NUMÉRO 113
Décembre 2006

 Bulletin des vrais

chrétiens orthodoxes

sous la juridiction de

S. B. Mgr. Nicolas

archevêque d'Athènes

et primat de toute la Grèce

Hiéromoine Cassien
Foyer orthodoxe
F 66500 Clara
Tel : 00 33 (0) 468961372
cassien@orthodoxievco.fr

 SOMMAIRE

NOUVELLES

LA MUSIQUE BYZANTINE

LES PÈRES DE L’ÉGLISE : Saint Irénée de Lyon (suite et fin)

LE GRAND PARI ENTRE CROYANTS ET NON-CROYANTS

MISE AU JOUR DU TOMBEAU DE SAINT PAUL

QUATRE PORTRAITS DE SPARTIATES


NOUVELLES


De retour du Cameroun, je termine ce bulletin, avant de repartir pour la Grèce.
Le séjour au Cameroun était fatiguant, comme toujours, mais fructueux. Nous avons pu continuer avec la construction du foyer, grâce à deux généreux donateurs. Le réfectoire a été construit lors de mon séjour et maintenant on continue avec la cuisine. Une étable est également construite et le jour de mon départ j’ai aussi acheté deux chèvres. La voiture est arrivée avec la charge. Elle nous sert grandement pour le transport de matériaux de construction et elle nous a conduit dans les deux autres paroisses par des pistes périlleuses.
La construction du sanctuaire de l’église de la Nativité de la Vierge continue lentement et j’ai commencé à peindre des fresques dans l’église du Précurseur. A Makak nous en sommes encore au stade du terrain qu’il faudra acheter.
Le jour de mon départ j’ai baptisé encore trois personnes à Omog. Le père Jean était malade une fois de plus.

Je serai en Grèce pour un temps indéterminé. Le téléphone là-bas c’est : 0030 210 4618649 ou le portable : 0030 6974380599

Je souhaite à tous la paix et la joie dans Celui qui est né pour nous, le Christ-Sauveur.
Vôtre,
hm. Cassien

Le foyer actuel avec le refectoire en construction

le sanctuaire de l'église du Précurseur avec les premières frèsques

LA MUSIQUE BYZANTINE

La musique byzantine est la musique composée pour l’Église grecque orthodoxe et chantée par elle. C’est une musique monodique exécutée par le chantre ou par le choeur et les isocrates (bourdon vocal) sans accompagnement instrumental.
Dans la longue tradition de la musique byzantine, la période majeure est celle qui commence au milieu du V e siècle, autour de centres tels que Constantinople, Jérusalem, Alexandrie et Antioche.
A cette époque et jusqu’au XI e siècle, presque tous les textes des hymnes étaient complétés par les poètes musiciens. Parmi les plus célèbres . Romain le Mélode (V e - VI e siècles), Sophrone, patriarche de Jérusalem (638), André de Crète (VII e siècle) et Jean Damascène (VII e - VIII e siècles) à qui la tradition attribue la création du système de huit modes et le codage en conséquence des hymnes existants.
Dans les siècles suivants, la musique se développa en gardant toutefois, en tout son long développement, une référence continue aux modèles établis durant la première période, spécialement l’éthos indiqué par les modes dans lesquels l’hymne était composé à l’origine. Au douzième siècle, la musique était écrite dans un style assez souple et assez strict, syllabique de forme (chaque syllabe du texte correspond à une note de la mélodie).
Dans cette période byzantine, la notation a été complétée par un système de signes adéquats qui indiquaient l’intervalle où la mélodie devait monter ou descendre, sans désigner la première note par un signe spécial, en contraste avec la notation musicale occidentale où les sons ont une place invariable sur la portée. Plus tard ce chant devient plus élaboré et cette tendance atteignit son plus haut degré aux XIII - XV e siècles, où les maîtres composaient dans un style hautement mélismatique (une phrase musicale entière pouvant correspondre à une syllabe du texte).
Selon les besoins d’un style aussi orné, la notation fut enrichie de plusieurs nouveaux signes pour indiquer la manière d’exécuter les ornements. Un grand hymnographe de cette période fut saint Jean Koukouzèle (XIII e siècle). Un développement important survient au cours des siècles suivants ce fut la différenciation des huit modes et leurs impression.
La forme mélismatique demeura en usage, avec toutefois un caractère d’improvisation plus accentué. En ce qui concerne la notation, dans la période qui suivit la conquête de Constantinople (1453), plusieurs essais furent faits pour améliorer le système en notant plus en détail la mélodie et ses ornements.
Un essai est à retenir, celui de Pierre Lampadarios (1730-1777), qui entreprit de noter presque en entier la musique des offices de l’Église, qui constituait la tradition orale telle qu’elle existait de son temps. Il composa aussi de la musique en un style clair et dépouillé, et l’ensemble de son oeuvre constitue le corps principal de la musique d’Église grecque et orthodoxe jusqu’à aujourd’hui.
En 1814, Chryantos, Chourmouzios et Grégoire prèchantre complétèrent un système de notation plus précis qui est encore en usage de nos jours. Transcrite par ce système, la musique réécrite ou composée par P. Lampadarios, ses contemporains et ses successeurs, existe jusqu’à ce jour en tant que tradition vivante.

