Bulletin des vrais chrétiens orthodoxes

sous la juridiction de S.B. Mgr. André

archevêque d'Athènes et primat de toute la Grèce

NUMERO 83

OCTOBRE 1998

Hiéromoine Cassien

Foyer orthodoxe

66500 Clara (France)

Tel : 00 33 (0) 4 68 96 1372

 NOUVELLES

MON PÈLERINAGE EN TERRE SAINTE

QU'EST-CE QUE L'ORTHODOXIE ?

LA GRANDE-DUCHESSE ELISABETH FIODOROVNA

LE POUVOIR DE GUERIR


NOUVELLES

Le 16/29 Août ont été mariés à l'hermitage Fabien et Lucie Berne. Que Dieu les garde dans l'amour et la fidélité ! Voir la photo du mariage

Je suis allé pendant deux semaines en Terre Sainte. L'article suivante en parle plus en détail.

En Terre Sainte, au monastère de sainte Marie Madeleine, j'ai pu vénérer les reliques de la grande duchesse Elisabeth dont nous publions la vie plus bas.

Trois nouvelles cassettes vidéo viennent de sortir :

- La Terre Sainte,

- le Monastère de Saint Jean du Désert ,

- les monastères de Cantauque.

Il s'agit pour les deux dernières cassettes, des monastères melkites avec lesquels je suis en très bonne relation et c'est à leur demande que j'ai réalisé les deux cassettes. Le monastère de Saint Jean du Désert se trouve en Terre Sainte, (c'est pour cela que j'y suis allé) et les deux autres monastères près de Limoux.

Le monastère de saint Jean du Désert

où je fut logé lors de mon sejour en Terre Sainte

Voilà nos nouvelles. Dans l'amour du Christ,
hm. Cassien


MON PÈLERINAGE EN TERRE SAINTE

J'arrive en avion dans la nuit du 8 au 9 octobre à Tel Aviv. Il me faudra attendre un peu le père qui vient me chercher en voiture. Finalement il arrive et nous partons direction le monastère où je serai logé pendant mon séjour en Terre Sainte. Trois quarts d'heure de trajet à travers la nuit où je ne vois que quelques lumières. J'en profite pour parler au père José, lui posant des questions sur la Terre Sainte et le monastère. Vers 2 h du matin nous arrivons au monastère et il ne me reste qu'à m'allonger après une journée fatigante.

Tôt le matin je suis réveillé par le chant des moines. Ma cellule se trouve juste au dessus de l'église. Chant et encens montent donc à travers les fenêtres de la coupole. Je peux en profiter tout en restant dans ma cellule et en faisant mes dévotions personnelles.

Après un thé dans la cuisine, où je fais la rencontre de quelques pères, dont certains me sont déjà connus, je commence à explorer et à filmer le monastère de saint Jean du Désert.

Le monastère est construit à l'emplacement où vivait saint Jean le Précurseur dans sa jeunesse après avoir fuit le massacre d'Hérode. S'y trouve encore la grotte où il vivait de même que la source miraculeuse. Un peu plus haut se trouve le tombeau de sa mère, sainte Elisabeth.

L'après-midi, je descends par un sentier de chèvres dans la vallée afin de filmer le monastère depuis en bas. Je remonte un peu plus loin, là où c'est moins abrupt. La porte du monastère est déjà fermée et il ne me reste qu'à faire le tour par le haut afin d'entrer par derrière. C'est déjà 5 h - heure du dîner. Il n'y a pas de repas en commun. Chacun se sert soi-même et mange en silence. Je monte encore dans la bibliothèque afin d'emprunter un livre. La nuit tombe peu après et je me retire dans ma cellule où je finis la première journée en priant et lisant le livre emprunté : Pèlerinage aux Eglises d'Orient.

 

Jeudi le 26 septembre (9 octobre) Transfert de saint Jean le Théologien

 

La cloche me réveille à 4 h du matin. Je fais mes dévotions et vers 7 h, père Jacob, l'higoumène du monastère, m'annonce qu'un père m'accompagne vers 8 h en voiture à Jérusalem.

Comme prévu, je pars avec le père José direction Jérusalem, qui se trouve à une bonne demi-heure du monastère. Nous laissons la voiture à l'entrée de la vieille ville et continuons à pied.

JERUSALEM

Première étape : l'église de la Résurrection (le Saint-Sépulcre). Père José m'explique chaque endroit et me fait vénérer les lieux saints : le Golgotha, le tombeau du Christ, la pierre de l'onction et les différentes chapelles : orthodoxe, catholique, copte et arménienne.

Une fois sortis du Saint-Sépulcre, nous traversons les ruelles pittoresques, vers le Mur des Lamentations. Comme c'est une fête juive le même jour - la fête des Tentes - il y a beaucoup de juifs qui prient et se lamentent devant le mur, tout ce qui leur reste du Temple de Salomon.

Ensuite, nous quittons la vieille ville et descendons dans la vallée du Cedron. Sur la colline en face se trouve le Mont des Oliviers, là où Jésus pria avant son arrestation. Le bas de la colline est occupé par des tombeaux, entre autres le tombeau d'Absalom le fils de David.

Encore dans la vallée se trouve l'église grecque de la Dormition de la Vierge Marie où nous vénérons le tombeau vide de la Toute Sainte.

Sur le Mont des Oliviers nous visitons le monastère russe de sainte Marie Madeleine. Par chance nous pouvons entrer car c'est fermé aujourd'hui. À l'intérieur de l'église à coupoles dorées, se trouvent les reliques de la grand-duchesse Elisabeth que nous vénérons pieusement. (Sa Vie est publiée page 6).

Nous remontons péniblement en pleine chaleur vers la vieille ville. Il fait encore bien chaud et les marches sont nombreuses. Dans la montée on peut bien voir la mosquée d'Omar qui se trouve à l'emplacement du Temple de Salomon. Comme c'est vendredi, seuls les musulmans y ont accès et on les entend prier Allah.

 

Samedi le 27 septembre (10 octobre)

Je pars finalement de nouveau avec le père José à Jérusalem où il doit suivre un cours. Il me laisse à la Porte de Damas et pendant deux heures j'explore seul la Ville Sainte. Longeant d'abord la rue El-Wad j'arrive jusqu'au quartier juif. C'est sabbat et les juifs se hâtent vers les synagogues et le Mur des Lamentations. Je fais demi-tour et suis quelques moniales russes sur la Via Dolorosa. Finalement je me retrouve devant le Saint-Sépulcre. Aujourd'hui je prends un peu plus de temps pour vénérer et filmer. Je cause un peu avec un jeune moine grec, gardien du Saint Sépulcre, qui m'explique certaines choses et me laisse aussi entrer dans la partie grecque fermée à cette heure-ci. En sortant je vénère encore la colonne d'où a jailli la lumière sacrée en 1549. Cette année-là les Arméniens soudoyèrent le sultan Mourat pour chasser les orthodoxes et permettre aux Arméniens d'entrer dans le Saint-Sépulcre. Les orthodoxes restèrent devant la porte fermée. Le moment venu, la lumière sacrée fendit la colonne du milieu et la lumière sacrée en sortit.

À travers des petites rues pittoresques, je me dirige vers la Porte de Damas où j'attends le père José.

L'après-midi, je monte jusqu'au petit monastère où se trouve le tombeau d'Elisabeth, la mère de saint Jean le Précurseur.

 

Dimanche le 28 septembre (11 octobre) saint Chariton

La cloche me réveille comme d'habitude et peu après j'entends les moines chanter les matines à l'église. J'en profite pour filmer fleurs et bâtiments depuis une fenêtre de la coupole à travers laquelle chant et encens montent.

Après l'office, je prends un thé dans la cuisine et je donne un coup de main au cuisinier, tout en discutant avec lui sur la Terre Sainte, le monastère ici, etc. Le père Samuel m'annonce qu'il m'amènera l'après-midi à la Vallée d'Hébron. Dieu merci !

Nous partons finalement à cinq, quatre frères et moi, direction Hébron, aux Tombeaux des Patriarches. En arrivant nous voyons que tout est envahi par des militaires israéliens. Les arabes sont enfermés chez eux. Les arabes n'ont pas le droit de sortir ni de regarder par la fenêtre. Arrivés aux Tombeaux, nous pouvons, après beaucoup de palabres, entrer et vénérer, mais ni photo ni vidéo. À l'intérieur se trouvent les tombeaux d'Abraham, d'Isaac, de Jacob et de leurs femmes (Pour plus de détails lire dans la Genèse le chapitre 23 et les suivants.) À l'intérieur, quelques militaires et deux femmes juives qui font leur dévotion.

les tombeaux

des patriarches

Pas moyen d'aller à Mambré, où Dieu apparut à Abraham sous forme de trois anges, à cause de cet état de guerre.

Nous partons donc directement au monastère de saint Chariton, appelé aussi la Vieille Laure ou Souka. C'est justement sa fête aujourd'hui. Le monastère en ruine depuis le 8e siècle et fondé en 330, se trouve en plein désert et il faudra marcher et grimper à travers les rochers. Partout, des cellules et citernes en ruine. Plus loin la cellule de saint Chariton avec la seule source (Aïn Farah) qui coule toujours. Mais une hyène morte gît à côté et son odeur nauséabonde nous a vite chassés. Par-ci, par-là une plante en forme d'oignon dont les solitaires se nourrissaient autrefois ? J'en déterre une pour goûter; un goût légèrement amer et je n'insiste pas. Le soleil se couche déjà et il faudra rentrer car la nuit tombe vite par ici. À Bethléem nous nous arrêtons encore brièvement dans un monastère des moniales melkites pour rentrer fatigués et pleins de souvenirs au monastère de saint Jean.

