Bulletin des vrais chrétiens orthodoxes

sous la juridiction de S.B. Mgr. André

archevêque d'Athènes et primat de toute la Grèce

NUMÉRO 80

MARS 1998

Hiéromoine Cassien

Foyer orthodoxe

66500 Clara (France)

Tel : 00 33 (0) 4 68 96 1372

 SOMMAIRE
NOUVELLES

PAQUES DANS UNE ÉGLISE RUSSE

EN FACE DE GOLIATH

LE PELERINAGE D'ÉPHESE N'EST PAS MARIAL MAIS APOSTOLIQUE

SAINT SUAIRE DE TURIN

EXPLICATION

UN AUTRE SOURIRE DE SAINT NECTAIRE

QUESTIONS ET RÉPONSES

LETTRE

L'ETAT DE BONHEUR RELATIF

Ne dis pas : "Il m'est impossible d'influencer les autres" car si tu es chrétien, il est impossible que cela ne se produise pas. Il est plus facile pour la lumière de devenir ténèbre que pour un vrai chrétien de ne pas rayonner.

saint Jean Chrysostome

NOUVELLES

Je me retrouve un peu comme un écolier qui mâche son crayon ne sachant comment faire son devoir. C'est toujours vers la fin quand il s'agit de boucler le bulletin que c'est le plus difficile surtout cette fois-ci où il n'y a pas grand-chose comme nouvelle. On n'a même pas eu d'hiver.

C'est encore un peu tôt pour le bulletin de Pâques mais puisqu'il me reste un peu de temps libre (demain je ne sais pas si je pourrai dire la même chose), je termine et envoie ce numéro.

Entre-temps un autre bulletin a vu le jour, mais cette fois-ci uniquement sur internet : "Maran Atha", une revue pour les jeunes, puisque j'anime maintenant, en plus de notre site "VCO", un site pour la jeunesse chrétienne.

Il ne me reste qu'à vous souhaiter un bon Carême afin de vous rendre digne de la Résurrection de notre Sauveur Jésus Christ et avec Lui de toute la création.

votre hm. Cassien

PAQUES DANS UNE ÉGLISE RUSSE

Heinrich Strumpf

(lettre du front, de l'Est)

Pâques 1942

Chère épouse,

Je ne trahis certainement pas un secret militaire, en t'écrivant que notre troupe se trouve quelque part dans la Russie immense. Mais je veux te raconter un véritable mystère qui m'est arrivé à ces Pâques.

Tu as certes lu que la plupart des russes considèrent les allemands comme libérateurs du joug bolchevique. Mais à nous, les allemands, il est interdit de lier amitié avec les russes. Aucun contact n'est souhaité. Ainsi, la population affamée et apeurée se tient à l'écart de nous. Le peuple russe continue dans son deuil, sa pauvreté et son abandon.

A cette époque, le vent glacial du nord traverse l'infinité du pays et les perce-neiges ne sonnent que timidement le début du printemps. Quand le soleil fendra-t-il la couche de glace qui couvre le pays et les coeurs refroidis ?

Hier, j'étais inquiet et il me fallait aller dehors loin du quartier obscur afin de voir le ciel au-dessus de moi. J'avais le mal du pays et mes yeux cherchaient l'étoile du soir, car je savais que toi aussi tu regardais vers notre étoile et je sentais qu'en haut, notre amour se rejoignait, en haut près de Dieu.

Un bruit m'effraya soudain. Depuis le clocher, j'entendis un murmure et des chants. Des cierges brillaient. La lumière se promenait entre les hommes, femmes et enfants. Le portail de l'église était ouverte. Un gémissement traversait la foule. Des yeux langoureux se tournaient vers le sanctuaire et tout le monde s'avançait vers le portail. Un choeur d'hommes en allégresse accueillait la procession. Je me mêlais à eux. Il nous est interdit, aux allemands, d'assister à une liturgie russe, mais une force irrésistible m'attirait dans cette église inconnue.

La densité de la foule faisait peur. Mais l'église enluminée et la piété des gens me faisait tout oublier. A côté de moi, fortement inclinées, il y avait des femmes qui se signaient sans cesse. Des hommes négligés portaient leurs cierges dans des mains tremblantes et des larmes ruisselaient sur leurs barbes hirsutes. Des enfants se tenaient devant l'iconostase qui sépare le sanctuaire d'avec le nef. Leurs yeux brillants se tournaient d'une icône à l'autre et la brillance d'or sur les icônes se reflétait dans ces jeunes visages.

De nouveau se faisaient entendre les douces voix de la chorale composée d'hommes. Je comprenais les paroles chantées. C'étaient les mêmes paroles que tous les chrétiens du monde entier connaissent et qui nous touchent tous : l'évangile de la nouvelle de Pâques.

Une émotion presque tangible nous pris. Soudain, s'ouvrit la porte centrale de l'iconostase. Des hommes habillés en habits solennels en sortirent. Ils portaient des icônes et des chandeliers et quelqu'un tenait, comme un trésor, l'évangéliaire doré dans ses mains. Le prêtre portait un riche vêtement en brocart. La procession traversait l'église et le portail se ferma derrière elle.

Dehors, devant l'église, tonnait la parole salvatrice de la bouche du prêtre : Christ est ressuscité !

A l'intérieur criait, chantait, exaltait le peuple comme réponse : Il est vraiment ressuscité !

Pendant que la procession retournait dans l'église, le peuple chantait plein de ferveur, de douceur et d'amour le chant de pâques comme le pouvait jaillir seulement du coeur du peuple russe. Tout le monde tenait ses bougies vers ceux qui entraient sans faire attention à la cire qui coulait. Tout à coup, le prêtre vint vers moi, moi le soldat étranger, me regarda calmement dans les yeux, m'embrassa et me donna le baiser fraternel, disant : "Christ est ressuscité !" Troublé, je répondis en allemand : "Ja, ja, Christ ist erstanden !" et comme rien d'autre me venait à l'esprit j'ajoutais : "Alléluia" . Le prêtre alla de l'un à l'autre et embrassa tout le monde. Le russe à ma gauche, le russe à ma droite surmontèrent d'abord leur timidité et dans un humble geste inexprimable m'embrassèrent. Ensuite, tous les autres hommes vinrent vers moi. Tous me serrèrent contre leur coeur car tous étaient mes frères.

Une petite mère me mit un oeuf dans la main et vers la fin, mes poches furent pleines d'oeufs. Les pauvres donnaient à l'étranger - à l'ennemi. Non, nous ne sommes pas ennemis, nous sommes frères en Christ ressuscité.

C'est ainsi que j'ai vu l'âme du peuple russe. Elle est pleine de mystères. Mais un peuple qui aime autant et si humblement Dieu sera libéré un jour de ses chaînes et deviendra de nouveau messager du message joyeux de Pâques. C'est cette espérance que je voudrais partager avec toi.

Ton Henry

Nous devons savoir qu'un acte divin, s'il était compris par la raison n'aurait plus rien d'étonnant. La foi n'aurait aucun mérite si la raison humaine le montrait explicable.

saint Grégoire le Grand (Homélie 26)

EN FACE DE GOLIATH

Ceux qui, dans leur jeunesse, ont appris le cathéchisme à l'école se rappellent, certes, l'histoire de David et de Goliath, comment le jeune David tua avec sa fronde le géant Goliath, mettant sa confiance en son Dieu et non dans l'épée, la lance et le javelot.

C'est bien pour nous donner un exemple que l'Histoire sacrée nous a conservé cette épisode. Pourquoi ce qui est arrivé à David ne peut arriver à nous aussi ? Le Dieu de David est notre Dieu aussi et Il sait nous secourir dans notre lutte contre le diable, le monde et la chair.

Goliath et les Philistins sont une image du monde actuel lequel nous devons affronter sans cesse. N'ayons ni peur ni honte devant les moqueries que nous subissons pour le Nom du Christ. Que les faibles moyens dont nous disposons ne nous fassent pas douter non plus, car c'est dans notre faiblesse que la Force de Dieu se manifeste, comme dit L'Apôtre. Si nous ne luttons pas pour le Christ et son Église, qui le fera ? Ce ne sont pas nos moyens - faibles du point de vue humain - qui doivent nous retenir, et encore moins l'apparente force du monde. Notre foi en Dieu est plus forte que le monde et cette foi saura lutter avec nos faibles moyens tel David avec sa fronde. Si le monde a bien plus de moyens que nous, il n'a pas notre force. Toute sa force n'est qu'apparence. Ce qui compte n'est pas la force et les moyens mais le contenu. Que valent les moyens les plus modernes et sophistiqués de communication si on n'a rien de sensé à dire ? Mieux vaut s'exprimer simplement et sans ambages, et c'est la vérité qui donnera le prix.

En même temps, il ne faut pas rester inactif, car si le monde progresse, c'est premièrement à cause de nous les chrétiens qui ne faisons pas notre devoir et qui désertons le monde.

Quand je dis monde, c'est un terme collectif qui veut dire plusieurs choses à la fois. Dans la Bible, ce mot "monde" apparaît plus souvent. "Vous êtes dans le monde mais vous n'êtes pas de ce monde." "Si le monde vous hait." "Il en sera de même à la fin du monde." "Et le monde ne L'a point connu." "L'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir."

Le monde c'est tout ce qui est athée, opposé à Dieu et, dans une moindre mesure même, les croyances teintées d'humanisme, de rationalisme et tant d'autres -ismes (tous des produits humains) qui ignorent la Transcendance de Dieu, le mystère de la croix, la vie mystique de l'Église.

hm. Cassien

Que le jeûne soit accompli avec mesure. Et qu'il soit observé pour la discipline de l'âme et du corps, comme nous l'avons reçu de la tradition. Que celui qui n'est pas capable de jeûner ne se permette pas d'innovation, mais qu'il reconnaisse que c'est par sa faiblesse personnelle qu'il adoucit le jeûne et qu'il honore par l'aumône ce qu'il ne peut accomplir par le jeûne. Dieu n'a nul besoin des gémissements de celui qui s'est ainsi acquis les larmes des pauvres qui plaident pour lui.

saint Pierre Chrysologue

LE PELERINAGE D'ÉPHESE N'EST PAS MARIAL MAIS APOSTOLIQUE

Irène Economidès

Éphèse, cette ancienne ville grecque de l'Ionie (Asie-Mineure), située juste en face de l'île grecque de Samos, devient un grand centre de pèlerinage dès l'antiquité chrétienne, car elle fut évangélisée par les deux grands apôtres : saint Paul et saint Jean l'évangeliste. La tombe de ce dernier, se trouve au sommet de la colline d'Éphèse, qui domine la ville antique, au milieu de la grande basilique construite sur l'ordre de l'empereur de Byzance Justinien 1e au VIe siècle. cette basilique si importante consacrée à saint Jean l'évangeliste était un grand pèlerinage de toute la chrétienté jusqu'au XVe siècle quand elle fut détruite par Tamerlain. (Ses ruines ont été restaurées par le byzantiniste grec Georges Sotiriou en 1880-1965).

Ni la tradition apostolique, ni les sept conciles oecuméniques (d'autant plus le IIIe concile oecuménique d'Éphèse en 431 a.J.C.), ni les saints pères de l'Église ne mentionnent l'existence d'un centre de pèlerinage marial à Éphèse.

L'idée qu'à Éphèse existe la maison et la tombe de la Mère de Dieu est une légende du catholicisme romain, qui a commencé au XIXe siècle. Cependant il y a des preuves inébranlables pour ceux qui veulent connaître la vérité.

