Bulletin des vrais chrétiens orthodoxes sous la juridiction de S.B. Mgr. André archevêque d'Athènes et primat de toute la Grèce.

NUMÉRO 95
AOUT 2001

Hiéromoine Cassien

Foyer orthodoxe

66500 Clara (France)

 SOMMAIRE

NOUVELLES

LA SIGNIFICATION DU MYSTÈRE DE LA CROIX 

SAINT FAUSTE ET LES CONCILES DE 470-475

LE RÉALISME PAR EXCELLENCE

INSTRUCTION AUX NOVICES (suite) : ORGUEIL ET HUMILITÉ

Saint Phébade d'Agen, pilier de l'Orthodoxie aquitaine

SOUVENIRS DE LA SAINTE RUSSIE

SAINT PÈRE GRÉGOIRE LE SINAITE ET DE SES PREMIERS DISCIPLES

LE SAINT SUAIRE - VRAI OU FAUX


NOUVELLES

Je viens de faire la tournée, lors du carême de la Dormition, chez nos fidèles en Suisse et en France. Nous avons pu célébrer la divine Liturgie dans notre chapelle de saint Maurice, dans le Valais, et petit à petit tout se met en place.
Une nouvelle cassette vidéo est prête : Pèlerinages en Occident.
Nous venons de publier "Ma vie en Christ" de saint Jean Kronstadt.
Le nouveau n° du portable : 06 16 27 27 28
Sinon, rien de nouveau dans notre mission quoique des choses couvent dont je parlerai au temps opportun.

Vôtre, en Christ, hiéromoine Cassien 

 Cher pere Cassien

Nous avons lu,entre autres,que vous aimeriez qu'on vous ecrive .Voila, nous voulons vous

dire que dans vos ecrits, que ce soit, dans les bulletins ou dans vos meditations, vous avez

mis la main sur tout ce qu'il y a comme jolis mots, sur toute la beaute du ciel et de la terre,

sur tout ce qui vient d'en Haut, sur tout ce qui est saint.

Tout en vous souhaitant une bonne sante, une grande perseverance, et un courage, toujours

plus fort,nous vous informons que nous sommes entrain de vous lire et relire.

Priez pour nous

Viviane et Elie Choueri- Liban.

LA SIGNIFICATION DU MYSTÈRE DE LA CROIX

Sermon de saint Jean de Kronstadt

Toutes les fois que revient dans le cycle liturgique annuel la fête triomphale de l'Exaltation de la sainte et vivifiante croix du Seigneur, nous nous transportons instantanément en pensée à l'opprobre du Golgotha qui eut lieu voici près de 1900 ans. En même temps, nous nous remémorons l'orgueil insensé, l'envie, la malice, la haine, la calomnie des grands prêtres juifs, des scribes et des pharisiens qui ont conduit jusqu'à la mort Celui qui fut annoncé depuis les temps les plus reculés et qui apparaissait enfin, le Messie et Sauveur du monde; ils L'ont conduit jusqu'à la mort sur la croix, la plus honteuse et la plus douloureuse de toutes les morts. Ils criaient alors avec rage à l'adresse de Pilate : Crucifie-Le ! Crucifie-Le !(cf. Jean 19,6). Pilate, ne trouvant aucune faute chez le Juste, fut obligé de céder à la fureur des maîtres juifs enragés et de la foule agissant sur leur instigation. Et se lavant les mains publiquement de la condamnation a mort du Juste, dont il se voulait innocent, il le livra à la condamnation à mort. Le Seigneur fut crucifié , cloué par les mains et les pieds au bois de la croix. Le mystère de la vérité divine et le triomphe de l'iniquité humaine s'accomplit ainsi; victime innocente des péchés du monde, le Christ laissa échapper son dernier Souffle : «Tout est accompli ! Et baissant la tête Il rendit l'esprit.» (Jn 19,30).

Laissons nous pénétrer de la signification du mystère de la croix et des paroles de l'évangéliste présentées au début : «Car Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné son Fils uniques afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.» Cela signifie que le monde, c'est-à-dire le genre humain, aurait été voué à la mort éternelle, aux souffrances éternelles - selon la vérité divine inchangée la plus rigoureuse - si le Fils de Dieu, par sa grâce illimitée, ne S'était fait volontairement le Médiateur et le Rédempteur de l'humanité criminelle, souillée et pourrie par le péché. Car l'humanité, séduite par le serpent homicide, a été précipitée dans un abîme terrible d'exactions et de ruine.

L'Esprit de Dieu, Esprit de sainteté et de vérité, Esprit vivifiant, S'est éloigné du genre humain que le péché a rendu complètement charnel et qui s'est livré à l'idolâtrie et à toutes sortes de passions. Il fallait à l'homme la réconciliation avec Dieu, la rédemption, la purification, la sanctification, l'aide de Dieu même. Mais pour que cette réconciliation et cette rédemption venant d'en haut puissent être reçues par l'homme, il fallait que le Fils de Dieu descende sur terre, qu'Il prenne l'âme et le corps de l'homme et qu'Il devienne un homme de Dieu, afin que s'accomplisse par sa propre Face, par sa nature humaine, l'entière Vérité de Dieu, violée avec insolence par toutes sortes d'iniquités humaines; afin que s'accomplisse entièrement la loi divine jusqu'au iota, afin qu'Il soit le suprême Juste au regard de l'humanité inique, qu'Il lui enseigne la Vérité et le repentir de toute iniquité avec les fruits du repentir. Il accomplit cela, Lui qui est innocent de tout péché et seul Homme parfait, dans l'Union hypostatique avec la Divinité.

Mais ce n'est pas tout. Par suite de ses péchés, l'humanité était vouée à une juste malédiction, et afin que puisse s'accomplir son salut et sa réconciliation avec Dieu, afin qu'elle soit libérée de sa malédiction, il était nécessaire que le Fils de Dieu Lui Même assume cette malédiction et; donc, qu'Il souffre sur la croix, conformément aux paroles de Dieu : car celui qui est pendu est l'objet de malédiction auprès de Dieu. (cf. Dt 21,23). Cela aussi fut accompli. Pendu sur la croix et souffrant pour les péchés du monde, Il a revêtu notre malédiction, Lui qui est innocent, et Il a obtenu pour nous la bénédiction, car la juste malédiction ayant été détruite sur la croix, c'est la croix même qui devint source de bénédiction pour les croyants et pour tous ceux qui agissent conformément à la vérité. Enfin, notre Sauveur devait recevoir la mort sur la croix : n'étant pas Lui Même soumis à la mort, descendre en enfer et triompher de l'enfer et de la mort et en libérer tous ceux qui ont cru en Lui et leur faire partager la résurrection avec Lui, comme Dieu, et ouvrir à tous les hommes au moyen de la foi l'entrée de l'ancien paradis. Nous avons là toute la signification des souffrances et de la mort sur la croix du Fils de Dieu à cause des péchés du genre humain, nous voyons là, dans ce terrible sacrifice de la croix du Fils Unique de Dieu, le Bien Aimé, toute l'ancienne présence de la Vérité de Dieu ! Nous voyons à quel point le péché est source de mort, à quel point il répugne à Dieu; il est entré dans le monde par suite de la désobéissance et il a souillé la nature humaine crée à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il a pénétré si profondément notre nature que rien de ce qui est dans l'homme ne put le laver ni l'effacer, hormis le Sang très saint de Dieu, versé volontairement pour les péchés du monde.

 

Ce n'est maintenant que de la foi indubitable dans ce sacrifice rédempteur que dépend le salut de tout homme, ainsi que de l'obéissance absolue au Fils de Dieu qui Lui Même fut obéissant pour nous au Père céleste jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort de la croix (cf. Ph 2,8); le salut de tout homme dépend de sa foi sincère en l'Église une, sainte, catholique et apostolique qu'Il a fondé sur terre pour notre réconciliation avec Dieu, pour notre instruction, notre sanctification, notre confirmation et notre salut et à Laquelle Il a donné le saint Esprit qui fortifie, et sanctifie et sauve nos âmes; du repentir sincère et de l'amendement de notre coeur par la grâce de Dieu et par la Communion dans la foi aux saints mystères du Corps et du Sang de l'Agneau de Dieu qui a pris sur Lui nos péchés et ceux du monde entier.

La conséquence de tout ceci est que tout homme qui ne croit pas au Christ et à la force rédemptrice de la croix demeure sous la colère et la malédiction divines, il demeure dans la souillure de tous péchés et il est condamné au châtiment éternel, car le péché non reconnu, ne suscitant ni inquiétude, ni repentir, ni larmes rend l'homme semblable au diable, coupable du péché et étranger à Dieu. Car Dieu seul est juste et Il justifie le pécheur par sa foi en l'unique Agneau de Dieu, qui a pris sur Lui les péchés du monde, et par le repentir, sans lequel le pardon et la justification demeurent impossibles. Aussi, dès les premières paroles le Seigneur dit-Il aux gens qui L'écoutaient : repentez vous, car le Royaume de Dieu est proche (cf. Mt 3,2). Celui qui ne croit pas au Fils de Dieu sera jugé, parce qu'il n'a pas cru dans le Fils Unique de Dieu (cf. Jn 3,18), dit le saint évangéliste Jean le Théologien.

