagogue constitue comme un manuel, un vade-mecum pour
le chrétien sortant du baptistère. Il s’était déjà
adressé à lui comme païen, puis comme catéchumène.
Maintenant “qu’il a revêtu le Christ”, il lui enseigne
la voie des commandements; il lui apprend l’exercice d’une vie
authentiquement chrétienne par la pratique des vertus et la fuite de
vices. Il éclaire sa marche vers la perfection, en lui dévoilant
les embûches que le diable excelle à semer sur cette voie. Il
le met en garde contre les égarements de la fausse gnose, sans oublier
de flageller les vices de son temps. Il enseigne tout en s’effaçant
devant le seul Pédagogue, qu’il désigne tel : le Christ,
dont il est le serviteur, vrai Dieu et vrai Homme, aune à laquelle
tout homme doit mesurer toute chose en ce monde pour arriver au salut. L’auteur
inspiré ne néglige même pas d’éduquer le
chrétien dans les actes les plus habituels de la vie, comme par un
code de “savoir-vivre” comme l’on dirait aujourd’hui.
Un code empreint non de maniérisme, mais de délicatesse pour
ses frères et de charité.
Nous en arrivons au plus connu de ses ouvrages, c’est-à-dire
les Stromates. Sous ce titre, Clément donna, en huit volumes, le résumé
de toutes ses lectures, connaissances et expériences spirituelles.
En lui donnant ce titre en langue grecque qui signifie «tapisserie»,
le saint auteur tenait sans doute à faire considérer son œuvre
comme un canevas sur lequel il allait broder, avec tout ce qu’il avait
appris.
Dans le premier livre, Clément démontre qu’en présence
de la foi, la philosophie n’a que le rôle de servante. Il écrit
: «La philosophie a Dieu pour principe aussi bien que la religion, en
ce sens que l’intelligence humaine vient de Dieu. Mais à l’égard
de la science divine, la philosophie n’a à remplir que le rôle
de servante; elle la sert dans certaines circonstances, par les raisonnements
justes et les données scientifiques qu’elle peut fournir. Elle
ne lui est absolument pas nécessaire, car il en est qui sont dans l’impossibilité
de démontrer leur foi». Et il ajoute : «Dans tous les systèmes
de philosophie, il y a des parcelles de vérité; d’où
viennent-elles ? Des peuples primitifs que les Grecs considèrent comme
barbares et qui avaient conservé des doctrines révélées
dès le commencement. C’est ainsi que les législateurs
de la Grèce et Platon ont beaucoup emprunté à Moïse.
Il y «établit que la philosophie, malgré les emprunts
qu’elle a faits à la Révélation, et surtout aux
livres sacrés de Hébreux, n’est pas parvenue à
lui donner une idée juste de Dieu. Elle n’a pu donner non plus
une notion exacte du culte que l’on devait Lui rendre».
Contre les gnostiques, Clément précisait que, dans ses études
sur la Parole de Dieu, le chrétien doit prendre pour guide la Tradition
de l’Église; autrement il s’expose à l’hérésie.
Il le démontre ainsi : «Ceux qui ne suivent pas ce guide font
violence aux Écritures; une fois qu’ils ont lancé de faux
dogmes au public, il sont obligés de lutter contre l’existence
des Écritures; et lorsqu’ils sont poursuivis sur ce terrain,
ou bien ils rejettent une partie des Écritures, ou bien ils nous calomnient
comme si nous n’avions pas assez de capacités pour les comprendre».
Clément nous donne ici de précieux renseignements à propos
de l’eucharistie avec une grave sagesse, renseignements dont nous pouvons
encore profiter et qui sont l’un des maillons de la perpétuité
de la foi de l’Église en cette matière. De même
il a écrit très clairement à propos de l’épiscopat,
du diaconat et du presbytérat. Il s’est exprimé d’une
façon si claire sur la hiérarchie divinement instituée
dans l’Église, que l’on ne peut émettre aucun doute
sérieux sur la doctrine qu’il donnait comme celle de l’Église
entière et des apôtres. Transmettant ce qu’il a reçu,
Clément témoignait qu’il n’y a jamais eu de place
dans l’Église pour une autre doctrine que celle contenue dans
ce dépôt qui a pour lui seul l’antiquité, l’universalité
et l’accord unanime depuis toujours. Cette fidélité distingue
«l’Église une, sainte, catholique et apostolique»
mentionnée dans le Credo de ceux qui s’en sont séparés,
en même temps qu’elle sert de phare aux égarés pour
leur indiquer le lieu où retrouver la véritable unité
dans la Vérité.