La sainte Vierge n' a été jamais à Éphèse et elle ne fut pas enterrée là. Selon le Grand Synaxaire saint Jean l'évangeliste commença son oeuvre apostolique en Asie-Mineure après la fin de la vie de la sainte Vierge sur terre. Car comme nous avons du Nouveau Testament le Seigneur de gloire l'avait indiqué, au moment de la crucifixion, comme protecteur de sa mère. C'est pourquoi saint Jean la conduisait chez lui à Gethsémani, où il habitait (Jn 19,27). Il ne pouvait pas, étant son protecteur, l'avoir avec lui pendant des voyages apostoliques, puisque les voyages à l'époques étaient dangereux. La Dormition de la sainte Vierge eut lieu à Gethsémani (Jérusalem) en 57 a. J.C. et l'arrivée de saint Jean à Éphèse en 69 de notre ère.

Donc la maison et la tombe de la sainte Vierge étaient à Géthémani. Il s'agit de la tombe où elle fut ensevelie par les saints apôtres et d'où elle fut montée aux cieux le troisième jour. C'est un lieu de pèlerinage très important pour les orthodoxes. cette tombe de la sainte Vierge que nous visitons dans le jardin de Gethsémani était sa tombe de famille, dans une immense grotte où étaient enterrés aussi ses parents et saint Joseph.

L'hymnographe byzantine du "15 août" nous transmet d'une façon poétique une phrase de la sainte Vierge : "Enterrez mon corps dans le village de GethémaniÉ" Saint Jean Damascène qui a écrit tant de textes se rapportant à la sainte Vierge, ne nous dit rien d'une maison ou d'une tombe de la sainte Vierge à Éphèse. Ni le patriarche de Jérusalem Juvénal, qui avait pris part au Ve concile oecuménique de Chalcédoine (en 481), à qui se réfère saint Jean Damascène.

D'autres sources qui prouvent que l'idée des catholiques romains à propos de la présence de la sainte Vierge à Éphèse est fausse, sont les suivantes :

1) "L'Itinéraire d'Etherie". Elle écrit dans son livre de pèlerin : "J'irai prier au tombeau de saint Jean à Éphèse," sans mentionner du tout une maison ou une tombe de la saint Vierge à Éphèse;

2) Le compte de Roquiny du Fauel dans son livre : "Trois mois en Orient" (Paris 1871) mentionne la maison et la tombe de la sainte Vierge à Gethémani et ajoute : "l'autre idée d'Éphèse manque de preuves et n'a pas de base."

3) Les auteurs Cabrol et Leclerq, dans leur "Dictionnaire d'Archéologie chrétienne" (p. 135) à la référence sur saint jean, écrivent : "Le IIIe concile oecuménique d'Éphèse ne mentionne aucunement la tombe de la sainte Vierge à Éphèse. Et cela semble bizarre, si la tombe était vraiment là."

4) Beaucoup de documents de Sultans (époque de l'occupation turque en Terre Sainte) mentionnent la tombe de la sainte Vierge à Jérusalem, comme le document du sultan Sélim le Téméraire (1517), qui avait conquis Jérusalem. Il mentionne : "La tombe en dehors de la ville de la "dame Marie".

Il y a aussi des références d'autres catholiques romains de notre temps :

1) "La tombe de la sainte Vierge à Jérusalem" par P. Barnabé d'Alsace O.F.M. missionnaire Franciscain, 1903.

2) "Ni Éphèse, ni sainte Vierge Kapoulou, mais Jérusalem", par Jean Marta, missionnaire apostolique, ed. Jérusalem (1910).

3) Dans l'album sur les fouilles en Terre Sainte, à propos de l'inauguration de la basilique de l'Agonie à Gethémani, il y a le renseignement suivant : "Les Croisés pendant la procession, qui a précédé la dernière attaque, se sont arrêtés devant la tombe de la sainte Vierge." (p. 17) A la page 18, on ajoute : "Ils ont restauré la tombe de la sainte Vierge." (Cette restauration est la façade au style gothique de la tombe de la sainte Vierge marie comme nous la voyons aujourd'hui à Géthsémani.


Note :

Les turcs, à l'occasion des préparatives pour les célébrations du jubilée de deux milles ans de la Naissance du Christ, se préparent à gagner beaucoup d'argent en présentant au monde chrétien ce faux pèlerinage de la sainte Vierge à Éphèse. Donc il faut renseigner à temps le monde de cette fausseté.

SAINT SUAIRE DE TURIN

Il a été décidé que la conservation du Linceul se fera dorénavant dans une caisse d'acier et de verre, où il sera étendu sur toute sa longueur dans une atmosphère de gaz neutre avec un contrôle par ordinateur de l'hygrométrie et de la température et de toutes les conditions dans lesquelles il sera maintenu. L'ensemble représentant une somme de 3 500 000 F offerts par une entreprise italienne. Ainsi le saint Suaire ne sera plus ni déroulé, ni déplié, ni remué, ni abîmé.
Daniel Raffard de Brienne (Lecture et Tradition n° 250)

EXPLICATION
du chapitre treize de l'Apocalypse de saint Jean
par Monsieur Pantazis de Larissa, instituteur

(suite)

7. Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre. Et il lui fut donné autorité sur toute tribu, tout peuple, toute langue et toute nation.

Explication

Et non seulement contre le saint peuple des chrétiens il a été donné à ce roi des Turcs de combattre et de vaincre, mais dans toute tribu, toute langue et toute nation il lui est donné pouvoir contre ceux qui sont proches de Dieu.

Texte

8. Et tous les habitants de la terre l'adoreront, ceux dont le nom n'a pas été écrit dès la fondation du monde dans le livre de vie de l'Agneau qui a été immolé.

Explication

Non pas tous ces chrétiens-ci et d'autres hommes d'autres peuples qui habitent sur cette terre, mais seulement ceux dont les noms ne sont pas écrits dans le divin livre des vivants; ceux qui ont apostasié et ont rendu un culte à la religion mahométane, et aussi bien ceux qui l'ont fait de leur plein gré, mûs par eux-mêmes, que ceux qui, de force et sous menace, sont devenus turcs, afin que de cette façon se manifeste qui étaient les chrétiens fermes en leur foi et patients dans les épreuves, menaces et supplices ottomans. C'est pourquoi le saint dit plus loin : "C'est ici la persévérance et la foi des saints." Et certes, ils furent saints et ils le sont, tous les chrétiens qui, supportant les assauts des féroces Agarènes avec patience et action de grâces à Dieu, sont restés et restent fermes dans leur foi.

Texte

9. Si quelqu'un a des oreilles, qu'il entende ! 10. Si quelqu'un mène en captivité, il ira en captivité; si quelqu'un tue par l'épée, il faut qu'il soit tué par l'épée. C'est ici la persévérance et la foi des saints.

Explication

Ici le saint prédit la vengeance que Dieu exercera sur les Agarènes sanguinaires, c'est-à-dire leur massacre, la captivité et la ruine totale qu'ils subiront de la part de la nation blonde, surtout lorsque la Ville Impériale sera prise par eux et ainsi ils seront châtiés à cause de la captivité, l'effusion de sang et l'anéantissement qu'ils avaient occasionnés chez les chrétiens dont la patience et la foi s'étaient ainsi manifestées lors de la captivité et l'effusion de sang. Le saint prédit cette vengeance encore plus clairement au chapitre dix-huit ainsi : "Payez-les comme ils vous ont payé" etc. et par le fait que les phrases de l'Apocalypse sont obscures et énigmatiques, il incite le lecteur à être attentif et à s'efforcer de comprendre, en disant ceci : Si quelqu'un a des oreilles, qu'il entende !

Texte

11. Puis je vis monter de la terre une autre Bête, qui avaient deux cornes semblables à celles d'un agneau, et qui parlait comme un dragon.

Explication

De même que le midi s'appelle la mer, ainsi l'occident se dit aussi la terre du couchant, d'où est sortie et monté la Bête à deux cornes dont nombreux exégètes de l'Apocalypse disent qu'elle est l'Antichrist à venir, en qui les Hébreux, qui l'attendent comme le Messie, veulent croire, et dont tout ce qui a été dit dans le présent chapitre, sera dit et jusqu'à la fin, avec des mots de sens propre et sans allégorie, selon les exégètes susdits. Si par hasard quelqu'un voulait traduire ceci de façon allégorique, et penser qu'il s'agit du pape qui a provoqué le schisme de l'Église, le mot aurait été plus convenable, car celui-ci est le précurseur et le modèle de l'Antichrist à venir, tous les deux ayant deux cornes semblables à celles de l'agneau. En d'autres termes, tous les deux, sous forme de brebis, bons et doux en apparence, comme les agneaux, sont des loups ravisseurs des âmes. De cette sorte-là est l'ensemble des autres hérétiques, des impies, des athées et des francs-maçons, lesquels aussi sont montés de la terre du Couchant et ont enrichi les préludes de l'Antichrist. Ils ont l'apparence de la foi, ils sont appelés chrétiens, mais ils renient ce qui en fait la force, comme dit l'Apôtre.

Deux cornes possède donc la Bête qui monte de la terre : les deux cornes sont les deux pouvoirs que possède le Pape : l'un , celui de l'Église intérieure, portant la croix sur le pied et se disant sans péché et chef de l'Église, et l'autre, l'extérieur, celui de l'épée royale qu'il porte en tant que roi, et avec ces deux pouvoirs, il heurte avec ses cornes les chrétiens orthodoxes qui ne respectent pas les dogmes papistes, et déguisé en agneau, donc en tant que grand-prêtre et vicaire du grand Maître Christ, parle comme un dragon, blasphémant contre la foi orthodoxe, comme bouche de cet autre dragon spirituel, Satan.

Texte

12. Elle exerçait toute l'autorité de la première Bête en sa présence, et elle faisait que la terre et ses habitants adoraient la première Bête, dont la blessure mortelle avait été guérie.

Explication

L'autorité qu'a la première Bête, donc le roi des Turcs, sur ses sujets chrétiens, de les forcer à renier leur foi en Christ, c'est cette même autorité et cette même violence qu'utilise le papisme contre les chrétiens orthodoxes dans l'impiété et la cacodoxie papistes du huitième concile impur et illégal ratifié à Florence qui a eu pour effet la persécution des orthodoxes comme schismatiques comme cela s'est produit au temps du règne de Marie-Thérèse, comme cela est bien connu. C'est ainsi qu'agit le papisme, la deuxième Bête, exerçant toute l'autorité de la première Bête, c'est-à-dire Mahomet et il l'exerce en présence de cette Bête, car le roi des Turcs aime que les chrétiens soient détestés et persécutés par le papisme, car ainsi ils ne quittent pas son royaume où ils subissent les lourdes tributs et autres persécutions, pour aller se réfugier au royaume voisin des papistes. Donc, avec les persécutions et afflictions que le papisme inflige aux chrétiens, il les décide à rester sous le joug ottoman, obéissant à la première Bête, c'est-à-dire au roi turc. Au temps où Constantinople était menacée d'être assiégée par le sultan Mehmet, si le pape voulait donner l'aide et l'alliance aux chrétiens, il ne voulait pas qu'ils se prosternent devant la première Bête, c'est-à-dire le sultan Mehmet dont ils ont été vaincus et dont la blessure mortelle avait été guérie.

UN AUTRE SOURIRE DE SAINT NECTAIRE

Il y a de cela quelques mois, peut-être un an, j'avais rendu compte dans le bulletin d'un signe étonnant de saint Nectaire. L'autre soir, je me trouvais en présence de mes deux enfants, Elie (4 ans) et Ioana (18 mois). Elie me demandait de parcourir avec lui les pages d'un album photo, celui de mon voyage de noces en Grèce, il y a 8 ans. L'album se termine par des images de saint Nectaire (icône, reliques, photographies...). Quand nous avons refermé l'album; Ioana avait tiré de la bibliothèque la biographie du saint et l'avait posé sur la table du salon, le même livre rouge dont il était question dans l'histoire que j'avais précédemment rapporté. Ioana n'a jamais rien appris sur saint Nectaire, pas même le nom, ni l'existence même de ce livre.
Par les prières de saint Nectaire Seigneur Jésus Christ aie pitié de nous !