Il en résulte encore que ceux qui se nomment chrétiens, mais qui ouvertement ou secrètement ne croient pas en Christ, Fils de Dieu et Rédempteur du monde, et qui méprisent son Église, sa hiérarchie, ses services divins, ses sacrements de confession et de communion, et qui meurent dans leur athéisme et leur endurcissement, ceux-là ne seront pas inscrits dans le livre de vie éternelle et ils seront jetés, tel l'ivraie, dans le feu éternel. Ces paroles pour un athée sont cruelles et désagréables, mais ce sont là les paroles de Dieu même ! L'Apôtre dit qu'il est terrible d'être dans l'attente du jugement et l'ardeur d'un feu qui dévorera les rebelles. C'est une chose terrible de tomber entre les mains du Dieu Vivant (cf. Heb 10,27). Mais il existe un moyen de se soustraire à ces Mains toutes puissantes qui condamnent aux souffrances éternelles en toute justice, ce moyen est unique : croire en Christ et dans la force rédemptrice de la croix, et confesser sincèrement tous ses péchés et, aussi, s'approcher du mystère de la communion du Corps et du Sang du Christ, car c'est en eux seuls que résident notre réconciliation, notre purification, notre sanctification et notre salut. Amen.

La victoire et la défaite de l'homme, son trésor et son secours,

toutes les choses qui font la vie de l'ascète sont dans sa pensée et tiennent à un fil.

saint Isaac le Syrien (54e discours)

SAINT FAUSTE ET LES CONCILES DE 470-475 :

CONDAMNATION ORTHODOXE DE LA DOCTRINE PREDESTINATIANISTE D'AUGUSTIN D'HIPPONE *

Les milieux provençaux, où rayonnaient les centres monastiques prestigieux de Saint Victor(Marseille) et surtout de Lérins, étaient restés fidèles à la saine doctrine sur la grâce, réaffirmée par saint Jean Cassien, saint Vincent et saint Honorat : La ferveur de l'homme ne suffit pas sans le secours de la grâce divine, et la grâce à son tour ne nous est d'aucun avantage sans la bonne volonté (Saint Jean Chrysostome, Homélies sur l'évangile de Matthieu 82; 11,4). Seul Augustin d'Hippone, relayé par son lieutenant Prosper d'Aquitaine, professait une doctrine opposée : le prédestinatianisme. Saint Fauste de Riez, issu de Lérins, eut à combattre vers 470-475 les théories prédestinatianistes du prêtre Lucidus; Lucidus, à la suite d'Augustin d'Hippone, affirmait que l'homme est prédestiné au salut ou à la perte, et que la grâce divine seule peut sauver, niant toute nécessité du libre arbitre humain et de la synergie des deux volontés, divine et humaine. Saint Léonce, évêque d'Arles, convoqua un concile pour démêler l'affaire. Rejetant la tradition patristique, Lucidus enseignait avec Augustin et Prosper que le Christ n'est pas mort pour tous les hommes et qu'il ne voulait pas le salut de tous : si en effet Dieu prédestine certains hommes à la perte, le Christ n'a pas pu venir dans le monde pour sauver tous les hommes. Fauste proposa 6 anathèmes, auxquels Lucidus était appelé à souscrire (c/: Hefele Leclercq, "Hist. des Conc.", 1908; pp. 908-912). Le 6me anathème concernait justement la théorie augustinienne sur la volonté salvifique de Dieu, à laquelle Lucidus tenait tant (à savoir : Dieu désire-t-Il vraiment sauver tous les hommes ?) Lucidus refusa d'y souscrire. Le concile donc le condamna avec sa théorie. Lucidus cependant se soumit ensuite dans une lettre adressée aux très saints maîtres et révérendissimes Pères dans le Christ présents au concile de 470-475, Fauste compris (ct. Munier, Concilia Galliae, 1963; p.159; Hefele-Leclercq, op.cit.,1908; pp.910 et 911).

 

Fauste publia à cette époque les deux livres de son De Gratia, où il rejette, avec un luxe de citations scripturaires, tant les erreurs de Pélage que celles d'Augustin, qui bien que considéré par l'évêque de Riez comme un saint homme, n'en était pas moins selon lui suspect en regard des plus grands docteurs (De gratia; 2, 10). De nouvelles erreurs ayant ensuite été découvertes chez Lucidus, un nouveau concile dut être convoqué, vers 475, à Lyon. Fauste y assista. Le saint archevêque Patiens de Lyon présenta à ce concile un livre, De ecclesiasticis dogmatibus. L'auteur en était un disciple marseillais de Fauste, Gennade. Il fut décidé que ledit ouvrage serait ajouté au De Gratia, afin de parachever ce monument (cf. Hefele Leclercq, op. cit., 1908; p. 912). Gennade, dans ce livre, reconnaît la nécessité de l'aide divine dans l'oeuvre du salut, mais soutient que, dans sa bonté à notre égard, Dieu veut que nous ayons l'initium salutis.

(* Un autre concile, à Mayence en 848, condamnera la doctrine de la prédestination prêchée par le frank Gottschalk d'Orbais)

Jean Béziat

Que celui qui ose parler contre ce qui a été prescrit, même s'il jeûne, s'il vit dans la virginité, même s'il prophétise et fait des miracles, qu'il soit pour toi comme un loup sous la peau de la brebis, comme le corrupteur de celle-ci.

saint Ignace le Théophore

LE RÉALISME PAR EXCELLENCE

Alexandre Kalomiros

 

Peut-être quelqu'un pensera, puisque l'iconographie orthodoxe est par excellence un art réaliste, qui n'admet pas du tout l'imagination, alors la meilleure icône c'est la photographie et tout ce qui s'en approche le plus, car elle seule peut représenter une personne avec une parfaite objectivité.

Il n'y a pas d'erreur plus grande, que de croire que la photographie peut représenter un homme. Aucune photographie ne l'a jamais représenté, et les millions de photos faites jusqu'à oe jour n'ont pu y réussir. Une photographie représente les apparences, les réalités extérieures de l'homme. Elle ne peut pas représenter sa réalité intérieure, l'homme dans toute sa plénitude. La photographie représente l'homme comme il apparaît mais pas tel qu'il est dans sa réalité. Grand et admirable serait le peintre, qui tout en faisant le portrait d'un homme, exprimerait en même temps les qualités de l'âme, du coeur, de l'esprit et qui rendrait par les formes les raisons et le mystère des êtres, des créatures, de la création. Un tel art, un art vrai ne pouvait jaillir que de la Vérité, et seule l'Église du Christ pouvait l'enfanter. Et cet art, c'est l'icône orthodoxe, la peinture byzantine. Elle seule peut peindre un être,et en même temps exprimer la vérité de sa face; elle seule a la force de représenter la sainteté cachée dans le mystère des qualités des saints, la divine lumière, l'éclat de l'amour divin, la charité, l'humilité, la contrition, l'innocence. Elle seule peut montrer à ceux qui ont des yeux spirituels, la nouvelle création inaugurée par l'incarnation de Dieu, la déification de l'homme.

Les icônes montrent à nous hommes pauvres, le règne de Dieu qui vient avec puissante, selon la mesure des possibilités de chacun de sa réceptivité, comme la Transfiguration du Seigneur sur le Thabor a montré aux trois disciples la gloire «autant qu'ils pouvaient la voir».

Les choses spirituelles que cet art révèle à nos yeux, ne peuvent être perçues par tous. Seuls le peuvent ceux qui sont en mesure de comprendre la profondeur de la beauté spirituelle des icônes byzantines. Les autres en perçoivent la beauté esthétique et encore...

L'icône, ne représente pas le corps périssable d'un saint, mais la réalité éternelle de sa personne. C'est pourquoi nous disons que l'art byzantin est par excellence réaliste, car il ne se limite pas à une fidèle représentation d'un des aspects de la réalité matérielle, sentimentale, mais avec les pauvres moyens humains, il rend toute la réalité de l'être humain, la réalité de l'homme déifié. À travers le visible, l'Église voit l'invisibles à travers la provisoire elle voit l'éternel. Dans l'icône byzantine, ont lieu d'étranges et incompréhensibles rencontres : l'éternité se révèle dans le temps, le ciel descend sur la terre et entoure les mortels. Voilà pourquoi les pères disent que le temple ou l'église, cet édifice où se rassemblent les fidèles, avec ses icônes peintes sur les murs et sur le bois, avec tout ce qui s'y dit, tout ce qui s'y célèbre, que tout cela est une icône, une image du ciel, une projection du ciel, bien que réalisée par des moyens périssables, sur cette terre périssable.