Michel Adamis

On se corrige facilement d'un défaut qui fait rougir, tandis qu'on ne renonce pas à une fausse vertu.
saint Jean Cassien (Conférences, sur le discernement)

LES PÈRES DE L’ÉGLISE

Saint Irénée de Lyon
(fêté le 23 août)

(suite)

C'est donc peu d'années après son arrivée à Lyon qu'Irénée s'acquitta de la mission ainsi confiée, puisque les historiens datent de 177 cette mission romaine. À la même époque, la persécution répandait le sang des chrétiens lyonnais, cimentant ainsi les fondements de l'Église du lieu dans la foi orthodoxe. C'est à ce titre que l'on a pu donner à Lyon le nom de «premier siège de l'Église des Gaules». Nous devons nous souvenir que ce sont les plus vaillants fils de l'Église de Smyrne, fondée par l'apôtre saint Jean, qui sont à l'origine de cette Église et de bien d'autres.
À son retour, Irénée trouva la pauvre Église de Lyon dévastée par les persécutions et réfugiée dans les catacombes. Elle était devenue veuve, ayant perdu son chef avec saint Pothin. Bien de ses membres les plus illustres avaient souffert, avec lui, la mort pour le Christ. C'est donc en Irénée que les chrétiens survivants mirent leur espoir pour les garder dans leur fidélité au Christ. Et ils l'élurent évêque. Irénée reprit donc les mancherons de la charrue tels qu'ils avaient été arrachés à saint Pothin, et continua son oeuvre avec ardeur. Enrichie du sang des martyrs, «semence de chrétiens», la terre de l'Église de Lyon se révéla plus féconde encore qu'auparavant. L'arbre chrétien, cruellement émondé par la hache du bourreau persécuteur, donna naissance à de nouvelles et vigoureuses branches.
L'action du nouvel évêque se déploya sur deux fronts. D'une part, il se consacra à l'évangélisation de la population gauloise, celle des campagnes particulièrement car il en connaissait la langue; d'autre part, il déploya une vigoureuse action littéraire pour défendre l'intégrité de la foi contre les erreurs gnostiques.
Face à cette hérésie multiforme qui sapait les bases de la foi chrétienne tout en se couvrant de son nom, Irénée se révéla pleinement comme un maître sagace, un défenseur de la Vérité, en étant par-dessus tout le témoin de la Tradition véritable. Il ne cessa de contester aux novateurs leur autorité usurpée. Il affirmera sans cesse qu'ils n'enseignent pas la Vérité reçue, mais les créations de leur esprit égaré. Et il rappellera l'essentiel en la matière : l'Église, les évêques ne tiennent pas l'autorité de par leur valeur personnelle, mais de la charge dont ils sont investis et de leur fidélité à la foi transmise. S'il n'y a pas transmission ininterrompue «dans le même esprit et le même sentiment», il n'y a pas de Tradition.
C'est toute l'oeuvre de saint Irénée qui est une leçon. Ainsi, il s'opposa aux hérétiques la Tradition apostolique de l'Église de Rome, tout aussi bien que celle de l'Église de Smyrne, pour laquelle il n'y avait qu'un seul intermédiaire, Polycarpe, entre les apôtres et Irénée lui-même, son disciple, comme avec les évêques d'Asie qui avaient vu Polycarpe, lequel avait vu les apôtres. Il mentionne également la Tradition de l'Église d'Éphèse, dans laquelle l'apôtre Jean lui-même avait vécu jusqu'au règne de Trajan. Irénée oppose aux hérétiques, à titre égal, la Tradition apostolique commune à ces trois Églises locales.
Telle est la première grande leçon donnée par saint Irénée, et la sainte Écriture ne dispense pas de la suivre; d'autant que les hérétiques ne prouvaient que trop qu'en se séparant de la Tradition de l'Église, on pouvait interpréter l'Écriture de façon erronée et attribuer ainsi faussement des «erreurs» aux apôtres et à Dieu Lui-même. Il n'y a pas d'autre résultat que celui ainsi obtenu par ces esprit égarés. Et autant de blasphèmes. Saint Irénée écrivait : «C'est cet ordre (de la Tradition) que suivent un grand nombre de nations barbares qui croient au Christ et qui n'ont ni papier, ni encre, qui ont dans leur coeur le salut écrit par le saint Esprit et qui conservent soigneusement l'ancienne Tradition».
Un nouveau chapitre de l'histoire chrétienne s'ouvrait. L'Église, qui avait beaucoup souffert du despotisme païen, et dont la conduite s'opposait à toute sa philosophie, dont les adeptes se montraient aussi intolérants dans leur scepticisme que le peuple dans son égarement, allait être encore plus éprouvée par les faux frères qui rêvaient de l'alliance contre-nature entre l'évangile du Christ et un système qui lui était étranger. On désigna de tels philosophes sous le nom d'hérétiques, «ceux qui choisissent» dans l'enseignement révélé tel et tel élément qu'ils déforment et avec lesquels ils bâtissent des systèmes étrangers à la Tradition. Marchandant le dépôt au lieu de le confesser, ils perdent la foi, sans laquelle «nul ne peut plaire à Dieu». Ils sortent de la voie du salut et cherchent à y entraîner autant de fidèles qu'ils le peuvent. Mais Dieu ne permet pas le triomphe de ces artisans d'erreur et tire le bien du mal. Saint Paul en témoigne : Il faut qu'il y ait aussi des sectes parmi vous, afin que ceux qui sont approuvés soient reconnus comme tels au milieu de vous (1 Co 11,19), et que la Vérité attaquée brille d'un plus vif éclat.
Résumons un peu celles de ce temps.
«Parmi de telles hérésies - dit saint Clément d'Alexandrie -, les unes prirent le nom de leurs maîtres, comme les valentiniens (Valentin), les marcionites (Marcion), d'autres le nom d'un lieu, d'autres des opinions qui leur étaient particulières (p. e. les docètes pour qui Jésus n'aurait fait que semblant de devenir homme !), d'autres de ceux qu'ils vénéraient (les caïnistes), d'autres enfin de leurs crimes comme les eutychites qui provenaient de Simon-le-magicien». Cet ensemble d'hérésies pouvait se classer en deux catégories : celles qui opposaient à la doctrine chrétienne tout un système menant à sa destruction, et celles qui ne contestaient que des dogmes particuliers.
Ce sont les hérésies qui s'attaquaient à l'ensemble de la doctrine chrétienne qui furent classées sous le nom général de «gnosticisme». Citons parmi ses hérésiarques Cérinthe, Nicolas, Carpocras, Satornilos, Basilidis et le fameux Valentin. Valentin s'attaquait aux dogmes de la Trinité, de la Rédemption, de la Divinité de Jésus Christ et de la Divinité du saint Esprit. Ce système s'était répandu d'Asie Mineure dans toutes les grandes villes de l'Empire. Il mélangeait les erreurs déjà citées à des théories philosophiques païennes en vogue et aux vestiges des cultes orientaux. Ils élaboraient des théories aux multiples nuances, qui accommodaient le christianisme à la pensée du temps. Ce n'était donc plus la doctrine du Christ. Ce n'était plus la transmission de la foi reçue depuis les apôtres. Ils produisirent une abondante littérature. Les ouvrages gnostiques étaient même plus nombreux que les livres orthodoxes. Cette production envahissait littéralement tous les domaines. Rien ne lui échappait. Elle était présente dans les livres apocryphes, et jusque dans la poésie. Les découvertes d'oeuvres gnostiques en 1945 au nord-est de Nag-Hammadi ont permis de mieux en connaître l'étendue, faisant apparaître en même temps la solide information et la parfaite objectivité d'Irénée, qui réfutait ces oeuvres en toute connaissance de cause.
Et ce mal atteignait l'Église de Lyon.