Pour apprécier l’intuition fondamentale de Clément, il
faut bien se référer à ses démonstrations qui
établissent que les parcelles de vérité contenues dans
les anciennes philosophies sont enfouies sous une foule d’erreurs. C’est
d’ailleurs ce qu’il faut saisir avant tout pour définir
l’École d’Alexandrie et séparer son enseignement
orthodoxe de celui des hérésiarques qui ont voulu se couvrir
du nom de cette glorieuse métropole. Clément, comme tous les
vrais docteurs orthodoxes d’Alexandrie, n’a rien enseigné
concernant le Verbe que la doctrine révélée dans l’Évangile
de Jean. Si ces docteurs orthodoxes ont décelé dans leurs études
sur l’antiquité des éclairs de cette doctrine chez Platon,
ils ont établi deux choses : a) que Platon n’avait pas eu une
idée établie de la doctrine du Verbe; et ensuite b) que les
néoplatoniciens, c’est-à-dire les gnostiques, étaient
tombés dans une foule d’erreurs en développant plutôt
la doctrine de Platon que celle de notre Seigneur Jésus Christ. Quelques
écrivains du 19e siècle ont prétendu que l’école
platonicienne d’Alexandrie avait exercé une forte influence sur
la doctrine chrétienne. Guettée, dans le tome II de son «Histoire
de l’Église» les réfute en démontrant que
cette assertion est contraire à la vérité : «Les
doctrines chrétiennes – écrit-il – étaient
parfaitement fixées avant Ammonius et Plotin, comme l’ont démontré
nos analyses des ouvrages des écrivains des deux premiers siècles»,
et il conclut : «L’école chrétienne d’Alexandrie
n’emprunta rien elle-même au platonisme et fut établie
plutôt dans le but de s’opposer aux systèmes de Basilidis
et Valentin qui voulaient harmoniser avec le christianisme certaines données
des philosophies anciennes et surtout celle de Platon».
Autres œuvres. On possède de Clément un petit traité
où, en commentateur avisé du saint évangile, il expliqua
la doctrine évangélique sur la richesse et la pauvreté.
Il démontra que la richesse prend le reflet de nos âmes : générosité
ou avarice ou envie; charité, justice ou vanité et injustice.
Ce sont les vices de notre cœur qui transforment les biens de ce monde,
comme la manière bonne ou impure de les acquérir, la faculté
d’en être libre ou esclave. Le riche n’est qu’un usufruitier
de ses biens. S’il se détache des biens de ce monde, ces derniers
pourront lui être moyen de salut, pourvu qu’il en fasse un usage
vertueux et charitable. À ce commentaire des versets 17-31 du chapitre
10 de l’évangile de Marc, Clément donna comme titre la
phrase interrogative des apôtres : «Quel riche sera sauvé
?».
On connaît aussi de lui un livre que tous regrettent depuis sa perte,
celui appelé Hypotyposes. Notre Alexandrin y avait rassemblé
huit de ces ouvrages contenant de nombreux renseignements sur l’ancien
et le nouveau Testament. Dans le livre VI de son Histoire ecclésiastique,
Eusèbe fait observer qu’il déterminait ainsi l’époque
où les évangiles avaient été écrits. Les
deux premiers étaient ceux de Matthieu et de Luc, le troisième
celui de Marc, et enfin celui de Jean. Plus tard, ces huit livres furent dénaturés
par des ennemis ardents de l’École d’Alexandrie, de même
que par des amis trop peu éclairés. Eusèbe ne releva
aucune erreur dans ce que l’on pourrait appeler les originaux. Saint
Photius en indiqua un grand nombre et des plus grossières (et qui n’auraient
donc pu échapper à Eusèbe). Ce qui établit la
date de la corruption de ces ouvrages par les hérétiques :
du 4e au 7e siècle.