Pour peindre l'icône d'un saint, on doit avoir goûté à la sainteté, avoir vécu l'expérience de la grâce de Dieu. On doit avoir reçu, autant que l'âme peut la contenir, la lumière divine. Le peintre qui ne possède pas tout cela, doit alors être très attentif, car chaque coup de pinceau peut le conduire à l'hérésie. Il ne reste alors qu'une voie : marcher fidèlement sur les traces des anciens iconographes et peindre rigoureusement comme eux. C'est ainsi qu'il se gardera de toute erreur et donnera à son oeuvre le sceau de l'éternité. Et spirituellement, il sera gagnant, car, attaché aux modèles laissés par nos pères, il goûtera lui aussi à l'éternité, participera à l'expérience des saints iconographes du passés à l'expérience de l'Église.

 

Il appartient à nous de vouloir le bien,

et au Christ de l'accomplir.

saint Valérien de Cimiez (Homélies XI,4)

INSTRUCTION AUX NOVICES (suite)
ORGUEIL ET HUMILITÉ

L'orgueil c'est de se croire pour ce qu'on n'est pas et de s'approprier à soi-même le bien qu'on croit posséder au lieu de se référer à Dieu. L'humilité c'est de se prendre pour ce qu'on est réellement avec ses défauts et qualités. Les premiers, l'humble les attribue à soi-même et les seconds à Dieu seul - le Dispensateur de tout bien.

L'orgueil gâche toutes nos actions et paroles. L'humilité par contre leur donne de la valeur.

Une parole dite avec orgueil ne saura porter de bons fruits, tandis que la parole dite avec humilité trouvera partout moyen de s'enraciner.

L'orgueilleux vit dans un monde imaginaire où il se prend pour le centre. Par contre l'humble vit dans la réalité de Dieu et accepte et reconnaît la place où Dieu l'a mis.

L'orgueil est toujours accompagné de révolte et l'humilité a pour compagne la résignation.

L'orgueilleux ne supporte ni réprimande ni conseil et ne cherche qu'à diriger et à commander, contrairement à l'humble qui désire critique et leçon - tel une terre assoiffée la pluie - et fuit la charge de diriger comme un danger pour l'âme.

Là où il y a l'orgueil, il y a tout le cortège des vices et là où se trouve l'humilité les autres vertus ne sont pas loin.

L'orgueil a précipité du plus haut des cieux Lucifer, le coryphée de la création, et l'humilité a fait de Marie le chef d'oeuvre de la création et l'a élevée au plus haut des cieux.

L'orgueil a fait de Lucifer (= porteur de lumière) le prince des ténèbres et l'humilité a fait de la servante du Seigneur la reine du ciel.

Dans les paroles, démarches, regards s'exprime l'orgueil et l'humilité ne sait non plus s'en cacher.

L'orgueil tout seul peut perdre l'homme malgré ses bonnes oeuvres (le pharisien en est la preuve) et l'humilité toute seule peut sauver l'homme même sans les oeuvres, le publicain en est la preuve.

Ce que l'orgueil détruit seul l'humilité sait le reconstruire, c'est pour cela que le Christ S'est humilié jusqu'à la mort sur la croix afin de sauver ce que l'orgueil a fait perdre à Adam sur l'arbre de la connaissance.

Le précurseur de toute chute c'est l'orgueil et l'affermissement de toute bonne oeuvre c'est l'humilité.

L'orgueil est la laideur de l'âme, l'humilité en fait la parure.

Tout dans la vie de l'orgueilleux est compliqué et tordu tandis que l'humble se distingue par la simplicité et la droiture.

 

hm. Cassien

Comment la vérité se manifestera-t-elle, si elle n'a pas d'adversaires, menteurs et adversaires de la vérité ?

Saint Macaire (17e homélie,14)

Saint Phébade d'Agen, pilier de l'Orthodoxie aquitaine

Jean Béziat

 

Sulpice-Sévère, commença sa "Chronique Sacrée" à Toulouse et l'acheva au cénobium qu'il venait de fonder à Primuliacum, à l'Ouest ou au Sud-Ouest de Toulouse. La deuxième partie de son ouvrage parle longuement du rôle capital joué durant la crise arienne par celui qu'il appelle notre Phébade. Celui-ci fut évêque d'Agen dès avant 358, peu après le Concile de Sardique (343). En 392, il vivait encore mais atteignait un âge avancé, ainsi qu'en témoigne saint Jérôme, parlant de sa vieillesse décrépite (De Viris Illustribus ; 108). Saint Phébade avait publié au début de l'hiver 357-358 un fameux Liber contra Arianos , après réception du ''symbole'' arien de Sirmium (cf. Hilaire de Poitiers ; De Synodis, 11). Il participa au Concile de Rimini (359) où il joua un rôle de premier plan (cf. Sulpice-Sévère, "Chronique"; II, 41-44), et au Concile de Valence (Juillet 374), qu'il présida. L'intransigeance de Phébade force l'admiration en ce concile de Rimini qui n'est pas sans rappeler une situation toute actuelle : Constance ayant écrit à Taurus, préfet d'Italie, lui promit le consulat s'il réussissait à faire adopter par tout le concile la formule de Sirmium ; la formule qu'on vous propose, dit-il aux évêques de Rimini, peut être admise par tous les catholiques ; elle ne contient pas, il est vrai, le mot consubstantiel ; mais faut-il, pour un mot, rester toujours divisés ? Ne doit-on pas le sacrifier à la paix ? Ordre fut donné de garder les évêques à Rimini jusqu'à ce que tous aient signé ou du moins jusqu'à ce que le nombre des opposants (400 au départ, contre 85 ariens) fût réduit à 15, lesquels seraient envoyés en exil. Au début, la résistance fut unanime. Puis des divisions apparurent. Peu à peu, le nombre des opposants descendit jusqu'à 20. Les plus tenaces furent les gaulois Phébade d'Agen et Servatius de Tongres (Belgique). Ils se déclaraient prêts à subir l'exil. Finalement, on offrit aux deux évêques de signer et d'ajouter à leur signature des explications. En réalité, il s'agissait d'un piège. Phébade et Servatius rédigèrent une profession de foi où ils condamnaient Arius et son hérésie, déclaraient le Fils égal à son Père, sans commencement et sans durée, ajoutant : Si quelqu'un a dit que le Fils de Dieu est une créature, qu'il soit anathème. À cette dernière expression, comme pour aider les deux évêques, l'arien Valens fit ajouter les mots : comme le sont les autres créatures. La phrase devenait ainsi : Si quelqu'un a dit que le Fils de Dieu est une créature comme le sont les autres créatures, qu'il soit anathème. Autrement dit, le Fils n'était pas une créature comme les autres, mais il restait une créature (or, le Credo de Nicée dit du Christ qu'il est engendré, non créé). Phébade et Servatius ne détectèrent pas la fraude, et c'est ainsi, selon le mot de Sévère, que finit lamentablement ce concile qui avait si bien commencé. Sorti du concile pour en porter les décisions à l'empereur, Valens par sa conduite toute arienne éclaira les évêques : ils s'aperçurent qu'ils avaient été joués.

Après ces évènements, Phébade se lia d'amitié avec saint Delphin de Bordeaux et saint Ambroise de Milan. Il nous en reste une lettre envoyée par Ambroise aux deux pontifes aquitains vers 380 (Lettre 87). Phébade assista avec Delphin au Concile anti-priscillianiste de Saragosse (Octobre 380), qu'il présida peut-être. Certainement à cause de son grand âge, il n'était pas au Concile de Bordeaux de 384.

Phébade s'éclipsa de ce monde le 25 avril 394. Son corps reposa longtemps dans l'église de Périgueux, avec ceux de sainte Alvère et de sainte Foy (martyres agenaises sous Dioclétien); puis ses restes furent laissés à Vénerque, près de Muret (Hte-Garonne, au Sud de Toulouse), lors d'une tentative de vol des reliques à destination de l'Espagne. Ils s'y trouvent encore aujourd'hui. La châsse en cuivre repoussé (XIIe s.) de l'église du village de Vénerque constitue l'unique vestige iconographique de l'évêque.

Comme nous l'avons dit plus haut, cette gloire de l'Eglise des Gaules lutta sur d'autres fronts, et notamment contre l'hérésie de Priscillien.

Placé à la tête de l'Église, la mission du prêtre n'est pas seulement, grâce à sa vie irréprochable, d'affermir les autres par l'exemple qu'ils trouvent à le fréquenter, mais aussi, par une prédication sans complaisance, de bien montrer à chacun ses fautes, les peines réservées aux pécheurs obstinés, et la gloire promise aux vrais fidèles.