 

Lundi le 29 septembre (12 octobre)

J'accompagne le père Elisée en voiture jusqu'à Jérusalem. Il me dépose à la porte de Jaffa pour me reprendre quatre heures plus tard. Je visite d'abord l'église de sainte Anne et les vestiges à côté de l'ancienne piscine de Bethesda. L'église est belle, datant du temps des Templiers, mais il n'y a rien à vénérer à l'intérieur. Tout prêt commence le jardin de la mosquée d'Omar qui se trouve à la place du Temple de Salomon. La première entrée m'est refusée par la police. J'essaye un peu plus loin sans plus de succès. Je me dirige donc vers le Mur des Lamentations puisque c'est encore fête chez les juifs. Une femme juive m'interdit de filmer et je me dispute un bon moment avec elle. Finalement je cède et me dirige vers le quartier chrétien. Je me perds et marche un peu dans tous les sens pour retourner à l'endroit où le père Elisée m'attend : la Porte de Damas. Là il y a, comme toujours, de l'animation et je contemple l'agitation pittoresque jusqu'à l'arrivée du père.

Ensemble nous allons encore jusqu'au monastère de la Croix qui est grec-orthodoxe. Selon la tradition, c'est ici que l'arbre qui a servi pour la Croix a poussé.

À Ain Karim nous nous arrêtons encore à l'église de la Visitation mais c'est déjà fermé. Ce sera pour une autre fois, plaise à Dieu. Même à pied, je peux y aller depuis le monastère car il n'y a que trois kilomètres.

 

Mardi le 30 septembre (13 octobre)

Je profite aujourd'hui du retour d'un moine éthiopien, qui est venu tôt au monastère faire ses dévotions, pour l'accompagner à Jérusalem. Ce n'est pas en voiture mais avec le bus qui part à deux kilomètres d'ici. Il fait déjà une chaleur accablante qui triple au moins la distance. Ce moine m'amène jusqu'au Saint-Sépulcre où il habite. Il me fait voir leur deux chapelles qu'ils ont et les cellules qui se trouvent sur le toit du Saint-Sépulcre. Je vénère encore la chapelle de sainte Hélène, là où fut découverte la sainte Croix. Elle appartient aux Arméniens et se trouve au sous-sol.

Ensuite je quitte la vieille ville et monte à pied aux Mont des Oliviers. Là, je vénère la chapelle de l'Ascension du Christ; ni croix, ni icône car elle est aux mains des musulmans.

Tout prêt se trouve un monastère russe où je connais une soeur, lorsqu'elle était encore une jeune fille. J'arrive juste au moment du repas. Un repas très frugal avec les moniales et quelques pèlerins, et ensuite soeur Hélène me montre les deux chapelles. La petite chapelle est dédiée à la seconde Invention du chef de saint Jean le Précurseur car c'est là qu'on a découvert sa tête vénérable. À l'extérieur de la grande église se trouve l'endroit où la Toute Sainte se tenait lors de l'Ascension du Sauveur.

Je redescends du Mont des Oliviers, vénère encore une fois le tombeau de la Vierge et traverse la vieille ville pour prendre de l'autre côté le bus qui me ramène au monastère.

 

Mercredi le 1er (14) octobre

Aujourd'hui j'accompagne en voiture le frère Thomas à Bethléem où il faudra faire les courses de la semaine pour le monastère.

Il m'amène d'abord à la basilique de la Nativité, là où le Sauveur est né. Dans la crypte, à l'emplacement même de la Nativité, se déroulent le matin les offices selon les différents rites.

La grotte de la Nativité

où le Sauveur est né

Les grecs viennent juste de terminer pour faire place aux franciscains. Quelques mètres à côté se trouvent des grottes avec des tombeaux antiques. Saint Jérôme, sainte Mélanie et d'autres ascètes y ont vécu autrefois.

Ensuite nous quittons la basilique par la porte de l'humilité (1,2 m hauteur) pour faire nos courses sur les marchés de Bethléem. Nous arrivons juste pour le repas de midi.

 

Jeudi le 2 (15) octobre

D'abord en voiture, avec les pères du monastère, et ensuite le reste du trajet en bus, je me rends aujourd'hui à Jérusalem. Je commence à visiter et vénérer la maison de Joachim et d'Anne, là où la sainte Vierge Marie est née.

Ensuite je marche jusqu'au Mur des Lamentations. Les juifs ont une fête aujourd'hui est c'est bien animé. Juste à côté se trouve l'entrée de la mosquée d'Omar et je me mets dans la file des touristes qui attendent. Sur l'esplanade de l'ancien Temple l'entrée est gratuite et je peux filmer à loisir les deux mosquées : le Dôme de la Roche (Omar) et El-Aqsa. Dans le Dôme de la Roche se trouve précisément le rocher où Abraham s'apprêta à immoler son fils Isaac. Je ne me rends pas dans les mosquées car c'est payant et bien cher. En plus, interdit de filmer à l'intérieur. Je remets donc mes chaussures, que j'avais déjà ôtées, et me contente de regarder et de filmer l'esplanade.

Ensuite, je traverse la ville par le quartier arménien pour visiter des sanctuaires au Mont Sion. Je vénère d'abord l'église de la Dormition où la Toute Sainte s'est endormie. Tout prêt, c'est le Cénacle où la dernière Cène a eu lieu, où le Ressuscité est apparu la première fois à ses disciples et qu'a eu lieu la sainte Pentecôte. Cette maison appartenait à Marie, la mère de Marc l'évangéliste. À quelques pas plus loin le tombeau du roi David.

Après avoir mangé quelque chose chez les arabes, je me rends au monastère.

 

Vendredi le 3 (16) octobre

À pied je me rends aujourd'hui jusqu'à Ain Karim. J'arrive d'abord au monastère russe où il y a quarante moniales. Je les vois en train de cueillir des olives dont c'est la saison. Les bâtiments sont un peu dispersés sur la pente de la colline et je vais dans tous les sens avant de trouver le bon chemin. Finalement j'arrive à l'église du monastère. Une soeur m'ouvre et je vénère icônes et reliques.

L'église de la Visitation touche le monastère russe mais ne communique pas avec lui. Je descends donc la rue qui m'amène à la source de la Vierge. De là, je remonte par un autre sentier jusqu'à l'église de la Visitation. C'est là que Marie et Elisabeth se sont rencontrées et où la Vierge Marie a prononcé le Magnificat qu'on peut voir en 51 langues gravés sur le mur. Dans la crypte se trouve la fontaine qui a commencé à jaillir miraculeusement au moment de la Visitation.

Sur l'autre versant du village se trouve l'église de saint Jean Baptiste. C'est le lieu où se trouvait la maison de Zacharie et d'Elisabeth et saint Jean y est né.

Ayant visité tous ces lieux sacrés je reprends le chemin vers le monastère et j'arrive juste pour le repas de midi.

 

Samedi le 4 (17) octobre

Profitant de nouveau du déplacement du père José, qui va à ses cours à Jérusalem, je visite une fois de plus la Ville sainte. Je me rends d'abord à l'église de la Résurrection. (Saint-Sépulcre). Il y a déjà plein de monde et je ne vais qu'aux lieux sacrés où c'est plus calme.

Ensuite je flâne dans les rues pour faire quelques achats et j'attends le père à la Porte de Damas qui est toujours intéressante à voir.

 

Dimanche le 5 (18) octobre

Avec le bus, je pars aujourd'hui en Galilée. Première étape : Tibériade. Je sors un peu de la ville afin de trouver une plage calme d'où je peux contempler le lac de Tibériade dont il est fait maintes allusions dans l'évangile. De là, je continue en bus jusqu'à Nazareth. L'église de l'Annonciation se trouve en pleine ville. Elle est récente et ses valeurs esthétiques se discutent. C'est plutôt la grotte en dessous qui m'attire, où se trouvent les vestiges de la maison où l'Annonciation a eu lieu. Comme c'est dimanche, presque tout est fermé (Le village est en grande partie chrétien). Je passe la nuit chez les soeurs de Nazareth.

 

Lundi le 6 (19) octobre

Tôt le matin, je fais le tour en ville afin de changer de l'argent pour payer le gîte. Ensuite, avec un taxi collectif, je retourne à Tibériade. De Tibériade un bus m'amène au Mont des Béatitudes. Le site est très beau et domine le lac de Tibériade. Une église récente du rite latin s'y trouve. Je passe un bon moment à goûter du calme de la nature. Finalement je repars vers Jérusalem, via Tibériade, car le soir je voudrais être de retour au monastère.

 

Mardi le 7 (20) octobre

En voiture, nous partons à quatre visiter des lieux saints. D'abord nous nous arrêtons à Bethléem, où j'étais déjà il y a quelques jours. J'en profite pour mieux filmer l'église de la Nativité.

Dès là nous continuons vers Mar Saba - le monastère de saint Sabas le Sanctifié. Le monastère est en plein désert mais une route y conduit aujourd'hui. Une dizaine des moines à peine y vivent, qui sont assez stricts pour ne pas dire fanatiques, du point de vue de la foi. Pas question non plus de filmer à l'intérieur du monastère.