Toujours dans son Histoire ecclésiastique, Eusèbe lui attribue
encore d’autres ouvrages : Sur la Pâque, Sur le jeûne, Sur
la détraction, Exhortation à la patience, Aux nouveaux baptisés,
Canon ecclésiastique, Aux judaïsants. Autant de titres qui nous
font regretter, par les sujets traités, que seuls des fragments de
ces œuvres nous soient parvenus.
La vie de Clément d’Alexandrie s’écoulait laborieusement
à Alexandrie. Il y demeura jusqu’à la persécution
de Septime Sévère. C’est alors qu’il se résigna
à partir en exil. Il se retira en Cappadoce chez l’évêque
Alexandre, qui avait été son élève. C’est
ainsi qu’en 211 on le voit porter aux Antiochéens, de la part
de cet évêque, une lettre où il est question des services
que lui, Clément, avait rendus en Cappadoce. Plus tard, Alexandre devint
évêque de Jérusalem et, en écrivant alors à
Origène, il parla du grand Clément comme d’un défunt.
On peut en conclure que ce saint docteur de l’École d’Alexandrie
était parti de ce monde entre 211 et 216.
Clément, a toujours été reconnu comme possédant
une érudition prodigieuse; aucun auteur de cette époque, même
Origène, n’a connu ni cité autant que lui un si grand
nombre d’auteurs païens et chrétiens. Pour l’Église,
qui va beaucoup plus loin, le nom de Clément d’Alexandrie a traversé
l’histoire par sa réputation de père incomparable qui
appelle le chrétien à la sainteté avec amour; de pédagogue
avisé qui incite à la vraie connaissance de la foi par le cœur
et la prière perpétuelle. Sa vie fut une prédication
pratique contre «la gnose au nom menteur». Cet homme de paix annonça
saint Irénée en ne pratiquant aucun «irénisme au
nom menteur». Grâce à Clément et autres pères
de ce lieu, le nom d’Alexandrie brille d’un grand éclat
au fronton de l’Église orthodoxe catholique du Christ.
Les anciens auteurs l’ont qualifié de saint. Il ne figure pas
comme tel au calendrier ecclésiastique, mais tous les ouvrages sur
les pères de l’Église citent son nom et ses œuvres.
C’est cette œuvre qui parle pour lui, tout comme le témoignage
du docte historien Eusèbe, qui parle de Clément d’Alexandrie
comme du «bienheureux presbytre». Telle est donc l’appellation
que nous lui conservons.
Bibliographie :
Œuvres de Clément d’Alexandrie (Éd. Sources Chrétiennes)
— Extraits de Théodote : 25,92 €
— Le Pédagogue, tome 1: 28 €
tome 2 : 24 €
tome 3 : 24 €
— Les Stromates, tomes 1 et 2 en ré-édition
tome 5 : 37 € la première partie; 46 € la deuxième
partie
tome 6 : 28 €
tome 7 : 31 €
— Le Protreptique : 33,23 €
Aphorismes de Clément d’Alexandrie :
«Celui qui a vu son frère a vu Dieu» (Les Stromates)
«Parce qu’il a été créé à l’image
de Dieu, chaque membre de la famille humaine est infiniment précieux
au regard de Dieu».
Athanase Fradeaud
Ce n’est aucunement pour nous libérer
des péchés, ou pour quelque autre motif, que notre Seigneur
est mort, mais uniquement afin que le monde ressente l’amour de
Dieu pour sa création. saint Isaac le Syrien (Centurie 4,78 ) |
SYNAXAIRE DES MARTYRS ORTHODOXES CHINOIS
INTRODUCTION
Histoire religieuse de la Chine
Depuis le début de son histoire, le peuple chinois a montré
de profonds sentiments religieux et d’intenses soucis métaphysiques
l’ont distingué parmi tous les autres peuples de l’Orient.
L’histoire religieuse de la Chine peut être divisée en
trois périodes principales.