Julien Pomère (La vie contemplative 1,20)

 

SAINT PÈRE GRÉGOIRE LE SINAITE ET DE SES PREMIERS DISCIPLES

commémoré le 8 août

Le divin Grégoire est né en Asie Mineure, non loin de Clazomène, près de Smyrne, dans un petit village dénommé Kukula. Ses parents étaient riches et de plus, ce qui compte davantage, vertueux. Ils firent instruire leur fils dans la philosophie grecque et plus encore dans les vérités des saintes Écritures.

C'était alors le règne d'Andronic Paléologue. Les Turcs ravageaient l'Asie Mineure et pillaient les villages. Ils s'emparèrent entre autres de celui de saint Grégoire, qui était chrétien, et ce dernier, avec ses parents et ses proches, fut emmené en captivité à Laodicée où, par la Miséricorde de Dieu, les barbares lui donnèrent la permission de visiter l'église de ce lieu. Les chrétiens de Laodicée furent sensibles au malheur de leurs frères. Pour alléger le lourd joug qui les faisait ployer, ils demandèrent aux Turcs de rendre leur liberté aux captifs, leur promettant en échange une rançon en argent. Les infidèles furent conquis par cette offre et les chrétiens prisonniers recouvrèrent leur liberté et le droit d'aller où bon leur semblerait. Le divin Grégoire en profita pour gagner Chypre. Il y attira vite l'attention générale et par ses perfections naturelles ou acquises, intérieures et extérieures, il devint l'objet de l'affection et du respect d'un grand nombre. Car il avait au naturel un grand air de bonté et sa beauté intérieure surpassait encore l'extérieure.

Dieu, qui connaît les siens (cf. 2 Tm 2,19), et les assiste en tout bien, fit en sorte que le divin Grégoire pût s'établir sur l'île auprès d'un moine vertueux vivant dans le silence. Peu de temps après, ce moine le revêtit du premier habit angélique. Sous sa direction saint Grégoire devint bientôt expert dans la vie monastique. De là, il alla au Mont Sinaï à la recherche de plus grands labeurs. Il y reçut le grand habit angélique. En peu de temps, il surprit et étonna les ascètes de ce lieu par la vie d'ange, presque incorporelle, qu'il menait. Ses jeûnes, ses veilles, sa psalmodie et sa prière continuelles étaient au delà de la description. Il semblait chercher querelle à la nature, souhaitant rendre immatériel son corps de chairs à tel point qu'étonnés par ses efforts, les ascètes l'environnant l'appelaient habituellement l'incorporel. «Mais je suis dans l'embarras pour savoir comment parler de la racine de toutes ses vertus, son obéissance et sa profonde humilité de peur qu'une telle description suggère à quelque amant de la vie facile que je dis un mensonge», écrit l'auteur de la Vie de saint Grégoire, le patriarche oecuménique Calliste. Mais comme ce serait un péché contre la vérité elle-même de rester silencieux à ce sujet, je dois rapporter ce que j'ai entendu de son sincère et très dévoué disciple, Gérasime. Selon les paroles de ce sage, le divin Grégoire exécutait chaque tâche que lui assignait son supérieur sans le moindre retard et avec tout son zèle, s'imaginant toujours que Dieu avait les yeux fixés sur son travail. En même temps, en dépit de toutes ses obligations, il n'omettait jamais ses prières habituelles. C'était là sa pratique ordinaire. Chaque soir, après avoir reçu la bénédiction du supérieurs, il regagnait sa cellule en fermait la porte et commençait métanies, récitation des psaumes et élévation des mains et de l'esprit vers Dieu, oblation de lui-même qu'il poursuivait jusqu'à ce que retentît la simandre, annonciatrice des Matines. Le martèlement initial lui faisait rejoindre le premier la porte de l'église. Une fois entré, il ne sortait jamais avant le terme du service, le premier arrivé, il était toujours le dernier sortis. Sa nourriture, un peu de pain et d'eau, suffisait à peine à le garder en vie. La charge de cuisinier lui échut cependant. Trois années durant, il s'acquitta de cette lourde et pénible tâche. Qui peut célébrer dignement son extraordinaire humilité à ce propos ? Elle lui fit toujours considérer qu'il servait des anges et non des hommes; aussi honorait-il cette activité à l'égal du service de l'autel. Il faut dire encore qu'il brillait dans la calligraphie. Quoique livré à toutes les occupations corporelles, il n'abandonna jamais ses études spirituelles. Il passa probablement autant de temps que les pères du même endroit à la lecture des saintes Écritures et d'autres ouvrages de piété. Il les surpassa presque tous en savoir. Il avait pourtant la pieuse coutume d'ajouter à ces travaux de l'esprit l'ascension presque quotidienne du sommet du Sinaï afin d'élever de dévotes prières sur le site d'aussi glorieux miracles.

L'ennemi du bien pouvait-il considérer saint Grégoire avec indifférence à la vue de tels labeurs ? Afin de l'empêcher de persévérer sur ce chemin de perfection, il réussit à semer l'ivraie du trouble parmi ses compagnons d'ascèse en éveillant en eux la passion de l'envie. Disciple du doux et humble Jésus, Grégoire à peine se fut-il aperçu de cette criminelle passion, qu'il quitta secrètement le monastères emmenant avec lui le digne Gérasime. Ce dernier était originaire de l'Euripe et parent du prince de cette île mais méprisant la vaine gloire du monde il vint au Mont Sinaï. C'est là qu'il connut le divin Grégoire et, stupéfait de ses extraordinaires combats, qu'il s'y attacha et devint un de ses disciples. Avec l'aide de Dieu, il atteignait aussi le plus haut degré dans la pratique (praxis) et et la divine contemplation (theoria), devenant ainsi après le grand Grégoire un modèle de vie ascétique pour beaucoup.

Ils laissèrent donc le Sinaï et allèrent à Jérusalem vénérer le Sépulcre donateur de vie. Après avoir visité et dévotement vénéré tous les lieux saints, ils naviguèrent vers la Crète, jusqu'à un endroit appelé Bons-Ports où ils abordèrent. Désirant ne pas perdre de temps ils partirent à la recherche de quelque endroit silencieux convenant pleinement à la vie solitaire. Non sans difficulté ils trouvèrent quelques grottes leur agréant, où ils s'installèrent avec joie. Saint Grégoire y reprit ses exploit ascétiques avec une énergie redoublées si bien qu'à titre particulier les paroles du Prophète-Roi furent justifiées : «À force de jeûner, mes genoux fléchissent, ma chair est amaigrie faute d'huile.» (Ps 108,24). Cette abstinence immodérée communiqua une extrême pâleur à son visage et ses membres desséchés devinrent à peine capables de se mouvoir. Cependant l'homme de Dieu gardait un brûlant désir de trouver quelque spirituel pouvant le guider vers ce qu'il n'avait pas encore atteint sur le chemin de la perfection. Le Seigneur prit bientôt en considération le saint désir de son fidèle serviteur et l'exauça à sa Manière. Par une révélation privée, le divin Grégoire apprit que vivait dans la même région un solitaire épris de silence et passé maître dans la pratique et la contemplation spirituelles. Arsène était son nom. Mû par l'esprit de Dieu, Arsène vint en personne à la cellule de saint Grégoire qui l'accueillit avec grande joie. Après la lecture et la prière habituelles, l'ancien, auquel avait été départi le don de lire dans les esprits, engagea une conversation sur quelque divin livre, traitant de la garde du coeur, de l'impassibilite, et de l'attention, de la prière spirituelle, de la purification de l'esprit par l'observation des commandements, de la possibilité de le rendre capable de voir la lumière et de bien d'autres sujets encore. Il demanda ensuite à saint Grégoire : «Et toi mon fils, quelle sorte de pratique est la tienne ?» Le divin Grégoire lui fit alors le récit de sa vie, presque depuis se premiers jours. Arsène, qui savait déjà très bien quelle voie mène un homme au faîte de la vertu, lui dit : «Tout ce que tu m'as raconté, mon fils, est appelé par les pères théophores pratique et non contemplation.