Ensuite, c'est le monastère de saint Théodose le Cénobiarque où nous faisons halte. D'ailleurs, il est sur la route de Mar Sabas. Le monastère est bien barricadé à cause de la population musulmane qui cause des ennuis. Ce qui est intéressant dans ce monastère c'est la crypte des reliques. D'abord beaucoup de reliques de moines martyrisés par les Perses au 7e siècle (comme dans les autres monastères anciens), ensuite le tombeau de saint Jean Moschos, de sainte Eulogie la mère de saint Théodose, de sainte Sophie, mère de saint Sabas, de saints Xénophie et Marie, de la mère de saint Akadios et de la mère de saint Pantéléimon.

Plus loin, actuellement, hélas, dans une zone industrielle, se trouvent les ruines du monastère de saint Euthyme le Grand. Je prends en bénédiction quelques pierres du tombeau du saint.

Dès là nous continuons vers la plaine de Jéricho que j'avais déjà traversée hier en venant de Nazareth. Nous visitons le monastère de saint Gérasime du Jourdain. C'est aujourd'hui plutôt un lieu touristique du fait qu'il se trouve au bord de la route.

À Jéricho, nous mangeons dans un petit restaurant avant de monter au monastère de la Quarantaine là où Jésus jeûna et pria 40 jours et fut tenté par le diable. La montée est raide et la chaleur n'arrange pas les choses surtout que nous montons ensuite jusqu'à la cime où se trouvent les ruines d'un monastère byzantin.

Au monastère de la Tentation, nous sommes très bien reçu par un moine grec. Nous vénérons le rocher où le Christ pria et admirons la vaste pleine : au premier plan Jéricho fertile, au loin la Mer Morte et à l'horizon la Jordanie.

La prochaine et dernière étape c'est le monastère de saint Georges le Chozévite qui se trouve sur l'ancienne route de Jérusalem à Jéricho. On peut encore bien voir cette ancienne route, qui est plutôt un sentier, dont fait mention la parabole du bon Samaritain et que le Christ emprunta avec ses disciples. Le monastère se situe à l'emplacement de la grotte où le prophète Elie jeûna et pria 40 jours et où il fut nourri par un corbeau.

Le jour décline et nous retournons au monastère de Saint Jean. En passant à Jérusalem je peux encore admirer et filmer un très beau coucher de soleil sur la ville.

 

Mercredi le 8 (21) octobre

Mon dernier jour en Terre Sainte. Je commence à filmer un groupe éthiopien avec leur prêtre qui viennent en pèlerinage au monastère. Il ne me reste plus qu'à faire mes valises et à nettoyer un peu la cellule. Après avoir remercié et salué les pères, je pars après le dîner du soir avec deux pères jusqu'à Jérusalem. De là, je continue jusqu'à Tel Aviv en bus pour prendre tard la nuit mon avion qui me ramène en France.

Voilà en bref mon pèlerinage en Terre Sainte. Je pourrais le développer bien plus mais ceux qui s'y intéressent n'ont qu'à regarder la cassette vidéo que je viens de réaliser.

hm. Cassien


QU'EST-CE QUE L'ORTHODOXIE ?

par l'archevêque Averky

 

La vraie orthodoxie

Le premier dimanche du Grand Carême, notre Eglise célèbre le Triomphe de l'Orthodoxie, la victoire de la vraie doctrine chrétienne sur toutes ses corruptions et déviations - hérésies et fausses croyances. Le deuxième dimanche du Grand Carême c'est comme une répétition et un approfondissement de ce triomphe de l'orthodoxie en rapport avec la célébration de la mémoire d'un des plus grands piliers de l'orthodoxie, le hiérarque Grégoire Palamas, archevêque de Thessalonique, qui, par son éloquence porteuse de grâce et l'exemple de sa vie personnelle hautement ascétique, a confondu les enseignants de l'erreur qui osèrent rejeter l'essence même de l'Orthodoxie, c'est-à-dire l'action de la prière et du jeûne, qui illumine l'esprit humain de la lumière de la grâce et le fait communier à la Gloire divine.

 

Hélas ! Combien rares sont les personnes à notre époque, même parmi les gens instruits, et parfois même parmi les "théologiens" contemporains et ceux des rangs du clergé qui comprennent correctement ce qu'est l'orthodoxie et où réside son essence. Ils approchent cette question d'une manière extrêmement formelle, tout extérieure et la règlent de façon primitive, même naïve, passant complètement à côté de sa profondeur et ne voyant pas du tout la richesse, la plénitude de son contenu spirituel.

 

En dépit de l'opinion superficielle de la majorité, l'orthodoxie n'est pas simplement une des nombreuses "confessions chrétiennes" qui existent de nos jours, ou, comme on l'exprime ici en Amérique, une des "dénominations" chrétiennes. L'orthodoxie est l'enseignement authentique, véritable, incorrompu, inaltéré par des sophismes ou inventions humains, du Christ, dans toute sa pureté et intégrité, - l'enseignement de la foi ainsi que de la piété qui est la vie même selon cette foi.

 

L'orthodoxie n'est pas seulement la somme totale des dogmes acceptés comme vrais d'une manière purement formelle. Elle n'est pas qu'une théorie, mais bien une pratique; elle n'est pas seulement la vraie foi, mais une vie qui s'accorde en tout avec cette foi. Le vrai chrétien orthodoxe n'est pas seulement quelqu'un qui pense de façon orthodoxe, mais dont les sentiments sont également conformes à l'orthodoxie et qui vit l'orthodoxie, qui s'efforce d'incarner dans sa vie l'authentique doctrine orthodoxe du Christ.

 

"Les paroles que Je vous dis sont esprit et vie" - dit le Seigneur Jésus Christ à ses disciples au sujet de sa Doctrine divine (Jn 6,63). Par conséquent, la doctrine du Christ n'est pas seulement une simple théorie abstraite, coupée de la vie, mais esprit et vie. Voilà pourquoi seul celui qui pense de façon orthodoxe, sent de façon orthodoxe et vit de façon orthodoxe peut être considéré comme réellement orthodoxe.

 

En même temps, on doit se rendre compte et se souvenir que l'orthodoxie n'est pas seulement et n'est pas toujours ce qui est officiellement appelé orthodoxe, car à notre époque si remplie, hélas, de fausseté et d'artifices, l'apparition partout d'une pseudo-orthodoxie se montrant au grand jour et s'établissant dans le monde est un fait malheureusement extrêmement grave mais déjà incontestable. Cette fausse orthodoxie s'efforce farouchement de se substituer à la vraie, comme en son temps l'Antichrist s'efforcera de supplanter et de remplacer le Christ.

 

L'Orthodoxie n'est pas simplement un organisme quelconque purement terrestre chapeauté par des patriarches, évêques et prêtres tenant un ministère dans l'Eglise appelée officiellement "orthodoxe". L'Orthodoxie est le Corps mystique du Christ, dont le Chef est le Christ Lui-même (v. Ep 1,22-23 et Col. 1,18,24 et ss.), et sa constitution comprend non seulement des prêtres mais tous ceux qui croient véritablement en Christ, qui sont entrés légalement par le saint baptême dans l'Eglise fondée par Lui, aussi bien ceux qui vivent sur terre que ceux qui sont morts dans la foi et la piété.

 

L'Eglise orthodoxe n'est pas une sorte de "monopole" ou "affaire" du clergé comme le pensent les ignorants et ceux qui sont étrangers à l'esprit de l'Eglise. Elle n'est pas le patrimoine de tel ou tel hiérarque ou prêtre. Elle est l'union étroite et spirituelle de ceux qui croient véritablement en Christ, qui s'efforcent d'une manière sainte de garder ses commandements, dans le seul but d'hériter de cette béatitude éternelle que le Sauveur Christ a préparée pour nous, et s'ils pèchent par faiblesse, ils se repentent sincèrement et s'efforcent de "produire des fruits dignes de la repentance" (Lc 3,8).

 

L'Eglise, il est vrai, ne saurait être complètement retranchée du monde, puisque les personnes qui y entrent vivent encore sur terre; l'élément "terrestre" est donc inévitable dans sa composition et son organisation extérieures; cependant moins il y a de cet "élément" terrestre, mieux elle saura réaliser ses buts éternels. Dans tous les cas, cet "élément" terrestre ne doit pas éclipser ou supprimer "l'élément" purement spirituel - la cause du rétablissement de l'âme pour la vie éternelle - cause en vue de laquelle l'Eglise fut fondée et à laquelle elle doit son existence.

 

Le premier critère de base qui pourra nous servir de guide pour distinguer la Vraie Eglise du Christ des fausses Eglises (qui sont si nombreuses de nos jours !), est le fait qu'elle a préservé la Vérité intacte, inaltérée par des sophismes humains, car conformément à la Parole de Dieu, "l'Eglise est le pilier et le fondement de la Vérité" (1 Tm 3,15), et donc il ne peut pas y avoir d'erreur en elle. Celle qui officiellement proclame ou confirme en son nom une erreur quelconque n'est plus déjà l'Eglise. Ce ne sont pas seulement les ministres de haut rang de l'Eglise, mais tous les laïcs croyants qui doivent bannir toute erreur, se souvenant de l'admonition de l'Apôtre : "C'est pourquoi, renoncez au mensonge, et que chacun de vous parle selon la vérité à son prochain" (Ep 4,25), ou "Ne mentez pas les uns aux autres" (Col 3,9). Les chrétiens doivent toujours se souvenir que selon les paroles du Sauveur Christ, le mensonge vient du diable qui "est un menteur, et le père du mensonge" (Jn 8,44). Ainsi donc, là où il y a erreur, il ne peut s'agir de la vraie Eglise orthodoxe du Christ ! Au lieu d'elle, il y a une fausse Eglise que le saint visionnaire dépeint de façon claire et vivante dans son Apocalypse comme une "grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux et avec qui les rois de la terre se sont livrés à l'impudicité" (Rév 17,1-2).

