NUMÉRO 115

JUIN

2007

Bulletin des vrais

chrétiens orthodoxes

sous la juridiction de

S. B. Mgr. Nicolas

archevêque d'Athènes

et primat de toute la Grèce

Hiéromoine Cassien
Foyer orthodoxe
F 66500 Clara
Tel : 00 33 (0) 468961372
cassien@orthodoxievco.fr

 SOMMAIRE

NOUVELLES

SUR LE MARTYRE DES APÔTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL

L’ÉGLISE DES GAULES

DU ONZIÈME ARTICLE DU CREDO

ENTRETIENS SUR LES RAPPORTS DE L’ÉGLISE AVEC LES FIDÈLES

LES PÈRES DE L’ÉGLISE (suite) : Clément d’Alexandrie

SYNAXAIRE DES MARTYRS ORTHODOXES CHINOIS


NOUVELLES

C'est avec du retard que paraît ce numéro du fait que l'impression se fait normalement en France.
Après avoir passé un mois au Cameroun (dont une bonne semaine au Tchad), j'ai repassé par la France et aussi la Suisse. Les travaux au Cameroun avancent peu à peu et à Omog, il y a eu au dernier moment une dizaine de baptêmes. Au Congo, on m'attend aussi, mais pour cette fois-ci c'était au-dessus de mes possibilités.
J'ai donc repris la charge pastorale au Pirée et à Athènes, et après un mois là-bas, j'ai dû partir pour Thessalonique remplacer le père Élie, âgé et malade. Je ne sais combien de temps je resterai ici.
Vers la fin d'année, au plus tard, je tâche de faire une tournée en
France et en Suisse.
Mon téléphone à Thessalonique : 0030 2310 657411 ou le portable 0030 6949577884
Vôtre, en Christ,
hm. Cassien

Abba Macaire le Grand a dit : Ce qu'il faut pour le moine qui est assis dans sa cellule, c'est qu'il rassemble en lui-même son intellect loin de tous les soucis du monde, sans le laisser vagabonder dans les vanités de ce siècle, qu'il soit tendu vers un but unique, appliqué constamment à la pensée de Dieu seul, restant en lui à toute heure, sans distractions, ne laissant rien de terrestre troubler son cœur, ni pensée des choses charnelles, ni souci de ses parents, ni consolation de sa famille, mais que dans son esprit et dans tous ses sens il soit comme se tenant en présence de Dieu, afin d'accomplir en cela la parole de l'Apôtre qui dit : «Afin que la vierge soit toute assidue auprès du Seigneur, dans une absence complète de distractions.» (l Co 7, 34-35)

SUR LE MARTYRE DES APÔTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL

saint Augustin (sermons inédits)


Avec la grâce de Dieu, nous célébrons aujourd'hui le martyre de saint Pierre et de saint Paul; le monde entier solennise aujourd'hui leur mémoire, les unissant dans les mêmes cantiques, comme ils ont été unis par une même foi et couronnés par un même triomphe. C'est la fête de Paul; et, tous le proclament, c'est aussi la fête de Pierre. Comment garder le silence sur Pierre, quand on se rappelle avec quelle fermeté il a refoulé la rage de Simon le Magicien, lui a enseigné la saine doctrine et a confondu son orgueil ? Par leur trépas glorieux, ces deux apôtres ont prouvé combien la mort des saints est précieuse devant Dieu. Paul est un vase d'élection, Pierre tient les clefs de la maison du Seigneur; l'un était pêcheur, l'autre a été persécuteur. Paul a été frappé d'aveuglement, afin de mieux voir; Pierre a renié, afin de croire. Paul, embrassant la foi de Jésus Christ après la résurrection de l'Église, s'est montré le disciple d'autant plus glorieux de la vérité, qu'il avait été plus obstiné dans son erreur. Pierre pêcheur n'a pas déposé ses filets, mais les a changés, parce qu'honoré le premier du sacerdoce, il préféra désormais les sources à la mer, et chercha les poissons, non pas pour les détruire, mais pour les purifier. Tous deux furent heureux dans l'administration de la doctrine, mais la mort les confirma dans un bonheur plus grand encore. Sur la terre, la gloire n'est qu'en désir; au ciel, elle a toute sa réalité. Sur la terre, les tribulations se succèdent, la mort met les saints en possession de la véritable grandeur. La voix de ces apôtres se fait entendre jusqu'aux confins de la terre. Partout s'élève en leur faveur un concert de louanges; partout la voix des fidèles redit la magnificence de leur triomphe.
2. Comment appeler morts des hommes dont la foi est un principe de vie et de résurrection pour le monde entier ? Pour arriver au glorieux séjour de l'éternelle lumière, que personne n'hésite à se confier en toute assurance à la direction de ces illustres docteurs; à leur suite la conquête du ciel n'est plus impossible. Paul est là pour seconder nos efforts, et Pierre pour ouvrir les portes de l'éternel séjour. Du reste, il ne peut que nous être utile de rappeler le glorieux martyre de ces apôtres. Paul fut décapité, Pierre fut crucifié la tête en bas. Ce genre de mort est plein de mystère. Il convenait que Paul eût la tête tranchée, parce qu'il est pour les Gentils le chef ou la tête de la foi. Pierre avait reconnu que Jésus Christ est la tête de l'homme, et comme Jésus Christ était alors assis dans sa gloire, Pierre lui présenta d'abord sa tête, que les pieds devaient suivre, afin que dans ce nouveau genre de martyre, pendant que les pieds et les mains étaient enchaînés, la tête pût prier et prendre le chemin du ciel. Je ne suis pas digne, disait Pierre, d'être crucifié comme mon Seigneur. Par ce langage il ne refusait pas le martyre, mais il craignait de s'approprier le genre de mort du Sauveur, et ne se trouvait digne que de honte et de châtiment. Bienheureux Pierre, quand nous vous voyons suspendu à la croix, combien vous l'emportez à nos yeux sur le Magicien aspirant à prendre son vol dans les airs ! Il ne s'élève que pour tomber plus profondément, tandis que vous n'inclinez votre tête vers la terre que pour posséder le ciel après votre mort, par la grâce de Jésus Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

Tu as près de toi le Seigneur que tu aimes; tu as aussi un ange gardien de ta vie, qui a mission de te délivrer de tous maux.
saint Théodore le Studite (Epître à Euphros)

 

L’ÉGLISE DES GAULES


1. LES DÉBUTS DE L’ÉGLISE GAULOISE
L’Église gauloise débuta au premier siècle. Selon la tradition occidentale, la Gaule (France) fut d’abord évangélisée par sainte Marie Madeleine, saint Lazare et ses soeurs, les saintes Marie et Marthe. Plusieurs historiens, fondés sur le second épître de saint Paul à Timothée, pensent que l’apôtre Crescens, envoyé par saint Paul, avait oeuvré en Gaule. D'après quelques-uns, saint Paul lui-même s’y serait arrêté en route pour l’Espagne. De toute manière, la foi chrétienne a pénétré en Gaule méridionale de bonne heure, en particulier en Provence et dans la vallée du Rhône – régions ayant une forte présence de minorités grecques venues de l’Asie Mineure, de la Phrygie et de la Syrie.
L’histoire écrite de la Gaule orthodoxe commence au deuxième siècle avec la prestigieuse Église de Lyon, que seule celle de Rome surpassait en autorité et influence en Occident. Ses premiers évêques furent les saints Pothin et Irénée. Saint Pothin fut au nombre des chrétiens martyrisés par l’empereur Marc-Aurèle en l’an de grâce 177. Les Actes de Pothin, inclus par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique (Livre 5, chap. 1), sont considérés comme un des plus beaux écrits de l’Église ancienne. Le successeur de Pothin fut le hiéromartyr Irénée, qui avait connu le hiéromartyr Polycarpe dans sa jeunesse en Smyrne, ce dernier ayant été à son tour disciple de saint Jean le théologien. Les écrits de saint Irénée de Lyon se comptent parmi ceux des saints pères de l’Église; bientôt, l’influence de saint Irénée atteignit grâce à eux l’Asie mineure et l’Égypte à la fois.
D’autres cités eurent aussi leurs martyrs et leurs saints, même si les persécutions étaient moins intenses en Gaule que dans les autres provinces de l’Empire. Parmi ces saints serviteurs du Christ, les plus vénérés sont : saint Victor de Marseille, saint Saturnin de Toulouse, saint Symphorien d’Autun, les saints Marcel de Chalon-sur-Saône et Valérien de Tournus, saint Denys de Paris, saint Maurice d’Agaune avec les martyrs de la légion thébaine, saint Julien du Mans, saint Taurin d’Évreux et saint Patrocle de Troyes.
Au milieu du troisième siècle, la région de Narbonne et la Gaule celtique avaient plus de trente évêchés. Des conciles locaux se tenaient sous les auspices de l’archevêque d’Arles, auxquels assistait le clergé de toute la Gaule et même de la Bretagne. Le nombre des évêques continua à augmenter jusqu’à la fin du siècle, pendant que le pays se remettait difficilement de l’invasion des Alémans de 257. Épargné de la persécution de Dioclétien grâce à la modération de Constantin Chlore, l’Église de Gaule fut à même de s’organiser en paix même avant l’époque de Constantin le Grand. Cependant, à la veille du quatrième siècle, l’Église de Gaule n’était pas encore une “Église nationale” distincte, comme l’étaient les Églises d’Antioche et d’Alexandrie.