Athanase Fradeaud

Que dirons-nous de ceux qui, dans leur corps mortel, ont goûté de la nourriture immortelle, qui ont été trouvés dignes de recevoir, dans cette vie transitoire, une portion des joies qui nous attendent dans notre patrie céleste ?
... Nous qui sommes chargés de beaucoup de péchés et captivés par des passions, nous sommes indignes même d'entendre de telles paroles. Cependant, mettant notre espoir dans la Grâce de Dieu, nous sommes encouragés à garder les paroles de la sainte Écriture dans notre esprit, afin de pouvoir devenir au moins plus conscients de la déchéance dans laquelle nous nous vautrons.
Saint Nil de la Sora

 

LE GRAND PARI ENTRE CROYANTS ET NON-CROYANTS

Par Photios Kontoglou

Le lundi de Pâques, le soir après minuit, avant d'aller dormir, je sortis dans le petit jardin derrière ma maison. Le ciel était noir et couvert d'étoiles. Il me semblait le voir pour la première fois, et une psalmodie distante semblait en descendre. Mes lèvres murmuraient très doucement : Exaltez le Seigneur notre Dieu et adorez l'escabeau de ses Pieds. Un saint homme m'a dit une fois qu'à cette heure, les cieux s'ouvraient. L'air exhalait le parfum des fleurs et des herbes que j'avais plantées. Le ciel et la terre sont remplis de la Gloire du Seigneur.
J'aurais bien pu y rester tout seul jusqu'au point du jour. J'étais comme sans corps et sans aucun lien à la terre. Mais craignant que mon absence ne trouble ma maisonnée, je m'en suis retourné et me suis couché.
Le sommeil ne m'avait pas vraiment gagné; je ne sais pas si j'étais éveillé ou endormi, quand soudain un homme étrange surgit devant moi. Il était pâle comme un mort. Ses yeux étaient comme ouverts et il me regardait, terrorisé. Son visage était comme un masque, comme celui d'une momie. Sa peau luisante jaune cire était tendue sur son crâne de mort avec toutes ses cavités. Il était comme essoufflé. Dans une main, il tenait une sorte d'objet bizarre que je n'arrivais pas à identifier, l'autre il la serrait sur sa poitrine comme s'il souffrait.
Cette créature me remplit d'effroi. Je le regardai et il me regarda sans parler, comme s'il eût attendu que je le reconnusse, aussi étrange qu'il fût. Et une voix me dit : «C'est Untel !» Et là, je le reconnus immédiatement. Alors, il ouvrit la bouche et soupira. Sa voix venait de loin; elle montait comme du fond d'un puits.
Il était en grande angoisse, et je souffrais pour lui. Ses mains, ses pieds, ses yeux - tout montrait qu'il souffrait. Dans mon désespoir, j'allais lui porter secours, mais il me fit signe de sa main d'arrêter. Il se mit à gémir d'une façon qui me fit glacer d'horreur. Ensuite, il me dit : «Je ne suis pas venu; j'ai été envoyé. Je tremble sans arrêt; j'ai le vertige. Prie Dieu d'avoir pitié de moi. Je veux mourir, mais je ne le peux pas. Hélas ! Tout ce que tu m'as dit autrefois est vrai. Te souviens-tu de ce que, quelques jours avant ma mort, tu étais venu me voir pour me parler de religion ? Il y avait deux autres amis avec moi, incroyants comme moi. Tu parlais et ils se moquaient. Quand tu es parti, ils ont dit : 'Quel dommage ! Un homme intelligent qui croit les bêtises que les vieilles femmes croient !'
«Une autre fois, et plusieurs fois même, je t'ai dit : 'Mon cher Photios, mets de l'argent de côté, sinon tu mourras pauvre. Regarde mes richesses, et j'en veux encore.' Tu m'as demandé alors : 'As-tu signé un pacte avec la mort pour pouvoir vivre aussi longtemps que tu veux et jouir heureux d'un âge avancé ?'
«Et j'ai répondu : 'Tu verras jusqu'à quel âge je vivrai ! J'ai maintenant 75 ans ; je vivrai au-delà de 100 ans. Mes enfants ne manquent de rien. Mon fils gagne beaucoup d'argent, et j'ai marié ma fille à un riche Éthiopien. Ma femme et moi nous avons plus d'argent qu'il ne nous faut. Je ne suis pas comme toi qui écoutes ce que disent les prêtres : Une fin chrétienne de notre vie... et le reste. Qu'as-tu à gagner d'une fin chrétienne ? Mieux vaut un porte-monnaie bien rempli et pas de soucis... Donner des aumônes ? Pourquoi ton Dieu si miséricordieux a-t-Il créé des pauvres ? Pourquoi devrais-je les nourrir, moi ? Et ils vous demandent, pour aller au paradis, de nourrir des fainéants ! Tu veux parler du paradis ? Tu sais que je suis fils de pope et je connais bien ces trucs. Que ceux qui n'ont pas de cervelle y croient, passe encore, mais toi qui a de l'intelligence, tu t'es égaré ! Si tu continues à vivre comme tu le fais, tu mourras avant moi, et seras responsable d'en avoir égaré d'autres. En tant que médecin, je peux te dire et affirmer que je vivrai jusqu'à 110 ans...'»