Entendant cela, le bienheureux Grégoire tomba aussitôt aux pieds de l'ancien et, le conjurant par le nom de Dieu, le supplia instamment de l'instruire de la voie de la contemplation spirituelle. Ne souhaitant pas tenir caché dans un vain but le don que Dieu lui avait fait, le divin Arsène acquiesça volontiers à la requête du saint et, en peu de temps, lui enseigna ce dont la grâce divine l'avait richement pourvu. En outre, il révéla à Grégoire combien sont variés et innombrables les pièges de l'ennemi de notre salut. Il l'instruisit donc de ce qui arrive à ceux qui livrent les combats de la vertu par la haine des démons et la jalousie d'hommes envieux dont le diable fait des instruments de sa malice. Ayant recueilli cet inestimable enseignement, saint Grégoire gagna l'Athos. Désirant voir tous les pères de la Sainte Montagne, pour leur présenter ses respects et obtenir leurs saintes prières et leur bénédiction, il fit le tour de tous les monastères, ermitages, cellules, et aussi des déserts et des endroits impraticables. Parmi les pères de l'Athos, il vit beaucoup d'ascètes qui étaient ornés des seules vertus actives. Quand il leur demanda s'ils pratiquaient la prière spirituelle, l'impassibilité et la garde du coeur, ils lui répondirent qu'ils ne savaient même pas de quoi il s'agissait.

ERMITAGE DE MAGOULA

Après avoir visité toute la Sainte Montagne, il vint à l'ermitage de Magula, près du monastère de Philothéou, et il y trouva trois moines, Isaïe, Corneille et Macaire, qui joignaient la theoria à la praxis. Il construisit là une cellule pour lui-même et d'autres pour ses disciples. Il établit la sienne à une distance suffisante de celles de ses disciples pour pouvoir s'immerger entièrement en Dieu seul dans la prière spirituelle et vivre constamment en union avec Lui, désirant s'engager dans la theoria sans obstacle, selon les enseignements de son divin directeur Arsène. Rassemblant ainsi tous ses sens en lui-même, unissant son esprit à son âme et la clouant à la croix du Christ, il répétait fréquemment : «Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur !» Il priait avec tendresse et contrition du coeur, soupirant profondément et inondant le sol de chaudes larmes, qui telle une rivière s'échappaient de ses yeux. Dieu ne dédaigna pas sa prière : «Un coeur brisé et humilié, Dieu ne le méprisera point.» (Ps 50,19), l'exauçant bientôt : «Sur les justes, les yeux du Seigneur, et pour leurs clameurs, ses oreilles.» (Ps 33,16).

Aussi, quand il eut élevé son âme et son coeur à la véritable incandescence, la grâce du saint Esprit le renouvela et quelle ne fut alors son émotion en voyant sa cellule s'inonder de lumière. Gonflé de joie et d'ineffable bonheur, fondant à nouveau en larmes, il fut consumé par le divin amour. En lui trouva sa pleine réalisation cette parole des pères : «La pratique est une montée vers la contemplation divine.» Parce que le saint s'était élevé au dessus de la chair et du monde, il était entièrement empli du divin amour et, depuis lors, cette lumière ne cessa plus de sanctifier le juste selon le mot : «La lumière est toujours pour le juste.» (Pr 13,9). À ma question et a celle de mes compagnons au sujet de la contemplation spirituelle, dit l'auteur de la vie de saint Grégoire, ce glorieux père répondit que celui qui s'est élevé vers Dieu voit par la grâce du saint Esprit toute la création resplendir comme dans un miroir, qu'il soit dans son corps ou hors de son corps lorsque cela se produit, il ne le sait pas davantage que le divin Paul, jusqu'à ce que quelque fait extérieur le fasse revenir à lui.

Le voyant sortir de sa cellule le visage inondé de joie, je lui en demandai la raison en toute simplicité de coeur. Tel un père aimant,cet homme à jamais mémorable me répondit : «L'âme qui est attachée à Dieu et consumée d'amour pour Lui s'élève au-dessus de la création et vit au-dessus des choses visibles; brûlant entièrement de désir pour Dieu, elle ne peut pas se dissimuler, selon la promesse du Seigneur : «Ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra,» (Mt 6,6), et : «Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que voyant vos bonnes oeuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux.» (Mt 5,16). Alors, en effet, le coeur bondit et danse de joie, l'esprit entre en agréable mouvement et le visage respire le bonheur et la joie, selon l'expression du sage : «Coeur joyeux fait bon visage.» (Pr 15,13).

MONASTERE DE PHILOTHEOU

Je lui répliquai : «Très divin Père ! Pour l'amour de la vérité, expliquez moi ce qu'est l'âme et comment elle est contemplée par les saints ?»

Avec un grand calme, selon son habitude, il me répondit doucement : «Enfant spirituel bien-aimé : "Ne cherche pas ce qui est trop difficile pour toi, ne scrute pas ce qui est au-dessus de tes forces." (Si 3,21). Tu es encore un enfant, et donc un homme non accomplis tu ne peux assimiler une très forte nourriture; tu ne peux comprendre des sujets qui dépassent ta capacité, comme l'alimentation d'un homme mûr qui ne convient pas à des enfants d'âge tendre encore à la mamelle.»

Tombant à ses pieds et les empoignant fortement, je le pressai avec véhémence de m'expliquer cet important sujet. Il y consentit et me dit brièvement : «Jusqu'à ce que l'on ait vu la résurrection de son âme on ne peut savoir exactement ce qu'est l'âme spirituelle (noétique).

Mais, m'adressant à lui avec les égards requis, je lui demandai à nouveau : «Dites moi, père, êtes vous parvenu à la mesure de cette résurrection, pour tout dire : avez vous appris ce qu'est une âme spirituelle ?»

«Oui», me répondit-il avec une grande humilité.

«Pour l'amour de Dieu, enseignez-le moi aussi, lui demandai je humblement. Ceci peut être de grand profit pour mon âme.»

Alors, cette âme divine, louant mon ardeur, me tint ces propos : «Quand l'âme use de tout son zèle et lutte par les vertus actives avec la modestie voulue, elle renverse toutes les passions et se les soumet. Quand elle les subjugue, les vertus naturelles l'entourent alors et la suivent comme l'ombre suit le corps, puis, qui plus est, l'instruisent de ce qui est au-dessus de la nature, comme si elles gravissaient les degrés d'une échelle spirituelle. Quand l'esprit, par la grâce du Christ, atteint ce qui surpasse la nature, il est illuminé par l'éclat du saint Esprit et se déploie jusqu'à parvenir a la claire vision. S'étant dépassé, selon la mesure de la grâce donnée par Dieu, il voit très clairement et très purement l'essence des choses, pas du tout cependant comme l'entendent les sages du dehors, qui étreignent seulement des ombres et n'essaient pas, comme il convient, de parvenir à l'action essentielle de la nature. Car, ainsi que le dit la divine Écriture, «leur coeur inintelligent s'est enténébré et dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous» (Rm 1,21-22). Ensuite, avec l'habitude et la grâce du saint Esprit, l'âme abandonne peu à peu ses anciennes préoccupations en raison de la multitude de visions qu'elle perçoit, et passe aux réalités plus élevées et vraiment divines, comme le dit l'apôtre Paul : «Oubliant le chemin parcouru, je vais droit de l'avant.» (Ph 3,13). Ainsi purifiée, l'âme bannit vraiment alors toute crainte ou terreur et, unie par l'amour au Christ Époux, voit que ses pensées naturelles cessent complètement et restent en chemin, selon ce qu'affirment les saints pères. Atteignant la beauté qui surpasse toute forme et demeure ineffables elle ne converse qu'avec Dieu et se voit illuminée par le rayonnement et la grâce du saint Esprit. Lorsqu'elle accueille cette lumière infinie, elle n'a alors d'affection que pour Dieu et, en raison de cette merveilleuse et nouvelle transformation, elle ne sent plus du tout ce corps terrestre et matériel. Elle est pure et brillante en effet, vierge de toute passion matérielle, et sa nature, spirituelle notamment, est semblable à ce qu'elle était avant la désobéissance de notre premier père, Adam. Celui-ci était au début ombré de la grâce de cette lumière infinie mais, ultérieurement, en raison de son amère transgression, il fut dépouillé de cette gloire lumineuse et éclatante.»

À tout cela, cette tête divine ajouta que l'homme parvenu à une telle hauteur par la pratique assidue de la prière spirituelle et qui, de plus, voit avec pureté quelle était sa propre attitude quand il vint à la grâce du Christ, a déjà vu la résurrection de son âme avant la résurrection générale attendue. Une âme purifiée de la sorte peut alors dire avec le divin Paul : «Était-ce en son corps ? Était-ce hors de son corps ? je ne sais.» (2 Cor 12,2). Mais aussi voilà qui la déconcerte et la bouleverse et elle s'écrie avec stupeur : «Ô abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles !» (Rm 11,33). Tels furent les propos que je pus recueillir de ce très divin père.