2. SAINT MARTIN DE TOURS ET L’ÉCLOSION DU MONACHISME D’OCCIDENT
Le monachisme prit d’abord racine en Orient, mais l’Occident reçut très tôt un modèle de ce mode de vie par l’exemple personnel et les écrits de saint Athanase d’Alexandrie, qui vécut en exil à Trèves, en Gaule, au début de l’an 335. Puisque Athanase connaissait saint Antoine le Grand, et avait trouvé refuge parmi les moines de la Haute-Égypte pendant une période de grand danger, on peut supposer que les Gaules étaient au courant des exploits ascétiques du bienheureux Antoine et des moines d’Égypte.
Au quatrième siècle, le feu de la foi chrétienne se mit à brûler intensément dans la Gaule orthodoxe, grâce surtout à l’exemple et à l’inspiration du mouvement monastique croissant par le monde chrétien entier.
Deux des plus grands saints de ce temps en Gaule furent saint Hilaire de Poitiers et saint Martin de Tours. Saint Hilaire, considéré comme “l’Athanase de l’Occident”, fut le père spirituel de saint Martin. Saint Martin est estimé le premier des grands saints moines de la Gaule. Son exemple de “martyre non sanglant” par l’ascèse fut suivi par beaucoup.
Trois éléments importants peuvent être mentionnés dans l’expansion de l’idéal ascétique du monachisme au milieu du peuple gaulois :
a) Le premier vrai monastère fut Marmoutier, fondé par saint Martin. Les moines de Marmoutier, au nombre de quatre-vingts, vivaient tous dans de minuscules cellules en bois, construites en partie dans les grottes naturelles situées au flanc d’une immense falaise s’étendant le long des bords de la Loire. Aujourd’hui encore, on peut voir ces grottes près de Tours. Le monastère de Marmoutier avait une forte influence, car beaucoup d’évêques furent choisis en son enceinte. Saint Sulpice Sévère, dans sa Vie de Saint Martin, parle ainsi du monachisme de ce lieu :
“Personne n’y avait rien qui fût appelé le sien... Il n’y était permis d’acheter ou de vendre quoi que ce soit... Aucun travail manuel n’y était pratiqué, sauf celui des copistes, et même cela était assigné aux frères les plus jeunes, tandis que les aînés passaient tout leur temps en prière. Ils ne quittaient leurs cellules que très rarement... Ils prenaient tous leur nourriture ensemble... La plupart d’entre eux portaient des vêtements de poils de chameau. Cela doit être considéré comme le plus remarquable puisque beaucoup parmi eux étaient visiblement de rang noble... et élevés de manière très différente.” (Chapitre 10)
L’expression, particulière à saint Martin, de la vie monastique à Marmoutier était naturellement en harmonie avec l’âme des Gaules et servait de catalyseur à l’expansion du christianisme parmi ce peuple.
b) Un des fruits spirituels immédiats de l’exemple de saint Martin fut le fameux monastère de Lérins. La fondation du monastère sur l’île de Lérins en 410 fut l’oeuvre de saint Honoré, le futur évêque d’Arles. Le monastère servait d’école spirituelle à des évêques et des écrivains ecclésiastiques, tels que saint Faust de Riez, saint Eucher de Lyon, saint Vincent de Lérins, saints Hilaire et Césaire d’Arles et saint Patrick d’Irlande.
L’information qui nous est parvenue sur la vie du monastère de Lérins peut se trouver en premier lieu dans la Vie de son fondateur, saint Honoré, et dans l’éloge du désert de saint Eucher de Lyon. Ces sources montrent que la plupart des moines vivaient en communauté pendant que les plus expérimentés poursuivaient leurs combats selon un mode de vie érémitique ou semi-érémitique. Le monachisme du style de Lérins (dont l’idéal le plus haut était la vie anachorétique dans le désert) se répandit dans tout le sud-est de la Gaule, notamment dans les montagnes du Jura avec les saints Romain et Lupicin, et dans le Valais, où le monastère Saint-Maurice-d’Agaune était resté un centre spirituel important pendant encore plusieurs siècles.
c) Finalement, les enseignements spirituels de saint Cassien le Romain doivent être mentionnés. En 416, saint Cassien fonda le monastère Saint-Victor à Marseille. Avant cela, en 400, il fut ordonné au diaconat par saint Jean Chrysostome. Saint Cassien fut un grand défenseur des enseignements dogmatiques de l’Église et exprima de façon équilibrée la synergie entre la liberté de l’homme et la grâce de Dieu. Cependant, son oeuvre principale fut de révéler aux moines gaulois le mode de vie et la spiritualité des moines de l’Orient. Ses Institutions et Conférences, écrites pour les moines de Provence, sont une manifestation glorieuse de ces fruits spirituels qu’il avait acquis pendant son long séjour parmi les saints hommes renommés d’Égypte. Beaucoup des communautés monastiques nouvellement fondées, de même que des ascètes désireux de mener la vie solitaire, se servirent de ses écrits comme de manuels et guides spirituels. Les règles monastiques exposées dans les Institutions servirent de base à l’établissement des Typiques monastiques ultérieurs les siècles suivants, y compris à celui de la Règle de saint Benoît.


3. LES MÉROVINGIENS
Juste au moment où le monachisme commença à prendre racine en Gaule, un événement grave secoua l’intellect et le coeur du monde gréco-romain entier : après plusieurs siècles de violents conflits et de sanglantes escarmouches, les tribus germaniques du Nord finirent par mettre à sac la cité de Rome. Ce fait marqua le début d’une nouvelle période dans l’histoire de l’Occident, aussi bien sur le plan ecclésiastique que sur le plan politique, quant aux défis qu’il apporta à l’Église orthodoxe en croissance.
La fusion de la population celto-romaine de la Gaule avec les envahisseurs francs fut facilitée par la conversion du roi franc Clovis du paganisme germanique à l’orthodoxie chrétienne en 498, commençant effectivement ce qui a été appelé plus tard la période mérovingienne de l’histoire de France.
Alors que les intentions de Clovis pouvaient être bonnes, ses actes et ses pratiques, de même que ceux de certains de ses descendants, étaient nettement loin de l’idéal chrétien. Mais malgré le fait que le comportement de l’aristocratie franque était souvent ce que l’on peut appeler brutal, la sainteté orthodoxe avait une influence puissante sur la société mérovingienne. Peu d’époques furent aussi fécondes en saints. Ils étaient nombreux parmi les conseillers des rois; quelques-uns appartenaient même aux familles royales. On peut mentionner le roi Guntrumnas (appelé “le bon roi”) de Bourgogne et surtout les saintes reines Clotilde, Radegonde et Bathilde. C’étaient les saintes reines mérovingiennes qui attisaient le feu du monachisme féminin en Gaule en fondant des monastères et en y entrant elles-mêmes peu de temps avant leur mort de justes.
Indubitablement, ce sont les saints évêques des cinquième et sixième siècles qui ont subi les luttes les plus pénibles. Cela a été dû à plusieurs causes : l’impiété des dirigeants toujours changeants de France, l’opposition de nombreuses personnes germaniques païennes (ou ariennes) non converties qui s’installèrent dans leurs diocèses, puis le relâchement, l’ambition séculière et le caractère mercenaire de certains membres du clergé. Néanmoins, de grands saints brillèrent pendant ces siècles, comme les saints hiérarques Rémi de Reims, Éloi de Noyon, Aldouin de Rouen, Didier de Cahors, Léger d’Autun et surtout Grégoire de Tours. Saint Grégoire écrivit beaucoup (plus de douze volumes) sur l’histoire de la Gaule et ses saints et pécheurs. C’est lui qui nous a appris le plus sur les années mérovingiennes de la Gaule orthodoxe.
Comme les années passaient, la foi chrétienne orthodoxe continuait à se propager parmi les habitants de la Gaule. Puis, à la fin du sixième siècle, ce processus de conversion nationale reçut une nouvelle impulsion d’une source inattendue – les moines et saints d’Irlande.


4. LES MISSIONNAIRES IRLANDAIS SUR LE CONTINENT
Le plus connu peut-être des moines missionnaires d’Irlande fut saint Colomban de Luxeuil, qui mit en oeuvre ses “migrations” sur le continent européen.
Saint Colomban et ses disciples commencèrent leurs voyages en 590, allant par la Bretagne au coeur de la Gaule franque. Lorsque saint Colomban arriva, les conditions politiques et sociales de la Gaule étaient déjà déplorables. Saint Colomban et ses disciples s’étaient lancés dans une prédication itinérante avant de s’adresser à Guntrumnas, le roi de Bourgogne susmentionné, pour obtenir la permission d’établir un monastère. Saint Colomban choisit un endroit éloigné de la cour, aux pieds des montagnes des Vosges, dans un lieu appelé Annegray. Peu après, deux autres institutions surgirent – celle de Luxeuil et celle de Fontaines. Saint Colomban était abbé de ces trois établissements.
Pendant une dizaine d’années tout allait bien. La région fut profondément et durablement influencée par les monastères et presque tous ses habitants furent baptisés. Alors Colomban s’attira des ennuis de la part de la reine Brunhilde et fut exilé de Bourgogne. Bien que chassé de Bourgogne, il fut bien accueilli par d’autres rois francs, qui, eux aussi, s’écartaient de plus en plus de la Bourgogne. Finalement, saint Colomban et ses moines s’installèrent à Bregenz, à l’extrémité orientale du lac de Constance en la Suisse actuelle. Laissant là un de ses disciples proches, Colomban eut l’inspiration de prêcher aux Lombards et traversa les Alpes pour aller en Italie et s’installer finalement à Bobbio, près de la rivière Po, où il décéda en 615.
Parmi les autres moines missionnaires d’Irlande figuraient les saints Killian, Colman, et Totnan de Würzburg en Allemagne, Gall de Suisse et Ours d’Aoste en Italie.
Par toute l’Europe, les moines irlandais établirent des hôtelleries pour des pèlerins et des voyageurs en annexe à leurs ermitages monastiques et partout où ils allaient, ils apportèrent avec eux – et continuèrent à produire – des oeuvres de grande beauté. L’Europe occidentale avait souffert d’une grande perte d’instruction à cause de la violence des siècles précédents. Les Irlandais qui vinrent sur le Continent apportèrent avec eux dans leurs bagages des copies de textes anciens, dont certains, depuis des siècles, n’avaient été lus que par des Irlandais. Ainsi, ces moines rendaient à l’Europe les trésors perdus d’instruction classique, de pensée patristique, de commentaire biblique et de poésie, en se liant d’amitié avec les peuples barbares germaniques pour les convertir par leur amour et leur exemple.


5. CHARLEMAGNE ET LE COMMENCEMENT DE LA FIN
À la fin du huitième siècle, nombreuses étaient les tribus germaniques qui avaient entendu la Bonne Nouvelle de l’évangile et qui commencèrent à se convertir à la foi chrétienne. Cela eut lieu à une large échelle tout particulièrement parmi les dirigeants, qui donnèrent naissance finalement à la fameuse dynastie carolingienne, avec Charlemagne comme son premier grand chef et ascendant formateur. Charlemagne chercha à instituer une “nouvelle Byzance” ou le “nouveau saint Empire romain”, en alliant consciemment son royaume au pape de Rome, afin de créer une société chrétienne idéale, qui serve de modèle sur lequel les générations futures puissent construire, à la fois sur le plan politique et dogmatique. Malheureusement, la base dogmatique qu’ils choisirent était hérétique, et la manière péremptoire de l’Église de Rome comme des dirigeants carolingiens renforcèrent cet idéal corrompu en construisant sur lui pendant des siècles. Les courants incontrôlés de cet idéal vicié eurent comme résultat final la séparation de l’Occident du reste de la chrétienté en 1054.
En dépit du fait que l’avènement des Carolingiens décida de l’avenir de l’Europe en brisant son unité spirituelle, il ne mit pas fin à l’Empire byzantin. Les objectifs annexionnistes et unionistes des pouvoirs occidentaux, qui aboutirent à la conquête de Constantinople en 1204, affaiblirent l’Empire byzantin, mais ne le détruisirent pas. À la veille de la conquête turque de Byzance, une magnifique renaissance spirituelle et culturelle eut lieu, à l’époque des Paléologues, grâce surtout au mouvement hésychaste. Même après la chute de Constantinople en 1453, la continuité de l’Empire byzantin survécut dans l’Empire russe, jusqu’à la révolution de 1917.
Quand la révolution russe eut lieu, la maladie du communisme se répandit rapidement par les autres nations orthodoxes. Pour sauver leur vie, beaucoup d’orthodoxes de ces pays furent contraints de fuir. Beaucoup vinrent en Occident. Parmi les nations occidentales, la France accueillit un très grand nombre de ces immigrants orthodoxes. Ces émigrés, lentement mais sûrement, commencèrent à partager la foi orthodoxe avec leurs voisins et amis, et entamèrent de la sorte le processus pour faire retrouver la foi ancienne de leurs ancêtres aux enfants de la France contemporaine. Aujourd’hui, on trouve des monastères et couvents orthodoxes répandus sur tout le territoire de la France, et de plus en plus de personnes retournent à la plénitude de l’Église orthodoxe universelle – celle de saint Martin, de sainte Geneviève et de tous les saints protecteurs de l’ancienne Gaule. Que Dieu augmente leur nombre !