À partir du 13e siècle avant Jésus Christ, c’est
le confucianisme qui prévalait sur les vastes étendues chinoises.
Il avait des conceptions d’un souverain Dieu suprême, sujet à
des variantes au cours des différentes époques.
Le deuxième mouvement religieux qui prévalut vers la fin du
troisième siècle avant Jésus Christ, c’est le taoïsme,
fondé par Lao-Tseu, qui vécut pendant les 6e-5e siècles
avant Jésus Christ. Le taoïsme commença à décliner
avec l’apparition du bouddhisme, le troisième grand mouvement
religieux, qui fut introduit en Chine sous l’empereur Ming au premier
siècle de notre ère, à la suite d’une vision. Il
fut promulgué par les missionnaires Kasyapa Matog et Gobharana. L’apogée
du bouddhisme fut constatée aux dixième et douzième siècles,
avec la conversion des Chinois instruits, de même que des masses populaires.
Une branche du bouddhisme est l’amidisme qui, avec ses pratiques (prière
et contemplation), révèle des éléments essentiels
proches du christianisme.
Ces trois religions fondamentales chinoises ne divisent pas, semble-t-il,
les Chinois entre eux comme cela arrive avec les adeptes d’autres religions.
En Chine, deux, ou même trois, des religions susdites peuvent être
professées à la fois.
Cependant, l’Islam aussi est apparu en Chine après le douzième
siècle tandis que la présence de Juifs a été confirmée
après l’an 1000 de notre ère.
LE CHRISTIANISME EN CHINE
Selon une tradition orale, le christianisme atteignit la Chine par l’apôtre
Thomas. Cependant, cela demeure une hypothèse qui n’a pas été
démontrée scientifiquement.
Le christianisme atteignit la Chine en 635 de notre ère par des missionnaires
nestoriens de Perse, comme l’indique une inscription trouvée
dans la capitale du royaume médian, Chagan, l’actuelle Xian.
Ces chrétiens restèrent en Chine jusqu’au treizième
siècle. Les nestoriens furent suivis de missionnaires de l’Église
catholique romaine papale au quatorzième siècle avec des résultats
remarquables deux siècles plus tard.
L’ORTHODOXIE EN CHINE
L’arrivée de l’orthodoxie en Chine débuta par un
événement fortuit. Aux dix-septième et dix-huitième
siècles la domination russe s’était implantée par
la Sibérie jusqu’à la côte de l’Asie orientale.
Pendant la même période, un des gouverneurs les plus remarquables
de la dynastie mandchourienne, K'ang Chi (1669-1723) tenta de mettre une entrave
à l’expansion russe. K'ang Chi enragea lorsqu’en 1667,
le prince Chan-Timur et 14 de ses proches fuirent le service de l’empereur
et passèrent sous domination russe. Ils furent tous baptisés.
En 1685, l’armée chinoise atteignit le fleuve Amour en Sibérie,
punissant les cosaques en s’emparant de leur fort principal, Albasin,
et capturant beaucoup de prisonniers. Quarante-cinq prisonniers, qui étaient,
bien sûr, orthodoxes, dirent aux autorités chinoises qu’ils
étaient prêts à obéir aux ordres du monarque chinois.
Les orthodoxes d’Albasin s’installèrent dans le secteur
Nord-Est de Beijing (Pékin) et furent bientôt privilégiés
par K'ang Chi. Un temple bouddhiste fut transformé en église
Saint-Nicolas. Jusqu’en 1712, le prêtre était le père
Maxime Léontiev. Ainsi fut formé le premier noyau orthodoxe
chinois. Plus tard, le métropolite de Tobolok envoya le prêtre
Gregory Navinsky et le diacre Lavrentios Ivanov comme nouveau renfort.