Ayant dit tout cela, il tourna d'un côté puis de l'autre, comme s'il était sur un gril. J'entendis ses gémissements : «Ah ! Aïe ! Oh ! Oh !» Il se tut un instant, puis continua : «C'est ce que je disais et quelques jours plus tard j'étais mort ! J'étais mort et j'avais perdu le pari ! Quelle fut ma confusion, quelle horreur ! Perdu, je suis descendu dans l'abîme ! Quelle souffrance j'ai eue depuis, quelle angoisse ! Tout ce que tu m'avais dit était vrai. Tu as gagné le pari !
«Quand j'étais dans le monde où tu es maintenant, j'étais un intellectuel, j'étais médecin. J'avais appris comment parler pour être écouté et à me moquer de la religion, à discuter de tout ce qui tombe sous le sens. Et maintenant je vois que tout ce que j'appelais des fables, des mythes, des balivernes - est vrai. L'angoisse que je vis actuellement - voilà ce qui est vrai, voilà le ver qui ne dort jamais, voilà le grincement des dents».
Ayant parlé de la sorte, il disparut. J'entendais encore ses gémissements, qui progressivement s'éteignirent. Le sommeil commençait à me gagner quand je sentis une main glaciale me toucher. J'ouvris les yeux et le vis de nouveau devant moi. Cette fois, il était plus épouvantable et plus petit de corps. Il était devenu comme un nourrisson, avec une grosse tête de vieux, qui tremblait.
«Bientôt, le jour va poindre et ceux qui m'ont envoyé viendront me chercher !»
«Qui sont-ils ? »
Il prononça quelques mots confus que je ne distinguais pas. Puis, il ajouta : «Là où je suis, il y en a beaucoup d'autres qui se moquaient de toi et de ta foi. Ils comprennent maintenant que leurs flèches spirituelles ne sont pas allées au-delà du cimetière. Il y a aussi bien de ceux à qui tu avais fait du bien et ceux qui t'ont calomnié. Plus tu leur pardonnes, plus ils te détestent. L'homme est mauvais. Au lieu de le réjouir, la bonté le rend amer, parce qu'elle lui fait sentir sa défaite. L'état de ces derniers est pire que le mien. Ils ne peuvent pas quitter leur prison obscure pour venir te trouver comme je l'ai fait. Ils sont tourmentés, fouettés par l'amour de Dieu, comme l'a dit un saint. Le monde est quelque chose de tout autre que ce que nous voyons. Notre intellect nous le montre à l'envers. Maintenant, nous comprenons que notre intellect était simplement stupide, que nos conversations étaient de la méchanceté fielleuse, nos joies des mensonges et des illusions.
«Vous qui portez Dieu dans votre coeur, Lui dont la Parole est Vérité, la seule Vérité - vous avez gagné le grand pari entre croyants et incroyants. Ce pari, je l'ai perdu. Je tremble, je soupire et je ne trouve pas de repos. En vérité, il n'y a pas de repentance dans l'enfer. Malheur à ceux qui cheminent comme moi quand j'étais sur la terre. Notre chair était ivre et nous nous moquions de ceux qui croyaient en Dieu et en la vie éternelle; presque tout le monde nous applaudissait. Ils vous traitaient de fous, d'imbéciles. Et plus vous supportez nos moqueries, plus notre rage augmente.
«Maintenant je vois à quel point la conduite des méchants vous faisait de la peine. Comment pouviez-vous supporter avec tant de patience les flèches empoisonnées qui sortaient de nos lèvres qui vous traitaient d'hypocrites, de moqueurs de Dieu, de trompeurs du peuple. Si ces hommes méchants qui sont encore sur la terre voyaient maintenant où je suis, si seulement ils étaient à ma place, ils trembleraient pour tout ce qu'ils font. Je voudrais leur apparaître et leur dire de changer leur voie, mais je n'en ai pas la permission, exactement comme le riche ne l'avait pas quand il implorait Abraham d'envoyer Lazare le pauvre. Lazare ne fut pas envoyé, afin que ceux qui péchèrent puissent être dignes de punition et ceux qui suivirent les voies de Dieu puissent être dignes du salut.
«Que celui qui est injuste soit encore injuste, que celui qui est souillé se souille encore; et que le juste pratique encore la justice, et que celui qui est saint se sanctifie encore» (Apoc 22,11).
Avec ces mots, il disparut.