 

Même dans l'Ancien Testament nous voyons que l'infidélité au Dieu véritable fut souvent représentée par les prophètes de Dieu par l'image de l'adultère (v. par ex. Ez 16,8-58, ou 23,2-49). Et il est terrifiant pour nous, non seulement de parler, mais même de penser que, à notre époque dépravée, nous pouvons remarquer de nombreuses tentatives de changer la vraie Eglise du Christ en une maison de prostitution, - et cela non seulement au sens figuré susdit, mais aussi au sens propre, littéral, de ce mot, quand il est si facile de se justifier, alors que ni la fornication ni toute espèce d'impureté ne sont considérés comme étant des péchés ! Nous voyons un exemple de cela chez les soi-disant "ecclésiastiques vivants" et "rénovationnistes" dans notre malheureux pays après la Révolution, et aujourd'hui chez les "modernistes" contemporains qui s'efforcent d'alléger le joug léger du Christ (Mt 11,30) pour eux-mêmes et trahissent toute la structure ascétique de notre sainte Eglise, en légalisant toutes transgressions et impuretés morales. Parler d'orthodoxie dans ce cas n'est propre, bien sûr, en aucun cas, en dépit du fait que les dogmes de la foi demeurent intacts et inaltérés !

 

La vraie orthodoxie, d'autre part, est étrangère à tout formalisme stérile. En elle il n'y a pas d'adhésion aveugle à la "lettre de la loi", car elle est "esprit et vie". Là où, d'un point de vue extérieur et purement formel, tout semble parfaitement correct et strictement légal, cela ne veut pas dire qu'il en soit ainsi en réalité. Dans l'orthodoxie, il ne peut pas y avoir de place pour la casuistique des jésuites; le dicton préféré des juristes du monde ne peut être appliqué : "On ne peut piétiner la loi - on doit la contourner."

 

L'orthodoxie est la seule et unique Vérité, la pure Vérité, sans mélange et sans la moindre ombre d'une erreur, d'un mensonge, d'une malice ou d'une fraude.

 

La chose la plus essentielle dans l'orthodoxie est la pratique de la prière et du jeûne que l'Eglise prêche tout particulièrement durant la deuxième semaine du Grand Carême comme une "merveilleuse épée" à deux tranchants avec laquelle nous frappons les ennemis de notre salut - les ténébreuses puissances démoniaques. C'est grâce à cette ascèse que notre âme est illuminée par la divine Lumière porteuse de grâce, comme l'enseigne saint Grégoire Palamas, qui est honoré triomphalement par la sainte Eglise le deuxième dimanche du Grand Carême. Glorifiant sa mémoire sacrée, l'Eglise appelle ce merveilleux hiérarque "le prédicateur de la grâce ", "le phare de la Lumière," "le prédicateur de la Lumière divine", "le pilier inébranlable de l'Eglise".

 

Le Sauveur Christ Lui-même soulignait l'importance de la pratique de la prière et du jeûne lorsque ses disciples s'avérèrent incapables de chasser les démons d'un malheureux garçon qui était possédé. Il leur dit clairement : "Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne." (Mt 17,21). Interprétant ce passage de l'évangile, notre grand ascète et théologien patristique, le hiérarque Théophane le Reclus s'interroge : "Sommes-nous autorisés à penser que là où la prière et le jeûne font défaut, il y a déjà un démon ?" Et il répond : "Oui, nous le sommes. Les démons, lorsqu'ils entrent en une personne ne révèlent pas toujours leur présence, mais se cachent et agissent en secret en inculquant à leur hôte le mal et en les incitant à négliger le bien. La personne en question peut être convaincue qu'elle fait tout d'elle-même, tandis qu'elle ne fait qu'accomplir simplement la volonté de son ennemi. Qu'elle vaque seulement à la prière et au jeûne et l'ennemi va partir immédiatement et attendra ailleurs une nouvelle occasion de revenir; et il reviendra sans faute dès que la prière et le jeûne seront abandonnés. (Pensées pour chaque jour de l'année, pp. 245-246).

 

De cela, une conclusion immédiate peut être atteinte : là où la prière et le jeûne sont indifférents, négligés ou complètement mis de côté, il n'y a pas, il n'y a plus trace d'orthodoxie - mais bien le domaine des démons qui traitent l'homme comme un pitoyable jouet.

 

Voici donc où mène tout "modernisme" contemporain exigeant une "réforme" dans notre Eglise orthodoxe ! Tous ces libres-penseurs libéraux et leurs suppôts, qui s'efforcent de sous-estimer l'importance de la prière et du jeûne, quelle que soit la force avec laquelle ils crient et proclament leur soi-disant fidélité à l'enseignement dogmatique de notre Eglise orthodoxe, ne sauraient être considérés comme réellement orthodoxes, s'étant révélés être des apostats de l'orthodoxie.

 

Nous nous souviendrons toujours que par elle-même, une Orthodoxie totalement formelle n'a pas de but si elle n'a pas "esprit et vie" - et l'esprit et la vie de l'Orthodoxie consistent en premier lieu en l'ascèse de la prière et du jeûne; de plus, le jeûne authentique qu'enseigne l'Eglise est entendu au sens d'abstinence de tout genre, et non uniquement le refus de goûter des aliments non-carêmiques.

 

Sans ascèse, il n'y a pas de vrai christianisme du tout, c'est-à-dire, orthodoxie. Voyez ce que le Christ, le premier Ascète, dit clairement Lui-même : "Quiconque veut venir après Moi, qu'il se renonce à lui-même, et qu'il prenne sa croix, et Me suive" (Mc 8,34). Le vrai chrétien, le chrétien orthodoxe, est seulement celui qui s'efforce d'être émule du Christ en portant sa croix et qui est prêt à se crucifier au Nom du Christ. Les saints apôtres enseignaient cela clairement. Ainsi le saint apôtre Pierre écrit : "Si, en faisant le bien, vous souffrez, et que vous l'enduriez, cela est digne de louange devant Dieu, car c'est à cela que vous avez été appelés; car aussi Christ a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces" (1 Pi 2,20-21). C'est exactement de la même façon que le saint apôtre Paul dit de façon réitérée dans ses épîtres que tout vrai chrétien doit être ascète, et que le travail ascétique du chrétien consiste à se crucifier pour le Christ : "Ceux qui sont chrétiens ont crucifié la chair ensemble avec les passions et les convoitises" (Ga 5,24). Une expression chère à saint Paul est que nous devons être crucifiés avec le Christ pour que nous puissions ressusciter avec Lui. Il avance cette pensée en bon nombre de ses propos dans beaucoup de ses épîtres.

 

Vous voyez donc que quelqu'un qui n'aime que passer son temps à s'amuser et ne pense pas à se renier ni à se sacrifier, mais se vautre continuellement dans tous les plaisirs et délices charnels possibles est complètement anti-orthodoxe, anti-chrétien. À ce propos, le grand ascète de l'antiquité chrétienne, le vénérable Isaac le Syrien, enseignait bien : "La voie de Dieu est une croix de tous les jours. Personne ne monte au ciel en vivant dans la fraîcheur (c'est-à-dire confortablement, sans souci, dans le plaisir, sans lutte). De cette voie de la fraîcheur, nous savons où elle mène" (Oeuvres spirituelles, p. 158). C'est cette voie "large et spacieuse" qui, selon les mots du Seigneur Lui-même, "mène à la perdition" (Mt 7,13).

 

Voilà ce qu'est l'orthodoxie, ou le vrai christianisme !

LA GRANDE-DUCHESSE ELISABETH FIODOROVNA

par le métropolite Anastase

Ce n'est pas le lot de toutes les générations que de rencontrer sur leur chemin un don aussi béni du ciel qu'était la grande-duchesse Elisabeth Fiodorovna pour son époque, car elle réunissait en elle d'une façon peu commune un esprit chrétien fervent, une noblesse morale, un intellect illuminé, un coeur tendre et un goût raffiné. Elle possédait une constitution spirituelle extrêmement délicate et à multiples facettes, et son aspect extérieur reflétait la beauté et grandeur de son esprit. Sur son front on voyait le sceau d'une haute dignité innée, qui la distinguait de son entourage. Par modestie, elle s'efforça souvent, quoique en vain, de se dérober au regard des gens, mais il était impossible de la confondre avec une autre. Où qu'elle apparût, on demandait toujours : "Qui est celle-ci qui apparaît comme l'aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil" (Cant 6,10) ? Où qu'elle allât, elle répandait la fragrance pure du lys. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle aimait la couleur blanche - c'était un reflet de son coeur. Toutes ses qualités spirituelles étaient strictement équilibrées, ne donnant jamais une impression d'unilatéralité. La féminité était alliée chez elle à un caractère courageux; sa bonté ne l'avait jamais conduite à la faiblesse ni à une confiance aveugle et inconditionnelle dans les gens. Même dans ses inspirations les plus fines et plus cordiales, elle manifesta ce don de discernement qui fut toujours en si haute estime chez les ascètes chrétiens. Ces caractéristiques étaient peut-être en partie dues à son éducation, qu'elle reçut sous la conduite de sa grand-mère maternelle, Victoria, reine d'Angleterre et impératrice d'Inde. Tous ses goûts et habitudes portaient l'indéniable sceau anglais et l'anglais lui était plus proche que son allemand natif.