Nous dirons maintenant un mot des disciples de saint Grégoire. Le premier d'entre eux fut Saint Gérasime. Originaire de l'Euripe, il profita ensuite des conseils spirituels du très saint patriarche Isidore. Ce nouveau Gérasime était un reflet de l'ancien Gérasime du Jourdain. Tel ce dernier qui s'était fait pélerin à la manière des apôtres et avait transformé en une contrée populeuse le sauvage désert du Jourdain en l'ensemençant d'anges terrestres, ce nouveau Gérasime plein de la grâce divine et illuminé par Dieu, fit le tour de la Grèce à la façon des Apôtres, comblant tous ceux qui avaient faim et soif de la Parole de Dieu et les nourrissant du succulent enseignement de la vertu. Il ne manqua pas à l'exemple de l'ascète du Jourdain, de fonder à son tour, au gré de ses voyages, nombre d'asiles de piété et de chasteté, enseignant à leurs membres de saintes moeurs et la science de la perfection originelle de l'homme. Ayant oeuvré dans cette voie et vu dès ici-bas la gloire préparée pour les élus de Dieu, il rejoignit le Seigneur pour la partager, non plus seulement un bref instant, mais à jamais.

Le second disciple de Grégoire fut Joseph - un compatriote de Gérasime. Bien que n'ayant pas reçu une instruction choisie, il était riche intérieurement de la vraie sagesse donnée par le saint Esprit, comme ces glorieux pêcheurs qui conquirent princes et royaumes.

Le troisième fut le merveilleux ancien Nicolas, natif d'Athènes. Après avoir fait l'expérience de mainte vicissitude, le patriarche Joseph voulut élever Nicolas a l'épiscopat. Mais, épris de modestie et d'humilité, il s'échappa sur l'athos. Il était déjà un vieillard quand il rencontra saint Grégoire. Mais ce dernier, semblable à l'aimant qui attire l'aciers attirait tous ceux qui le voyaient et l'entendaient parler. Comme saint André qui abandonna aussitôt le Précurseur dès qu'il eût vu Jésus le très doux, Nicolas n'eut pas plus tôt entendu Grégoire qu'il devint à l'instant son disciple avec toute l'ardeur de son âme. Sous cette sage directions il brilla vite dans toutes les vertus et surpassa en humilité tous ses frères et compagnons.

Autre merveilleux disciple encore fut Marc, devenu moine au monastère d'Isaac à Théssalonique. Au bout de quelque temps, il partit pour l'Athos et se mit sous la direction de saint Grégoire. Ayant acquis la prière spirituelle et le renoncement, il était un trésor de toutes les vertus. Il se distinguait notamment par son humilité et son obéissance qu'il pratiquait non seulement à l'égard du supérieur mais aussi de tous les frères, et il allait jusqu'à servir tous les étrangers comme un esclave. Il faisait l'étonnement général, tous le célébrant et nourrissant pour sa personne les plus tendres sentiments. Sa sainte personnalité exhalait une sorte de parfum spirituel et exerçait une influence merveilleuse sur les autres; ceux qui voyait Marc sentaient aussitôt dans leur âme une sanctification s'opérer et un vif attrait pour l'humilité se créer. Aussi prenaient ils ce bienheureux père pour modèle de vertu. Même lorsqu'il atteignit un âge fort avancé, le divin Marc accomplit les devoirs de sa charge avec grande joie et ferveur. Par exemple, alors même qu'il était cuisinier, il ne manifesta jamais de lassitude ni de négligence. C'est pourquoi Dieu, qui regarde les doux et humbles de coeur, le gratifia d'une profonde paix de l'âme et d'une imperturbable tranquillité de coeur, le comblant d'une joie et d'un bonheur ineffables en d'autres termes, Marc devint un admirable organe du saint Esprit, une demeure de la Trinité divine. L'exemple ainsi donné fit l'édification de beaucoup qui trouvèrent dans ses labeurs et sa conversation pleine de grâce un abondant profit spirituel. Je suis au nombre de ceux qui furent édifiés par sa vie angélique. Je vécus en effet avec lui presque jusqu'à sa récente mort et je bénéficiais de sa sincère amitié. Nous avions pour ainsi dire une âme en deux corps et ne savions distinguer entre mien et tien. Qui appelait Calliste aussitôt ajoutait Marc, et qui parlait de Marc voyait en lui Calliste aussi. Tous les pères du même ermitage saluaient en nous, dans l'unanimité, qui faisait notre union par la grâce du Christ, un exemple digne de louange, et, si un différend, par la jalousie du diable, s'élevat-il parmi eux, ils évoquaient aussitôt notre amitié et leur désaccord s'évanouissait.

Notre divin père Grégoire priait que cette unanimité durât jusqu'à notre mort et, mû par la grâce du saint Esprit, il ajoutait que si nous restions dans semblable unité d'esprit nous atteindrions le royaume des cieux. Cette amitié se perpétua durant vingt-huit pleines années. Avant sa mort, Marc, malades dut laisser l'ermitage pour la laure et y demeurer jusqu'à son trépas mais notre séparation corporelle ne détruisit jamais notre union spirituelle. S'affermissant de jour en jour dans les choses de Dieu, le bienheureux Marc atteignit le plus haut degré de perfection, si bien qu'il est impossible de dire ses vertus. Le peu que je vous ai livré, je l'ai communiqué contre sa volonté. Car, par humilité, il m'ordonna de ne rien dire à ce sujet. Mais, comme la gloire des saints revient à Dieu j'ai cru juste de ne pas demeurer silencieux sur ses labeurs, pour le profit spirituel et l'édification des autres.

Le bienheureux patriarche nous parle ensuite d'un autre disciple de saint Grégoire, Jacques. Grâce aux enseignements et à la direction de Grégoire, il atteignit un tel degré de vertu qu'il devint évêque de Serbie.

Je ne peux omettre le merveilleux Aaron. Comme il était aveugle, saint Grégoire avait beaucoup de sympathie pour lui. Il lui expliqua que la cécité de nos yeux corporels non seulement purifie ceux de notre âme mais aussi que la lumière éternelle est donnée à ceux qui endure cette infirmité avec gratitude et mettent sans hésiter en tout domaine leur confiance en Dieu, quand avec l'aide et la grâce de Dieu, ajouta-t-il, nous purifions notre coeur par de ferventes et constantes prières, notre esprit et notre entendement, les deux yeux de l'âme, sont alors illuminés. Lorsque cela se produit, l'homme devient spirituel en Dieu et voit naturellement comme Adam avant sa désobéissance. Saint Grégoire lui expliqua aussi la chute de notre premier père et son retour à sa perfection originelle.

Après avoir écouté cet enseignement, Aaron, le coeur profondément contrit, pria Dieu ainsi . «Ô Seigneur mon Dieu, qui a relevé celle qui était prostrée, rendu d'un mot le mouvement au paralytique et ouvert les yeux de l'aveugle, élève moi aussi par ton indicible compassion, ne dédaigne pas mon âme misérable enfoncée dans la boue du péché et ne la précipite pas dans l'abîme de désespoirs mais, Toi qui es généreux, ouvre les yeux de mon coeur, mets en lui la crainte de Dieu et accorde-moi de comprendre tes commandements et de faire Ta volonté.

Cette humble prière de l'aveugle, venue des profondeurs de son âme, ne fut pas faite en vain. Dieu l'accueillit et illumina ses yeux spirituels, si bien qu'il n'eut plus jamais besoin de ceux de chair. Nul n'eut plus désormais à lui montrer son chemin. Plus encore, il vit les actions des autres même à grande distance. Une fois, comme il allait chez un moine avec le père Jacques, dont nous avons déjà parlé, et alors qu'ils étaient encore loin de l'endroit vers lequel ils s'acheminaient, Aarons éclairé d'en haut, dit à son compagnon : «Le moine chez lequel nous allons a le saint Évangile dans ses mains et en lit tel et tel passage.» Quand ils arrivèrent chez leur hôte, ils constatèrent qu'il en était exactement comme Aaron l'avait annoncé. Mais c'est là seulement un épisode entre bien d'autres.

Il nous faut au moins mentionner les noms de quelques autres disciples du saint : Moise, Longin, Corneille, Isaïe et Clément. Sous la sage direction de Grégoire, ils firent tous de grands progrès dans la vertu et la contemplation spirituelle et, ayant eux-mêmes attiré de nombreux disciples, ils moururent paisiblement, remettant leurs âmes dans la main de Dieu.