La construction du sanctuaire de l'église de la Nativité de la Vierge

MISE AU JOUR DU TOMBEAU DE SAINT PAUL

Associated Press (AP) Par Daniela Petroff 12/12/2006


Les archéologues du Vatican, qui ont récemment localisé la tombe de saint Paul, espèrent désormais trouver des traces de sa dépouille à l'intérieur du sarcophage en marbre blanc qui gît sous l'autel d'une importante basilique de Rome.
Lors de la présentation de leurs recherches, les scientifiques du saint-Siège ont caressé l'espoir d'examiner le cercueil de plus près, voire de l'ouvrir.
Mais avant cela, a précisé l'archéologue Giorgio Filippi, la priorité est de libérer le cercueil du plâtre et des débris accumulés sur plusieurs siècles, pour apprendre davantage sur le sarcophage lui-même. Alors seulement pourrait-on envisager les moyens de découvrir l'intérieur de la structure.
Selon la tradition, l'apôtre Paul aurait été décapité à Rome au Ier siècle lors des persécutions des premiers chrétiens sous l'empire romain. Le sarcophage, long de 2,5 mètres, qui date de l'an 390 au plus tôt, est enterré sous l'autel principal de la basilique Saint-Paul-hors-les-murs. Une excavation approfondie a débuté en 2002 et s'est terminée le mois dernier.
«Ces fouilles nous donnent l'entière certitude et connaissance que le sarcophage est la tombe de saint Paul, qu'il contienne ses restes ou non», a déclaré le cardinal Andrea Cordero Lanza di Montezemolo, archiprêtre de la basilique.
Les chercheurs ont notamment retrouvé une dalle de marbre dans un parterre situé au-dessus du cercueil avec l'inscription «saint Paul apôtre» en latin. L'objectif premier des travaux était de rendre le sarcophage, enfoui sous de nombreuses couches de plâtre et dissimulé par une porte en fer, plus visible pour les touristes et pèlerins.
«Nous avons toujours été sûrs que la tombe devait être là, sous l'autel pontifical», a déclaré M. Filippi. La décision de rendre le sarcophage à nouveau visible a été prise après que de nombreux pèlerins venus à Rome pour le Jubilé de l'an 2000 eurent exprimé leur déception de ne pouvoir la découvrir, ajoute-t-il.
La basilique Saint-Paul-hors-les-murs se dresse sur le site d'une ancienne église construite au IVe siècle à l'endroit où, selon la tradition, l'apôtre a été enterré. Cette église laissait apparaître la tombe, d'abord au niveau du sol, puis ultérieurement dans une crypte. Après la destruction du lieu de culte par un incendie en 1823, la basilique actuelle a été édifiée et la crypte remplie de terre et recouverte par un nouvel autel.


QUATRE PORTRAITS DE SPARTIATES

Chryssoula
J'étais hébergée cette année-là au monastère de Kératéa dans une chambre à 4 lits, mais j'y étais seule. On me dit que le lendemain j'aurais une petite camarade de chambre.
Elle arriva en effet de Sparte, avec deux sacs de voyage : une jeune Grecque de vingt ans.
Elle donnait l'impression de quelqu'un de timide, par ses gestes un peu pressés et décousus lorsqu'elle ouvrit ses bagages, mais son regard est mûr, profond et décidé. La taille menue et d'apparence fragile, son visage enfantin lui donnait presque une allure d'écolière.
C'était l'heure des vêpres et nous montâmes ensemble à l'office chez l'archevêque. Une des soeurs demanda à la jeune fille de faire l'encensement au moment des psaumes kekragaires. Je vis qu'elle s'était fait expliquer assez longuement l'usage de l'encensoir, ce dont je déduis qu'elle n'y était pas habituée; peut-être n'était-elle pas orthodoxe depuis très longtemps.
Comme elle parlait assez bien l'anglais, après les vêpres nous nous mîmes à discuter dans notre chambre.
- Depuis quand es-tu orthodoxe ?
- Depuis deux ans.
- Tes parents ne sont pas orthodoxes ?
- Ma mère oui. Mon père non. Mon père ne sait pas que je suis orthodoxe. Je suis venue ici en cachette.
- Ton père, il est quoi ?
- Il est nouveau-calendariste et ne laisse pas ma mère aller à l'église. À Sparte, nous n'avons pas d'église orthodoxe. Les nouveau-calendaristes nous les ont toutes prises. Il faut aller très loin et ma mère ne peut pas. Moi, je fais mes études à Larissa, alors je peux faire un détour pour aller à l'église à l'insu de mon père. Je viens parfois ici au monastère, mais aussi en cachette. Je pars la nuit, quand ils dorment tous.
(Je remémore en un éclair deux de mes enfants qui faisaient la même chose pour aller... en discothèque).
- Comment es-tu devenue orthodoxe ?
- Mes grand-parents le sont. Ils m'ont toujours beaucoup émue par leur piété. Ils m'ont raconté l'évangile, toutes les luttes des orthodoxes, leur martyre etc. et j'avais envie de les connaître.
- Tu as des frères et soeurs ?
- Oui, deux frères et une soeur.
- Ils sont orthodoxes ?
- Non, nouveau-calendaristes, tous. Ma soeur dit qu'elle n'est pas prête pour devenir orthodoxe, mais elle sait que je le suis et ne dit rien. Mes frères seraient très en colère s'ils le savaient, de même que mon père. Quand j'aurai fini mes études, et que j'aurai commencé à travailler, je le leur dirai.