 

La grande-duchesse reconnaissait elle-même que ce qui exerçait une grande influence sur la formation du côté intérieur, purement spirituel, de son caractère était l'exemple d'une ancêtre paternelle, Elisabeth de Thuringe, reine de Hongrie, qui, à travers sa fille, Sophie, fut une des fondatrices de la Maison de Hesse. Contemporaine des croisades, cette femme remarquable refléta l'esprit de son époque. Elle allia en elle la piété profonde et l'amour prêt à se sacrifier pour son prochain, mais son époux considérait sa grande charité comme de la dissipation et à cause de cela, il la persécuta quelquefois. Son veuvage prématuré la contraignit à mener une vie d'errance et de nécessité. Plus tard, elle fut de nouveau en mesure d'aider les pauvres et les souffrants et se consacra entièrement aux oeuvres de charité. L'âme impressionnable de la grande-duchesse fut captivée dès l'enfance par la bienheureuse mémoire de son ancêtre vénérée, qui exerça sur elle une influence profonde.

 

Ses riches dons naturels furent affinés par une éducation vaste et étendue qui ne se contentèrent pas seulement de satisfaire ses besoins intellectuels et esthétiques, mais l'enrichirent aussi de connaissances purement pratiques, essentielles pour toute femme ayant des devoirs domestiques. "Ensemble avec sa Majesté (c'est-à-dire l'impératrice Alexandra Fiodorovna, sa soeur cadette) nous avons été instruites de tout pendant notre enfance," répondit-elle une fois à la question de savoir comment elle avait fait pour se familiariser avec tous les détails des tâches ménagères.

 

Choisie comme future épouse du grand-duc Serguéï Alexandrovitch, la grande duchesse arriva en Russie pendant la période où le pays, sous la souveraineté ferme d'Alexandre III, atteignait l'apogée de sa puissance dans un esprit purement national. Avec sa sensibilité morale et sa soif de savoir innée, la jeune grande-duchesse commença à étudier avec ardeur les caractéristiques nationales du peuple russe et particulièrement leur foi, qui marque si profondément aussi bien leur caractère national que toute leur culture. Bientôt l'orthodoxie la gagna par sa beauté et sa richesse intérieure, richesse qu'elle se plaisait à mettre en contraste avec la pauvreté spirituelle du protestantisme. ("Et ils sont si satisfaits d'eux-mêmes dans tous les domaines !" disait-elle au sujet des protestants.)

 

De ses expériences dans le monde catholique romain, la grande-duchesse se remémorait parfois un voyage qu'elle fit à Rome ensemble avec feu le grand-duc, peu de temps après le jubilé du pape Léon XIII. Ce dernier connaissait bien la fermeté inébranlable des convictions orthodoxes de Serguéï Alexandrovitch et le tenait en sa haute estime, l'ayant rencontré pour la première fois quand le grand-duc, encore enfant, visitait Rome. Cette vieille connaissance leur permettait de discuter ensemble avec une certaine familiarité. Il y eut même entre eux une controverse relative au nombre de papes nommés Serge. Aucun de ces deux disputeurs exaltés ne voulut céder à l'autre et le pape dût se retirer dans sa bibliothèque pour s'assurer qui avait raison. Il revint légèrement vexé.

 

"Pardonnez-moi", dit Léon XIII en souriant, "bien que l'on dise que le pape est infaillible, cette fois-ci, il est tombé dans l'erreur."

 

La grande-duchesse décida, de sa propre volonté, de s'unir à l'Eglise orthodoxe. Quand elle l'annonça à son époux, selon le récit d'un de ses domestiques, des larmes de joie jaillirent involontairement des yeux de ce dernier. L'empereur Alexandre III lui-même fut profondément touché par cette décision. Son époux lui fit la bénédiction, après la sainte chrismation, d'une icône précieuse du Sauveur, la "non-faite de main d'homme" (une copie de l'icône miraculeuse dans la chapelle du Sauveur), qu'elle garda précieusement tout le restant de sa vie. S'étant ainsi unie à la foi et, par là, à tout ce qui constitue l'âme d'un Russe, la grande-duchesse pouvait dire maintenant à juste titre à son époux, avec les mots de Ruth la Moabite : "Ton peuple est devenu mon peuple, et ton Dieu mon Dieu" (Ruth 1,16).

 

La fonction du grand-duc comme gouverneur général de Moscou, le vrai coeur de la Russie, où lui et sa femme étaient en contact vivant avec les anciens lieux saints et l'immémorial mode de vie national russe, durent attacher la grande-duchesse encore plus à son nouveau pays.

 

Même pendant ces années, elle consacra beaucoup de temps à des activités philanthropiques, bien que ce fût considéré comme une des principales obligations de sa haute position et ne suscita pas donc pour elle beaucoup de mérite public. Comme partie de ses obligations sociales, la grande-duchesse était contrainte de participer à la vie sociale qui commençait déjà à l'étouffer à cause de sa frivolité. La mort terrible du grand duc Serguéï Alexandrovitch, déchiqueté par une bombe dans le saint Kremlin même (près du palais Nicolas où le grand-duc avait déménagé après avoir quitté son poste de gouverneur général), opéra un changement moral décisif dans l'âme de son épouse qui abandonna une fois pour toutes son genre de vie précédent. La grandeur d'âme avec laquelle elle endura son épreuve suscita pour elle l'admiration méritée de la part de tous. Elle trouva même en elle assez de force morale pour rendre visite à Kaliev, l'assassin de son mari, dans l'espoir d'amollir et guérir son coeur par la douceur et son pardon complet. Elle exprima aussi ces sentiments chrétiens par la personne du grand-duc assassiné, en faisant inscrire les paroles touchantes suivantes de l'évangile sur la croix mémoriale, érigée selon les plans of Vasniétsov, sur le lieu de sa mort : "Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils fontÉ"

 

Cependant, tout le monde n'était pas capable de comprendre le changement qui s'était produit en elle. On doit avoir traversé une épreuve aussi bouleversante que celle-ci, pour être convaincu de la fragilité et de la nature illusoire de la fortune, de la gloire et des choses de ce monde, au sujet desquelles, depuis tant de siècles, nous avons pourtant été prévenus par l'évangile. Pour la société de cette époque, la décision de la grande-duchesse d'abandonner sa cour pour quitter le monde et se consacrer au service de Dieu et du prochain, semblait scandale et folie. Méprisant les larmes des amis, les racontars et moqueries du monde, elle s'engagea courageusement dans sa nouvelle voie. S'étant choisi auparavant la voie de la perfection, c'est-à-dire celle de la lutte ascétique, elle commença, avec des pas sagement mesurés, l'ascension de l'échelle des vertus chrétiennes.

 

Le conseil de sages maîtres guidant ceux qui s'attaquent à la voie de l'ascèse chrétienne ne lui était pas étranger, elle savait apprendre d'autres le mode de vie "pour ne pas s'enseigner à soi-même, ne pas aller sans guide le long d'un chemin où l'on n'a jamais voyagé et où l'on ferait vite de se perdre; ne pas naviguer à peu près correctement, ni devenir épuisé d'une course trop rapide, ni s'endormir lors du repos" (Jérôme : Lettre au moine Rustique).

 

Par conséquent, elle s'efforça de ne rien essayer de comprendre sans consulter des startsi expérimentés, particulièrement ceux de l'ermitage Zosime sous la direction desquels elle se mit en obéissance totale. Comme guides et protecteurs célestes elle choisit saint Serge et saint Alexis de Moscou. Elle fut recommandée à leur protection particulière par son époux défunt dont elle ensevelit les restes au monastère Tchoudov dans une tombe magnifique, du même style que celles des catacombes de Rome. La longue période du deuil pour le grand-duc, pendant laquelle elle s'était retirée dans son monde intérieur et était continuellement à l'église, fut la première réelle coupure qui la sépara de ce qu'était jusque là sa vie normale de tous les jours. Le déménagement du palais au bâtiment qu'elle s'était acquis à Ordinka, où elle ne s'accorda l'usage que de deux chambres très modestes, annonça une rupture totale avec le passé et le début d'une toute nouvelle période de sa vie.

 

Dorénavant, sa tâche principale devint la construction d'une communauté de soeurs au sein de laquelle le service intérieur de Dieu se ferait conjointement avec le service actif du prochain au Nom du Christ. C'était une forme complètement nouvelle d'action charitable organisée de l'Eglise, elle attira donc à elle l'attention générale. À sa fondation présidait une idée profonde et immuable : Personne ne pouvait donner à un autre plus qu'il ne possédait déjà lui-même. Nous dépendons tous de Dieu, donc c'est seulement en Lui que nous pouvons aimer notre prochain. Le soi-disant amour naturel ou l'humanisme s'évaporent vite, faisant place à la froideur et à la déception, mais celui qui vit en Christ peut s'élever dans les hauteurs du reniement de soi complet et donner sa vie pour ses amis. La grande-duchesse voulait non seulement impartir aux activités charitables l'esprit de l'évangile, mais les placer sous la protection de l'Eglise. Elle espérait attirer ainsi progressivement à l'Eglise celles des couches de la société russe, qui jusque là demeuraient largement indifférentes à la foi. Le nom même que la grande-duchesse donna à l'institution qu'elle établit était hautement significatif - le "Couvent Marthe et Marie", nom qui contient en lui-même la mission, la vie de ses saintes protectrices.