Moine Nicodème

Dans un seul et même homme, il faut à la fois aimer le frère et hair ses vices.
Smaragde (Le diadème des moines, chap. 76)

DU ONZIÈME ARTICLE DU CREDO


Dans : Le catechisme d’Orient du Métropolite Philarète de Moscou (1851)


Q. Qu'est-ce que cette résurrection des morts que le Symbole de la foi dit que nous attendons ?
R. Ce sera une nouvelle manifestation de la toute-puissance de Dieu, par laquelle toutes les âmes des trépassés se réuniront à leurs corps, et ces corps revivront d'une vie spirituelle et immortelle.
«Il est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme un corps spirituel.» (I Cor 15,44)
«Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité.» (Idem, 53)


Q. Comment ressuscitera ce corps putréfié dans le sein de la terre, et entièrement dissous ?
R. Puisque Dieu créa primitivement le corps humain de la terre; il lui est bien possible de renouveler de même ce corps réduit en poussière. Saint Paul pour expliquer la résurrection des corps se sert de l'emblème d'une semence mise en terre, qui doit, se décomposer pour produire une plante ou un arbre. «Ne voyez-vous pas que ce que vous serez ne prend point de vie, s'il ne meurt auparavant ?» (I Cor 15,36)


Q. Tous ceux qui sont morts doivent-ils ressusciter ?
R. Tous les morts doivent en effet ressusciter; et, quant à ceux qui à l'époque de la résurrection générale seront encore en vie ici-bas, leurs corps terrestres et opaques seront instantanément convertis en des corps spirituels, radieux et immortels. Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés en un moment, en un clin d’œil, du son de la dernière trompette : car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront en un état incorruptible, et alors nous serons changés.» (I Cor 15,51-52)


Q. Quand aura lieu la résurrection des morts ?
R. Lorsque la fin de tout ce monde visible sera arrivée.


Q. Donc tout l'univers doit finir ?
R. Cet univers sujet à la corruption aura un terme, mais il sera transformé, et deviendra incorruptible et impérissable.
«Les créatures mêmes espèrent d'être délivrées de en asservissement à la corruption pour participer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu.» (Rom 8,21) «Car nous attendons, selon sa promesse, de nouveaux cieux, et une nouvelle terre, où la justice habitera.» (II Pi 3,13)


Q. Par quoi le monde sera-t-il transformé ?
R. Par le feu.
«Or, les cieux et la terre à présent sont gardés avec soin par la même parole de Dieu et sont réservés pour être brûlés par le feu au jour du jugement et de la ruine des impies.» (II Pi 3,7)


Q. En quel état se trouvent les âmes des trépassés jusqu'au jour de la résurrection générale ?
R. Les âmes des justes dans une lumière et une tranquillité qui est comme un avant-goût de la béatitude céleste, et celle des pécheurs dans l'état opposé à cette paix bienheureuse.


Q. Pourquoi les âmes des justes ne goûtent-elles pas immédiatement après leur mort la béatitude céleste dans sa plénitude ?
R. Parce que l'entière rétribution, selon les œuvres, ne peut appartenir qu'à l'homme complet, après la résurrection des corps et le dernier jugement de Dieu.
Saint Paul en parle ainsi : «Il ne me reste qu'a attendre la couronne de justice qui m'est réservée, que le Seigneur, comme un juste Juge, me rendra en ce grand jour, et non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui aiment son avènement.» (II Tim 4,8)
Et ailleurs : «Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps.» (II Cor 5,10)


Q. Quelle certitude a-t-on d'un état de félicité transitoire qui précède pour les justes le jugement dernier ?
R. Le témoignage irrécusable de Jésus Christ qui nous apprend dans une parabole que Lazare à peine mort fut porté dans le sein d'Abraham. (Voyez Luc 16,22)


Q. Cet avant-goût de la béatitude céleste est-il joint à la contemplation de notre Seigneur Jésus Christ ?
R. Cela doit être ainsi, du moins en ce qui regarde les saints, comme saint Paul nous le fait entendre, disant : «Car je désire d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus Christ.» (Ph 1,23)


Q. Quelle remarque nous reste-t-il à faire relativement aux âmes de ceux qui sont morts dans la foi, mais dont le repentir n'a pas eu le temps de porter fruit ?
R. Que pour leur obtenir une résurrection bienheureuse, les prières de ceux qui sont encore sur cette terre peuvent être d'un grand secours, surtout lorsqu'elles sont jointes au sacrifice non sanglant de la Liturgie, et à des œuvres de bienfaisance accomplies avec foi en mémoire des trépassés.


Q. Sur quoi se fonde cette doctrine ?
R. Sur la tradition constante de l'Église universelle, dont les traces se retrouvent même sous l'ancienne loi. Judas Macchabée offrit des sacrifices à Dieu pour l’âme des soldats tués sur un champ de bataille. (II Mac 12,43) De tout temps, la prière pour les trépassés a été une partie intégrante de la Liturgie chrétienne; témoin la plus ancienne de toutes, celle de l'apôtre saint Jacques. Saint Cyrille de Jérusalem s'exprime sur ce sujet de la manière suivante : «Il est d'un grand avantage pour les âmes de ceux qui nous ont précédés, que l'on prie pour elles durant le sacrifice saint et terrible.» (Instruction catéchétique, 5,9) Saint Basile de Césarée, dans les Prières de la Pentecôte, dit que le Seigneur nous fait la grâce d'accepter nos prières expiatoires et nos sacrifices, en faveur de ceux qui sont retenus dans l'enfer, et qu'il nous permet d'en espérer pour eux la paix, l'adoucissement de leur état et la délivrance.

«N’ayons jamais honte de confesser le Crucifié, marquons avec confiance notre front du signe de la croix, et retraçons-le sur tout ce qui nous approche sur le pain que nous mangeons, sur les coupes dont nous buvons; signons-nous de la croix en entrant ou en sortant de nos maisons, en nous couchant et en nous levant, lorsque nous sommes en voyage ou que nous nous reposons. Le signe de la croix protège le pauvre, et devient pour le faible une sécurité qu'il obtient sans peine. Car c'est encore une grâce que Dieu nous accorde, que ce signe, qui est la marque distinctive des fidèles et la terreur des esprits malins.»
Saint Cyrille de Jérusalem (Instruct. catech. 13,36)

ENTRETIENS SUR LES RAPPORTS DE L’ÉGLISE AVEC LES FIDÈLES


Jacques Kozmitch Amphithéâtroff, professeur de l'académie ecclésiastique de Kiev. II publia lui-même son ouvrage en 1847. Il plaça en tête ces humbles paroles, que nos lecteurs n'oublieront pas: «Souvenez-vous de moi dans vos prières.»
Traduction de M. Georges Savitch Tesseisky, diacre
Publié dans «l'Union chrétienne» (mars 1986)