QUESTIONS ET RÉPONSES

(via internet)

É et maintenant depuis un mois que je suis sur le Web j'arrive vers vous. Pourquoi, je n'en sais rien, vous êtes le premier à qui j'ai adressé un message et vous m'avez répondu.

Question :

Pensez vous que l'Église doit rester à part de l'État et représenter purement le pouvoir spirituel ?

Réponse :

Dans l'orthodoxie l'Église travaille idéalement en synergie avec l'état. Elle s'occupe du spirituel et l'état du temporel. Ce n'est pas une complicité ni une soumission mais une collaboration. Mais quand l'état s'oppose à l'Église, comme c'était le cas dans les pays ex-communistes alors l'Église doit s'en séparer comme l'a fait l'Église de catacombes. Dans le papisme il y a eu toujours le césaro-papisme ou le papo-césarisme, ce qu'on n'a jamais toléré dans l'Orthodoxie.

 

Question :

Et j'en profite pour vous poser une question, souvent Origène est cité d'une manière plus ou moins négative, mais je n'ai pas encore eu le temps d'approfondir mon étude dans tous les domaines de l'Orthodoxie et ce que je vois sur lui de manière éparse ne précise jamais la cause de la méfiance qui lui est vouée. Qu'a t'il fait au juste ? si vous pouviez m'éclairer en quelques mots. Et qu'entendez vous plus précisément au niveau d'Evagre sur son intellectualisme ?

Réponse :

Origène était un très grand théologien qui a écrit énormément mais il est tombé dans certaines erreurs qui furent condamnées par l'Église. Il croit à l'apocatastasis c'est-à-dire qu'à la fin de temps tout sera restauré, qu'il n'y aura pas d'enfer. Cela est très rationaliste car l'homme a du mal à concevoir que quelqu'un soit perdu pour toujours. Pourtant l'homme est libre et peut refuser Dieu dans cette vie et dans l'autre. De toute façon, le choix doit se faire dans cette vie car dans l'autre c'est trop tard.

Pour Évagre la perfection consiste dans l'impassibilité. Mais la perfection selon l'Église consiste dans l'amour, dans la foi agissant par l'amour comme dit l'Apôtre. Mais l'impassibilité n'est que le moyen comme la mort sur la Croix de notre Sauveur. Son but était la résurrection qui supposait bien sûr la crucifixion.

Il se peut qu'il y ait d'autres problèmes concernant ces deux pères mais je les ignore ou plutôt je les ai oubliés.

 

Question :

Plusieurs questions me viennent à l'esprit, concernant les anciens-calendaristes. Premièrement je récapitule, si j'ai bien saisi jusqu'au 9 mars 1923 l' Église Orthodoxe était donc une, qui vivait avec le calendrier julien. A cette date un schisme profond sépare les anciens des néo-calendaristes, et dans un sens maintenant vous vous trouvez taxé d'intégrisme. Mes questions sont les suivantes combien êtes vous à travers le monde approximativement ? Où sont concentrés le plus grand nombre d'anciens calendaristes ? Le Mont Athos vit il en totalité avec l'ancien calendrier ou y a t'il des monastère de diverses obédiences ? Où formé vous vos prêtres et y a t'il de grandes divergences avec les autres orthodoxes au niveau de la formation des prêtres ? Cela fait pas mal de question mais comme je suis fortement intéressé et je comprend si vous ne me répondez pas directement car j'ai en encore d'autres.

Réponse :

Jusqu'en 1924 l'Église orthodoxe était une et elle l'est toujours. Il y a eu un ou plutôt plusieurs schismes car dans d'autres pays le même phénomène s'est produit. Lors du schisme, comme chaque fois quand il y a schisme, une partie des fidèles se sont coupés de l'Église. Peu importe qu'il y a eu des évêques et même presque tous les évêques avec eux. Là où est la vérité, la fidélité à la Tradition, là l'Église a continué. Les autres ont bien sûr gardé le nom d'orthodoxes mais cela ne veut rien dire. Après le schisme en 1054 avec les latins, ceux-ci ont continué à se nommer catholiques, chrétiens etc. Les ariens, eux aussi, se considéraient comme orthodoxes.

Maintenant le pourquoi du changement du calendrier. En 1924 des forces obscures ont infiltré dans l'Église. Leurs but était de détruire celle-ci, de se servir d'elle. Ici en pays libres c'était la maçonnerie et consorts et en pays communistes les bolchéviques. Le changement a commencé avec le calendrier. D'autres changements furent proposés mais n'ont pu se réaliser que plus tard et cela continue. L'intention était donc de détruire l'Église et pour cela les fidèles se sont opposés.

L'Église pourrait changer le calendrier en principe si nécessité se présente mais il n'y a aucune nécessité et il n'y aura pas non plus à l'avenir car le calendrier s'est sanctifié par la pratique et en fait partie. L'Église pourtant ne pourra jamais accepter le calendrier papal car il est sous anathèmes qui furent prononcés par des conciles pan-orthodoxes peu après l'introduction du calendrier papal.

Mais le fait de garder le calendrier orthodoxe n'est pas encore un critère d'orthodoxie. L'Église officielle en Russie (d'ailleurs tous les russes) garde le calendrier orthodoxe, mais elle est soumise au régime et en pleine communion avec les nouveau-calendaristes. Même des uniates (catholiques du rite oriental) ont le calendrier orthodoxe. Donc en plus de la question du calendrier, il y a aussi des problèmes politiques liés avec les dogmes et le reste.

Bien sûr on nous traite d'intégristes, des schismatiques et autres. Les calomnies et persécutions n'ont pas manqué depuis le schisme et comme les autres ont le pouvoir de leur côté il est facile de nous maltraiter.

Au Mont Athos tout le monde suit l'ancien calendrier mais presque personne ne suit l'orthodoxie. Ils sont presque tous soumis au patriarche maçonnique et se contentent de paroles protestataires sans faire suivre des actes. Il n'y a que le monastère Esphigmenou qui n'est pas soumis à l'Église de l'état et quelques moines dispersés dans les skites.

Tu désires être délivré des peines et ne pas être écrasées par elles ? Attends-toi à de plus grandes épreuves et tu trouveras la paix. Souviens-toi de Job et des autres saints et des peines qu'ils endurèrent, acquiers leur patience et ton esprit sera consolé.

saint Barsanuphe

LETTRE

(via internet)

Mon cher,

J'ai aussi perdu la lettre avec la question à laquelle je n'ai pas encore répondu. Je tâche d'y répondre de mémoire. D'ailleurs dans des anciens bulletins j'en ai déjà parlé.

Les pères interdisent de prier avec les hérétiques et cette interdiction est toujours valable même si les "oecuménistes" s'en fichent comme pour le reste.

Nous pouvons prier pour eux mais pas avec eux afin de ne pas nous souiller de leurs erreurs. Pendant la divine Liturgie nous ne prions même pas avec les catéchumènes qui pourtant se préparent au baptême. Nous disons "Fidèles, prions pour les catéchumènes" et "Catéchumènes priez le Seigneur". A plus forte raison, cela doit être valable pour ceux qui restent dans leurs erreurs.

Autre chose de prier avec quelqu'un, autre chose de manger, de parler, de se promener avec lui. La prière, c'est ce qu'il y a de plus intime dans un croyant et on le partage pas avec n'importe qui. Dans la vie d'une famille, d'un couple, on ne partage pas non plus tout avec un étranger, même pas avec un ami.

Le Seigneur nous recommande d'être charitable envers notre prochain, de lui faire du bien. Le prochain est, bien sûr, n'importe qui comme c'est montré dans la parabole du Samaritain. La charité ne consiste pas à prier avec lui, mais pour lui, de l'aider dans ses besoins terrestres, de le saluer. "Si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens aussi n'agissent-ils pas de même?" (Mt 5,47)

Nous n'avons pas non plus le droit de juger notre prochain, car Dieu seul est son juge et voit ce qui est en lui. Mais nous pouvons juger sa croyance qui est objective et visible pour tous comme nous pouvons juger la drogue, le tabac, la prostitution etc. sans juger directement ceux qui s'y adonnent. Je dis directement car indirectement ils sont jugés par nos paroles qui les concernent.

Je sais qu'aujourd'hui on ne comprend plus cela car on confond l'amour véritable avec avec la sentimentalité et le besoin d'affection.

Je ne réponds que succinctement à votre lettre et dans la mesure où je l'ai encore en tête mais je veux bien y revenir si vous avez d'autres questions là-dessus.

Dans l'amour du Christ,
votre hm. Cassien

L'ETAT DE BONHEUR RELATIF
"Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés" (Mt 5,4)

 

Sur la terre, dans ce monde de toutes les souffrances possibles, les larmes sont, d'habitude, signe de douleur, de souffrance. Mais en même temps, elles sont un canal d'épanchement pour la douleur, en procurant une paix et un état de bonheur relatifs.

Il y a, sans doute, des situations où l'homme pleure aussi de joie, mais même en ces cas, c'est toujours une souffrance, une douleur latente qui s'éloigne du coeur, cédant la place à une sensation de bonheur, de joie.

L'effet d'une belle musique, d'une chanson, d'un beau paysage pénètre dans notre système nerveux tout entier, en nous impressionnant souvent jusqu'aux larmes. Les larmes sont des gouttes de perle qui couvrent de rosée l'espace de notre pèlerinage terrestre et qui nous portent en arrière, sur leurs ailes pleines de nostalgie, vers le bonheur du paradis perdu.

Ces larmes sont celles qui purifient, caressent et rendent heureux.

Depuis le péché originel, notre être, au cours des siècles, est devenu un agglomérat de péchés, un amas de morceaux douloureux collés, entrelacés, sur notre âme. Nous sommes devenus les gardiens de notre propre âme emprisonnée.

Chaque homme, au fond de sa conscience, se rend compte de tout cela et, en conséquence, chacun désirerait s'évader de soi-même, s'élever, croître loin de ce conglomérat pécheur qui s'appelle "moi" et devenir plus heureux. Mais cela ne sera possible que par une transformation radicale, par un dégagement des haillons des péchés, par un nettoyage des morceaux de souillure attachés à notre âme.

En ce qui concerne le nettoyage des choses matérielles, c'est bien plus facile car, pour cela, il y a assez de préparations chimiques à notre disposition. Bien sûr, quelques-unes exigent un procédé de lavage plus compliqué, comme par exemple des taches d'encre, de rouille, de sang et de fruits.

Ici, en un autre sens, il faut penser aux taches du fruit interdit qui ont maculé l'âme humaine, comme aux taches du sang de Caïn aussi, qu'en tant de siècles les lois les plus dures n'ont pu éloigner. Il a fallu que le sang du Golgotha vînt pour commencer à laver ces taches ancestrales.

Aujourd'hui, comme jusqu'à la fin du monde, l'élément purificateur est ce sang et cette eau qui se sont écoulés sur la croix au Golgotha.

Mais dans sa Bonté et son Amour infini pour nous les hommes, le Sauveur nous indique encore un élément de collaboration pour la purification et la transformation des âmes, quand Il nous dit que ceux qui pleurent sont heureux, qu'ils vont trouver la consolation de leur vie dans le royaume des cieux, celui du bonheur éternel.