 

La communauté était destinée à être comme le foyer de Lazare que le Sauveur visita si souvent. Les soeurs du couvent étaient appelées à allier le lot élevé de Marie, écoutant la parole de vie éternelle, et le service de Marthe, en ce qu'elles trouvaient le Christ en ses frères moins fortunés. Justifiant sa pensée, la fondatrice d'éternelle mémoire du couvent expliquait que le Sauveur Christ ne pouvait juger Marthe pour Lui avoir manifesté l'hospitalité, puisque c'était un signe de son amour pour Lui. Il ne fit que prévenir Marthe, et en elle, toutes les femmes en général, contre les excessives tracasseries et futilités qui les détournent des besoins plus nobles de l'esprit.

 

Ne pas être de ce monde, et en même temps vivre et agir dans le monde pour le transformer - ce fut la fondation sur laquelle elle désira établir son couvent.

 

S'efforçant d'être fille obéissante de l'Eglise orthodoxe en toutes choses, la grande-duchesse ne désirait pas profiter des avantages de son rang, craignant de prendre des libertés même toutes petites et dévier ainsi de l'obéissance, des règles ou prescriptions particulières établies pour tout le monde par l'autorité de l'Eglise. Au contraire, elle agissait selon les moindres désirs de cette dernière avec une promptitude totale, même si cela ne coïncidait pas avec ses opinions personnelles. À un moment, par exemple, elle eut sérieusement l'idée de faire revivre l'ancienne institution du diaconat féminin, idée dans laquelle elle fut soutenue avec zèle par le métropolite Vladimir de Moscou.

 

L'évêque Hermogène (à cette époque de Saratov, plus tard de Tobolsk où il fut martyrisé), à cause d'un malentendu, s'opposa à cette idée, accusant, sans aucun fondement, la grande-duchesse de tendances protestantes (ce dont plus tard il se repentit), et lui conseilla d'abandonner le rêve qu'elle chérissait. Incomprise dans le meilleur de ses mouvements, la grande-duchesse n'étouffa pas son esprit à cause de cette déception éprouvante, mais plutôt mit tout son coeur dans son bien-aimé "Couvent Marthe et Marie". Il n'est pas surprenant que le couvent fleurît rapidement et attirât beaucoup de soeurs des milieux de l'aristocratie ainsi que des gens ordinaires. C'est un ordre quasi monastique qui régnait dans la vie interne de la communauté et tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du couvent, ses activités consistaient à visiter et soigner les malades qui logeaient dans le couvent, à offrir de l'aide matérielle et morale aux pauvres, ainsi qu'à instituer des aumôneries pour les orphelins et les enfants abandonnés que l'on trouve dans toutes les grandes villes. La grande-duchesse prêtait une attention particulière aux enfants infortunés qui portaient en eux la malédiction des péchés de leurs pères, aux enfants des taudis immondes de Moscou qui y naissaient juste pour s'étioler avant d'avoir eu une chance d'éclore. Parmi ceux-ci, beaucoup furent accueillis dans les orphelinats construits pour eux où ils se ranimaient rapidement tant sur le plan physique que sur le plan spirituel. Pour d'autres, une surveillance constante fut assurée à leur domicile. L'esprit d'initiative et la sensibilité morale qui accompagnait la grande-duchesse dans toutes ses activités l'inspira et l'incita à chercher de nouvelles formes et de nouvelles voies d'activités philanthropiques, qui parfois reflétaient l'influence de sa patrie première, occidentale : ses organisations avancées en vue de l'amélioration sociale et du secours mutuel. Ainsi, par exemple, elle créa une coopérative de garçons de courses avec un dortoir bien bâti, et des appartements pour les filles qui prenaient part à cette activité. Tous ces établissements n'étaient pas directement attachés au couvent, mais ils étaient tous comme des rayons de lumière venant du soleil, unis dans la personne de leur abbesse qui les entoura de ses soins et de sa protection. Ayant choisi comme mission non seulement le service du prochain en général, mais aussi la rééducation spirituelle de la société russe contemporaine, la grande-duchesse voulait s'adresser à cette dernière dans un langage plus immédiat, plus compréhensible à propos de l'art de l'Eglise et de la beauté liturgique orthodoxe. Toutes les églises fondées par elle, surtout l'église principale du couvent, construite dans le style Novgorod-Pskov par le fameux architecte Chtchousev et décorée par Nesterov, se distinguaient par leur style austère et l'unité artistique de leur ornementation intérieure et extérieure. La crypte, située sous les arcatures de l'église du couvent, suscitait l'admiration générale pour sa chaleur paisible. Les offices liturgiques étaient toujours extraordinairement bien servis dans le couvent, grâce au père spirituel d'un talent exceptionnel, choisi par l'abbesse. De temps à autre, elle faisait appel à d'autres bonnes forces pastorales de Moscou et de toute part en Russie pour officier et prêcher. Comme des abeilles butinant le nectar de toutes les fleurs, suivant l'expression de Gogol, pour la vraie chrétienne qu'elle était, il n'y avait pas de cours ultime d'étude et elle demeura une humble et consciencieuse étudiante toute sa vie.

 

Tout le décor extérieur du "Couvent Marthe et Marie" ainsi que sa structure interne et toutes les créations matérielles de la grande-duchesse en général portaient le sceau de l'élégance et de la culture. Ce n'est pas qu'elle y attribuait une sorte d'importance pour la satisfaction de soi, mais c'était l'effet spontané de son esprit créatif.

 

Ayant concentré son activité autour du couvent, la grande-duchesse ne rompit pas pour autant ses attaches avec ces autres organismes et institutions sociaux de caractère charitable ou spirituellement instructif auxquels elle s'était alliée par d'étroits liens moraux depuis ses tout premières années à Moscou. Parmi ceux-ci, la Société Palestine occupait la première place, si proche d'elle, car elle évoquait le sensibilité profondément russe orthodoxe de son époux, le grand-duc Serguéï Alexandrovitch, pour la Terre sainte. Ayant hérité de lui la présidence de cette société, elle l'imitait dans son zèle sacré pour Sion et dans son infatigable souci des pèlerins russes partant pour la Terre sainte. Le rêve qu'elle chérissait était d'aller avec eux, bien qu'elle ait déjà visité plus tôt les lieux saints ensemble avec feu le grand-duc. La chaîne ininterrompue d'activité et de responsabilités, devenant chaque année plus compliquées, l'empêchèrent longtemps de quitter la Russie pour la Ville sainte. Hélas ! Personne n'avait prévu alors qu'elle n'arriverait à Jérusalem qu'après son trépas, pour y trouver une place pour son repos éternel.

 

Son esprit était toujours en harmonie avec son coeur, et dans l'oeuvre Palestine elle déploya non seulement son amour et son zèle pour la Terre sainte, mais une grande capacité de travail également, comme si elle avait dirigé directement toutes les institutions de la société. Pendant les dernières années avant la guerre elle était occupée du projet de construction d'une dépendance à saint Nicolas, à Bari, avec une église digne du nom russe. Les plans et le modèle du bâtiment, exécuté par Chtchousev dans le style russe ancien, étaient exposés de façon permanente dans sa salle de réception. D'innombrables papiers et appels, l'examen de différentes sortes de pétitions et supplications qui lui étaient présentées de tous les points de la Russie, ainsi que d'autres affaires, remplissaient habituellement entièrement ses journées et la conduisaient souvent au point d'épuisement total. Cela ne l'empêchait pas de passer la nuit au chevet de patients souffrants ou d'assister à des offices au Kremlin et dans ses églises et monastères très aimés un peu partout à Moscou. L'esprit fortifiait le corps affaibli (ses seules détentes étaient les pèlerinages dans différentes parties de Russie pour prier. Cependant, même là, le peuple lui ôtait la possibilité de trouver solitude et tranquillité. Honorant grandement sa naissance royale et sa grande piété, un peuple en grande exaltation allait partout à sa rencontre. Les voyages de la grande-duchesse à diverses villes de Russie, se transformaient, contre son gré, en marches triomphales).

 

Cachant ses luttes, elle paraissait toujours devant le peuple avec un visage clair et souriant. C'est seulement quand elle était seule ou avec quelques proches que son visage et surtout ses yeux reflétaient une tristesse cachée - la marque d'une grande âme languissant dans ce monde. Détachée de presque toutes les choses terrestres, elle rayonnait avec encore plus d'éclat d'une lumière intérieure, surtout par son amour et sa tendresse. Personne ne pouvait faire un acte d'amabilité plus délicatement qu'elle - à chacun selon son besoin ou son tempérament spirituel. Elle n'était pas seulement capable de pleurer avec ceux qui pleurent, mais aussi de se réjouir avec ceux qui se réjouissent, ce qui est d'ordinaire plus difficile. Sans être une religieuse au sens strict, elle observait, mieux qu'une moniale, la célèbre loi de saint Nil du Sinaï : "Bienheureux le moine qui honore tout homme comme (un) dieu après Dieu." Trouver le meilleur dans chaque homme et "avoir pitié de celui qui est tombé" fut l'effort continuel de son coeur. Sa douceur d'esprit ne l'empêchait pas de s'enflammer d'une sainte colère en face de l'injustice. Elle se jugeait avec encore plus de rigueur lorsqu'elle commettait une erreur, même involontaire. Permettez-moi de relater un fait témoignant de cet aspect de son caractère, et aussi la façon dont sa sincérité l'emportait contre une réserve innée et les exigences de l'étiquette sociale. Une fois, pendant la période où j'étais évêque vicaire de Moscou, elle m'offrit la présidence d'une organisation purement séculière, n'ayant aucune activité en rapport avec l'Eglise. J'étais involontairement embarrassé, ne sachant pas comment lui répondre. Comprenant ma position, elle dit aussitôt avec fermeté : "Pardonnez-moi, je vous ai fait une proposition insensée," et elle me sortit ainsi d'une situation difficile.