Nous devons dire quelques mots de ce que Dieu accorda à Clément. Ce dernier était originaire de Bulgarie et berger de son état. Une nuit, alors qu'il était de garde, comme les bergers des anciens temps, il fut gratifié de la vision de la lumière céleste, il la vit, merveilleuse et brillant sur ses brebis et sur tout le pâturage. Tout en étant comblé de joie, Clément fut déconcerté par la vision. Il pensa que cette lumière était peut-être celle de l'aube, car juste auparavant il s'était endormi un court instant sur son bâton. Mais, au moment même où il avait cette pensée, cette lumière s'éleva petit à petit au ciel devant ses yeux, laissant derrière elle l'obscurité de la nuit. Peu après cela, Clément alla à la Sainte Montagne et, arrivé à l'ermitage de Morphima, se confia à un moine simple mais pieux et vertueux. Tout l'enseignement de ce moine tenait dans la prière : Kyrie éleison ! Clément fut bientôt à nouveau jugé digne de la lumière divine. Il informa son père spirituel de cette vision et lui en demanda l'explication. Mais comme il n'avait pas d'expérience spirituelle, ils allèrent ensemble voir le divin Grégoire. Clément le mit au courant et le supplia avec chaleur de l'accepter dans sa fraternité. Imitant le Christ et souhaitant le salut de tous, le saint l'accueillit avec joie et lui enseigna tout ce qui peut servir à notre salut éternel. Pour l'âme de Clément qui avec le temps était parvenue à la vision de Dieu, les faits spirituels qu'elle avait contemplés ne furent plus incompréhensibles. Il rapporta qu'envoyé souvent par saint Grégoire à la Lavra, il voyait toujours, s'il chantait «Toi plus vénérable que les chérubins», un nuage brillant descendre des cieux sur la Laure et merveilleusement l'envelopper. L'hymne une fois terminée, il voyait la nuée rejoindre le ciel dans la lumière.

Les disciples du saint ne furent pas les seuls à bénéficier de ses enseignements salutaires, il en était de même pour ses nombreux visiteurs. Aussi, presque tous considéraient comme une grande infortune de ne pouvoir demeurer à ses côtés et d'être ainsi privés de ses conseils. Comme sa parole était pleine d'onction, elle produisait toujours des fruits bénéfiques dans le coeur de ses auditeurs. De même qu'au temps de l'enseignement du grand Pierre dans la maison de Corneille, le saint Esprit était descendu sur l'assistances ainsi en était-il avec ceux que le divin Grégoire dirigeait, m'ont rapporté des témoins qui avaient ressenti personnellement cela. Car, disaient ils, au moment même où saint Grégoire nous entretenait de la pureté de l'âme et de la lumière, pour l'homme, de devenir un dieu par la grâce, venait alors en nos âmes un divin et irrésistible désir, une affection à la vertu et un inexplicable amour pour Dieu. Saint Grégoire engageait pareillement solitaires et cénobites à pratiquer la prière spirituelle et la garde du coeurs et en fait il y invitait chacun.

Mais l'ennemi du bien, le démon, ne pouvait demeurer indifférent à des labeurs tels que ceux de Grégoire. Il suscita contre lui quelques moines à l'enseignement erroné qui, mus par l'envie, décidèrent de le chasser de la Sainte Montagne. Par ignorances des hommes simples sans expérience de la science spirituelle s'accordèrent avec eux. Envieux et rustres criaient au divin Grégoire : «Ne nous enseigne pas une voie que nous ne connaissons pas,» visant ainsi la prière spirituelle et la garde du coeur. Devant ce prodige de l'envie, le saint laissa place au malin et fut silencieux pour un temps.

Plus tard, prenant avec lui un de ses disciples et un certain autre dénommé Isaïe, que l'empereur Michel Paléologue avait beaucoup tourmenté à cause de son désaccord avec le faux patriarche Jean Beccos, il alla au Protaton pour faire examiner son enseignement. Le Protos les accueillit avec bienveillance et commença à réprimander le divin Grégoire de façon amicale et indirectes non pour son enseignement sur l'impassibilité et la prière spirituelle, car il n'était pas du nombre des clercs jaloux et rustauds, mais pour l'avoir dispensé sans sa permission. Mais, connaissant les extraordinaires labeurs de saint Grégoire et la véritable élévation de son divin enseignement, il laissa tout cela et fut sincèrement amical. Au cours de son entretien avec saint Grégoire et Isaïe, il dit : «Aujourd'hui, je converse avec les principaux apôtres, Pierre et Paul.»

Les pères qui s'opposaient à saint Grégoire, voyant l'aimable réception que lui avait réservée le Protaton de la Sainte Montagne et entendant les louanges du chef de leur famille monastique, furent persuadés de la vérité de son enseignement. Dès lors, tous, ermites ou non, reconnurent le divin Grégoire et l'eurent pour maître. Mais, comme l nombre de ceux qui venaient à lui pour leur profit spirituel s'accroissait si considérablement qu'il était privé de son silence bien-aimé, il décida d'user de ruse pour se débarrasser de ses visiteurs. Il commença ainsi à changer fréquemment de demeure. Il gagnait parfois les déserts les plus éloignés et difficiles d'accès. Mais cette brillante lumière ne pouvait nulle part rester inaperçue, la citadelle des vertus ne pouvait échapper à la vue de ceux qui la cherchaient. De toute part venaient à elle ceux qui souhaitaient recueillir de ses lèvres mellifiques son divin enseignement. Aussi, dans les endroits les plus déserts où il vivait, il construisait des abris pour ses visiteurs, manifestant son indulgence à leurs efforts et à leur zèle.

Les musulmans qui ravageaient alors la Grèce menaçaient aussi de détruire et d'asservir la Sainte Montagne. Pour cette raison, puisqu'il avait déjà fait l'expérience du joug de fer de ces barbares, et pour une autre encore, la crainte de perdre son précieux silence saint Grégoire décida de retourner au Sinaï et de vivre sur sa cime. Mais apprenant que là non plus, il ne trouverait pas le calme qu'il cherchait, puisque les Sarrasins impies se répandaient comme la lave sur tout l'Orient, il abandonna cette idée. Il visita alors beaucoup d'endroits, en cherchant un où il pourrait poursuivre sa vie contemplative. Après être resté quelque temps à Théssalonique, il partit pour Mytilène, d'où, via Constantinople, il atteignit Scythopolis. Dans les environs de cette ville, il découvrit un lieu désert approprié à sa vie et il s'y était déjà établi lorsqu'il fut en butte à la jalousie et aux persécutions des solitaires de l'endroit, allant même jusqu'à mettre sa vie en danger. Ne parvenant à vaincre cette jalousie perverse ni par sa magnanimité ni par sa douceur, il retourna à Constantinople par Scytopolis. Mais, comme les fils impies de la femme esclave (le Agaréens = musulmans) s'étaient alors calmés un peu et ne troublaient plus la Sainte Montagne, il revint de Constantinople à l'Athos. Avec un autre de ses disciples, j'étais son fidèle compagnon de voyage en ces périples. Durant son séjour dans le désert de Scythopolis, il composa les cent cinquante chapitres sur l'impassibilité, la praxis et la theoria.

Il rejoignit alors la Lavra où il fut accueilli avec une affection véritable et une grande joie. Son arrivée y fut saluée comme un triomphe spirituel. Avec la bénédiction des anciens de la Laure, le saint construisit quelques cellules en différents endroits près du monastère pour lui-même et ses disciples, il conversait là avec Dieu seul. Lorsque, par la permission de Dieu, les musulmans recommencèrent à troubler la Sainte Montagne, il ne lui fut plus possible de préserver le silence hors de la Laure et il s'établit dans ses murs. Mais la vie de la communauté n'était pas pour lui. Il avait soif de solitude et de theoria. Aussi, prenant un disciple avec lui, il laissa secrètement la laure et partit à Andrinople. De là, il s'achemina vers une montagne dénommée «Montagne de la solitude». Il y trouva un endroit approprié mais presque toute la montagne était infestée de voleurs. Poussés par le démon qui craignait que le saint ne transforme le désert en une demeure d'anges terrestres, ils lui causèrent beaucoup d'ennuis. Saint Grégoire ne désespéra pas. Il savait que pour un homme nu les voleurs des biens corruptibles ne sont pas à redouter. Il entendit parler du pieux roi Alexandre de Bulgarie. Par conséquent, mettant son espoir en Dieu qui assiste toujours les bonnes intentions de ses serviteurs, l'homme de Dieu dépêcha ses disciples au souverain, l'entretint à travers eux de lui-même et de ses besoins et implora pour l'amour de Dieu son aide et sa protection contre les brigands. La réputation de piété du roi ne fut pas surprise. Ce merveilleux prince, qui tenait la vertu et ses adeptes en grande estime, accueillit avec joie la supplique du saint et fit plus que l'homme de Dieu lui demandait. Car le royal amant de la piété édifia tout un monastère, le pourvoyant princièrement de tout le nécessaire. Il envoya au saint de l'argent en quantité suffisante pour la subsistance de la communauté, lui fit don de plusieurs villages et d'un lac poissonneux pour l'entretien futur des frères et ajouta à tout cela quantité de bétail, de moutons et de boeufs de labour. (Plus tard trois nouvelles laures surgirent sur la montagne). Le saint y acheva paisiblement le reste de son pèlerinage terrestre, continuant à pourvoir au bien de l'âme de chacun de tous. Il brûlait d'enrichir le monde entier de la science qui conduit au somme de l'activité et de la contemplation, et d'en allumer en tous le désir consumant. En un certain sens, on peut lui appliquer ces divines paroles . «Sa voix résonne par toute la terre, ses paroles jusqu'aux extrémités du monde.» (Ps 18,5). Car il répandit son divin enseignement non seulement parmi les Grecs et les Bulgares, mais aussi chez les Serbes et au delà, sinon personnellement, en tout cas par ses disciples. Presque tout scélérat cédait au pouvoir de sa parole. Il convertit même ces loups sauvages, voleurs et meurtriers féroces, en brebis douces et sages, en faisant d'eux dès cette terre les bergers des brebis folles, il les transforma en agneaux sans tache du troupeau de l'éternel Pasteur et Évêque de nos âmes.