ENTRETIENSPREMIER ENTRETIEN


COMMENT L'ÉGLISE EST NOTRE MÈRE PAR LA RÉGÉNÉRATION QU'ELLE NOUS DONNE PAR LE MYSTÈRE DU BAPTÊME
«Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? N’a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles? Quand elle l’oublierait, Moi je ne t’oublierai point. Voici, je t’ai gravée sur mes mains; Tes murs sont toujours devant mes yeux.» (Is 49,15-16)
J'ai relu ces paroles du Seigneur afin de les placer en tête de mes entretiens sur les saints rapports qui existent entre l’Église de Dieu et nous, ses fidèles, et sur le grand amour qu'elle nous porte. Je ne présenterai pas cette question sous une forme abstraite et scientifique; je l'envisagerai sous les aspects qui la rapprochent le plus de nous, et se rapportent â nos besoins de chaque jour. Nous entendons souvent donner à l'Église le nom de mère. Je m'attacherai à cette pensée; que l'Église est notre mère et je montrerai qu'elle l'est en effet, pour nous tous qu'elle nous a donné la naissance, qu'elle surveille notre éducation, qu'elle prend soin de nous comme de ses propres enfants.
Elle est notre mère :
1° Par droit de régénération
2° Par droit d'éducation;
3° Par droit de surveillance et de protection.
Dans ce premier entretien, je ne traiterai que du premier droit, et j'établirai que l'Église est notre mère par droit de régénération, au moyen du Mystère (sacrement) du Baptême.
Nous tous chrétiens, nous avons une double naissance : l'une naturelle, l'autre surnaturelle, dont la grâce est le principe.
La première nous est donnée par nos parents selon la chair, la seconde, par l'Église. L'une et l'autre sont des faits qui ont une haute importance pour toute notre vie. La première est le grand acte de la nature; la seconde, le grand acte de la grâce divine.
Notre Seigneur parle ainsi de la première naissance :
«Une femme, lorsqu'elle enfante, est dans la douleur, parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a donné naissance à un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur, dans la joie qu'elle éprouve d'avoir mis un homme au monde.» (Jn 16,21)
Toutes nos mères souffrent donc au moment où arrive pour elles l'heure de la maternité, parce qu'elles subissent l'effet de cette parole prononcée par Dieu dans le paradis terrestre : «Tu enfanteras dans la douleur.»
Voilà pourquoi la femme souffre, lorsqu'elle enfante; mais cette grande douleur et bientôt changée en joie, lorsque la femme obtient ce qu'elle désirait de toute la force de sa nature, lorsqu'elle devient mère. Alors elle se sent plus élevée à ses propres yeux et aux yeux du monde; elle se trouve en possession d'un droit qui vaut mieux pour elle que toutes les armes; elle reçoit un nom plus vénéré que cens dont l'éclat fait l'ornement du monde. Cette élévation et ce nom qu'elle obtient, font oublier à la femme les souffrances de l'enfantement, quelque vives qu'elles soient. Lorsqu'elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de ses douleurs, dans la joie qu'elle éprouve d'avoir mis un homme au monde. Une seconde vie a pénétré dans le coeur de la mère au moment où une nouvelle créature entrait dans le monde de Dieu, une créature qui, par la dignité et par la place qu'elle occupe, est au dessus des autres créatures visibles: « Un homme est venu au monde !»
Mais hélas ! mes frères, nous sommes tous conçus dans l'iniquité; nous naissons tous dans le péché. Le malheur qui nous a frappés est si grand, qu’il a détruit les dons et les prérogatives de notre naissance. Quel avantage as-tu d'être homme, si en même temps tu es un pécheur auquel il n'a pas été pardonné ? Quel sera la sort de cette jeune créature qui n'a encore d'autre mère que sa mère selon la nature ? «Les enfants des pécheurs sont des enfant d'abomination; quand vous êtes nés, vous avez été sous la malédiction; quand vous mourrez, la malédiction sera votre partage.» (Sir 41,8-12) Pourquoi donner la vie à un être sur lequel pèse une éternelle malédiction ? Si nous n'avions que la naissance charnelle, nous serions les plus malheureuses des créatures. Si les pères et les mères ne donnaient la vie à leurs enfants que pour les soumettre au péché, sans espoir de justification, de sanctification, mieux vaudrait qu'il n'y eut plus sur la terre ni un seul père, ni une seule mère. Si les enfants ne naissaient que sous le joug du péché, ils seraient exclus de l'héritage de Dieu, et ils ne feraient qu'augmenter le nombre des réprouvés. Alors on aurait pu dire de nous tout ce que le Sauveur a dit d'un seul : «Il eût mieux valu pour cet homme de n'être pas né.»
Ainsi, l'acte le plus beau de la nature humaine est en même temps le plus triste, s'il a lieu en dehors de la grâce. Ton jeune enfant est innocent par lui-même, mais ton péché pèse sur lui. Il est dans un triste état lorsqu'il sort de tes entrailles; malgré ton amour, il est dénué de toutes ressources humaines; mais alors la sainte Église se hâte de lui venir en aide. Elle se montre la véritable mère, la mère instituée par Dieu, de cet être que la nature n'a pas achevé, ou plutôt qu'elle a mal achevé. Comment ? vous l'apprendrez dans ce livre ecclésiastique qui vous offre le tableau de notre régénération.


I. PRIÈRES DU PREMIER JOUR OÙ LA MÈRE A MIS SON ENFANT AU MONDE


Ces saintes prières nous mollirent la sainte Église recevant dans ses bras la mère et l'enfant après l'enfantement. Je ne veux pas vous dire quels sont les sentiments, les inquiétudes, les espérances, les craintes qui vous agitent, lorsque, dans vos familles, vous voyez arriver un membre nouveau. Je dirai seulement qu'au moment où la mère et l'enfant souffrent, et que, dans votre coeur vous éprouvez une tristesse si profonde, la sainte Église vient prendre part à vos peines avec la plus tendre sollicitude. Elle prend part aux douleurs des vôtres, comme le Sauveur prenait part à toutes les douleurs de l'humanité. Vous vous hâlez d'appeler les médecins du corps; l'Église, elle, s'empresse d'imprimer le sceau de la sainteté à ce qui se passe chez vous; elle bénit vos soins et prie le Seigneur Tout-Puissant d'être lui-même le médecin de la mère; de préserver son âme et son corps d’un affaiblissement si naturel en pareille circonstance, et de la faire sortir au plus vite de son lit de douleur. En jetant vos regards sur ce lit, vous n'apercevez que la souffrance de la femme, souffrance que vous ne pouvez pas soulager; la sainte Église supplie le Créateur de mettre une garde céleste auprès du lit de douleur, de l'entourer d'anges purs et resplendissants, afin que, dans ses souffrances, la mère soit préservée, non seulement contre les ennemis invisibles, mais contre les regards méchants et envieux des hommes hostiles. Vous ne devez donc pas seulement chercher à consoler votre malade, vous devez approcher d'elle avec respect, puisque vous vous trouvez au milieu des êtres radieux, qui sont plus élevés que vous, et qui veillent sur elle.
Que voyez-vous dans ce berceau où, pour la première fois, après sa vie dans le sein maternel, repose le nouveau membre de votre famille ? Un pauvre être que vous a donné une faible créature. La sainte Église voit autre chose. A la vue du berceau de l'enfant, elle se rappelle la crèche où reposait notre Sauveur qui n'apparaissait que comme un petit enfant; elle prie le Seigneur, au nom de cette enfance, de protéger votre enfant contre les méchants et contre toute épreuve; elle supplie son Sauveur et le nôtre d'étendre ses ailes protectrices sur la mère et l'enfant et de les couvrir comme la poule couvre ses poussins (prière pour le premier jour de naissance). Ah ! mes frères, existe-t-il quelque chose de plus saisissant que cette sollicitude de l'Église ? Est-il un sentiment qui puisse être comparé à un si vif amour maternel ?


II. PRIÈRE POUR DONNER UN NOM À L'ENFANT


La sainte Église commence la régénération de l'enfant en lui donnant un nom. Elle prie le Seigneur Tout-Puissant de faire resplendir son image sur la face du nouveau-né; il imprime sur son coeur et sur son esprit la croix de son Fils, afin que le saint nom du Sauveur soit toujours gravé dans sa mémoire. En lui donnant le nom d'un saint, l'Église :
1° donne à comprendre que le nouvel homme doit être sanctifié d'en haut;
2° elle remémore le rite auquel le Sauveur fut soumis le huitième jour après sa naissance, selon la loi de Moïse; elle rapproche ainsi l'enfant de Celui qui fut votre Sauveur et le sien. Vous professez la plus haute estime pour les titres honorifiques que vous décerne la société; vous dites que le nom donne à celui qui le porte une grande prépondérance parmi ses semblables. Croyez-vous que le nom donné par l’Église à votre enfant n'a pas une haute signification ? C'est sa première propriété, et il la conservera toute sa vie. Ce nom sera la seule expression dont vous vous servirez pour exprimer votre attachement, votre amour le plus tendre. En recevant son nom, votre nouveau-né reçoit un représentant au ciel, un intercesseur devant l'autel de Dieu; un ange gardien de sa vie qui veillera sur lui mieux que vous; qui s'occupera de son salut avec plus de zèle et de tendresse que vous ses père et mère terrestres; qui partagera vos soins et votre sollicitude terrestres qui joindra ses principes célestes aux vôtres. Vous joignez aux noms religieux de vos fils et de vos filles, vos noms de famille, même ceux de vos ancêtres, surtout lorsqu'ils ont jeté de l'éclat. Les noms donnés par l'Église â vos enfants sont-ils moins glorieux ? Vous entendez continuellement prononcer les grands noms de Paul, de Jean, d'Alexandre, de Catherine, de Marie, et beaucoup d'autres. Seraient-ils des sons vides de sens ? Les héros dont vous portez les noms sont-ils de moindre valeur que ceux dont l'histoire civile a gardé la mémoire ? Les anciens patriarches et prophètes, les saints apôtres, les martyrs, les défenseurs de la foi et de l’humanité, toute la légion des saints qui ont reçu dans les cieux le prix de leurs victoires, est représentée sur la terre par les noms que nous recevons de l’Église. Ces noms, sans cesse répétés, sont une leçon toujours vivante sur la Sainte Écriture; et, par l'intercession de ces saints, nous resserrons les liens qui nous unissent au monde spirituel. Rien ne nous rappelle aussi bien l'Église céleste que le nom que nous portons. Surtout pour l'enfant, ce lien qui le rattache à l'Église céleste est un don inappréciable.
III. RITE DU SAINT BAPTÊME
Tandis que vous songez à organiser une fête de famille en l'honneur de votre nouveau né, l’Église se prépare à lui donner une fête plus digne de lui et de vous, dans le très saint mystère du baptême. Ici elle apparaît vraiment comme une mère qui va enfanter un chrétien. Le baptême est, en effet, un enfantement spirituel, car elle nous y donne un nouvel être plus élevé que celui que nous devions à notre naissance charnelle. C'est là le triomphe de la grâce qui est fêté au ciel par les saints anges. Tu as souvent préparé de l'eau parfumée pour y plonger le corps de ton enfant bien-aimé. Tu remplissais ainsi un devoir de mère attentive mais qui signifie ton eau parfumée auprès de l'eau sainte dans laquelle l'Église plonge ton enfant ? Ton eau ne peut enlever du corps de ton enfant aucun germe de maladie; elle ne peut donner que peu de force à ses membres débiles. L'eau du saint baptême le guérit de cette maladie ancienne, invétérée, que l'on appelle péché originel. Par le mystère du baptême, l'homme recouvre la première innocence et la sainteté qui ont été perdues dans le paradis terrestre. Le baptême délivre l'homme du joug de Satan, et le met au nombre des enfants de Dieu. Par le baptême l'homme s'unit à son Créateur, à son Sauveur, prend son image et s'attache â lui comme une jeune branche à l'arbre de vie. Il se régénère ainsi entièrement. Le front, les organes de la vue, de l'ouïe, de la respiration, la poitrine, les mains, les pieds, tout est régénéré en lui sous le sceau de l'Esprit saint, par le mystère de l'onction des huiles saintes. Le vêtement baptismal lui-même, de la couleur la plus naturelle, le blanc, et sans ornements, a une signification très élevée il symbolise l’âme pure, lavée de toute souillure. Blanc comme la neige, il est l'image du vêtement incorruptible fait des mérites de notre Sauveur et Seigneur, selon cette parole : «Celui qui est baptisé dans le Christ, est revêtu du Christ.