Thekla
À une autre occasion, je devais partager la même chambre avec une autre jeune fille. Je l'avais déjà rencontrée quelques années auparavant, mais elle ne se souvenait pas de moi et avait même l'air de se demander si je ne la confondais pas avec quelqu'un d'autre.
Alors, je lui décrivis exactement le vêtement qu'elle avait porté, et ajoutai qu'elle n'était pas orthodoxe à l'époque et qu'elle se préparait à poursuivre des études supérieures.
Elle répondit : “Oui, c'était bien moi; et c'est depuis trois ans seulement que je suis orthodoxe. Et depuis quatre ans, j'étudie la théologie.”
Je lui demandai alors comment et pourquoi elle avait pris la décision de devenir orthodoxe.
“C'est une longue histoire.” - répondit-elle.
“Raconte-la-moi, elle m'intéresse. D'abord, je suppose que tu étais nouveau-calendariste avant.”
“Si l'on veut. Mes parents le sont, mais ils ne vont pas à l'église. Ils m'avaient persuadée d'y aller quand j'étais enfant. Mais je n'aimais pas; j'y étais toujours mal à l'aise, et plus tard, quand j'étais plus grande, j'ai cessé d'y aller. Ils ne m'ont jamais rien dit.
“Mon grand-père, quant à lui, était orthodoxe et faisait 12 kilomètres à pied tous les dimanches et par tous les temps pour aller à l'église, parce qu'il n'y avait que des églises nouveau-calendaristes dans notre ville. De plus, je voyais parfois un hiéromoine orthodoxe qui venait lui rendre visite, le père N..., que vous connaissez aussi. Cet homme, bien plus jeune que mon grand-père, m'avait beaucoup impressionnée par sa contenance, sa douceur, sa sagesse.
“Je faisais déjà mes études à Athènes et je ne rentrais à la maison qu'à la fin de la semaine, lorsque mon grand-père, étant devenu trop faible, m'a demandé de l'emmener à l'église en voiture le dimanche.”
“Et c'est alors que tu as commencé à aller avec lui chez les orthodoxes ?”
“Non, pas tout de suite. Au début, j'attendais toujours la fin de l'office dehors dans ma voiture. J'avais un très mauvais souvenir de l'église de mon enfance et je ne faisais pas la différence.”
“Mais quel souvenir ? Qu'est-ce qui t'y déplaisait tant ?”
“Je n'aimais pas l'odeur de leur encens.”
“Ah bon ? C'est curieux. Et après ?”
“Ma mère, à qui c'était complètement égal que je n'aille pas à leur église de nouveaux-calendaristes, craignait cependant que je n'aille avec grand-père chez les orthodoxes. Pour prévenir une telle éventualité, elle m'a dit un jour : «Si tu deviens ancien-calendariste, je me tue.»
“Je me disais que cela ne risquait pas. Un dimanche, grand-père, qui ne savait pas de quoi ma mère m'avait menacée si j'allais à l'église des orthodoxes, m'a demandé si je ne voulais pas entrer avec lui à l'église, et j'ai répondu que non. Il n'a pas insisté.
“Puis un jour, je suis tombée très malade moi-même. Je continuais à conduire grand-père à l'église, mais je ne pouvais plus suivre mes cours à Athènes : j'avais des maux de tête affreux et un malaise général, qui me rappelait celui que j'avais chaque fois que j'étais dans l'église des nouveau-calendaristes dans mon enfance.
“Aucun médecin n'avait pu faire un diagnostic valable et je continuais à souffrir jusqu'au jour où mon grand-père me suggéra de nouveau d'entrer avec lui dans son église. Au point où j'en étais, je me suis dit : «Tant pis, j'y vais».
“Je suis entrée donc pour trouver l'odeur d'encens absolument délicieuse et je suis restée jusqu'à la fin de l'office. Mais déjà vers le milieu des Matines, je me sentais mieux. Mon mal de tête est devenu tout à fait supportable.
“J'ai tout raconté à grand-père et lui ai dit que j'allais retourner à l'église avec lui le dimanche suivant.
“Entre-temps, j'ai vu que ma mère commençait à soupçonner quelque chose. Un beau jour, elle m'a posé la question de but en blanc : «Tu vas avec les ancien-calendaristes, n'est-ce pas ?»
Thekla riait de bon coeur en me racontant cela tandis que moi, je me demandais ce qu'il y avait de drôle dans l'histoire : à moi, cela m'aurait fait quand même un peu peur à sa place, d'être “responsable” du suicide éventuel de ma propre mère. Mais visiblement, elle ne craignait rien, et sa foi ne connaissait pas d'obstacle.
“Je n'avais rien répondu. Quand vous m'aviez vue ici la dernière fois, je ne savais pas encore très bien quoi faire, et j'étais venue ici en cachette, pour demander conseil à l'archevêque André. J'étais déterminée à devenir orthodoxe, mais je ne savais pas comment rassurer ma mère.”
“Et qu'est-ce qu'il t'a dit ?” - demandé-je.
“De ne pas m'inquiéter, mais de prier seulement, et que si ma détermination de devenir orthodoxe était ferme, Dieu me protégera et calmera ma mère.
“Entre-temps, tout mon malaise et mes maux de tête étaient partis et je recommençai à aller en cours à Athènes.
“Ma mère me reposa la même question quelques jours plus tard et elle insista jusqu'à ce que j'avoue que j'allais, en effet, avec grand-père, à l'église des ancien-calendaristes.
“Alors, à peine avait-elle entendu, qu'elle courut pour se jeter dans l'Eurotas. Les gendarmes la ramenèrent du pont. À la maison, elle se mit à marcher, énervée, furieuse, de long en large et de haut en bas dans la maison. Mon père vint alors demander ce qui se passait. Ma mère, indignée au plus haut point, lui expliqua tout, et mon père éclata de rire et lui dit que c'était des enfantillages, qu'il ne fallait pas tout prendre au tragique et là-dessus, il nous laissa nous arranger entre nous.
“Ma mère me dit alors : «Choisis. Ou bien tu arrêtes d'y aller, ou bien tu t'en vas de la maison. Je te donne quinze jours de temps de réflexion.».
“Je me suis mise à faire mes bagages aussitôt, là, devant elle. Elle me demanda ce que je faisais et je dis tranquillement que je n'avais pas besoin de quinze jours : j'étais déjà prête à m'en aller. Voilà en gros, mon histoire.”
“Je connais une autre jeune fille qui venait ici en cachette.”- lui dis-je.
“Chryssoula ?” -
“Oui, je crois qu'elle s'appelle comme cela.”
“Je la connais, elle est mon amie. Elle est de ma ville.”
“Ah, tu es Spartiate, toi aussi ?”
“Oui.”
Ce courage doit être dans les gènes depuis l'Antiquité - me disais-je, ébahie.