 

Le haut rang de la grande-duchesse ainsi que son ouverture attiraient à elle beaucoup d'organisations différentes et de pétitionnaires individuels qui cherchaient son aide, sa protection, son influence dotée d'autorité en face des échelons supérieurs des pouvoirs publics moscovites tant locaux que centraux. Elle répondait attentivement à toutes les pétitions sauf à celles qui avaient des nuances politiques. Elle rejetait résolument ces dernières, jugeant que faire la politique était incompatible avec sa nouvelle vocation.

 

Elle prêtait une attention particulière à toutes les institutions de l'église, de caractère charitable, artistique et scientifique. Elle travaillait aussi avec zèle pour préserver les coutumes et traditions quotidiennes les plus importantes qui rendaient la vie si riche dans cette vieille Moscou bien-aimée. Le congé du centenaire de 1912 lui donna une occasion inattendue de montrer son zèle dans cette direction.

 

Voici les circonstances de cette activité, jusque là connues seulement d'une poignée de personnes, y compris même celles qui avaient un rapport direct avec son travail. Pendant l'élaboration du programme pour la célébration du centième anniversaire de la Guerre pour la Patrie, il s'éleva, au sein du comité spécial réuni à Moscou, un débat passionné sur la façon de célébrer le Trente Août , jour final du festival du centenaire à Moscou, où l'empereur, selon la cérémonie, était censé arriver de Borodino. Le représentant du ministère de la cour proposa de placer au centre du jour festif une visite par l'empereur du Musée Zemsky Kustarny, ce qui n'avait absolument rien à voir avec la commémoration historique de 1812.

 

D'autres soutenaient ma proposition que cette commémoration pour la Russie, le jour de Saint-Alexandre-de-la-Neva, fût observée par un office festif d'action de grâces sur la place Rouge. Les officiers de la cérémonie refusèrent de renoncer à leur projet, se protégeant de l'impénétrable bouclier de l'"ordre impérial", chose dont personne ne put, bien entendu, vérifier l'existence. Quant à moi, un représentant du département clérical et ceux qui pensaient comme moi, tout ce que nous pouvions faire était de nous soumettre à l'inévitable. Lors de ma rencontre avec la grande-duchesse, je lui racontai tout concernant le conflit qui avait lieu. Ayant écouté mon récit jusqu'au bout avec beaucoup de chagrin, elle dit : "Je vais tâcher d'écrire à l'empereur à ce sujet. C'est vrai," ajouta-t-elle avec un sourire modeste, "à nous femmes, tout est accordé."

 

Au bout d'une semaine, elle m'informa que l'empereur avait modifié le programme selon nos désirs.

 

Quand le Trente Août arriva, il donna l'image magnifique de festivités nationales, ecclésiastiques et patriotiques qui ne sera jamais oubliée des participants. Pour cette fête, Moscou fut redevable aux intercessions de la grande-duchesse qui fit montre, dans la circonstance présente, non seulement de sa dévotion à l'Eglise mais d'une piété profondément historique, purement russe.

 

Au début de la guerre, elle s'adonna, avec une complète abnégation, au service des soldats malades et blessés qu'elle visita non seulement dans les hôpitaux et sanatoriums de Moscou, mais aussi sur le front. Comme l'impératrice, elle ne fut pas épargnée de la calomnie qui les accusait de compassion excessive pour les blessés allemands, et la grande-duchesse portait cet affront amer et injustifié avec sa magnanimité coutumière.

 

Quand l'orage révolutionnaire éclata, elle l'affronta avec un contrôle de soi et un calme étonnants. Il sembla qu'elle se tenait debout sur une falaise haute et inébranlable d'où elle regardait sans peur les vagues en colère autour d'elle, fixant sa vision spirituelle sur l'éternité.

 

Elle ne nourrissait même pas l'ombre de sentiments hostiles à l'égard de la furie des masses agitées. "Le peuple est un enfant, innocent de ce qui se passe," remarqua-t-elle tranquillement. "Ils sont induits en erreur par les ennemis de la Russie." Elle ne se laissa pas abattre non plus par la grande souffrance et l'humiliation qui échurent à la famille royale qui était si proche d'elle : "Cela leur servira comme purification morale et les mènera plus près de Dieu," observa-t-elle une fois avec une douceur rayonnante. Elle ne souffrit profondément pour la famille royale que lorsque la couronne d'épines d'une grave calomnie fut tressée autour d'eux particulièrement pendant la guerre. Pour ne pas donner prétexte à de nouvelles médisances, la grande-duchesse essaya d'éviter les conversations à ce sujet. S'il arriva que par suite de la curiosité déplacée des gens, le sujet fut abordé en sa présence, elle le tua immédiatement par son silence expressif. Une seule fois seulement, à son retour de Tsarskoe Selo, elle s'oublia et fit la remarque : "Cet homme terrible (c'est-à-dire Raspoutine) veut me séparer d'eux, mais, Dieu merci, il n'y arrivera pas."

 

Le charme de tout son tempérament était si grand qu'il attira automatiquement même les révolutionnaires quand ils allèrent examiner pour la première fois le "Couvent Marthe et Marie". L'un d'eux, apparemment un étudiant, fit même l'éloge de la vie des soeurs, disant qu'aucun luxe n'y était visible et que la propreté et le bon ordre étaient la règle, ce qui n'était condamnable d'aucune façon. Voyant sa sincérité, la grande-duchesse entama une conversation avec lui sur les qualités extraordinaires des idéaux socialiste et chrétien. "Qui sait", remarqua son interlocuteur inconnu, comme subjugué par ses arguments, "peut-être visons-nous le même but, mais par des voies différentes," et avec ces mots, il quitta le couvent.

 

"Selon toute évidence, nous sommes encore indignes de la couronne du martyre," répondit l'abbesse aux soeurs qui la félicitaient de l'issue si réussie de sa première rencontre avec les bolchéviques. Mais cette couronne n'était pas loin d'elle. Au cours des derniers mois de 1917 et du début de 1918, le pouvoir soviétique accorda au "Couvent Marthe et Marie" et son abbesse, à l'étonnement de tous, une liberté complète de vivre comme elles le voulaient et les assistaient même en leur fournissant le nécessaire. Cela leur rendit le coup encore plus lourd et inattendu quand, à Pâques, la grande-duchesse fut soudain arrêtée et transportée à Ekaterinburg. Sa Sainteté le patriarche Tikhon tenta, à l'aide des institutions de l'Eglise, de participer à sa libération, mais n'y réussit pas. Son exil était au début accompagné d'un peu de confort. Elle fut logée dans un couvent où toutes les soeurs étaient sincèrement touchées de son sort. Un réconfort spécial était pour elle que l'on ne l'empêchait pas d'assister aux offices. Sa position devint plus difficile après son transfert à Alapaevsk où elle fut emprisonnée dans une des écoles de la ville ensemble avec sa compagne toujours fidèle, soeur Barbara, et plusieurs grands-ducs qui partageaient son destin.

 

Elle ne perdit rien cependant de son habituelle fermeté d'esprit et envoya occasionnellement des mots d'encouragement et de réconfort aux soeurs de son couvent qui étaient profondément affligées de son sort. Et cela continua ainsi jusqu'à la nuit fatale du 5/18 juillet. Cette nuit-là, ensemble avec les autres captifs royaux luttant avec elle à Alapaevsk et sa vaillante compagne de lutte, Barbara, elle fut soudain emmenée en automobile à l'extérieur de la ville et apparemment jetée et enterrée vivante avec eux dans un des puits de mine locaux. Les résultats des fouilles effectuées sur place plus tard montrèrent qu'elle s'était efforcée jusqu'à son dernier instant de servir les grands-ducs grièvement blessés par leur chute. Des paysans du lieu qui avaient exécuté la sentence sur ces gens qu'ils ignoraient, rapportèrent qu'on put entendre pendant longtemps après un chant mystérieux venant de sous la terre.