Avec leur inclusion dans la cour chinoise, les prisonniers russes épousèrent
des Chinoises nobles et commencèrent à s’infiltrer dans
les rangs de l’aristocratie chinoise. On nota beaucoup de conversions
à l’orthodoxie dans ces rangs. K'ang Chi fut favorable envers
les chrétiens, qui avaient sans cesse gagné du terrain, et à
un moment on pensait même qu’il allait devenir le saint Constantin
de l’Extrême-Orient. Ces espoirs furent cependant anéantis,
lorsque l’empereur découvrit le vrai rôle des missionnaires
papistes, se rendant compte que les missionnaires occidentaux étaient
aux ordres des dirigeants européens. Ainsi, une nouvelle mission russe,
avec un évêque à la tête, ne réussit qu’à
atteindre la frontière. Pendant ce temps, K'ang Chi, et encore plus
son successeur Yung Cheng, persécuta les chrétiens occidentaux
pendant plus de cent-vingt ans.
Les orthodoxes, à la même époque, furent, certes, traités
de façon plus favorable. Ils purent développer quelque activité
basée sur le petit noyau des Albasiniens qui s’étaient
assimilés entre temps et à qui beaucoup d’orthodoxes chinois
et mandchouriens s’étaient ajoutés. La persécution
que subirent les missionnaires chrétiens occidentaux n’a jamais
été étendue aux orthodoxes. La conduite générale
des orthodoxes quant à leurs relations avec les Chinois, leur permit
d’exercer une influence qui amena beaucoup de personnes éminentes
et distinguées à l’orthodoxie.
En 1860, après 150 années d’activité, la communauté
orthodoxe comptait seulement 200 âmes, en dépit du fait que 150
missionnaires environ y avaient travaillé. La fondation propre de la
mission fut complétée lorsqu’elle se sépara de
la politique russe et, à partir de 1864, fut directement responsable
au Saint Synode. Fondée sur ces principes qui servent de modèles
à toutes les Églises orthodoxes, l’Église orthodoxe
chinoise atteignit son plus haut point. Elle acquit un prêtre chinois,
Mitrophane Chi Sung, qui allait devenir un saint plus tard. Beaucoup d’églises
orthodoxes furent construites et la divine liturgie était célébrée
aussi à l’extérieur de Beijing (Pékin), dans d’autres
cités de la Chine et de la Mandchourie. L’Église orthodoxe
en Chine atteignit son plus grand éclat au temps du missionnaire Innocent
Figurovsky, c’est-à-dire entre 1897 et 1901. Vint ensuite la
grande épreuve qui fut également le triomphe des martyrs de
l’Église orthodoxe chinoise.
Cela se passa lorsque la révolte des boxers éclata. «Boxers»
fut le nom donné par les Européens aux Chinois conservateurs
qui étaient contre l’influence étrangère, l’innovation
de style occidental et les réformes.
SYNAXAIRE OU MARTYROLOGE
La persécution de 1900 et la fête des martyrs chinois
Nous nous trouvons à Beijing, capitale de la Chine, à la fin
du 19e siècle.
Face à la tendance à l’innovation et aux réformes
d’un côté et la xénophobie des mandarins et des
aristocrates de l’autre, l’impératrice douairière,
alliée aux conservateurs et à ceux qui pratiquaient les arts
martiaux traditionnels, intervinrent avec violence, pour contrecarrer les
projets des modernistes. Le mouvement des «Boxers», comme il fut
appelé par les étrangers, noya toute opposition dans le sang.
Il cherchait à exiler tous les étrangers qui vivaient dans le
pays et qui, d’après son opinion, étaient responsables
de tout le mal qui y arrivait.
Les chrétiens étaient les premiers à souffrir –
et le plus – de l’oppression instituée par les «Boxers».
Par la participation à des rites spéciaux, par l’emploi
des anciennes méthodes chinoises d’arts martiaux, les «Boxers»
croyaient devenir invincibles contre les balles étrangères.
En 1899 le premier missionnaire anglais fut tué. En 1900 la tentative
des étrangers d’amener davantage de soldats à Beijing
empira la situation. Le 10 juin, des affiches furent plaquées sur les
murs partout dans Beijing, enjoignant les Chinois à massacrer tous
les chrétiens et menaçant de martyre tous ceux qui essayaient
de se cacher.
Le 11 juin 1900 devint un jour de gloire pour la Chine, car elle put offrir
également sa part de martyrs pour la robe pourpre de l’Église
triomphante.