Qu'est-ce que ces pleurs ? C'est la suite d'un processus à l'intérieur de l'âme, dont la conséquence naturelle est les larmes. Malheur à ceux qui pleurent sans larmes ! Ces pleurs sont comme la flamme d'une étuve qui brûle et dessèche affreusement.

C'est le feu comme celui de l'histoire du riche impitoyable et du pauvre Lazare, que Dieu envoie encore vers quelques âmes ici, sur la terre. Le processus de cautérisation purifiante une fois commencé, il ne reste que les larmes du regret jaillies à temps qui apportent la caresse du pardon. Mais beaucoup d'êtres ne possèdent pas ces larmes et alors ils meurent inconsolés, en passant dans la nuit obscure de leur existence future comme des charbons incandescents.

Voilà pourquoi les larmes sont une bénédiction céleste donnée par Dieu pour la diminution de la tension du péché, pour amortir les dettes de notre âme, pour en nettoyer la souillure.

Il y a des êtres qui, à un moment donné, arrivent à reconnaître leur état de pécheurs, à constater qu'ils sont très souillés et engagés sur des voies étrangères, totalement séparées et très éloignées de celles de Dieu, et alors ils commencent à pleurer. Au début, c'est une lamentation intérieure tourmentée, pour qu'ensuite, les portes de l'âme s'ouvrant, celles-ci deviennent un torrent purificateur de toutes les souffrances et des péchés. A ce moment-là, par le rideau des larmes, dans les yeux assombris de celui qui pleure ses péchés, les rayons de la rémission, descendus du regard paternel du Père céleste, brilleront d'encouragement.

De ceux qui peuvent pleurer ainsi, le Sauveur dit qu'ils sont heureux, parce que ces pleurs constituent le messager d'une vie nouvelle, selon le gré et le commandement de Dieu. "Le chagrin est meilleur que le rire, car la tristesse du visage est bonne pour le coeur" (Qo 8,3).

Ce sont les considérations du Sage de la Bible, et, en effet, on rencontre les larmes au long des siècles dans la vie des peuples et des êtres, dans les chaumières comme dans les palais. Le mendiant, de même que le prince, tous deux sont venus au monde en pleurant. David, initiateur du psaume et prophète, se noyant en larmes, s'est adressé à Dieu dans ses grands remords à propos de ses péchés. Le fils prodigue, parmi ses larmes de regret, est rentré et a embrassé son père si affectueux et clément. Le Sauveur, dans sa douleur infinie, a versé des larmes et de la sueur de sang, attristé jusqu'au moment de sa mort pour nos péchés.

Comme il est malheureux et condamné, celui qui ne peut purifier par des larmes les souillures de son âme !

Les larmes sont l'eau bénite de la volonté. De même que la pluie mouille la terre et la rend propre à donner une bonne récolte, de même les larmes émeuvent et attendrissent les âmes les plus pétrifiées, en les adaptant à écouter et suivre les commandements de Dieu, pour l'accomplissement des bonnes oeuvres.

Alors, connaissons et sachons que la douleur et la tristesse ne constituent pas une punition, mais le don purificateur de Dieu, envoyé vers nous pour la purification et pour notre correction.

Les pleurs ne sont pas une accumulation de souffrance, mais déjà le début de l'amortissement de nos dettes envers Dieu.

Laissons couler nos larmes au moment où notre conscience nous dit que notre vie n'est pas celle qu'elle devrait être et pour laquelle Jésus Christ a pleuré et S'est sacrifié sur la croix, car chaque larme de notre remords se transforme en une perle précieuse du châtiment et de la caresse.

père Olivian

VIE DE SAINTE LIOBA

fêtée le 28 septembre

L’auteur de cette Vie, Rudolf, moine de Fulda, était disciple de Raban-Maur, l’homme le plus cultivé peut-être de son époque. Sous-diacre en 821, il succéda à son maître à l’école de Fulda, puis Louis le Germanique en fit son chapelain, son confesseur et son prédicateur.

La Vie de Lioba, abbesse de Bischofheim du diocèse de Mayence, fut composé par lui sur l’ordre de Raban-Maur. Elle dût être terminée vers 836, car Rudolf n’y souffle mot de la translation des reliques de sainte Lioba qui eut lieu en 837. Comme Lioba mourut en 779, le récit de Rudolf se fonde donc sur des souvenirs et notes de deuxième et de troisième main.

Dédicace

Le petit livre que j’ai écrit sur la vie et les vertus de la sainte et vénérable vierge Lioba, t’est dédié, ô Hadamout, vierge du Christ, afin que tu aies quelque chose à lire avec plaisir et à imiter avec profit. Ainsi, avec l’aide de la Grâce du Christ, tu pourras plus tard jouir de la récompense bienheureuse de Celui dont tu es maintenant la fiancée. Je vous implore instamment, toi et les autres moniales qui invoquez sans cesse le Nom du Seigneur, de prier pour que moi, Rudolf, moine de Fulda et malheureux pécheur, je puisse, en dépit de mon indignité de partager la fraternité des élus de Dieu, recevoir le pardon de mes péchés et échapper aux châtiments qu’ils entraînent, par les mérites de ceux qui Lui sont agréables.

Prologue

Avant de commencer à écrire la vie de la bienheureuse et vénérable vierge Lioba, j’invoque son Fiancé, le Christ, notre Seigneur et Sauveur, qui lui avait donné le courage de vaincre les puissances du mal, de m’inspirer une éloquence suffisante pour décrire ses mérites excellents.

J’ai été incapable de découvrir tous les faits de sa vie. Je vais donc relater le peu que j’en ai appris dans les écrits d’autres, des hommes vénérables qui les ont entendu raconter par quatre de ses disciples : Agathe, Thècle, Nana et Eoloba. Chacun écrivit suivant sa capacité, laissant son récit comme un monument à la postérité.

Un de ceux-là, le saint hiéromoine Mago qui est mort il y a cinq ans, était en termes amicaux avec ces femmes et, pendant ses visites fréquentes, leur parlait de choses profitables pour l’âme. Ainsi put-il apprendre bien des choses sur sa vie. Il prit soin de noter brièvement tout ce qu’il avait entendu, mais malheureusement, ce qu’il laissa était presque impossible à comprendre, car, en essayant d’être bref et succinct, il s’exprimait de façon à laisser les faits ouverts à des malentendus, sans assurer de base pour une certitude. C’est arrivé, à mon avis, parce que, dans son empressement à noter chaque détail avant qu’il n’échappât à sa mémoire, il notait les faits par une écriture condensée et espérait pouvoir les mettre en ordre pour en faire un livre qui soit plus aisé de comprendre aux lecteurs. La raison pour laquelle il laissa le tout dans un tel désordre, noté sur des morceaux épars de parchemin, était qu’il mourut subitement sans avoir eu le temps de parvenir à ses fins.

Ce n’est donc pas par présomption, mais par obéissance à l’ordre de mon vénérable père et maître Raban que j’ai essayé de réunir tous les papiers et notes éparpillés, laissés par les hommes mentionnés. La série d’événements que j’ai tenté de reconstruire pour ceux qui s’intéressent à les connaître, est basée sur les renseignements que j’ai trouvés dans leurs notes et sur le témoignage oral que j’ai pu recueillir d’autres. Car il existe encore plusieurs hommes religieux encore vivants

qui peuvent témoigner de l’authenticité des faits mentionnés dans les documents, puisqu’ils en avaient entendu parler de leurs prédécesseurs, et qui peuvent même en ajouter quelques autres qui méritent d’être rapportés. Ces derniers m’avaient paru propres à être inclus dans le livre, je les ai donc combinés avec le matériel obtenu des notes écrites. Tu verras donc que je n’ai pas seulement réorganisé et complété l'œuvre commencée par d’autres, mais j’ai écrit aussi quelque chose de mon côté. Car il me semble qu’il ne doit pas y avoir de doute dans l’esprit des fidèles concernant la vérité des affirmations faites dans ce livre, puisqu’elles sont dignes de foi aussi bien à cause du caractère irréprochable des narrateurs que par les miracles qui se produisent fréquemment sur le lieu des reliques de la sainte.

Vertus de Tetta, sa mère spirituelle

Les monastères de Wimbourne

Mais avant de commencer la narration de sa vie et de ses vertus remarquables, il ne serait peut-être pas déplacé de mentionner quelques-unes de toutes les choses que j’ai entendu dire concernant sa maîtresse et mère spirituelle qui l’avait initiée à la vie spirituelle et avait nourri en elle le désir du ciel. Ainsi, le lecteur, mis au courant des qualités de cette excellente femme, saura plus facilement accorder crédit aux accomplissements de cette disciple, dans la mesure où il verra clairement de quelle noble maîtresse elle apprit les fondements de la vie spirituelle.

Sur l’île britannique qui est habitée par la nation anglaise, il existe un endroit nommé Wimbourne, un nom ancien qui pourrait être traduit par “Ruisseau de vin”. Il reçut son nom de la clarté et la douceur de l’eau de là-bas, une eau dont on ne trouve meilleure nulle part ailleurs sur cette terre. En des temps anciens, les rois de cette nation y ont construit deux monastères, un pour les hommes et un pour les femmes, tous les deux entourés de murs forts et hauts, et les ont nantis de toutes les nécessités que la prévoyance pût trouver.

Depuis le début de la fondation, la règle fermement établie était que l’entrée n’en devait être permise à personne du sexe opposé. Aucune femme n’était donc autorisée à entrer au sein de la communauté des hommes, ni aucun homme dans celle des femmes, sauf les prêtres qui devaient célébrer la liturgie dans leurs églises; mais eux aussi, après avoir rempli leur fonction, devaient se retirer immédiatement. Toute femme qui souhaitait renoncer au monde et entrer au monastère, le faisait sachant qu’elle ne devait jamais le quitter. Elle ne pouvait en sortir que pour une raison sérieuse et qui apporterait aussi un grand avantage au monastère. De plus, quand il était nécessaire de diriger les affaires du monastère et envoyer dehors pour quelque chose, la supérieure de la communauté parlait à travers une fenêtre et c’est seulement de là qu’elle prenait des décisions et arrangeait ce qui était nécessaire.

C’est sur ce monastère, succédant à plusieurs autres abbesses et maîtresses spirituelles qu’une vierge consacrée nommée Tetta devait exercer son autorité. C’était une femme de famille noble (elle était, en effet, une des sœurs du roi), mais plus noble encore dans sa conduite et ses bonnes qualités. Elle gouverna les deux monastères avec prudence accomplie et discrétion. Elle instruisit davantage par ses actes que par des paroles et chaque fois qu’elle dit qu’un certain comportement était néfaste pour le salut des âmes, elle montrait par sa propre conduite qu’il devait être proscrit.

Elle maintenait la discipline avec une telle circonspection (et la discipline y était bien plus stricte qu’ailleurs !), qu’elle ne permit jamais à ses moniales de s’approcher des membres du clergé. Elle était si désireuse de voir ses moniales — en compagnie desquelles elle demeurait toujours — écartées de la compagnie des hommes qu’elle refusait l’entrée dans la communauté non seulement aux laïcs et aux prêtres, mais même aux évêques.

Il y a beaucoup d’exemples des vertus de cette femme que la vierge Lioba, sa disciple, se rappelait avec plaisir lorsqu’elle racontait ses souvenirs. Pour ma part, je n’en mentionnerais que deux, afin que le reste puisse être conjecturé.

La moniale intraitable

Dans ce couvent, il y avait une certaine moniale qui, à cause de son zèle pour la discipline et l’observance stricte des règles, fut souvent nommée prieuresse et fréquemment faite l’une des maîtresses. Mais comme elle était trop imprudente et manquait de discrétion, elle contraignait à la discipline celles qui étaient sous ses ordres et finit par provoquer leur ressentiment, en particulier celui des plus jeunes membres de la communauté.