IV. LE QUARANTIÈME JOUR APRÈS LA NAISSANCE


La sainte Église s'empresse, par le rit de la Présentation, d'accueillir dans l'Église la mère et son enfant, comme Siméon et Anne reçurent notre Sauveur présenté dans le temple de Jérusalem. Elle s'exprime ainsi par la bouche du prêtre : «Seigneur, notre Dieu vous qui, le quarantième jour, avez été présenté au Temple, selon l'ancienne loi, par votre sainte mère Marie, qui était restée vierge; vous que le juste Siméon porta dans ses bras ! Dieu tout-puissant, créateur de tous, bénissez cet enfant que l'on vient présenter; inspirez-lui l'amour du bien; écartez de lui toute puissance ennemie, en lui imprimant le signe de ta croix, ô toi, mon Dieu, protecteur de l'enfance !»
Par le rit de la Présentation, l'Église donne au nouveau né l’accès dans son saint Temple; elle l'y fait entrer comme dans un nouveau monde créé et racheté par le sang de notre Rédempteur : il entre dans ta maison; il vénérera ton saint Temple. Par ce rite, l'Église place le nouveau né parmi les élus de Dieu, et l'admet parmi ces chantres angéliques qui louent le Créateur, selon cette parole : «Je te chanterai dans ton Temple.» En approchant l’enfant de l'autel de Dieu, l'Église enseigne qu'il a le droit d'y être admis, et qu'il sera à l'avenir une victime sainte offerte à Dieu. Alors l'enfant, avec ses parents, avec ses parrain et marraine qui le représentent, peuvent chanter l'hymne de reconnaissance du juste Siméon Porteur de Dieu : «Maintenant, Seigneur, tu peux laisser mourir en paix ton serviteur, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que tu nous a donné, et qui se montrera a tous les peuples.» Ils ont vu, en effet, le Sauveur; ils ont vu la lumière qui illumine le nouveau né et la gloire du peuple de Dieu.
Après ce saint rite, vous pouvez vous abandonner à toute votre tendresse pour votre enfant. Par amour pour vous, l'Église a eu recours au moyen le plus puissant, (rien n'est aussi puissant que le mystère sacré) pour lui donner la vie éternelle, lui faire le don de la justification, l'éclairer, l'oindre de l'huile sainte, le sanctifier, le laver de toute tache, au nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Qu'est-il devenu pour vous cet enfant ? Il n'est plus seulement votre enfant, il est l'enfant béni de Dieu, l'ami des saints, l'enfant de l'Église de Dieu, un membre de la chrétienté. Tout chrétien, quel qu'il soit, quel que soit le lieu où il réside lui doit aider comme à son propre enfant. Qu'est-il encore votre enfant ? Étant régénéré par l'Église, il est une créature meilleure et plus pure que vous-même; il est un sanctuaire domestique dont vous devez vous approcher, non seulement avec amour et avec des caresses, mais encore avec respect et une profonde vénération. Peut-être avez-vous perdu depuis longtemps la sainteté baptismale qui vous avait été donnée par l'Église; peut-être que les membres adultes de votre famille ont effacé le sceau du saint Esprit dont ils avaient été marqués et perdu la robe d'innocence; la grâce s'est peut-être éloignée de votre maison. Maintenant, elle y rentre avec le nouveau-né, elle se repose sur lui, prête à se reposer sur votre famille entière.
Je me suis servi du mot peut-être; car nous sommes tous obligés, après avoir été plongés dans la piscine salutaire, qui a été pour nous un paradis béni, de conserver notre innocence et vivre d'une vie angélique. Mais qui d'entre nous peut se flatter d'avoir conservé jusqu'à ce jour la grâce et la sainteté baptismale ? Après le baptême, nous sommes tombés comme Adam, notre père. Nous péchons souvent, et la sainteté est fermée devant nous, comme le paradis terrestre fut fermé pour Adam. Nous ne pouvons pas entrer une seconde fois dans la piscine, nous ne pouvons être baptisés deux fois. Quel serait notre sort si l’Église nous abandonnait après nous avoir donné une fois le baptême ? Saint Paul a dit : «Si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il n'y aura plus de victime pour nos péchés; nous n'aurons qu'à attendre un jugement terrible et le feu qui dévorera tous les ennemis de Dieu.» (Héb 10,2627). Tous, hélas ! nous serions soumis à l'action dévorante du feu de Dieu; nous tomberions plus bas que les Juifs et les païens, si l'Église ne venait à notre secours avec d'autres moyens de nous justifier, de nous sanctifier. Quels sont ces moyens ? Nous le verrons dans la suite, et nous saurons ainsi que l'Église est une mère qui, après nous avoir régénéré par le saint baptême, n'abandonne pas ses enfants. L'homme peut être abandonné de tous; il peut tout perdre fortune, gloire, honneurs, dignités, père et mère, parents et amis. L'Église n'abandonne jamais un chrétien et ne lui fait jamais défaut. «Une mère peut-elle oublier ses enfants, et n'avoir pas pitié du fils qu’elle a porté dans ses entrailles ? Quand même elle l'oublierait, moi je ne l'oublierai point. Ainsi parle l’Église en répétant les paroles de notre Seigneur Jésus Christ. Gloire â lui dans les siècles des siècles. Amen.

Un prêtre venait de temps en temps d'une basilique à la cellule d'un certain solitaire, pour y célébrer le saint Sacrifice et lui donner le corps du Seigneur. Un jour, quelqu'un vint trouver ce solitaire et porta auprès de lui une accusation grave contre le prêtre. Lorsque ce dernier se présenta comme de coutume pour célébrer le saint Sacrifice, le solitaire indigné ne lui ouvrit pas. Le prêtre se retira. Mais une voix se fit entendre au solitaire, qui disait : «Les hommes se sont arrogé le droit de juger pour moi.» En même temps, comme ravi en extase, il vit un puits d'or, avec son seau et sa corde également d'or, et ce puits contenait une eau délicieuse. Un lépreux puisait de cette eau et la versait dans un vase. Le solitaire aurait bien voulu boire à ce vase, mais il n'osait parce que celui qui puisait était lépreux. La voix se fit alors entendre de nouveau«Pourquoi, disait-elle, ne bois-tu pas de cette eau ? Comment celui qui emplit le vase serait-il un obstacle ? il ne fait que puiser et verser dans le vase.» Alors le solitaire, rentrant en lui-même, comprit le sens de la vision : il appela le prêtre, et lui demanda de célébrer comme auparavant le saint Sacrifice.