Vint enfin, même pour lui, l'heure d'acquitter la dette commune de la mort. C'est ainsi que cet homme de Dieu, au terme d'une maladie courte et sans gravité, remit son âme bienheureuse dans les Mains du Seigneur, en 1346, et s'éleva aux cieux pour y jouir du Christ qu'il avait toujours désiré dans la vallée terrestre.

On vous a dit n'est-ce pas ? que mes violences écrites offensaient la charité. Je n'ai qu'un mot à répondre à votre théologien. C'est que la justice et la miséricorde sont identiques et consubstantielles dans leur absolu. Voilà ce que ne veulent entendre ni les sentimentaux ni les fanatiques. Une doctrine, qui propose l'amour de Dieu pour fin suprême, a surtout besoin d'être virile, sous peine de sanctionner toutes les illusions de l'amour propre ou de l'amour charnel. Il est trop facile d'émasculer les âmes en ne leur enseignant que les préceptes de chérir ses frères, au mépris de tous les autres préceptes qu'on leur cacherait. On obtient, de la sorte, une religion molasse et poisseuse, plus redoutable par ses effets que le nihilisme même.

Léon Bloy

SOUVENIRS DE LA SAINTE RUSSIE

Une infirmière, travaillant durant la guerre dans la même division que moi, étant grièvement blessée, fut contaminée par le choléra et se trouva au seuil de la mort. Lorsqu'elle entendit ces paroles du médecin, estimant qu'elle était déjà dans le coma : «Le pouls s'achève, elle meurt», elle eut brusquement l'idée de communier. Elle ressentit juste à ce moment, tout près de son lit, la présence d'un prêtre, ami de son père, renommé pour la sainteté de sa vie. L'infirmière réunit toutes ses forces pour prononcer le nom de ce prêtre... On envoya chercher le prêtre. Celui-ci ayant appris l'état désespéré de la malade, répondit qu'il venait juste de penser à la fille de son ami et qu'il ne tarderait pas à venir la communier. Au moment même où l'infirmière reçut le saint sacrement, elle ressentit le retour de la vie dans son corps déjà froid. Le médecin fut surpris de la soudaine accélération du pouls. Après son rétablissement, l'infirmière apprit qu'au moment où elle sentait la présence du prêtre dans la chambre, il était chez lui et se souvenait d'elle. Depuis ce terrible moment de sa vie, elle crut fortement à la puissance vivifiante du saint sacrement et à l'immortalité de l'âme humaine.

Pravoslavnaïa Rous (N° 2,1973)

On sait que les reliques de saint Métrophane de Voronej ont été insultées. Avant leur transfert au musée, la chasse qui les contenait fût placée au milieu de l'église sous la garde de soldats communistes. En pleine nuit, les portes du sanctuaire s'ouvrirent. Un vieillard tout en lumière apparut, accompagné d'un grand nombre de célébrants illuminés par la blancheur de leurs vêtements sacerdotaux. À l'exception d'un homme, saisi d'une sainte peur, qui se prosterna, tous les communistes se mirent à tirer en direction de cette miraculeuse apparition des saints de Dieu et, entrant en fureur, ils s'abattirent mutuellement. Le communiste qui n'avait pas tiré, acquit une forte foi et relata l'événement autour de lui. Le bruit de cette apparition miraculeuse se propagea en tous points de la Russie martyrisée. Telle est la version originale. Une femme ajouta à cette histoire une précision intéressante. Il lui arriva plusieurs fois de se rendre à l'hôpital où se trouvaient les communistes blessés qui avaient tirés sur les saints de Dieu et qui demeuraient encore en vie. Aucun d'eux ne put être sauvé, même parmi les blessés légers : la putréfaction gagnait leur corps, aucun traitement médical ne parvenant à guérir leurs blessures

Pravoslavnaïa Rous (N ° 3, 1973)


LE SAINT SUAIRE - VRAI OU FAUX

Dans le milieu orthodoxe on est loin d'être unanime sur l'authenticité du saint Suaire de Turin. Je voudrais, dans les lignes qui suivent, réfuter l'opinion qui veuille que :

primo : le Suaire ne peut être vrai car le Christ a été enseveli dans des bandelettes,

secundo : le Suaire est faux car la position des mains pliées sur le corps est contraire à la coutume juive, qui ensevelissait les mains allongées le long du corps.

 

 

LE SAINT SUAIRE

LA DESCENTE DE LA CROIX

Les évangiles et l'iconographie nous aideront à voir clair dans ce dilemme.

D'abord, Joseph prit le corps, l'enveloppa d'un linceul blanc. (Mt 27,59). Ce linceul (SINDONI en grec et sindon en latin) ne servait que pour le transfert du Corps du Sauveur jusqu'à la pierre d'onction. C'est là que le linceul fut enlevé, le Corps du Christ oint de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres, (Jn 19,39), et ensuite enveloppé de bandes. Ce sont ces bandes ou bandelettes que les disciples Pierre et Jean trouvèrent dans le tombeau après la résurrection. Il vit les bandes qui étaient à terre, et le linge ( SOUDARION) qu'on avait mis sur la tête de Jésus, non pas avec les bandes, mais plié dans un lieu à part. (Jn 19,4-7).

LA MISE AU TOMBEAU

Donc, il existe d'une part le linceul qui servit à porter le Corps du Christ jusqu'à la pierre d'onction et d'autre part les bandelettes et le linge que les apôtres trouvèrent dans le tombeau vide.

Si nous regardons l'icône de la mise au tombeau on voit très bien ce linceul sur lequel repose le Corps ou qui est déposé par terre. Sur une miniature de la descente de la Croix, on voit bien le linceul sur l'épaule de Joseph d'Arimathée. Et c'est ce linceul qui est vénéré donc comme saint Suaire et non les bandes ou linge du tombeau.

D'ailleurs, ce qui est évident, lors de la descente de la croix et avant l'embaumement, c'est que les disciples ont lavé le Corps et qu'il ne restait plus de sang ni de crachat lorsqu'ils ont mis les bandelettes. Donc, l'empreinte du Corps s'est faite avant le lavement et de la même manière que l'empreinte de la sainte Face sur le linge du roi Abgar, c'est-à-dire par la Puissance divine. (La Divinité n'avait nullement quitté le Corps du Sauveur, pas plus que la grâce ne quitte les reliques des saints.) Cela ne pouvait être une simple empreinte naturelle car autrement, en la mettant à plat elle se serait élargie et déformée. Ceux qui veulent que les empreintes soient dues à l'éclat de la résurrection, se trompent donc, car d'une part il ne s'agissait pas du saint Suaire et d'autre part qu'il ne restait plus de sang après le lavement du Corps.

LA PIERRE D'ONCTION
DANS L'ÉGLISE
DE LA RESURRECTION
À JÉRUSALEM

Lors du transport, depuis la croix à la pierre d'onction, les mains furent croisées sur le Corps et le linceul couvrait le Corps par devant et par derrière car il mesure 4,36 sur 1,10 m. Ce n'est qu'ensuite que les mains ont été posées le long du Corps lorsque les bandelettes on été mises conformément à la coutume juive.

Sur l'icône, bien sûr, le linceul est représenté symboliquement et non selon la taille réelle car, dans l'iconographie, les dimensions dépendent de l'importance de la chose représentée.

Selon moi, en voyant les choses ainsi tout devient clair et toute contradiction disparaît. Si pourtant quelqu'un a une objection, qu'il sache que je ne me crois pas infaillible et que je ne suis pas non plus de ceux qui ne tolèrent aucune remarque. Et encore une fois, cela est mon opinion personnelle et non l'enseignement de l'Église qui ne s'est pas prononcée sur le sujet.

hm. Cassien

LES FEMMES DEVANT LE TOMBEAU

La chose principale est d'avoir constamment un sentiment d'amour envers Dieu. C'est ce sentiment qui constitue notre règle. Les prières sont faites pour nourrir ce sentiment, et si elles ne le font pas, elles n'ont plus de raison d'être; sans ce sentiment qui nous donne la force de mener la vie spirituelle et garde à notre coeur sa chaleur, tout n'est qu'un labeur stérile.

saint Théphane le Reclus