Elle aurait très bien pu les adoucir en acceptant leurs critiques, mais au lieu de cela, elle se durcit contre une telle attitude et alla si loin dans son inflexibilité que même à la fin de sa vie, elle ne prit pas la peine de les amadouer en demandant leur pardon. C’est ainsi, dans un tel état d’esprit obstiné, qu’elle mourut et fut ensevelie, et lorsqu’elle eut été recouverte de terre comme le veut la coutume, une tombe fut élevée sur son corps.

Cependant cela n’a pas apaisé les sentiments des jeunes moniales qui la haïssaient, et dès qu’elles virent l’endroit où elle était enterrée, pour réprouver sa cruauté, elles grimpèrent sur sa tombe comme pour piétiner son cadavre, lançant des malédictions amères sur son corps pour soulager leurs sentiments outragés.

Lorsque ces choses sont parvenues à l’oreille de la vénérable abbesse de la communauté, elle réprimanda les jeunes moniales pour leur présomption et les corrigea vigoureusement. Elle alla au tombeau et constata que, d’une certaine façon extraordinaire, la terre entassée au-dessus du corps s’était affaissée et était à six pouces au-dessous du niveau du sol environnant. À la vue de cela, elle fut saisie d’une grande crainte. La baisse du niveau du sol lui fit comprendre comment la femme morte fut punie et elle sut juger de la sévérité de la sentence divine concernant cette moniale par l’affaissement de son tombeau.

Elle appela donc à elle toutes les sœurs ensemble et se mit à les admonester pour leur cruauté et la dureté de leur cœur. Elle leur reprocha de ne pas avoir oublié le mal qu’elles avaient souffert et d’avoir accueilli dans leurs cœurs de la rancune au sujet de l’amertume passagère que leur avait causée la discipline dure. Elle leur expliqua qu’un des principes fondamentaux de la perfection chrétienne est d’être pacifique à l’égard de ceux qui n’aiment pas la paix, alors qu’elles, loin d’aimer leurs ennemis comme Dieu l’a commandé, non seulement elles avaient haï leur sœur de son vivant, mais l’avaient poursuivie de leurs malédictions maintenant qu’elle était morte.

Elle leur conseilla d’oublier leur ressentiment, d’accepter le mauvais traitement qu’elles avaient reçu et de montrer leur pardon sans délai : que si elles souhaitaient que leurs propres péchés fussent pardonnés par Dieu, elles devaient aussi pardonner aux autres du fond de leur cœur. Elle les implorait d’oublier tout le mal que la défunte leur avait infligé avant sa mort et de joindre leurs prières à la sienne propre pour obtenir que Dieu, en sa Miséricorde, l’absolve de ses péchés. Lorsqu’elles eurent toutes consenti à suivre son conseil, elle leur ordonna de jeûner pendant trois jours et de s’adonner avec zèle à la veille, à la prière et à la psalmodie pour le repos de son âme.

À la fin du jeûne, le troisième jour, elle entra avec toutes les moniales à l’église, chantant des litanies et invoquant le Seigneur et ses saints, puis, s’étant prosternée devant l’autel, elle pria pour l’âme de la sœur défunte. Et comme elle persévérait dans la prière, le trou dans le tombeau qui auparavant paraissait vide, se mit à se remplir et le sol remonta de sorte qu’à l’instant où elle se releva, la tombe était au même niveau que la surface du sol tout autour. Par là, il était clair que, au moment où le tombeau revint à son état normal, l’âme de la sœur défunte, grâce aux prières de Tetta, était absoute par la Puissance divine.

Victoire de la prière

À une autre occasion, il arriva que la sœur gardienne de la chapelle, ayant fermé la porte de l’église avant d’aller dormir après les Complies, perdit toutes les clefs dans le noir. Il y en avait beaucoup, provenant de diverses choses verrouillées dans le trésor de l’église, quelques-unes en argent, d’autres en bronze ou en fer, toutes retenues ensemble par un maillon de métal.

Quand elle se leva au son de la cloche annonçant les Matines et ne trouva pas les clefs pour ouvrir les portes de l’église, elle alluma un cierge et chercha avec soin à tous les endroits où elle

pouvait avoir un quelconque espoir de les trouver, et comme si une fois ne suffisait pas, elle parcourut le même sol en scrutant encore et encore pour les retrouver. Quand elle eut fait cela plusieurs fois sans succès, elle s’en fut voir l’abbesse qui, comme de coutume, avait devancé l’heure de l’office de nuit et était profondément plongée dans la prière, pendant que les autres étaient encore au repos.

Tremblant de crainte, la moniale se jeta aux pieds de l’abbesse et confessa humblement la négligence dont elle était coupable. Dès que l’abbesse l’entendit, elle fut convaincue en son cœur que c'était là l’œuvre du diable, et ayant convoqué toutes les sœurs, elle récita Matines et Laudes dans un autre bâtiment.

Quand cela fut terminé, elle s’adonnèrent toutes à la prière. Aussitôt, la méchanceté de l’antique ennemi fut mise au jour, car, soudain, pendant qu’elles étaient encore en prière, on put voir un petit renard crevé devant les portes de la chapelle : il tenait dans sa gueule les clefs, de sorte que ce que l’on croyait perdu était retrouvé.

Alors, la vénérable mère prit les clefs, ordonna que l’on ouvrît les portes, et, accompagnée des moniales qui, à cette époque, étaient au nombre de cinquante, elle entra dans l'église, où, par des hymnes et des louanges, elle rendit grâce à Dieu pour avoir miséricordieusement exaucé ses servantes qui mettaient leur confiance en Lui et pour avoir confondu l’esprit mauvais. Car celui qui a dit : “J’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu” (Is 14,13), fut transformé en bête pour son orgueil et celui qui refusa de se soumettre humblement à Dieu fut, par les prières des moniales, démasqué comme renard et manifesté comme insensé.

Que ces exemples de la vertu de la vénérable mère Tetta suffisent. Nous allons poursuivre notre but qui est de raconter la vie de sa fille spirituelle, Lioba, la vierge.

Vie de Lioba

Sa naissance
Comme nous l’avons déjà dit, ses parents étaient anglais, de famille noble et pleins de zèle

pour la religion et les commandements de Dieu. Son père s’appelait Dynno, sa mère Aebba. Mais comme ils étaient stériles, ils demeurèrent très longtemps sans enfant. Après de longues années, lorsque la vieillesse arrivée les eut privés de tout espoir d’une progéniture, sa mère fit un rêve dans lequel elle se vit portant dans son sein une cloche d’église qui, une fois retirée par sa propre main, se mit à tinter joyeusement. Quand elle se réveilla, elle appela à elle sa vieille nourrice et lui raconta son rêve. La nourrice lui dit : “Nous verrons encore sortir une fille de tes entrailles, mais il est de ton devoir de la consacrer aussitôt à Dieu. Comme Anne offrit Samuel au service de Dieu tous les jours de sa vie au Temple, ainsi tu devras l’offrir quand elle aura appris l’Écriture depuis sa petite enfance, pour qu’elle serve Dieu dans la sainte virginité, tant qu’elle vivra.” Peu après que la femme fit ce vœu, elle conçut et enfanta une fille qu’elle appela Thrutgeba et surnomma Lioba parce qu’elle était bien-aimée, puisque c’est ce que signifie Lioba1 .

Ses débuts au monastère

Quand l’enfant eut grandi, sa mère la consacra et la remit à mère Tetta pour qu’elle apprenne les sciences sacrées, tandis qu’elle libéra la nourrice qui lui avait prédit qu’elle aurait un tel bonheur.
La jeune fille grandissait et était instruite avec tant de soin par l’abbesse et toutes les moniales qu’elle n’avait aucun autre intérêt que le monastère et la poursuite de la connaissance sacrée. Elle ne prenait pas plaisir aux gamineries sans but ni ne perdait son temps à des rêvasseries de jeune

1 du sanscrit lõbha- (désir, convoitise), ce mot existe en plusieurs langues indo-européennes avec le sens d? amour . Cf. l?allemand Liebe, l?anglais love, le russe lioubov?. En russe, il existe aussi comme prénom féminin : Liouba, équivalent d?Agapé, de Charité, d?Amour. (NduT.)

fille, mais, enflammée par l’amour du Christ, elle fixait constamment son esprit à la lecture et à l’audition de la parole de Dieu.

Elle retenait tout ce qu’elle entendait ou lisait, et mettait en pratique tout ce qu’elle apprenait. Elle faisait preuve d’une telle modération dans son usage de la nourriture et de la boisson qu’elle évitait tout mets raffiné, repoussait l’attrait des festins somptueux et était satisfaite de tout ce que l’on mettait devant elle. Elle priait beaucoup, sachant que, dans les épîtres, on conseille aux fidèles de prier sans cesse. Quand elle ne priait pas, elle travaillait de ses mains à tout ce qu’il lui était ordonné, car elle avait appris que celui qui ne travaille pas ne doit pas manger. Cependant, elle passait davantage de son temps à lire et à écouter l’Écriture sacrée qu’à faire du travail manuel. Elle prenait grand soin à ne pas oublier ce qu’elle avait écouté ou lu, observant les commandements du Seigneur et mettant en pratique tout ceux dont elle se souvenait.

De cette façon, elle dirigeait sa conduite de telle sorte que toutes les sœurs l’aimaient. Elle apprenait de toutes et obéissait à toutes, et, en imitant les bonnes qualités de chacune, elle se modelait sur la continence de l’une, la bonne humeur de l’autre, copiant ici la douceur d’une sœur, là la patience d’une autre. Elle essayait d’égaler l’une quant à l’attention à la prière, l’autre quant à la dévotion à la lecture. Par-dessus tout, elle était attentive à pratiquer la charité sans laquelle, comme elle le savait, toutes les autres vertus sont vaines.

Le rêve prophétique qu’elle fit et son interprétation

Lorsqu’elle eut réussi à fixer son attention aux choses célestes par ces pratiques et d’autres, en vue d’acquérir la vertu, elle eut, une nuit, un songe dans lequel elle vit un fil pourpre sortir de sa bouche. Il lui sembla, lorsqu’elle le saisit de sa main et tenta de le sortir, qu’il n’avait pas de fin, et, comme s’il sortait de ses entrailles même, il s’allongeait peu à peu jusqu’à une longueur considérable. Quand sa main fut remplie de fil et qu’il en sortait toujours de sa bouche, elle l’enroula tout en rond et en fit une pelote. Ce travail était si fatigant qu’elle finit par s’éveiller de son sommeil par pure lassitude et se mit à se demander quelle devait être la signification du songe. Elle comprenait clairement qu’elle n’avait pas fait ce rêve sans raison, et il lui sembla que quelque mystère y était caché.

Or, il y avait dans ce même monastère une vieille moniale dont on savait qu’elle possédait l’esprit de prophétie, puisque les choses qu’elle prédisait se réalisaient toujours. Comme Lioba était embarrassée de lui révéler son rêve, elle le raconta à une de ses disciples, en lui demandant d’aller voir la vieille moniale et de lui décrire la chose comme une expérience personnelle, pour en connaître le sens.

Quand la sœur eut répété les détails du rêve comme s’ils lui étaient arrivés à elle, la moniale qui était clairvoyante lui répondit en colère : “C’est en vérité une vraie vision et un bon présage pour l’avenir. Mais pourquoi mens-tu en disant que de telles choses te sont arrivées ? Ces choses ne te regardent pas. Elles concernent la bien-aimée élue de Dieu.” Avec cette appellation, elle se référait à Lioba. “Ces choses — poursuivit-elle — furent révélées à la personne dont la sainteté et la sagesse en font un digne réceptacle, car par son enseignement et son bon exemple, elle fera progresser beaucoup de monde.”