 

C'était la grande martyre porteuse-de-la-passion, chantant des hymnes de funérailles pour elle-même et les autres, jusqu'à ce "que le cordon d'argent se détache, que le vase d'or se brise" (v. Qo 12,6) et jusqu'à ce que les chants célestes se mettent à retentir pour elle. Ainsi, la couronne du martyre tant désirée fut placée sur sa tête et elle fut unie aux armées de ceux dont parle Jean, le visionnaire des mystères : "Après cela, je regardai, et voici, il y avait une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple, et de toute langue. Ils se tenaient devant le trône et devant l'Agneau, revêtus de robes blanches, et des palmes dans leurs mainsÉ ÉEt il me dit : Ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation; ils ont lavé leurs robes, et ils les ont blanchies dans le Sang de l'Agneau." (Ap 7,9-14). Comme une vision merveilleuse, elle passa sur la terre, laissant derrière elle des traces rayonnantes. Ensemble avec tous ceux qui souffrirent pour la terre russe, elle apparut à la fois comme une rédemptrice pour la Russie et comme un fondement pour cette Russie de l'avenir qui s'élève sur les ossements des nouveaux martyrs. De telles images ont un sens intemporel; leur mémoire est éternelle sur terre et dans le ciel. Ce n'est pas en vain que la voix du peuple la déclara une sainte de son vivant. Comme en récompense pour ses luttes terrestres et son amour particulier pour la Terre sainte, ses reliques de martyre, qui, selon les témoins oculaires, furent retrouvées dans le puits de mine complètement intactes de corruption, étaient destinées à reposer à l'endroit même où le Sauveur souffrit et ressuscita des morts. Exhumées sur l'ordre de l'amiral Koltchak, ensemble avec les corps des autres membres de la maison royale tués à la même époque (le grand-duc Serguéï Mikhaïlovitch, les princes Ivan, Igor, et Konstantine Konstantinovitch, et le fils du grand duc Pavel Alexandrovitch, prince Paley), leurs restes avec les corps de la grande-duchesse et de soeur Barbara furent d'abord transportés à Irkoutsk puis à Pékin où ils restèrent pendant longtemps dans le cimetière de l'église de la Mission Ecclésiastique Russe. De là, par les soins de sa soeur, princesse Victoria, marquise de Milford-Haven, à qui elle fut étroitement liée sa vie durant, son cercueil et celui de soeur Barbara furent transférés à Shanghaï puis envoyés en Palestine.

 

Le 15 janvier 1920, les corps des deux martyres furent triomphalement accueillis à Jérusalem par les autorités anglaises, le clergé grec et russe, ainsi que la foule de la vaste colonie russe et des habitants du lieu. Leur enterrement eut lieu le lendemain; y officia le chef de l'Eglise de Jérusalem, le bienheureux patriarche Damien, concélébrant avec une armée de hiérarques.

LE TOMBEAU DE LA GRANDE-DUCHESSE ELISABETH

Comme si elle fût destinée à cette fin, la crypte sous la voûte inférieure de l'église russe Sainte-Marie-Madeleine fut arrangée comme sépulture pour la grande-duchesse. Cette église, construite à la mémoire de l'impératrice Maria Alexandrovna par ses illustres enfants, n'était pas étrangère à la défunte, car en 1888 elle avait été présente à sa consécration en compagnie du grand-duc Serguéï Alexandrovitch. Située sur une pente pittoresque du Mont des Oliviers, elle est la mieux faite et la plus gracieuse de toutes les églises que l'on trouve en Palestine, attirant le regard même de loin par ses lignes multicolores purement russes. La martyre elle-même n'aurait pu choisir un meilleur lieu de repos même si, ayant prévu qu'elle devrait se reposer pendant quelque temps en dehors de son couvent, elle s'était préparé d'avance une tombe pour elle-même.

Ici, tout reflète son esprit : les coupoles dorées de l'église, étincelant au soleil parmi le vert des oliviers et des cyprès; le mobilier d'art à l'intérieur portant l'empreinte de l'inspiration de Verechtchaguine, et le caractère même des saintes icônes, traversées par les rayons de la Résurrection du Christ. Encore plus proche et plus chère à son coeur est la fragrance des Lieux saints, qui s'exhale sur son sépulcre de tous côtés. En bas, sous le tombeau s'étale une vue unique de la Ville sainte avec la grande coupole du Tombeau donateur de Vie s'élevant en hauteur; au pieds de sa tombe, le Jardin de Gethsémani où le Martyr divin pria en agonie jusqu'à ce que des gouttes de son Sang apparussent. Plus loin, Gethsémani lui-même, le lieu de l'ensevelissement de la Mère de Dieu, et à gauche on peut distinguer, en partie cachées par les plis des montagnes, Béthanie, ce vrai couvent de Marthe et de Marie, les soeurs de Lazare que le Seigneur rappela du sépulcre; et au-dessus, l'église de Sainte-Marie-Madeleine couronne joyeusement le mont Olivet, d'où le Sauveur ressuscité S'éleva glorieusement au ciel pour couronner de là tous ceux qui, au milieu des tentations, Lui restèrent fidèles jusqu'à la mort (v. Ap 2,10).

Jérusalem, le 5/18 juillet 1925.

Devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser la représentation

que s'en firent les impies, à qui fut destinée la parole de Moïse :

votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et nuit,

sans pouvoir croire à cette vie.

Pour nous, accueillons d'un coeur libéré la gloire de la croix qui rayonne sur le monde.

Pénétrons d'un regard éclairé par l'Esprit de vérité

les sens de la parole du Seigneur annonçant l'imminence de sa Passion :

C'est maintenant le jugement du monde,

c'est maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors.

Et moi, une fois élevé de terre, j'attirerai tout à moi.

O admirable puissance de la croix ! O gloire inexprimable de la Passion !

En elle apparaît en pleine lumière le jugement du monde et la victoire du crucifié !

Oui, Seigneur, tu as tout attiré à toi !

Alors que tu avais tendu les mains tout le jour vers un peuple rebelle,

le monde entier comprit qu'il devait rendre gloire à ta majesté.

Tu as tout attiré à toi, Seigneur, puisque,

le voile du Temple déchiré, le saint des saints devenu béant,

la figure a fait place à la réalité, la prophétie à son accomplissement,

la Loi à l'Evangile.

Tu as tout attiré à toi, Seigneur,

puisque la piété de toutes les nations célèbre partout, au vu et au su de tous,

le mystère qui jusqu'alors était voilé sous des symboles

dans un temple unique en Judée.

Ta croix, ô Christ, est la source de toutes les bénédictions,

la cause de toute grâce. Par elle, les croyant tirent de leur faiblesse la force,

du mépris reçu la gloire, et de la mort la vie.

Désormais, l'unique offrande de ton corps et de ton sang

donne leur achèvement à tous les sacrifices,

car tu es ô Christ, le véritable agneau de Dieu,

toi, qui enlèves le péché du monde.

L'ensemble des mystères trouve en toi seul son sens plénier :

au lieu d'une multitude de victimes, il n'y a plus qu'un seul sacrifice.

saint Léon le Grand

LE POUVOIR DE GUERIR

La maladie est une épreuve de Dieu, qu'elle vienne comme une punition pour les péchés commis, ou que Dieu permette au diable de nous mettre à l'épreuve comme Job l'intègre.

Dieu ne nous abandonne pas quand nous sommes malades. Il nous sermonne comme un père, mais Il ne nous juge pas. Lui qui nous promet la résurrection des morts et la grandeur de la vie éternelle, ne peut-Il pas guérir notre maladie ? Il peut nous protéger de la maladie et des autres périls, mais c'est Lui qui a permis que la maladie nous domine, c'est Lui qui nous permet également la guérison en temps opportun. Jusqu'à ce moment-là, Il nous appelle à de nombreuses rencontres avec Lui dans les prières et dans les confessions de conscience que nous faisons sur le lit de douleurs. Alors, quand la science en est incapable, c'est Lui, le médecin des médecins qui prépare la guérison indubitable. Combien de guérisons n'ont-elles pas eu lieu sans l'aide de procédés humains ? C'est une preuve de plus que les maladies relèvent d'un pouvoir supérieur au pouvoir humain. Celui qui commande aux vents et aux mers, Celui-ci est aussi le Maître des esprits et des maladies. Dans cette guérison, Dieu nous montre sa Toute-Puissance et sa Compassion. En guérissant la maladie, Jésus a montré son Pouvoir divin et son grand Amour pour les hommes. Il les guérissait en touchant les malades, leurs vêtements. Quelquefois Il les guérissait à distance. Dans tous les cas, Il demandait la foi au malade. C'est une preuve que la guérison doit partir de l'âme. Les apôtres et leurs successeurs ont reçu, eux aussi, le pouvoir de guérir les malades. L'apôtre Pierre a guéri un infirme de naissance, le paralytique Enée, Il a ressuscité Tabitha, tandis que l'apôtre Paul a ressuscité le jeune Eutychie; il guérit la morsure de vipère et un homme malade de malaria et d'écoulement de sang. Ceux qui avaient reçu le pouvoir de lier et délier les péchés, avaient aussi le pouvoir de guérir le corps. Le malade chrétien doit considérer sa maladie comme une épreuve de Dieu, comme une épreuve de sa foi et de sa patience; il doit l'endurer chrétiennement, parce que la patience rend possible l'accomplissement de la foi; le malade doit espérer sa guérison grâce à l'Aide de Dieu. C'est à Lui qu'il doit demander l'aide. Après la guérison, il doit Le remercier, Lui promettre une nouvelle vie sans souillure et pleine de sobriété.

L'amour pour notre prochain nous oblige à soigner les malades. "J'ai été malade et vous M'avez soigné." (Mt 25,36), et prier pour eux parce "la prière de la foi délivrera le malade et Dieu le guérira" (Jac )

Père Olivian

Celui qui n'a ni doctrine, ni vérité, ni loi, et qui ne repose pas sur la loi en toutes circonstances, s'imagine qu'il fait des découvertes par l'expérience. Partant des expériences acquises, il essaie d'inventer et ses inventions se perdent dans toutes les directions concevables.

Jame Tyler Kent
(La science et l'art de l'homoeopathie)