La procession des bourreaux se mit en route triomphalement avec des torches
brûlantes, pendant que les idoles des dieux traditionnels des Chinois
furent portées haut. On tenait des encensoirs pour que les chrétiens
puissent encenser les idoles, et renier ainsi leur foi ‘étrangère’.
La pression était insupportable, les martyrs les plus terribles. La
peur était grande. Les foyers chrétiens orthodoxes furent encerclés.
Menaces et violence furent employées pour forcer les orthodoxes à
sacrifier aux faux dieux et renier le Christ.
Malheureusement, comme dans le cas de toutes les oppressions, nombreux furent
ceux qui capitulèrent et brûlèrent de l’encens pour
sauver leur vie, tandis que d’autres, dont la foi était plus
forte, confessèrent courageusement le Christ. Les derniers, les confesseurs,
furent conduits hors de la cité, dans les temples idolâtres des
«Boxers». Ici, après avoir subi une torture indescriptible,
le déchirement de leur corps, l’arrachement de leurs entrailles
et d’autres choses semblables, ils finirent par être décapités
ou brûlés vifs. Les maisons des martyrs subirent le même
sort que leurs propriétaires. Églises et institutions orthodoxes
furent également livrées aux flammes. On mit le feu à
tous les bâtiments ecclésiastiques (avec l’exception de
celui de Hankow), à la bibliothèque sino-russe et à l’imprimerie
avec ses 30.000 caractères chinois gravés sur bois, qui furent
tous réduits en cendres. Les missionnaires russes réussirent
à fuir à Chien-Chin et puis à Shanghai. L’œuvre
entière du missionnaire Innocent Figurofsky fut complètement
détruite. Sur 700 fidèles orthodoxes chinois, 300 furent martyrisés
pour leur foi. Compte tenu de son peu de force numérique, l’Église
orthodoxe en Chine donna plus de martyrs que les Églises hétérodoxes.
Décrivons, cependant, le martyre du premier hiéromartyr chinois,
saint Mitrophane Chi-Sung, et de ses compagnons de façon plus détaillée.
Saint Mitrophane fut le premier prêtre orthodoxe chinois. Il fut ordonné
par saint Nicolas du Japon et servit la mission orthodoxe pendant quinze ans.
Il était assis au milieu des ruines de la Mission Orthodoxe incendiée,
entouré d’hommes, de femmes et d’enfants de son troupeau,
quand on commença à lui donner des coups de poing dans la poitrine.
Son épouse, la presbytéra Tatiana, et son fils de 23 ans, Isaïe,
furent massacrés devant ses yeux, pendant que l’on coupait le
nez, les oreilles et les orteils à son fils cadet, Jean. Non seulement
l’enfant martyr refusa de se plaindre ou de protester, mais, comme par
miracle, il ne sentit aucune douleur. Les bourreaux le raillaient, l’appelant
«enfant de démons». Il répondit disant, «Je
suis chrétien orthodoxe et je crois en Christ, et non dans les démons».
Après l’exécution de père Mitrophane, sa future
belle-fille, fiancée de 19 ans d’Isaïe tout juste martyrisé,
arriva à la maison du prêtre. Elle voulut accompagner dans la
mort la famille de son fiancé. Quand les «Boxers» encerclèrent
la maison, Maria aida beaucoup de fidèles à sauter par-dessus
les murs du jardin. Elle affronta ses bourreaux avec courage et leur reprocha
le meurtre injuste de tant d’âmes innocentes, qu’aucune
cour n’avait jugées. Les bourreaux lui percèrent les pieds
et blessèrent les mains, l’encourageant à partir pour
se sauver. La brave Maria leur répondit hardiment, «Je suis née
ici par l’Église de la toute sainte Mère de Dieu, et je
mourrai aussi ici». Alors les «Boxers» l’exécutèrent.