LES PÈRES DE L’ÉGLISE (suite)
Clément d’Alexandrie


Le nom porté par le père alexandrin dont nous étudions la vie et l’œuvre aujourd’hui était latin. Il s’appelait Titus Flavius Clemens. À cause de cela, beaucoup pensent qu’il était de souche romaine, ou qu’il portait le nom du maître qui l’aurait affranchi. Il naquit vraisemblablement à Athènes, vers l’an 150. Son lieu de naissance le fit parfois surnommer l’Athénien. Sa famille, ses parents étaient païens. Il naquit donc tel aussi, et il semble avoir été instruit alors dans le culte païen d’Éleusis. Tous ceux qui ont écrit sa vie ont souligné la solide formation reçue pendant sa jeunesse.
Contrairement à d’autres, nous n’allons pas analyser les raisons de sa conversion, afin de prétendre déterminer si elles se rapprochent de la seule séduction opérée par la pureté évangélique sur son esprit, ou si d’autres motifs intellectuels l’incitèrent à voir dans la nouvelle religion l’achèvement de la philosophie hellénique. Ses écrits nous démontrent trop l’authenticité de sa rencontre avec le Seigneur Christ, pour que le don de la Foi qu’il reçut pleinement soit réductible à de tels aspects. Si philosophie il y eut, ce ne fut qu’au titre de celle que l’on nommera plus tard philosophie de la Vérité, dont seul notre Dieu très bon est l’objet.
La première leçon portée par notre Alexandrin est celle de ces deuxième et troisième siècles de l’ère chrétienne, où l’on rencontre, dès cette haute antiquité, tout ce qui continue de former ce que croit et confesse l’Église catholique du Christ.
Que fit-il après sa conversion, dont nous ne connaissons pas exactement la date ? Eh bien, il se mit à pratiquer tout ce qui lui avait été transmis. Nous le constatons aisément en le voyant, à l’instar de tous les vrais chrétiens recherchant un père pour les guider, se mettre à rechercher un tel maître en Sicile, en Syrie, en Palestine, là où résidaient les pères spirituels les plus vertueux. Clément s’exprime ainsi au sujet de sa rencontre avec de tels déifiés, qui avaient reçu sans intermédiaire la vraie doctrine des apôtres : “Ils étaient parvenus jusqu’à nous, pour nous confier la semence divine et je sais qu’ils se réjouiront de voir leurs discours non pas expliqués, mais exposés tels qu’ils avaient été transmis”. C’est dire que pour Clément comme les autres pères apostoliques, la doctrine était un dépôt à transmettre tel qu’il avait été reçu, les commentaires philosophiques à son endroit n’ayant d’intérêt que celui de la mettre en valeur sans en altérer la pureté. Comme chaque ami de Dieu, comme chaque fils obéissant du Père, Clément “ne fut pas déçu de son attente” selon l’un des chants du roi David. Il rencontra le père spirituel, l’ancien que Dieu lui destinait. Dès ce jour, il s’attacha à lui pour apprendre de sa bouche la vraie doctrine ascétique, et s’imprégner de son exemple. Ce père spirituel s’appelait Pantène, dont le nom est resté lié à la prestigieuse métropole d’Alexandrie.
Alexandrie. C’est à Alexandrie, en l’an 180, que Clément rencontra Pantène, son père spirituel, qui était probablement originaire de Sicile. Clément en parle comme d’“un savant, comme d’une abeille industrieuse, tirant des fleurs qui émaillaient la prairie spirituelle des prophètes et des apôtres, le suc avec lequel il nourrissait ses auditeurs”. Clément ne forçait là ni son admiration, ni sa reconnaissance, tant la réputation de sagesse et de science de son maître était grande. Pantène était alors le directeur de la célèbre École d’Alexandrie, qui tenait, d’une part, le rôle d’une université chrétienne par l’ampleur des matières qui y étaient enseignées, et d’autre part celui d’une fraternité plus restreinte, composée d’étudiants groupés autour d’un maître comme des disciples. Chacun connaît la célébrité de cette Église (Alexandrie comptait alors un million d’habitants) dont Eusèbe nous apprend, dans le chapitre II de son Histoire Ecclésiastique qu’elle avait été fondée par le saint apôtre Marc. En parlant d’Alexandrie, on ne peut oublier de préciser, même brièvement, que l’histoire s’est souvent trop focalisée sur le nom des hérétiques qui y ont sévi ou qui y sont nés (par exemple les gnostiques Valentin, Basilide, Carpocras), au point que le nom de cette métropole égyptienne leur est associé, sans oublier leurs imitateurs. Ceci ne doit pas détourner l’attention des chrétiens du fait basique que l’enseignement très orthodoxe qui y fut dispensé fut majoritairement celui de bons et fidèles serviteurs de l’évangile.
La rencontre avec le père spirituel qu’il recherchait fixa Clément d’Alexandrie près de Pantène, son maître et son ancien. Il y fut élevé au sacerdoce. Une lettre conservée d’Eusèbe le présente en effet comme le bienheureux presbytre. Après cela, continuer à débattre la question de savoir s’il fut effectivement prêtre relève d’une discussion oiseuse. Cette date de 180, qui marque la rencontre dont nous venons de parler, semble situer la conversion de Clément dans la décennie précédente, pour le moins.
Fils spirituel de Pantène, Clément devint son disciple préféré à cause de son obéissance et de ses progrès dans la vie spirituelle. Le maître n’hésita donc pas à le placer à ses côtés pour enseigner avec lui. C’était sans doute là une préparation voulue puisque, peu après, Clément fut établi (sans doute par Pantène lui-même) comme directeur de cette école. Il compta, parmi ses élèves et disciples, Alexandre, qui devint évêque et avait commencé son instruction sous Patène, ainsi qu’Origène, qui dirigea après lui l’école d’Alexandrie.
L’œuvre de Clément d’Alexandrie. Certains auteurs en parlent comme du plus ancien écrivain orthodoxe d’Alexandrie, bien qu’Eusèbe nous parle des œuvres de son père spirituel, Pantène, en disant qu’il avait expliqué “de vive voix et par des écrits les trésors des divines Écritures”. Ce témoignage d’Eusèbe correspond, par contre, à la façon de faire des anciens pères qui privilégiaient souvent l’enseignement oral. Il se peut aussi que ces écrits se soient perdus. En ce cas, la substantifique moelle s’en retrouve dans ceux de Clément, tant ce dernier s’était imprégné des enseignements de son ancien. Il excella d’ailleurs à les restituer selon le talent reçu de Dieu. À ce sujet, Guettée précise : “…Clément, en tout ce qu’il a écrit de la Nature divine, une en essence et triple en personnes, et principalement touchant le Verbe, a eu surtout en vue de réfuter l’ancien platonisme d’abord, puis le néoplatonisme de Valentin et des autres gnostiques, qui étaient pour la plupart sortis de l’école d’Alexandrie et qui avaient sans doute eu beaucoup d’influence en Égypte”. Et le même auteur continue ainsi : “…On n’a pas assez remarqué ce fait important qui donne la clef de toute la doctrine des docteurs alexandrins sur le Verbe de Dieu. Des écrivains abusant de quelques expressions isolées de Clément et d’Origène n’ont voulu voir en eux que des disciples de Platon, s’appliquant à introduire la doctrine de ce philosophe dans l’Église en la revêtant d’un vernis chrétien. Il suffit de considérer leurs doctrines dans leur ensemble pour voir que tel ne fut pas leur but” (cf. R.P. V. Guettée in Histoire de l’Église, t. II, pp. 92–93).
Nous voilà renvoyés aux œuvres de ce père alexandrin pour apprécier et nous nourrir de son enseignement. Elles appartiennent aussi – et c’est capital – au témoignage de ces premiers pères, instruits par les maîtres incomparables que furent ceux qui avaient connu les apôtres, recevant alors de leur bouche les enseignements que leur avait donnés le Seigneur. Ainsi, lorsque nous lisons les œuvres de Clément, nous le voyons faire l’apologie de l’Église une, nous le voyons enseigner le mystère de l’eucharistie, traiter de la succession apostolique et de la hiérarchie ecclésiastique, en vertu de l’enseignement directement reçu des apôtres. Dès le début de l’histoire de l’Église, nous voyons qu’il n’y eut jamais de place pour rien d’autre que ce qui possède l’antiquité, l’universalité et l’accord unanime depuis toujours. Et c’est ce que la hiérarchie épiscopale aura à attester au cours des siècles, démontrant clairement que tout ajout ou tout retranchement ne peuvent se prévaloir de ce principe. C’est la première leçon de Clément l’Alexandrin. Elle dirige carrément toute son œuvre, que bien des auteurs résument dans ses trois principaux ouvrages (Le Protreptique, Le Pédagogue et Les Stromates), qui sont autant d’éléments de catéchèse destinés à conduire ses contemporains païens à la conversion, puis de la conversion à la perfection. Nous allons en parler brièvement.
Dans Le Protreptique, dont le titre complet est Exhortation aux Grecs, Clément l’Alexandrin s’adresse au païen pour le tirer de son erreur. Il utilise talentueusement sa connaissance du paganisme qu’il avait abandonné, pour en souligner et réfuter radicalement les erreurs. Comme Justin, il démontre l’impasse de la philosophie humaine, expliquant comment et pourquoi ses plus grands maîtres ne pouvaient amener au salut. Connu lui-même comme un des maîtres de cette école d’Alexandrie, si célèbre sous le simple rapport humain, on comprend facilement qu’une telle notoriété jointe à la vertu ait provoqué la confiance de ses contemporains. D’autre part, voir un tel connaisseur de la philosophie en démontrer les impasses pour les diriger vers le Christ, Lui qui l’a guéri de cette maladie de l’âme, constituait un exemple communicatif.
Après la première catéchèse du Protreptique, son ouvrage Le Pédagogue constitue comme un manuel, un vade-mecum pour le chrétien sortant du baptistère. Il s’était déjà adressé à lui comme païen, puis comme catéchumène. Maintenant “qu’il a revêtu le Christ”, il lui enseigne la voie des commandements; il lui apprend l’exercice d’une vie authentiquement chrétienne par la pratique des vertus et la fuite de vices. Il éclaire sa marche vers la perfection, en lui dévoilant les embûches que le diable excelle à semer sur cette voie. Il le met en garde contre les égarements de la fausse gnose, sans oublier de flageller les vices de son temps. Il enseigne tout en s’effaçant devant le seul Pédagogue, qu’il désigne tel : le Christ, dont il est le serviteur, vrai Dieu et vrai Homme, aune à laquelle tout homme doit mesurer toute chose en ce monde pour arriver au salut. L’auteur inspiré ne néglige même pas d’éduquer le chrétien dans les actes les plus habituels de la vie, comme par un code de “savoir-vivre” comme l’on dirait aujourd’hui. Un code empreint non de maniérisme, mais de délicatesse pour ses frères et de charité.
Nous en arrivons au plus connu de ses ouvrages, c’est-à-dire les Stromates. Sous ce titre, Clément donna, en huit volumes, le résumé de toutes ses lectures, connaissances et expériences spirituelles. En lui donnant ce titre en langue grecque qui signifie «tapisserie», le saint auteur tenait sans doute à faire considérer son œuvre comme un canevas sur lequel il allait broder, avec tout ce qu’il avait appris.
Dans le premier livre, Clément démontre qu’en présence de la foi, la philosophie n’a que le rôle de servante. Il écrit : «La philosophie a Dieu pour principe aussi bien que la religion, en ce sens que l’intelligence humaine vient de Dieu. Mais à l’égard de la science divine, la philosophie n’a à remplir que le rôle de servante; elle la sert dans certaines circonstances, par les raisonnements justes et les données scientifiques qu’elle peut fournir. Elle ne lui est absolument pas nécessaire, car il en est qui sont dans l’impossibilité de démontrer leur foi». Et il ajoute : «Dans tous les systèmes de philosophie, il y a des parcelles de vérité; d’où viennent-elles ? Des peuples primitifs que les Grecs considèrent comme barbares et qui avaient conservé des doctrines révélées dès le commencement. C’est ainsi que les législateurs de la Grèce et Platon ont beaucoup emprunté à Moïse. Il y «établit que la philosophie, malgré les emprunts qu’elle a faits à la Révélation, et surtout aux livres sacrés de Hébreux, n’est pas parvenue à lui donner une idée juste de Dieu. Elle n’a pu donner non plus une notion exacte du culte que l’on devait Lui rendre».
Contre les gnostiques, Clément précisait que, dans ses études sur la Parole de Dieu, le chrétien doit prendre pour guide la Tradition de l’Église; autrement il s’expose à l’hérésie. Il le démontre ainsi : «Ceux qui ne suivent pas ce guide font violence aux Écritures; une fois qu’ils ont lancé de faux dogmes au public, il sont obligés de lutter contre l’existence des Écritures; et lorsqu’ils sont poursuivis sur ce terrain, ou bien ils rejettent une partie des Écritures, ou bien ils nous calomnient comme si nous n’avions pas assez de capacités pour les comprendre».
Clément nous donne ici de précieux renseignements à propos de l’eucharistie avec une grave sagesse, renseignements dont nous pouvons encore profiter et qui sont l’un des maillons de la perpétuité de la foi de l’Église en cette matière. De même il a écrit très clairement à propos de l’épiscopat, du diaconat et du presbytérat. Il s’est exprimé d’une façon si claire sur la hiérarchie divinement instituée dans l’Église, que l’on ne peut émettre aucun doute sérieux sur la doctrine qu’il donnait comme celle de l’Église entière et des apôtres. Transmettant ce qu’il a reçu, Clément témoignait qu’il n’y a jamais eu de place dans l’Église pour une autre doctrine que celle contenue dans ce dépôt qui a pour lui seul l’antiquité, l’universalité et l’accord unanime depuis toujours. Cette fidélité distingue «l’Église une, sainte, catholique et apostolique» mentionnée dans le Credo de ceux qui s’en sont séparés, en même temps qu’elle sert de phare aux égarés pour leur indiquer le lieu où retrouver la véritable unité dans la Vérité.
Pour apprécier l’intuition fondamentale de Clément, il faut bien se référer à ses démonstrations qui établissent que les parcelles de vérité contenues dans les anciennes philosophies sont enfouies sous une foule d’erreurs. C’est d’ailleurs ce qu’il faut saisir avant tout pour définir l’École d’Alexandrie et séparer son enseignement orthodoxe de celui des hérésiarques qui ont voulu se couvrir du nom de cette glorieuse métropole. Clément, comme tous les vrais docteurs orthodoxes d’Alexandrie, n’a rien enseigné concernant le Verbe que la doctrine révélée dans l’Évangile de Jean. Si ces docteurs orthodoxes ont décelé dans leurs études sur l’antiquité des éclairs de cette doctrine chez Platon, ils ont établi deux choses : a) que Platon n’avait pas eu une idée établie de la doctrine du Verbe; et ensuite b) que les néoplatoniciens, c’est-à-dire les gnostiques, étaient tombés dans une foule d’erreurs en développant plutôt la doctrine de Platon que celle de notre Seigneur Jésus Christ. Quelques écrivains du 19e siècle ont prétendu que l’école platonicienne d’Alexandrie avait exercé une forte influence sur la doctrine chrétienne. Guettée, dans le tome II de son «Histoire de l’Église» les réfute en démontrant que cette assertion est contraire à la vérité : «Les doctrines chrétiennes – écrit-il – étaient parfaitement fixées avant Ammonius et Plotin, comme l’ont démontré nos analyses des ouvrages des écrivains des deux premiers siècles», et il conclut : «L’école chrétienne d’Alexandrie n’emprunta rien elle-même au platonisme et fut établie plutôt dans le but de s’opposer aux systèmes de Basilidis et Valentin qui voulaient harmoniser avec le christianisme certaines données des philosophies anciennes et surtout celle de Platon».
Autres œuvres. On possède de Clément un petit traité où, en commentateur avisé du saint évangile, il expliqua la doctrine évangélique sur la richesse et la pauvreté. Il démontra que la richesse prend le reflet de nos âmes : générosité ou avarice ou envie; charité, justice ou vanité et injustice. Ce sont les vices de notre cœur qui transforment les biens de ce monde, comme la manière bonne ou impure de les acquérir, la faculté d’en être libre ou esclave. Le riche n’est qu’un usufruitier de ses biens. S’il se détache des biens de ce monde, ces derniers pourront lui être moyen de salut, pourvu qu’il en fasse un usage vertueux et charitable. À ce commentaire des versets 17-31 du chapitre 10 de l’évangile de Marc, Clément donna comme titre la phrase interrogative des apôtres : «Quel riche sera sauvé ?».
On connaît aussi de lui un livre que tous regrettent depuis sa perte, celui appelé Hypotyposes. Notre Alexandrin y avait rassemblé huit de ces ouvrages contenant de nombreux renseignements sur l’ancien et le nouveau Testament. Dans le livre VI de son Histoire ecclésiastique, Eusèbe fait observer qu’il déterminait ainsi l’époque où les évangiles avaient été écrits. Les deux premiers étaient ceux de Matthieu et de Luc, le troisième celui de Marc, et enfin celui de Jean. Plus tard, ces huit livres furent dénaturés par des ennemis ardents de l’École d’Alexandrie, de même que par des amis trop peu éclairés. Eusèbe ne releva aucune erreur dans ce que l’on pourrait appeler les originaux. Saint Photius en indiqua un grand nombre et des plus grossières (et qui n’auraient donc pu échapper à Eusèbe). Ce qui établit la date de la corruption de ces ouvrages par les hérétiques : du 4e au 7e siècle.
Toujours dans son Histoire ecclésiastique, Eusèbe lui attribue encore d’autres ouvrages : Sur la Pâque, Sur le jeûne, Sur la détraction, Exhortation à la patience, Aux nouveaux baptisés, Canon ecclésiastique, Aux judaïsants. Autant de titres qui nous font regretter, par les sujets traités, que seuls des fragments de ces œuvres nous soient parvenus.
La vie de Clément d’Alexandrie s’écoulait laborieusement à Alexandrie. Il y demeura jusqu’à la persécution de Septime Sévère. C’est alors qu’il se résigna à partir en exil. Il se retira en Cappadoce chez l’évêque Alexandre, qui avait été son élève. C’est ainsi qu’en 211 on le voit porter aux Antiochéens, de la part de cet évêque, une lettre où il est question des services que lui, Clément, avait rendus en Cappadoce. Plus tard, Alexandre devint évêque de Jérusalem et, en écrivant alors à Origène, il parla du grand Clément comme d’un défunt. On peut en conclure que ce saint docteur de l’École d’Alexandrie était parti de ce monde entre 211 et 216.
Clément, a toujours été reconnu comme possédant une érudition prodigieuse; aucun auteur de cette époque, même Origène, n’a connu ni cité autant que lui un si grand nombre d’auteurs païens et chrétiens. Pour l’Église, qui va beaucoup plus loin, le nom de Clément d’Alexandrie a traversé l’histoire par sa réputation de père incomparable qui appelle le chrétien à la sainteté avec amour; de pédagogue avisé qui incite à la vraie connaissance de la foi par le cœur et la prière perpétuelle. Sa vie fut une prédication pratique contre «la gnose au nom menteur». Cet homme de paix annonça saint Irénée en ne pratiquant aucun «irénisme au nom menteur». Grâce à Clément et autres pères de ce lieu, le nom d’Alexandrie brille d’un grand éclat au fronton de l’Église orthodoxe catholique du Christ.
Les anciens auteurs l’ont qualifié de saint. Il ne figure pas comme tel au calendrier ecclésiastique, mais tous les ouvrages sur les pères de l’Église citent son nom et ses œuvres. C’est cette œuvre qui parle pour lui, tout comme le témoignage du docte historien Eusèbe, qui parle de Clément d’Alexandrie comme du «bienheureux presbytre». Telle est donc l’appellation que nous lui conservons.
Bibliographie :
Œuvres de Clément d’Alexandrie (Éd. Sources Chrétiennes)
— Extraits de Théodote : 25,92 €
— Le Pédagogue, tome 1: 28 €
tome 2 : 24 €
tome 3 : 24 €
— Les Stromates, tomes 1 et 2 en ré-édition
tome 5 : 37 € la première partie; 46 € la deuxième partie
tome 6 : 28 €
tome 7 : 31 €
— Le Protreptique : 33,23 €
Aphorismes de Clément d’Alexandrie :
«Celui qui a vu son frère a vu Dieu» (Les Stromates)
«Parce qu’il a été créé à l’image de Dieu, chaque membre de la famille humaine est infiniment précieux au regard de Dieu».