“Le fil qui venait de ses entrailles et sortait par sa bouche signifie les sages conseils qu’elle proférera de son cœur. Le fait qu’elle en remplissait sa main signifie qu’elle réalisera en actes tout ce qu’elle exprimera en paroles. Pour le reste, la pelote qu’elle en fit en l’enroulant en rond signifie le mystère de la doctrine divine qui se met en mouvement par les paroles et les actes de ceux qui enseignent, et qui tourne vers la terre par la vie d’action et vers le ciel par la contemplation, tantôt se balançant vers le bas par compassion pour le prochain, tantôt vers le haut par amour pour Dieu. Par ces signes, Dieu montre que ta maîtresse fera du bien à beaucoup par ses paroles et son exemple dont les effets seront sensibles dans des terres lointaines où elle ira.” Que cette interprétation du rêve était juste, les événements ultérieurs l’ont prouvé.

Saint Boniface fait participer Lioba à son œuvre missionnaire en Allemagne

Au temps où la bienheureuse vierge Lioba poursuivait sa quête de la perfection au monastère, le saint martyr Boniface fut ordonné par Grégoire II, évêque de Rome et successeur de Constantin, au siège apostolique. Sa mission était de prêcher la parole de Dieu au peuple de l’Allemagne. Quand Boniface trouva que le peuple était prêt à recevoir la foi et que, bien que la moisson fût grande, les moissonneurs travaillant avec lui étaient peu nombreux, il envoya des messagers et des lettres en Angleterre, son pays natal, convoquant, parmi les divers rangs du clergé, beaucoup qui étaient instruits dans la loi divine et propres, tant par leur caractère que par leurs bonnes œuvres, à prêcher la parole de Dieu. Secondé par ceux-ci, il accomplissait avec zèle la moisson dont il était chargé et convertit, par la doctrine saine et des miracles, une grande partie de l’Allemagne à la foi.

Comme les jours passaient, des multitudes de gens furent initiés aux mystères de la foi et l’évangile était prêché non seulement dans les églises, mais aussi dans les villes et les villages. Ainsi les catholiques étaient fortifiés dans leur croyance par une exhortation constante, les méchants se soumettaient à la correction et les païens, éclairés par l’évangile, affluaient pour recevoir la grâce du baptême.

Quand l’homme bienheureux vit que l’Église du Christ augmentait en nombre et que le désir de la perfection était fermement enraciné, il établit deux moyens par lesquels le progrès de la religion devait être assuré. Il commença à construire des monastères afin que les gens soient attirés à l’Église non seulement par la beauté de sa doctrine, mais aussi par des communautés de moines et de moniales. Et comme il souhaitait que que l’observance fût gardée, dans les deux cas, selon la sainte règle, il entreprit d’obtenir des supérieurs appropriés pour les deux maisons. Pour ce faire, il envoya son disciple Sturm, un homme de famille noble et de caractère solide, au Mont Cassin, pour étudier la discipline réglementaire, l’observance et les coutumes monastiques qui y furent établies par saint Benoît. Il désirait que ce futur supérieur y devienne novice, pour apprendre ainsi, en une humble soumission, comment gouverner d’autres.

De la même façon, il envoya des messagers avec des lettres à l’abbesse Tetta dont nous avons déjà parlé, lui demandant d’envoyer Lioba pour l’accompagner dans ce voyage et participer à cette mission; car la réputation de Lioba pour la connaissance et la sainteté se répandit très loin et ses louanges étaient sur les lèvres de tous. L’abbesse Tetta était excessivement mécontente de son départ, mais comme elle ne put nier les dispositions de la Providence divine, elle consentit à sa requête et laissa aller Lioba au bienheureux. C’est ainsi que l’interprétation du rêve qu’elle a reçu auparavant s’est réalisée. Quand elle arriva, l’homme de Dieu la reçut avec la déférence la plus profonde, la tenant en grande affection, non pas tant parce qu’elle lui était apparentée du côté maternel, mais parce qu’il savait que grâce à sa sainteté et sa sagesse, elle allait faire beaucoup de bien par sa parole et son exemple.

Lioba, abbesse du monastère de Bischofsheim

Pour atteindre ses buts, saint Boniface nomma des personnes responsables à la tête des monastères et établit l’observance de la règle : il plaça Sturm comme abbé des moines et Lioba comme abbesse des moniales. Il lui donna le monastère situé à un lieu nommé Bischofsheim, où il existait une grande communauté de moniales. Celles-ci furent formées selon ses principes quant à la discipline de la vie monastique et firent un tel progrès sous son enseignement que plusieurs d’entre elles devinrent par la suite supérieures d’autres moniales, de sorte qu’il n’y avait guère de monastère dans cette contrée qui n’eût comme abbesse une de ses disciples. Elle était une femme de grande vertu et était si fortement attachée au genre de vie à laquelle elle s’était vouée qu’elle ne pensa jamais à son pays natal ni à ses parents. Elle consacrait toute son énergie au travail qu’elle avait entrepris, afin de paraître irréprochable devant Dieu et de devenir un modèle de perfection pour celles qui lui obéissaient en paroles et en actes. Elle était toujours sur ses gardes pour ne pas enseigner aux autres ce qu’elle n’accomplissait pas elle-même. Il n’y avait ni arrogance, ni orgueil dans sa conduite; elle ne faisait pas acception de personnes, mais se montrait affable et gentille à

l’égard de tous. Elle était d’apparence angélique, agréable en paroles, précieuse d’esprit, forte de prudence, catholique de foi, très patiente dans l’espérance et universelle en sa charité. Mais, bien qu’elle fût toujours joyeuse, elle n’éclatait jamais de rire en une hilarité excessive. Personne n’entendit jamais un mot méchant de ses lèvres; le soleil ne se couchait jamais sur sa colère. Pour la nourriture et la boisson, elle montrait toujours la plus grande compréhension à l’égard des autres, mais elle était extrêmement parcimonieuse dans son propre usage de ces choses. Elle avait l’habitude de boire dans une toute petite coupe que les sœurs appelaient, à cause de la faible quantité qu’elle contenait, “la petite de la Bien-Aimée”.

Son zèle pour la lecture était si grand qu’elle ne l’interrompait que pour prier ou pour restaurer son corps par la nourriture ou le sommeil : les Écritures ne quittaient jamais ses mains. Car, comme elle était formée depuis son enfance dans les rudiments de la grammaire et l’étude des autres arts libéraux, elle essayait, par une réflexion constante, d’atteindre la connaissance parfaite des choses divines, de sorte que grâce à sa lecture associée avec son intelligence vive, ses dons naturels et son travail assidu, elle devint extrêmement instruite. Elle lut avec attention tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament et apprit par cœur tous les commandements de Dieu. Pour les compléter, elle y ajouta les écrits des pères de l’Église, les décrets des conciles et tout le droit canon. Elle observait une grande modération dans tous ses actes et dispositions et tenait toujours en vue le but pratique pour ne jamais devoir regretter d’avoir agi en cédant à une impulsion. Elle était profondément consciente de la nécessité de la concentration de l’esprit dans la prière et l’étude : pour cette raison, elle prenait soin à éviter tout excès dans la veille ou d’autres exercices spirituels. Pendant tout l’été, elle et toutes les sœurs sous ses ordres allaient au lit après le repas de midi et elle ne donna jamais à aucune la permission de se coucher tard le soir, car elle disait que le manque de sommeil rendait l’esprit paresseux, surtout pour l’étude. Quand elle s’allongeait pour se reposer, soit la nuit soit l’après-midi, elle faisait lire les Écritures saintes à son chevet par les plus jeunes sœurs, qui accomplissaient ce devoir à tour de rôle sans maugréer. Il est difficile de le croire, mais même quand elle paraissait endormie, elles ne pouvaient sauter aucun mot, aucune syllabe en lisant, sans qu’elle les corrigeât aussitôt. Celles qui étaient ainsi en charge confessaient plus tard que souvent, la voyant s’assoupir, elles faisaient une erreur de lecture exprès pour voir si elle la remarquait, mais jamais aucune ne réussit à échapper à son attention. Il n’est pourtant pas surprenant qu’elle ne pouvait même pas être trompée dans son sommeil, puisque Celui qui garde Israël et qui ne dort ni ne sommeille possédait son cœur et elle pouvait dire avec la fiancée du Cantique des Cantiques : “Je dors, mais mon cœur veille.”

Elle préservait la vertu de l’humilité avec un tel soin que, bien qu’elle fût nommée pour gouverner d’autres à cause de sa sainteté et sa sagesse, elle croyait en son cœur qu’elle était la moindre de toutes. Elle le prouvait à la fois par ses paroles et son comportement. Elle était extrêmement hospitalière. Elle tenait la maison ouverte à tous sans exception, et même quand elle jeûnait, elle donnait des festins et lavait les pieds de ses hôtes avec ses propres mains, à la fois comme la gardienne et le ministre de la pratique instituée par notre Seigneur.

Les machinations du malin

Tandis que la vierge du Christ agissait de cette façon et attirait à elle l’affection de tout le monde, le démon qui est l’ennemi de tous les chrétiens, voyait avec impatience sa propre vertu ainsi que le progrès que faisaient ses disciples. Il les attaquait donc constamment par de mauvaises pensées et des tentations de la chair, essayant de détourner quelques-unes du chemin qu’elles avaient choisi. Mais quand il vit que tous ses efforts étaient anéantis par leurs prières, leurs jeûnes et la chasteté de leur vie, le malin tentateur tourna son attention à d’autres moyens, espérant détruire du moins leur bonne réputation, même s’il ne pouvait briser leur intégrité par ses suggestions obscènes.

Il y avait une pauvre jeune fille estropiée qui était assise près du portail du monastère et demandait l’aumône. Chaque jour, elle recevait sa nourriture de la table de l’abbesse, ses vêtements

et toutes ses autres nécessités des moniales; ils lui étaient donnés par divine charité. Il arriva qu’au bout d’un certain temps, trompée par les suggestions du diable, elle commit le péché de fornication, et lorsque sa silhouette ne permettait plus de cacher qu’elle avait conçu un enfant, elle couvrit sa culpabilité en prétendant être malade. Quand son heure arriva, elle enveloppa l’enfant dans des langes et le jeta de nuit dans une mare près de la rivière qui la traversait. De cette façon, elle ajouta un crime à l’autre, car non seulement elle fit succéder le meurtre au péché de la chair, mais elle combina le meurtre avec l’empoisonnement de l’eau. Quand le jour se leva, une autre femme vint puiser de l’eau et, voyant le cadavre de l’enfant, elle fut frappée d’horreur. Bouillonnant de toute sa rage de femme, elle fit retentir tout le village de ses cris incontrôlables et hurla ses reproches aux saintes moniales en ces termes indignés : “Oh, quelle chaste communauté ! Qu’elle est admirable, la vie des moniales qui, sous leur voile, mettent des enfants au monde et remplissent à la fois la fonction de mère et de prêtre en baptisant ceux à qui elles ont donné naissance. Car, chers villageois, vous avez détourné cette eau pour faire une mare non simplement dans le but de moudre du blé, mais, sans le savoir, pour un baptême d’une nouvelle sorte, inouï. Maintenant allez et demandez à ces femmes que vous complimentez en les appelant des vierges, d’ôter ce cadavre de la rivière pour la rendre à nouveau propre à l’usage que nous en faisons. Cherchez laquelle est absente du monastère et vous trouverez qui est responsable de ce crime.”