Soeur S...
Je me demandais d'où venait la bonté si naturellement sincère et si authentique des soeurs du monastère, aussi bien envers les laïcs en visite qu'entre elles, et je leur rendais visite pour essayer de découvrir leur secret.
Une de mes préférées était soeur S.... Elle devait avoir 70 ans à cette époque.
Nous étions en plein mois d'août et, comme d'habitude, il faisait une chaleur torride en Grèce. Soeur S... était assise dehors à l'ombre et épluchait des tomates. Il y en avait une bonne dizaine de kilos dans une grande corbeille en osier. Je lui proposai mon aide, qu'elle refusa, prétextant que je salirais ma jupe. (Je me sens parfois un peu gênée du fait d'être considérée ici comme une aristocrate, dont les soeurs seraient les servantes, mais j’ai fini par comprendre que leur plus grande joie est de servir les visiteurs, leur épargner tout souci du monde pour leur permettre de vaquer, plus librement que chez eux, à la prière.)
Pendant qu'elle épluchait les tomates, elle ne cessait de murmurer, en alternant, ces deux prières : “Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous!” et “Plus que sainte Enfantrice de Dieu, sauve-nous”.
Voyant que je l'aimais bien, elle me parlait volontiers et, sans que je comprenne tous les mots qu'elle disait, je percevais parfois qu'elle m'admonestait avec douceur et fermeté.
Chaque fois que je passais devant sa cellule et qu'elle y était (je ne pouvais pas la voir même avec la porte ouverte, car la cellule était sombre à l'intérieur et dehors, le soleil éblouissant m'aveuglait), elle sortait pour me donner au hasard quelque chose qu'elle avait chez elle : un chapelet de sa confection, des oeufs durs, une tranche de pastèque ou quelques autres fruits.
Je remarquai aussi qu'elle avait du mal à marcher, mais lorsqu'elle me vit, de loin, faire du repassage, elle me suivit jusque dans la lingerie, avec un verre de jus d'orange bien frais à la main. Elle m’intima alors l'ordre de m'asseoir, en disant :
“Il fait chaud, et tu te fatigues à repasser avec un fer brûlant. Repose-toi et bois ce jus d'orange.” Et d'ajouter : ”Gloire à Dieu!”, avant de retourner, en boitant, à sa cellule.
Deux ans plus tard, je la revis : elle ne pouvait plus marcher qu'à l'aide d'une canne et continuait à répéter inlassablement les deux prières : “Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous!” et “Toute sainte Enfantrice de Dieu, sauve-nous”.
L'été dernier, ne la voyant plus, je demandai aux autres soeurs si elle était encore en vie. “Oui, mais elle ne bouge plus beaucoup” - me répondit l'une d'elles.
J’allai la voir. Elle était assise devant sa cellule et me montra son genou opéré qui lui faisait toujours très mal, en ajoutant : “Gloire à Dieu!”. Lorsque je voulus l'aider à se lever, elle m'écarta de son bras avec douceur, mais énergiquement et me fit comprendre que Dieu et sa canne lui étaient une aide suffisante.
Même pliée en deux, les jambes douloureuses, elle gardait toute sa dignité : comme avant, quand elle était en meilleure santé et que, se tenant droit, la taille élancée, elle exécutait avec une attention priante tous les gestes habituels de sa vie quotidienne.
La dernière fois que j'étais au monastère, elle était déjà alitée. Les autres soeurs l'avaient installée sur un canapé dans la salle de repassage, où l'on pouvait la surveiller plus facilement.
Chaque fois que quelqu'un passait devant la porte ouverte de cette salle, elle appelait : “Viens”. J’entrai la voir et lui demandai comment elle allait. Elle n'était plus capable de me le dire, elle répétait seulement : “Toute sainte Enfantrice de Dieu, aide-moi”.
D'autres soeurs m'ont appris qu'elle avait été opérée d'un cancer. Je pense que cela ne pouvait plus rien lui faire de bon.
La fois suivante que je l'ai entendue appeler : “Viens!”, j'avais l'impression qu'elle délirait ou que de toute façon, ma présence ne lui faisait ni froid ni chaud. Ce n'est pas moi ou quelqu'un d'autre qu'elle appellait, mais la fin de son parcours terrestre, la fin de ses épreuves, sa rencontre avec le Seigneur.
À entendre son cri, des larmes ont jailli de mes yeux. Une des jeunes soeurs me demanda pourquoi je pleurais. Je lui dis que j'aimais beaucoup soeur S... et que j'avais l'impression qu'elle allait nous quitter. Elle me regarda profondément dans les yeux sans rien dire et je me demandai ce que signifiait son regard. Comme si elle avait été étonnée de ma réaction. C'est vraiment étrange de pleurer. Rien de plus normal que la mort, et je le sais. Il ne faut jamais oublier que nous y allons tous, et les soeurs le savent mieux que quiconque, puisqu'on leur enseigne de se lever tous les jours en pensant que c'est le dernier de leur vie.
Je passai devant la salle de repassage et soeur S... m’appela de nouveau : “Viens !”. J’entrai. Elle s'était découverte et je fus impressionnée par sa maigreur : elle n'avait littéralement que les os et la peau, une peau un peu jaunâtre, complètement desséchée, collée sur son squelette, avec quelques taches violacées autour de sa plaie opératoire. Prise d'un vertige à cette vue, j'ai saisi l'espèce de barreau au bord du lit, pour ne pas tomber. Mais elle repoussa mes mains.
Je pensai que, pécheresse que j'étais, je n'étais pas digne de toucher au lit d'une sainte moniale, et impuissante à faire quoi que ce soit pour elle, j'allais sortir lorsque j'aperçus, assise sur le canapé d'en face, soeur E..., une autre soeur âgée que j'aimais beaucoup, et qui l'accompagnait de sa prière. Je crus comprendre que soeur S... n'était plus consciente.
Plus tard, aux vêpres, je demandai à soeur E... comment allait soeur S.... Par la façon dont elle me répondit : “Comment elle va?”, je compris qu'elle en était à sa fin. Après un long silence, soeur E... ajouta : “C'est une âme noble”, ce que j'ai toujours pensé.
Le lendemain matin, soeur D..., qui descendait de chez l'archevêque après les Matines, me dit d'aller au réfectoire; elle allait me servir le petit déjeuner. À peine deux minutes plus tard, j'y descendis et j'entendis des cris comme de quelqu'un qui, fâché, veut repousser en luttant contre quelqu'un d'autre : je n'avais pas reconnu la voix de soeur S..., mais c'était bien elle.
Soeur D... arriva alors, essoufflée, avec un cierge et un encensoir à la main, m'indiqua où tout trouver dans la cuisine et me dit de faire mon petit déjeuner moi-même car - dit-elle en son anglais rudimentaire - “grande soeur morte... un peu”. Je compris que soeur S... agonisait.
Petit à petit, d'autres soeurs arrivèrent des quatre coins du monastère et entrèrent chez soeur S.... Je m'aperçus que sa mort imminente ne me faisait plus le même effet. J’étais contente qu'elle soit délivrée de ses souffrances atroces et je savais que son âme noble restait toujours vivante. De plus, elle était assistée par ses soeurs, sa famille spirituelle.
Une fois son âme partie, son corps fut, selon la coutume monastique, enveloppé et grossièrement cousu dans son habit noir de moniale, avec du fil blanc.
Nous pûmes voir de loin son enterrement, qui était très beau, très digne et passablement joyeux même.
Il y avait d'abord le son du tocsin qui annonçait son départ à toutes les soeurs. Celles qui l'accompagnaient cheminaient en procession derrière son corps, au chant de psaumes solennels qui évoquaient l'inéluctabilité de la mort, due à la chute d'Adam et demandaient le pardon des péchés. Mais cette austère solennité ne donnait aucune impression de tristesse, seulement de profondeur et de sérieux, et il n'y avait rien dans cette gravité sobre qui ait pu provoquer du chagrin, seulement de la componction.
Ensuite, quelques soeurs creusèrent la tombe et plantèrent la croix dans la terre ; le prêtre, le père D... récita l'office des funérailles, et on descendit le corps au fond du trou creusé. Le reste des chants était franchement joyeux, plein d'espoir de la vie éternelle.
Depuis l'endroit d'où nous suivions la cérémonie, nous avions une vue plongeante sur la nature aux alentours du monastère. Il m'a semblé que tout l'environnement avait participé à cet enterrement, que la frondaison des arbres devenait immobile, majestueuse, les oiseaux ralentissaient leur vol et demeuraient en silence.
Soeur S... était... est... une âme noble, comme le disait soeur E... et je l'ai toujours admirée pour sa force d'âme extraordinaire. J'ai appris de soeur I... qu'elle était de Sparte, elle aussi.