Athanase Fradeaud

Ce n’est aucunement pour nous libérer des péchés, ou pour quelque autre motif, que notre Seigneur est mort, mais uniquement afin que le monde ressente l’amour de Dieu pour sa création.
saint Isaac le Syrien (Centurie 4,78 )

SYNAXAIRE DES MARTYRS ORTHODOXES CHINOIS


INTRODUCTION


Histoire religieuse de la Chine


Depuis le début de son histoire, le peuple chinois a montré de profonds sentiments religieux et d’intenses soucis métaphysiques l’ont distingué parmi tous les autres peuples de l’Orient.
L’histoire religieuse de la Chine peut être divisée en trois périodes principales.
À partir du 13e siècle avant Jésus Christ, c’est le confucianisme qui prévalait sur les vastes étendues chinoises. Il avait des conceptions d’un souverain Dieu suprême, sujet à des variantes au cours des différentes époques.
Le deuxième mouvement religieux qui prévalut vers la fin du troisième siècle avant Jésus Christ, c’est le taoïsme, fondé par Lao-Tseu, qui vécut pendant les 6e-5e siècles avant Jésus Christ. Le taoïsme commença à décliner avec l’apparition du bouddhisme, le troisième grand mouvement religieux, qui fut introduit en Chine sous l’empereur Ming au premier siècle de notre ère, à la suite d’une vision. Il fut promulgué par les missionnaires Kasyapa Matog et Gobharana. L’apogée du bouddhisme fut constatée aux dixième et douzième siècles, avec la conversion des Chinois instruits, de même que des masses populaires. Une branche du bouddhisme est l’amidisme qui, avec ses pratiques (prière et contemplation), révèle des éléments essentiels proches du christianisme.
Ces trois religions fondamentales chinoises ne divisent pas, semble-t-il, les Chinois entre eux comme cela arrive avec les adeptes d’autres religions. En Chine, deux, ou même trois, des religions susdites peuvent être professées à la fois.
Cependant, l’Islam aussi est apparu en Chine après le douzième siècle tandis que la présence de Juifs a été confirmée après l’an 1000 de notre ère.
LE CHRISTIANISME EN CHINE
Selon une tradition orale, le christianisme atteignit la Chine par l’apôtre Thomas. Cependant, cela demeure une hypothèse qui n’a pas été démontrée scientifiquement.
Le christianisme atteignit la Chine en 635 de notre ère par des missionnaires nestoriens de Perse, comme l’indique une inscription trouvée dans la capitale du royaume médian, Chagan, l’actuelle Xian. Ces chrétiens restèrent en Chine jusqu’au treizième siècle. Les nestoriens furent suivis de missionnaires de l’Église catholique romaine papale au quatorzième siècle avec des résultats remarquables deux siècles plus tard.
L’ORTHODOXIE EN CHINE
L’arrivée de l’orthodoxie en Chine débuta par un événement fortuit. Aux dix-septième et dix-huitième siècles la domination russe s’était implantée par la Sibérie jusqu’à la côte de l’Asie orientale.
Pendant la même période, un des gouverneurs les plus remarquables de la dynastie mandchourienne, K'ang Chi (1669-1723) tenta de mettre une entrave à l’expansion russe. K'ang Chi enragea lorsqu’en 1667, le prince Chan-Timur et 14 de ses proches fuirent le service de l’empereur et passèrent sous domination russe. Ils furent tous baptisés.
En 1685, l’armée chinoise atteignit le fleuve Amour en Sibérie, punissant les cosaques en s’emparant de leur fort principal, Albasin, et capturant beaucoup de prisonniers. Quarante-cinq prisonniers, qui étaient, bien sûr, orthodoxes, dirent aux autorités chinoises qu’ils étaient prêts à obéir aux ordres du monarque chinois. Les orthodoxes d’Albasin s’installèrent dans le secteur Nord-Est de Beijing (Pékin) et furent bientôt privilégiés par K'ang Chi. Un temple bouddhiste fut transformé en église Saint-Nicolas. Jusqu’en 1712, le prêtre était le père Maxime Léontiev. Ainsi fut formé le premier noyau orthodoxe chinois. Plus tard, le métropolite de Tobolok envoya le prêtre Gregory Navinsky et le diacre Lavrentios Ivanov comme nouveau renfort.
Avec leur inclusion dans la cour chinoise, les prisonniers russes épousèrent des Chinoises nobles et commencèrent à s’infiltrer dans les rangs de l’aristocratie chinoise. On nota beaucoup de conversions à l’orthodoxie dans ces rangs. K'ang Chi fut favorable envers les chrétiens, qui avaient sans cesse gagné du terrain, et à un moment on pensait même qu’il allait devenir le saint Constantin de l’Extrême-Orient. Ces espoirs furent cependant anéantis, lorsque l’empereur découvrit le vrai rôle des missionnaires papistes, se rendant compte que les missionnaires occidentaux étaient aux ordres des dirigeants européens. Ainsi, une nouvelle mission russe, avec un évêque à la tête, ne réussit qu’à atteindre la frontière. Pendant ce temps, K'ang Chi, et encore plus son successeur Yung Cheng, persécuta les chrétiens occidentaux pendant plus de cent-vingt ans.
Les orthodoxes, à la même époque, furent, certes, traités de façon plus favorable. Ils purent développer quelque activité basée sur le petit noyau des Albasiniens qui s’étaient assimilés entre temps et à qui beaucoup d’orthodoxes chinois et mandchouriens s’étaient ajoutés. La persécution que subirent les missionnaires chrétiens occidentaux n’a jamais été étendue aux orthodoxes. La conduite générale des orthodoxes quant à leurs relations avec les Chinois, leur permit d’exercer une influence qui amena beaucoup de personnes éminentes et distinguées à l’orthodoxie.
En 1860, après 150 années d’activité, la communauté orthodoxe comptait seulement 200 âmes, en dépit du fait que 150 missionnaires environ y avaient travaillé. La fondation propre de la mission fut complétée lorsqu’elle se sépara de la politique russe et, à partir de 1864, fut directement responsable au Saint Synode. Fondée sur ces principes qui servent de modèles à toutes les Églises orthodoxes, l’Église orthodoxe chinoise atteignit son plus haut point. Elle acquit un prêtre chinois, Mitrophane Chi Sung, qui allait devenir un saint plus tard. Beaucoup d’églises orthodoxes furent construites et la divine liturgie était célébrée aussi à l’extérieur de Beijing (Pékin), dans d’autres cités de la Chine et de la Mandchourie. L’Église orthodoxe en Chine atteignit son plus grand éclat au temps du missionnaire Innocent Figurovsky, c’est-à-dire entre 1897 et 1901. Vint ensuite la grande épreuve qui fut également le triomphe des martyrs de l’Église orthodoxe chinoise.
Cela se passa lorsque la révolte des boxers éclata. «Boxers» fut le nom donné par les Européens aux Chinois conservateurs qui étaient contre l’influence étrangère, l’innovation de style occidental et les réformes.