À ces paroles, toute la foule se souleva et tous, sans distinction d’âge ou de sexe, se pressèrent, en une seule grande masse, pour voir ce qui s’était passé. Dès qu’ils virent le cadavre, ils condamnèrent le crime et dénigrèrent les moniales. Quand l’abbesse entendit l’émeute et apprit ce qu’il en était, elle rassembla les moniales, leur en dit la raison, et constata qu’il n’y avait qu’une absente, sœur Agathe, qui, quelques jours plus tôt, fut convoquée chez ses parents pour une affaire urgente : mais elle y alla avec son entière bénédiction.

Un messager fut envoyé pour la rappeler au monastère sans délai, car Lioba ne pouvait pas supporter que l’accusation d’un si grand crime pèse sur elles. Quand Agathe fut arrivée et eut entendu de quel acte on l’accusait, elle tomba à genoux et, levant les yeux au ciel, s’écria : “Dieu tout-puissant qui connais toutes choses avant qu’elles n’arrivent, aux yeux de qui rien ne reste caché et qui délivras Suzanne des fausses accusations quand elle mettait sa confiance en Toi, montre ta Miséricorde à cette communauté rassemblée ici en ton Nom et ne la laisse pas souiller par d’ignobles rumeurs à cause de mes péchés; mais daigne Toi-même démasquer et faire connaître, pour la louange et la gloire de ton Nom, la personne qui commit ce méfait.”

En entendant cela, la vénérable supérieure, assurée de l’innocence d’Agathe, leur ordonna à toutes d’aller à la chapelle et de se tenir debout, les bras étendus en forme de croix, jusqu’à ce que chacune ait chanté le psautier entier, puis, d’aller, trois fois par jour, à Tierce, à Sexte et à None, faire le tour du monastère en procession, avec le crucifix à leur tête, invoquant Dieu pour les délivrer, dans sa Miséricorde, de cette accusation. Quand elles eurent fait deux tours et allèrent entrer à l’église à None, la bienheureuse Lioba alla droit à l’autel, et, debout devant la croix préparée déjà pour la troisième procession, elle étendit ses mains vers le ciel et avec larmes et gémissements, elle pria disant : “Oh, Seigneur Jésus Christ, Roi des vierges, Amant de la chasteté, Dieu inconquérable, manifeste ta Puissance et délivre-nous de cette accusation, car les outrages de ceux qui T’insultent sont tombés sur nous”. Immédiatement après qu’elle eut dit cela, la malheureuse petite femme, dupe et instrument du diable, parut entourée de flammes, et, invoquant le nom de l’abbesse, elle confessa le crime qu’elle avait commis. Alors un grand cri monta au ciel : la foule immense fut stupéfaite à la vue du miracle, les moniales se mirent à pleurer de joie et toutes d’une seule voix, proclamèrent les mérites de Lioba et du Christ notre Sauveur.

C’est ainsi qu’il arriva que la réputation des moniales que le diable avait voulu ruiner par cette rumeur sinistre, fut grandement améliorée encore et des louanges pleuvaient sur elles de toute part. Mais la misérable femme ne mérita pas d’échapper au châtiment et pour le reste de sa vie, elle demeura possédée du démon. Déjà avant ces événements, Dieu avait opéré des miracles par Lioba, mais ils étaient tenus secrets. Celui-ci fut son premier en Allemagne, et, parce qu’il se produisit en public, il parvint aux oreilles de tout le monde.

D’autres miracles de Lioba

À une autre occasion, comme elle s’assit selon son habitude pour donner de l’instruction spirituelle à ses disciples, un incendie se déclara quelque part au village. Comme les toits des maisons sont faits de bois et de chaume, il furent vite consumés par les flammes et la conflagration s’étendit avec une rapidité croissante dans la direction du monastère, de sorte qu’elle menaçait non seulement de détruire les édifices, mais même les hommes et les bêtes. Alors put-on entendre les cris confus des villageois terrifiés comme ils couraient en masse vers l’abbesse pour l’implorer d’écarter le danger qui les menaçait. Sans se troubler et gardant son sang-froid, elle apaisa leurs craintes et, sans être influencée par leur confiance en elle, leur ordonna de prendre un seau et d’apporter de l’eau de la partie supérieure de la rivière qui coulait près du monastère. Dès qu’ils l’eurent apportée, elle prit un peu de sel qui avait été béni par saint Boniface et qu’elle gardait toujours sous la main, et le répandit dans l’eau. Puis, elle dit : “Allez et reversez cette eau dans la rivière, et que tout le peuple puise ensuite de l’eau plus en aval de l’endroit où elle a été versée et qu’il jette l’eau sur le feu.” Quand ils eurent fait cela, la violence de la conflagration s’apaisa et l’incendie s’éteignit comme si un déluge était tombé des cieux. Ainsi les bâtiments furent sauvés. À ce miracle, toute la foule se tint frappée de stupeur puis éclata en louanges de Dieu qui par la foi et les prières de sa servante les délivra de façon si extraordinaire d’un terrible danger.

Je pense qu’en parlant ses vertus, on doit raconter aussi le jour où une tempête féroce éclata et que tout le ciel s’obscurcit par des nuages si sombres que le jour paraissait se changer en nuit, des éclairs effrayants et la foudre qui tombait remplirent de terreur les cœurs les plus solides et chacun tremblait de peur. D’abord les gens conduisirent leurs troupeaux à l’abri dans leurs maisons pour qu’ils ne périssent pas; puis quand le danger augmentant, il les menaçait tous de mort, ils se réfugièrent avec leurs femmes et leurs enfants dans l’église, désespérant de leur vie. Ils verrouillèrent toutes les portes et attendirent là tremblant, pensant que c’était le jugement dernier qui s'annonçait. Dans cet état de panique, ils remplissaient l’air du vacarme de leurs cris confus. Alors la vierge sainte sortit à leur rencontre et leur suggéra de prendre patience. Elle promit qu’aucun mal ne leur arriverait; alors, après les avoir encouragés à se joindre à elle par la prière, elle se prosterna au pied de l’autel. Entre-temps, la tempête s’étant déchaînée, les toits des maisons furent arrachés par la violence du vent, la terre trembla par les chocs répétés de la foudre et l’obscurité épaisse qu’intensifiaient les lueurs des éclair quasi incessants illuminant les fenêtres, aggrava leur terreur. Alors, la foule, incapable de supporter la tension plus longtemps, courut à l’autel pour l’arracher à la prière et demander sa protection. Une de ses parentes, Thècle, lui parla la première, disant : “Bien-aimée, tout l’espoir de ce peuple repose en toi : tu es leur seul soutien. Lève-toi donc et prie à la Mère de Dieu, ta Maîtresse, pour nous, afin que, par son intercession, nous soyons délivrés de cette tempête épouvantable.” À ces mots, Lioba se leva de sa prière, et comme si elle eût reçu un défi, elle rejeta la cape qu’elle portait de ses épaules et, intrépide, ouvrit les portes de l’église. Debout sur le seuil, elle fit un signe de la croix, opposant le Nom du Dieu haut à la furie de la tempête. Ensuite, étendant ses mains vers le ciel, elle invoqua par trois fois la Pitié du Christ, priant pour que, par l’intercession de la sainte Vierge Marie, Il daigne venir promptement au secours de son peuple. Soudain, Dieu vint à leur aide. Le bruit du tonnerre s'évanouit, les vents changèrent de direction et dispersèrent les lourds nuages, l’obscurité recula et le soleil brilla à nouveau, apportant la sérénité et la paix. C’est ainsi que la Puissance divine rendit manifestes les mérites de sa servante. Une paix inattendue envahit son peuple et la peur fut chassée.

Il y a un autre de ses faits dont tout le monde s’accorde à dire qu’il fut extraordinaire et mémorable et qui ne doit pas, je pense, non plus être passé sous silence. Une des sœurs du monastère, nommée Williswind, de très bon caractère et de conduite exemplaire fut atteinte d’une grave maladie; elle souffrait de ce que les docteurs appellent des hémorroïdes et le saignement des ses parties intimes lui valait d’être tenaillée par de douleurs violentes aux intestins. Comme son mal ne cessait pas d’augmenter jour après jour en gravité, sa force diminua au point qu’elle ne pouvait

plus, non seulement se lever du lit et marcher sans s’appuyer sur quelqu’un d’autre, mais même pas se tourner sur son côté dans son lit. Quand elle ne put plus rester dans le dortoir commun à cause de la puanteur, ses parents, qui vivaient dans le voisinage, demandèrent et obtinrent pour elle la permission d’être transportée sur un brancard dans leur maison, de l’autre côté de la rivière Tuberaha. Peu de temps après, comme la maladie gagnait du terrain, elle s'approchait rapidement de sa fin. Comme la partie inférieure de son corps devint complètement insensible, et qu’elle pouvait à peine respirer, ses parents demandèrent à l’abbesse non de venir visiter la moniale malade, mais de prier Dieu pour son heureux trépas. Quand Lioba vint, elle s’approcha du lit qui était entouré maintenant par un groupe de voisins en pleurs, et ordonna que l’on ôte la couverture, puisque la patiente était déjà enveloppée d’un linceul comme le sont les corps des défunts. Quand ils l’eurent ôtée, elle plaça sa main sur sa poitrine et dit : “Cessez vos pleurs car son âme est encore en elle.” Puis, elle envoya au monastère et ordonna que l’on en rapportât la petite cuiller dont elle se servait d’ordinaire à table; quand ce fut fait, elle bénit du lait et le versa goutte à goutte à l’aide de la petite cuiller dans la bouche de la moniale malade. À peine touchés par quelques gouttes de lait, sa gorge et ses organes internes reprirent vie, elle remua la langue pour parler et se mit à regarder autour d’elle. Le lendemain, elle fit tant de progrès qu’elle put s’alimenter et, avant la fin de la semaine, elle alla sur ses propres pieds au monastère d’où auparavant elle avait été transportée en civière. Elle vécut plusieurs années après et demeura au service de Dieu jusqu’aux jours du règne de Louis, roi des Francs, toujours robuste et en bonne santé, même après la mort de Lioba.

La foi du peuple était stimulée par de telles preuves de sainteté et à mesure que le sentiment religieux augmentait, le mépris du monde s’intensifiait aussi. Beaucoup de personnages nobles donnèrent leurs filles à Dieu pour qu’elles vécussent au monastère en chasteté perpétuelle; de nombreuses veuves quittèrent également leur maison, firent vœu de chasteté et prirent le voile au couvent. À toutes celles-là, la vierge sainte montra par parole et par exemple comment on pouvait atteindre les hauteurs de la perfection.

Le testament de saint Boniface

Pendant ce temps, le bienheureux Boniface, l’archevêque, se préparait à aller en Frise, ayant décidé de prêcher l’évangile à son peuple plein de superstitions et d’incroyance. Il convoqua son disciple Lull en sa présence (celui qui devait lui succéder plus tard comme évêque), et confia tout à ses soins, en faisant comprendre l’importance, en particulier, de la sollicitude à l’égard des fidèles, du zèle pour prêcher l’évangile et de la conservation des églises qu’il a fait construire en divers lieux. Par-dessus tout, il lui ordonna de compléter la construction du monastère de Fulda qu’il avait commencé à construire dans le désert de Bochonie, une œuvre entreprise sous l’autorité du pape Zacharie et avec le soutien de Carloman, roi d’Austrasie. Il fit cela parce que les moines qui y vivaient étaient pauvres, n’avaient pas de revenus et étaient contraints de vivre du produit de leur labeur manuel. Il lui ordonna aussi d’enlever son corps de là après sa mort. Après avoir donné ces instructions parmi d’autres, il convoqua à lui Lioba et l’exhorta à ne pas abandonner son pays d’adoption et de ne pas se lasser du genre de vie qu’elle avait entreprise, mais plutôt d’étendre la portée de la bonne œuvre qu’elle avait commencée. Il dit qu’elle ne devrait pas prendre en considération sa faiblesse ni compter les longues années qui étaient encore devant elle; elle ne devait pas trouver la vie spirituelle comme étant dure, ni le but comme étant difficile à atteindre, car les années de cette vie sont courtes comparées à l’éternité et les souffrances de ce monde sont comme rien en comparaison avec la gloire qui sera manifestée dans les saints. Il l’a remise à Lull et aux moines anciens du monastère qui étaient présents, leur recommandant de prendre soin d’elle avec révérence et respect et redisant son vœu qu’après sa mort, ses ossements fussent placés près des siens propres dans la tombe, de sorte que ceux qui avaient servi Dieu pendant leur vie avec une égale sincérité et un pareil zèle, attendissent ensemble le jour de la résurrection.