Soeur C...
Soeur C..., est une autre “grande soeur”, de taille moyenne, un peu ronde, immobile comme une icône, que je vois le plus souvent à l'office des vêpres chez l'archevêque. Elle est debout à côté de lui et chante l'office seule ou avec soeur D.... C'est une soeur que je n'ai jamais vue assise. Même pas à l'église où il y a pourtant des chaises pour les soeurs âgées ou malades. Une seule fois, elle alla s'y asseoir mais il se trouva que quelqu'un d'autre avait besoin d'une chaise, alors, la première, elle offrit la sienne.
Je suis toujours impressionnée et par la gravité avec laquelle elle se tient pendant tout l'office et par la sérénité, voire la bonne humeur constante que l'on lit sur son visage en dehors du temps solennel.
L'air toujours paisible, elle sourit très volontiers et plaisante même avec l'archevêque. On dirait qu'elle éclate de santé, elle n'est pourtant pas toute jeune.
En parlant avec soeur I..., j'apprends que soeur C... a été, elle aussi, opérée d'un cancer. Elle ne voulait absolument pas aller à l'hôpital d'abord, disant qu'elle allait très bien -, mais finit par y aller par obéissance à l'archevêque André, père spirituel des moniales de Kératéa.
Le chirurgien qui l'avait ouverte avait trouvé son cancer bien avancé. Pendant qu'elle se réveillait de l'anesthésie, il en rendit compte aux soeurs qui l'avaient accompagnée à l'hôpital et exprima son étonnement de ne l'avoir pas entendue geindre, car avec un tel état de cancer, ses douleurs devaient être à la limite du tolérable. Puis, il demanda si elle se plaignait souvent de ses douleurs. Les soeurs ont répondu qu'elle ne l'avaient jamais entendue dire même qu'elle souffrait.
Ce à quoi le docteur, après quelques instants de silence de stupéfaction répondit : “Mais alors, ou bien elle est folle ou bien c'est une sainte.”
Soeur I..., qui me raconta tout cela en souriant, m'assura que soeur C... était bien une sainte, ce dont je ne doute pas. Et soeur I... ajouta, avec un grand sourire, que cette soeur était spartiate aussi.
“Indéniablement, il doit y avoir une sacrée vaillance ou une vaillance sacrée dans leur gènes.” - dis-je.

La très vieille soeur que je ne connais pas
En m'entendant dire cela, soeur I... se remit à sourire, car elle pensait à une autre soeur spartiate, petite et grêle, très vieille celle-ci, si vieille qu'elle n'est plus capable de se coucher toute seule : d'autres soeurs, à plusieurs, doivent la mettre au lit.
“Mais si tu la voyais ! - dit-elle en souriant. Dès qu'elle est au lit, crois-tu qu'on est tranquille ? Elle se lève presque aussitôt (évidemment ! - car une Spartiate, même si elle n'a plus la force de se coucher, est bien capable de se lever toute seule, cela va de soi !) et se met à circuler, fait son chapelet en marchant, puis, quand elle est de nouveau fatiguée, elle nous appelle encore, bien sûr, parce qu'elle n'arrive pas à se recoucher. Et ainsi de suite, cela n'arrête pas...”

(Sparte se trouve en Laconie, région dont les habitants se distinguent dès l'Antiquité par leur concision extrême, trait qui a donné en français l'adjectif laconique : ce sont des hommes et femmes d'action plus que de paroles.
Ceux qui se disent fièrement les descendants directs des Spartiates de l'Antiquité, ce sont en réalité les habitants de la péninsule de Mani en Laconie. Ils sont si coriaces et leur terre si ingrate que la péninsule n'a jamais été conquise ni par les Turcs, ni par les Allemands lors de la dernière guerre mondiale. Ils sont réputés très indépendants, voire ingouvernables.)

C.P.

Après la Liturgie à l'hermitage (6e dimanche de Luc 23 oct/5 nov)

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