SYNAXAIRE OU MARTYROLOGE


La persécution de 1900 et la fête des martyrs chinois


Nous nous trouvons à Beijing, capitale de la Chine, à la fin du 19e siècle.
Face à la tendance à l’innovation et aux réformes d’un côté et la xénophobie des mandarins et des aristocrates de l’autre, l’impératrice douairière, alliée aux conservateurs et à ceux qui pratiquaient les arts martiaux traditionnels, intervinrent avec violence, pour contrecarrer les projets des modernistes. Le mouvement des «Boxers», comme il fut appelé par les étrangers, noya toute opposition dans le sang. Il cherchait à exiler tous les étrangers qui vivaient dans le pays et qui, d’après son opinion, étaient responsables de tout le mal qui y arrivait.
Les chrétiens étaient les premiers à souffrir – et le plus – de l’oppression instituée par les «Boxers». Par la participation à des rites spéciaux, par l’emploi des anciennes méthodes chinoises d’arts martiaux, les «Boxers» croyaient devenir invincibles contre les balles étrangères. En 1899 le premier missionnaire anglais fut tué. En 1900 la tentative des étrangers d’amener davantage de soldats à Beijing empira la situation. Le 10 juin, des affiches furent plaquées sur les murs partout dans Beijing, enjoignant les Chinois à massacrer tous les chrétiens et menaçant de martyre tous ceux qui essayaient de se cacher.
Le 11 juin 1900 devint un jour de gloire pour la Chine, car elle put offrir également sa part de martyrs pour la robe pourpre de l’Église triomphante.
La procession des bourreaux se mit en route triomphalement avec des torches brûlantes, pendant que les idoles des dieux traditionnels des Chinois furent portées haut. On tenait des encensoirs pour que les chrétiens puissent encenser les idoles, et renier ainsi leur foi ‘étrangère’. La pression était insupportable, les martyrs les plus terribles. La peur était grande. Les foyers chrétiens orthodoxes furent encerclés. Menaces et violence furent employées pour forcer les orthodoxes à sacrifier aux faux dieux et renier le Christ.
Malheureusement, comme dans le cas de toutes les oppressions, nombreux furent ceux qui capitulèrent et brûlèrent de l’encens pour sauver leur vie, tandis que d’autres, dont la foi était plus forte, confessèrent courageusement le Christ. Les derniers, les confesseurs, furent conduits hors de la cité, dans les temples idolâtres des «Boxers». Ici, après avoir subi une torture indescriptible, le déchirement de leur corps, l’arrachement de leurs entrailles et d’autres choses semblables, ils finirent par être décapités ou brûlés vifs. Les maisons des martyrs subirent le même sort que leurs propriétaires. Églises et institutions orthodoxes furent également livrées aux flammes. On mit le feu à tous les bâtiments ecclésiastiques (avec l’exception de celui de Hankow), à la bibliothèque sino-russe et à l’imprimerie avec ses 30.000 caractères chinois gravés sur bois, qui furent tous réduits en cendres. Les missionnaires russes réussirent à fuir à Chien-Chin et puis à Shanghai. L’œuvre entière du missionnaire Innocent Figurofsky fut complètement détruite. Sur 700 fidèles orthodoxes chinois, 300 furent martyrisés pour leur foi. Compte tenu de son peu de force numérique, l’Église orthodoxe en Chine donna plus de martyrs que les Églises hétérodoxes.
Décrivons, cependant, le martyre du premier hiéromartyr chinois, saint Mitrophane Chi-Sung, et de ses compagnons de façon plus détaillée.
Saint Mitrophane fut le premier prêtre orthodoxe chinois. Il fut ordonné par saint Nicolas du Japon et servit la mission orthodoxe pendant quinze ans. Il était assis au milieu des ruines de la Mission Orthodoxe incendiée, entouré d’hommes, de femmes et d’enfants de son troupeau, quand on commença à lui donner des coups de poing dans la poitrine. Son épouse, la presbytéra Tatiana, et son fils de 23 ans, Isaïe, furent massacrés devant ses yeux, pendant que l’on coupait le nez, les oreilles et les orteils à son fils cadet, Jean. Non seulement l’enfant martyr refusa de se plaindre ou de protester, mais, comme par miracle, il ne sentit aucune douleur. Les bourreaux le raillaient, l’appelant «enfant de démons». Il répondit disant, «Je suis chrétien orthodoxe et je crois en Christ, et non dans les démons». Après l’exécution de père Mitrophane, sa future belle-fille, fiancée de 19 ans d’Isaïe tout juste martyrisé, arriva à la maison du prêtre. Elle voulut accompagner dans la mort la famille de son fiancé. Quand les «Boxers» encerclèrent la maison, Maria aida beaucoup de fidèles à sauter par-dessus les murs du jardin. Elle affronta ses bourreaux avec courage et leur reprocha le meurtre injuste de tant d’âmes innocentes, qu’aucune cour n’avait jugées. Les bourreaux lui percèrent les pieds et blessèrent les mains, l’encourageant à partir pour se sauver. La brave Maria leur répondit hardiment, «Je suis née ici par l’Église de la toute sainte Mère de Dieu, et je mourrai aussi ici». Alors les «Boxers» l’exécutèrent.
De nombreux descendants des habitants d’Albasin de Russie, qui avaient apporté les premiers la lumière de l’Orthodoxie à Beijing en 1685 et qui s’étaient assimilés aux Chinois, sont inclus parmi les martyrs. Les noms de quelques-uns ont été gardés : Clément Kui-Kin, Matthieu Hai-Chuan, le frère de Vit et d’Anna Chui. Beaucoup d’autres, dont les noms nous sont inconnus, sont connus du Christ, qui les a couronnés de la couronne incorruptible.
Sur mille personnes environ de la paroisse de Beijing, trois cents périrent dans les événements sanglants du 11 juin 1900. Parmi celles-ci 222 reçurent la couronne du martyre et constituèrent le glorieux début sacrificiel du 20e siècle, un siècle de triomphe pour l’Église, pareil aux trois premiers siècles chrétiens. Un siècle qui devait bientôt devenir pourpre par le fleuve de sang qui allait couler des vastes étendues de Russie dans les décades qui allaient suivre. Cependant, la petite Église scintillante du peuple de Chine peut aussi s’enorgueillir de ses martyrs, proclamant à l’univers que l’orthodoxie est au-dessus des frontières, des peuples et des nations, des couleurs et des langues, c’est «l’Église» de toutes les nations, de tous les peuples et de toutes les langues, qui est devant le trône de l’Agneau, en vêtements blancs et feuilles de palmier à la main, criant à Dieu à haute voix : Alléluia ! 


Apolytikion. Mode premier
Ministre du Christ, vrai prêtre de gloire, sacrifice raisonnable et victime sans tache,
tu te livras au stade avec ton troupeau, ô père Chi-Sung à Beijing.
Prie donc pour nous qui gardons avec foi ta précieuse mémoire.


Apolytikion. Mode deux
Tu devins participant des coutumes des apôtres et successeur de leur trône
tu as trouvé la voie de l’ascension pour contempler Dieu,
par ta lutte fidèle jusqu’au sang avec ton troupeau à Beijing.
O Chi-Sung, hiéromartyr inspiré de Dieu, prie le Christ notre Dieu,
pour que nos âmes soient sauvés.


Mégalynaire
A. Réjouis-toi, ô prêtre de Beijing, martyrisé glorieusement avec ton troupeau, tu détruisis les projets impies des tyrans avec la Force du Seigneur, ô père Chi-Sung.
B. Mitrophane, comme un ministre pieux parlant de Dieu, tu as affaibli les illusions des impies par tes hauts faits, avec ton troupeau, ô père qui protèges des ténèbres, fierté des martyrs.

Comme une fontaine troublée et une source corrompue, ainsi est le juste qui chancelle devant le méchant.
Proverbe 25,26

Veux-tu savoir à quoi ressemble un homme au cœur ouvert à tous vents ? Apprends à le reconnaître à son flot de paroles, à ses sens troublés et à sa propension à défendre tout ce qu'il affirme, pour avoir raison. Celui qui a goûté à la vérité ne dispute plus à son sujet. L'homme qui prend feu et flamme à cause de la vérité n'a pas encore appris la vérité telle qu'elle est. Lorsqu'il l'aura apprise véritablement, il cessera de s'enflammer à cause d'elle. Le don de Dieu et la connaissance accordée par ce don ne sont jamais motifs à se troubler ou à lever la voix, car le lieu où habite l'Esprit avec l'amour et humilité est un lieu où ne règne que la paix. Voilà les signes de la venue de l'Esprit : celui qu'il couvre de son ombre est rendu parfait dans ce domaine. Dieu est vérité. La Pensée qui ressent Dieu n'a pas de langue pour en parler; elle habite dans son cœur en grande paix. En un tel homme, aucun zèle ne enflamme, aucun mouvement de dispute ou de colère ne se met en branle. Il n'est nullement ému au sujet de la foi, ni par aucun désir d'aucune chose, pas même par un désir personnel de faire quoi que ce soit de souhaitable, mais son âme habite dans une immense et inexprimable paix, et dans une grande quiétude. C'est parce qu'on est soi-même ignorant que l'on émeut pour agir face aux ignorants, ou en vue de redresser les autres.
saint Isaac le Syrien (Centurie 4,77)

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