Après ces paroles, il lui donna son capuchon et l’implora et la supplia de pas abandonner sa terre adoptive. Ainsi, quand tous les préparatifs nécessaires furent faits pour le voyage, il partit pour la Frise, où il gagna une multitude de gens à la foi du Christ et finit sa vie par un glorieux

martyre.Ses restes furent transportés à Fulda, et là, selon ses vœux préalables, il fut enterré avec des de dignes preuves de respect.

La bienheureuse vierge persévérait cependant, inébranlable, dans l’œuvre de Dieu. Elle n’avait aucun désir de gagner des possessions terrestres, mais seulement celles du ciel, et elle dépensait toute son énergie à s'acquitter de ses vœux. Sa merveilleuse réputation se répandit à l’étranger et le parfum de sa sainteté et de sa sagesse attira a à elle l’affection de tous. Elle était vénérée par tous ceux qui la connaissaient, même par des rois. Pépin, roi des Francs, et ses fils Charles et Carloman la traitaient avec un profond respect, surtout Charles qui, après la mort de son père et de son frère avec qui il avait partagé le trône pendant quelques années, prit les rênes du gouvernement. C’était un homme menant une vraie vie chrétienne, digne du pouvoir qu’il exerçait et de loin le roi le plus courageux et le plus sage des Francs. Son amour pour la foi catholique était si sincère que, bien qu’il fût gouverneur de tous, il traitait les serviteurs et servantes de Dieu avec une humilité émouvante. Souvent il convoquait la vierge sainte à sa cour, la recevait avec toutes les marques de respect et la comblait de présents qui convenaient à son statut. La reine Hildegarde la révérait aussi avec une chaste affection et l’aimait comme sa propre âme. Elle aurait voulu qu’elle restât continuellement à ses côtés afin de pouvoir progresser dans la vie spirituelle et profiter de ses paroles et son exemple. Mais Lioba détestait la vie à la cour comme du poison. Les princes l’aimaient, les nobles la recevaient chez eux, les évêques l’accueillaient avec joie. Et à cause de ses vastes connaissances des Écritures et ses conseils pleins de prudence, ils discutaient souvent de choses spirituelles et de la discipline ecclésiastique avec elle. Mais son souci le plus enraciné était l’œuvre qu’elle avait entreprise. Elle visitait les divers monastères de femmes et, comme une maîtresse de novices, les stimulait à rivaliser l’une avec l’autre pour atteindre la perfection.

Parfois, elle venait au monastère de Fulda pour y prier, privilège jamais accordé à aucune femme ni avant ni depuis, car du jour où les moines commencèrent à y vivre, l’entrée en fut toujours interdite aux femmes. La permission ne fut accordée qu’à elle, pour la simple raison que le saint martyr Boniface l’avait commandée aux anciens du monastère et parce qu’il avait ordonné que ses restes y fussent enterrés. Les règles suivantes étaient cependant observées quand elle y venait : ses disciples et compagnes restaient derrière elle dans une cellule et elle entrait au monastère toujours à la lumière du jour, avec une moniale plus âgée que les autres; puis, une fois qu’elle avait fini ses prières et eu un entretien avec les moines, elle retournait vers ses disciples qu’elle avait laissées derrière elle dans la cellule. Quand elle devint vieille et décrépite à cause de l’âge, elle réunit tous les couvents sous ses soins sur une base solide et puis, sur le conseil de l’évêque Lull, alla à un lieu appelé Scoranesheim, à quatre milles de Mayence. Là, elle élut domicile avec quelques-unes de ses moniales et servait Dieu jour et nuit par le jeûne et la prière.

Fin de la vie terrestre de Lioba

Entre-temps, tandis que le roi Charles restait dans son palais d’Aix-la Chapelle, la reine Hildegarde lui envoya un messager l’implorant de venir la visiter, si ce n’était pas trop difficile, car elle désirait la revoir avant de partir de cette vie. Et bien que Lioba n’en fût pas du tout contente, elle était d’accord pour y aller à cause de leur longue amitié. Elle y alla donc et fut reçue par la reine avec son habituel accueil chaleureux. Mais dès que Lioba apprit la raison de l’invitation, elle demanda la permission de rentrer chez elle. Et quand la reine insista pour qu’elle restât quelques jours de plus, elle refusa; mais, lui donnant l’accolade plus affectueusement que d’habitude, elle l’embrassa sur la bouche, le front et les yeux et prit congé d’elle en disant : “Adieu pour toujours, ma dame bien-aimée et sœur chérie; adieu, la moitié la plus précieuse de mon âme. Que le Christ notre Créateur nous accorde de nous revoir sans honte le jour du jugement. Plus jamais nous ne jouirons de la présence l’une de l’autre sur cette terre.”

Ainsi elle retourna au couvent, et quelques jours plus tard, abattue par une maladie, elle s’alita. Voyant que sa maladie ne cessait de s’aggraver et que l’heure de son trépas s’approchait, elle envoya chercher un prêtre anglais de sainte vie nommé Torthat, qui avait toujours été à ses côtés et la servait avec respect et amour, et reçut de lui le viatique du Corps et du Sang du Christ.

Ensuite, elle quitta son enveloppe terrestre et rendit joyeusement son âme au Créateur, pure et incorrompue comme elle l’avait reçue de Lui. Elle mourut au mois de septembre, le quatre des calendes d’octobre. Son corps, suivi d’un long cortège de personnages nobles, fut transporté par les moines de Fulda à leur monastère, avec toutes les marques de respect. Ainsi, les anciens se souvinrent de ce qu’avait dit saint Boniface; c’est-à-dire de sa dernière volonté qui était que ses restes fussent enterrés à côté de ses ossements à lui. Mais parce qu’ils craignaient d’ouvrir la tombe du bienheureux martyr, ils débattirent la chose entre eux et décidèrent de l’enterrer du côté nord de l’autel que saint Boniface avait élevé et consacré lui-même en l’honneur du Sauveur et des douze apôtres.

Après quelques années, quand l’église devint trop petite et que ses recteurs se préparaient à une nouvelle consécration, l’abbé Eigil, avec la bénédiction de l’archevêque Heistulf, transféra ses ossements et les plaça dans le portail nord, près des reliques du saint martyr Ignace, où, enchâssés dans une tombe, ils reposent, glorieux, et opèrent des miracles. Beaucoup en effet, s’approchant pleins de foi de sa tombe, reçurent bien des fois des faveurs divines. Je vais maintenant relater à mes lecteurs, avec simplicité et véracité, les quelques-unes qui me reviennent en mémoire.

Miracles opérés par ses reliques

Un homme avait ses bras si étroitement liés d’anneaux de fer que le fer était presque couvert par la chair nue qui poussait autour, de chaque côté. L’un de ces anneaux était déjà tombé d’un des bras et laissa une profonde cicatrice nettement visible. Cet homme vint à l’église et fit le tour des sanctuaires des saints, priant à chaque autel. Quand il arriva à la tombe de la sainte vierge Lioba, et commença à prier, une force mystérieuse détendit l’anneau de fer et, brisant les verrous, le détacha de son bras, le laissant tout en sang. Avec joie et allégresse, il rendit grâce à Dieu, parce que par les mérites de la bienheureuse moniale, lui qui était jusqu’à ce moment lié d’entraves par suite de ses péchés, fut délivré.

Il y avait un autre homme, d’Espagne celui-là, qui, à cause de ses péchés, fut affligé d’horribles convulsions dans tous ses membres. Selon ses propres dires, il contracta cette infirmité en se baignant dans la rivière Ebro. Et comme il ne pouvait supporter d’être vu dans sa difformité par les gens de son pays, il vagabondait de sanctuaire en sanctuaire, là où cela lui chantait d’aller. Après avoir traversé toute la France et l’Italie, il vint en Allemagne. Quand il eut visité plusieurs monastères pour y prier, il vint à Fulda où on le reçut à l’hospice des pèlerins. Il y resta trois jours, allant à l’église et priant pour que Dieu fût apaisé et le rétablît à son état de santé d’avant. Quand le troisième jour il entra à la chapelle, après avoir prié à chaque autel, il vint naturellement au sanctuaire de la sainte vierge Lioba. Ayant fini sa prière là, il descendit à la crypte occidentale au- dessus de laquelle repose le corps du saint martyr Boniface. Prosterné en prière, il était étendu comme quelqu’un qui dort, mais il ne s’agitait plus comme il le faisait avant dans son sommeil. Un saint hiéromoine nommé Firmandus, qui avait l’habitude d’être assis à cet endroit car une infirmité l’empêchait de se tenir debout, s’en aperçut et fut frappé d’étonnement. Il ordonna à ceux qui voulaient le relever de ne pas le toucher, mais d’attendre plutôt pour voir ce qui allait se passer. Soudain, l’homme se releva et, puisqu’il était guéri, ses convulsions avaient cessé. Interrogé par le prêtre qui, étant italien, comprenait son langage, il dit avoir eu une extase dans laquelle il vit un vieil homme vénérable portant une étole d’évêque, accompagné d’une jeune femme en habit de moniale. Celle-ci le prit par la main, le releva et le présenta à l’évêque pour sa bénédiction. Quand l’évêque fit le signe de la croix sur sa poitrine, un oiseau noir comme l’encre et ressemblant à un corbeau sortit en vol de son sein et à travers la capuche de sa tunique; dès qu’il atterrit, il se transforma en poule, puis prit la forme d’un horrible petit homme très laid qui émergea de la crypte sur les marches de l’entrée nord. Aucun chrétien ne peut douter qu’il ne fût guéri par les prières de la vierge sainte et les mérites du bienheureux martyr. Ces deux, bien qu’ils ne partagent pas la même tombe, reposent cependant au même endroit et ne manquent jamais de condescendre à ceux qui cherchent leur intercession, avec la même bonté maintenant qu’ils sont en gloire qu’ils le

faisaient au temps où ils vivaient sur terre et montraient pitié et compassion à l’égard des malheureux.

Dieu opéra beaucoup d’autres miracles par les prières de la sainte vierge, mais je ne les mentionne pas, de peur qu’en prolongeant mon récit je n’inflige de l’ennui au lecteur. Mais j’ai rappelé ces deux-là, parce que plusieurs des frères qui sont encore vivants témoignèrent, par des paroles qui ne doivent pas être dédaignées avec légèreté, qu’ils les avaient vus. J’étais aussi présent quand ils eurent lieu. J’écris cela, donc, pour la louange et la gloire du Nom de notre Seigneur Jésus Christ qui glorifie ceux qui Le glorifient et qui accorde à ceux qui Le servent non seulement le royaume des cieux, mais aussi noblesse et honneur dans ce monde. À Lui la gloire avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.