De nombreux descendants des habitants d’Albasin de Russie, qui avaient
apporté les premiers la lumière de l’Orthodoxie à
Beijing en 1685 et qui s’étaient assimilés aux Chinois,
sont inclus parmi les martyrs. Les noms de quelques-uns ont été
gardés : Clément Kui-Kin, Matthieu Hai-Chuan, le frère
de Vit et d’Anna Chui. Beaucoup d’autres, dont les noms nous sont
inconnus, sont connus du Christ, qui les a couronnés de la couronne
incorruptible.
Sur mille personnes environ de la paroisse de Beijing, trois cents périrent
dans les événements sanglants du 11 juin 1900. Parmi celles-ci
222 reçurent la couronne du martyre et constituèrent le glorieux
début sacrificiel du 20e siècle, un siècle de triomphe
pour l’Église, pareil aux trois premiers siècles chrétiens.
Un siècle qui devait bientôt devenir pourpre par le fleuve de
sang qui allait couler des vastes étendues de Russie dans les décades
qui allaient suivre. Cependant, la petite Église scintillante du peuple
de Chine peut aussi s’enorgueillir de ses martyrs, proclamant à
l’univers que l’orthodoxie est au-dessus des frontières,
des peuples et des nations, des couleurs et des langues, c’est «l’Église»
de toutes les nations, de tous les peuples et de toutes les langues, qui est
devant le trône de l’Agneau, en vêtements blancs et feuilles
de palmier à la main, criant à Dieu à haute voix : Alléluia
!
Apolytikion. Mode premier
Ministre du Christ, vrai prêtre de gloire, sacrifice raisonnable et
victime sans tache,
tu te livras au stade avec ton troupeau, ô père Chi-Sung à
Beijing.
Prie donc pour nous qui gardons avec foi ta précieuse mémoire.
Apolytikion. Mode deux
Tu devins participant des coutumes des apôtres et successeur de leur
trône
tu as trouvé la voie de l’ascension pour contempler Dieu,
par ta lutte fidèle jusqu’au sang avec ton troupeau à
Beijing.
O Chi-Sung, hiéromartyr inspiré de Dieu, prie le Christ notre
Dieu,
pour que nos âmes soient sauvés.
Mégalynaire
A. Réjouis-toi, ô prêtre de Beijing, martyrisé glorieusement
avec ton troupeau, tu détruisis les projets impies des tyrans avec
la Force du Seigneur, ô père Chi-Sung.
B. Mitrophane, comme un ministre pieux parlant de Dieu, tu as affaibli les
illusions des impies par tes hauts faits, avec ton troupeau, ô père
qui protèges des ténèbres, fierté des martyrs.
Comme une fontaine troublée
et une source corrompue, ainsi est le juste qui chancelle devant le
méchant. Proverbe 25,26 |
Veux-tu savoir à quoi ressemble un homme au cœur
ouvert à tous vents ? Apprends à le reconnaître à
son flot de paroles, à ses sens troublés et à sa propension
à défendre tout ce qu'il affirme, pour avoir raison. Celui qui
a goûté à la vérité ne dispute plus à
son sujet. L'homme qui prend feu et flamme à cause de la vérité
n'a pas encore appris la vérité telle qu'elle est. Lorsqu'il
l'aura apprise véritablement, il cessera de s'enflammer à cause
d'elle. Le don de Dieu et la connaissance accordée par ce don ne sont
jamais motifs à se troubler ou à lever la voix, car le lieu
où habite l'Esprit avec l'amour et humilité est un lieu où
ne règne que la paix. Voilà les signes de la venue de l'Esprit
: celui qu'il couvre de son ombre est rendu parfait dans ce domaine. Dieu
est vérité. La Pensée qui ressent Dieu n'a pas de langue
pour en parler; elle habite dans son cœur en grande paix. En un tel homme,
aucun zèle ne enflamme, aucun mouvement de dispute ou de colère
ne se met en branle. Il n'est nullement ému au sujet de la foi, ni
par aucun désir d'aucune chose, pas même par un désir
personnel de faire quoi que ce soit de souhaitable, mais son âme habite
dans une immense et inexprimable paix, et dans une grande quiétude.
C'est parce qu'on est soi-même ignorant que l'on émeut pour agir
face aux ignorants, ou en vue de redresser les autres.
saint Isaac le Syrien (Centurie 4,77)